Citation
Catégorie
Tag – étiquette
Auteur
Info



nb max de mots
nb min de mots
trier par
Dictionnaire analogique intriqué pour extraits. Recherche mots ou phrases tous azimuts. Aussi outil de précision sémantique et de réflexion communautaire. Voir la rubrique mode d'emploi. Jetez un oeil à la colonne "chaînes". ATTENTION, faire une REINITIALISATION après  une recherche complexe. Et utilisez le nuage de corrélats !!!!..... Lire la suite >>
Résultat(s): 40
Temps de recherche: 0.0564s

castrateurs

(...) Ceux qui font autorité dans un domaine ou dans un autre soulèvent deux problèmes.

D'abord, leurs résultats sont souvent décevants.

Ils sont environ un million d'économistes diplômés sur cette planète, et aucun n'a été capable de prévoir l'arrivée de la crise financière (...)

Aucun groupe d'experts n'a jamais essuyé d'échec aussi spectaculaire.

Le bilan du corps médical n'est guère meilleur : jusqu'en 1900, il était préférable de s'abstenir d'aller chez le médecin lorsqu'on était malade si l'on ne voulait pas voir son état s'aggraver (absence d'hygiène, saignées et autres pratiques nuisibles).

Mais ce premier problème n'est pas le plus grave. Que les spécialistes se trompent souvent ... après tout, l'erreur est humaine.

Non, le pire, c'est que nous n'osons presque plus penser par nous-mêmes en présence d'une figure d'autorité. (...)

Les experts veulent être reconnus. C'est pourquoi ils ont absolument besoin de signes distinctifs pour montrer qui ils sont. Les médecins et les chercheurs ont leur blouse blanche, les directeurs de banque leur costume-cravate.

La cravate n'est rien d'autre qu'un signe extérieur d'autorité. Les rois portent des couronnes. Les militaires des insignes. Et les plus hauts représentants de l'Eglise catholique ne sont pas en reste.

Aujourd'hui, il faudrait y ajouter le fait d'être invité à des talk-shows et de publier des best-sellers.

Chaque époque a ses icônes, ses symboles de prestige et d'autorité.

Les prêtres, les souverains, les guerriers, les papes, les philosophes et les poètes ont connu leur heure de gloire, puis ont laissé la place aux stars du rock, aux animateurs de télévision, aux fondateurs d'entreprise de la nouvelle économie basée sur Internet, aux gérants de fonds spéculatifs et aux présidents de banques centrales.

Auteur: Dobelli Rolf

Info: Arrêtez de vous tromper : 52 erreurs de jugement qu'il vaut mieux laisser aux autres...  Le biais d'autorité

[ modèles ] [ soumission ]

 

Commentaires: 0

Ajouté à la BD par miguel

spéculation

Cependant, si les extraterrestres vivaient réellement dans ou au contact des trous noirs, nous n'aurions aucune chance de les détecter, tout simplement parce qu'ils n'émettraient aucune lumière. Malgré tout, dans un esprit scientifique, je suis allé voir de plus près où étaient observés les quelques trous noirs stellaires confirmés. J'ai alors réalisé qu'ils n'étaient pas isolés, mais se trouvaient dans des systèmes d'étoiles binaires. J'ai commencé à explorer avec fascination les microquasars et progressivement la variété des systèmes d'étoiles binaires en accrétion. Ces systèmes m'ont immédiatement frappé par le fait qu'ils présentaient toutes les caractéristiques du métabolisme. Le métabolisme nécessite un flux d'énergie, le maintien d'une organisation interne et l'exportation d'entropie. Toutes caractéristiques qui semblaient être présentes dans certains de ces systèmes binaires. J'ai inventé le terme "starivore" (un mot hybride de l'anglais star ; et du latin vorus) en raison de sa proximité avec le mot "carnivore".  Mais depuis août 2015, je préfère désormais utiliser le terme stellivore (du latin stella et vorus). Même si l'idée s'avère fausse, elle a peut-être influencé Disney et la base Starkiller dans Star Wars : The Force Awakens...

(Illustration : photo d'un colibri se nourrissant d'une fleur en plein vol) L'oiseau colibri nectarivore à haute énergie se nourrit de l'énergie stockée dans les tournesols.  La civilisation extraterrestre stellivore à haute énergie se nourrit de l'énergie stockée dans les étoiles. Vrai ou faux ? )

Ces systèmes pourraient-ils être des êtres vivants avancés ? Pourraient-ils être des cerveaux super globaux utilisant activement l'énergie stellaire ? L'exploration de ces questions ne fait que commencer, et mes réflexions actualisées se trouvent dans le chapitre 9 de mon livre de 2014 : "Astrobiologie à haute énergie". Un court article de 2016 résume l'argument : Stellivore Extraterrestrials? Binary stars as living systems. Bien sûr, prouver l'existence d'une organisation interne dans une naine blanche, une étoile à neutrons ou un trou noir reste une question clé ouverte.

Auteur: Vidal Clément

Info: extrait de sa bio sur http://www.clemvidal.com/

[ analogie bio-cosmologique ]

 

Commentaires: 0

Ajouté à la BD par miguel

bipolarité

L’une des questions qui me paraissent les plus intéressantes sur ce sujet est celle de l’éventuelle dissolution du moi que peut entraîner l’empathie : quand on éprouve de l’empathie, qu’en est-il des frontières du moi ? Si l’on imagine une politique fondée sur l’empathie, qu’en est-il du désir individuel ? Peut-il continuer à avoir du sens ? La science-fiction explore régulièrement ce territoire, en recourant à différentes formes et degrés imaginaires d’empathie, de télépathie, voire de symbiose : le collectif Gaïa dans le "Cycle de Fondation" (1942-1993) d’Isaac Asimov ; divers télépathes et empathes dans L’Oreille interne (1972) de Robert Silverberg, Chroniques du pays des mères (1992) et le "Cycle de Tyranaël" (1994-1997) d’Élisabeth Vonarburg ou la série Babylon 5 (1994-1998) de J. Michael Straczynski ; le symbiote Solstice/Paramètre dans Le Canal Ophite (1977) de John Varley, quelques passages saisissants de Starship Troopers (1997) de Paul Verhoeven, Connectés et Mécanistes dans Étoiles Mourantes (1999) d’Ayerdhal et Jean-Claude Dunyach, la drogue empathique dans Code 46 (2003) de Michael Winterbottom ; enfin, Vulcains, Bétazoïdes ou Trills dans les différentes séries Star Trek depuis 1966 (Next Generation, Deep Space Nine, Voyager, etc.), avec notamment l’idée que la télépathie pourrait être l’unique forme possible de communication avec des espèces extraterrestres par trop différentes, autrement dit authentiquement alien (épisode "The Devil in the Dark2 (1967) dans la série Star Trek originale), idée qu’on retrouve également dans Maître des arts (1974) de William Rotsler. Mais si je me suis concentrée jusque-là sur ce qu’on pourrait appeler "l’empathie passive ou réceptrice", qui correspond à la signification la plus courante du terme, nous n’avons en fait cessé de rencontrer une possible forme symétrique, que l’on pourrait désigner comme "empathie active ou émettrice", et qui désignerait la faculté de transmettre à autrui ses émotions et ses désirs (casque sensoriel dans Strange Days (1995) de Kathryn Bigelow), et plus généralement de le manipuler ("Persuasion de Force" dans Star Wars - 1977 - de George Lucas). Or cette forme d’empathie joue certainement un rôle crucial dans les sociétés humaines et animales, car elle pose la question de la manipulation des individus et des foules, et, de façon générale, celle de l’art, de la politique, et de leurs liens (cf. l’art du kineïrat dans le cycle "La Bohême et l’Ivraie" (1990) d’Ayerdhal). La philosophie n’est d’ailleurs pas en reste sur cette question, puisque c’est déjà ce qui occupe Platon, centralement dans Ion, La République ou Les Lois (IVe siècle av. J.-C.), mais aussi dans l’ensemble de sa démarche, la philosophie se donnant précisément pour but de convaincre autrui par la raison, par opposition au sophiste qui persuade par l’émotion, c’est-à-dire la transmission empathique – avec tous les dangers que ce dernier procédé présente, et que l’histoire des hommes ne cesse de rappeler.

Auteur: Allouche Sylvie

Info: https://www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-2014-1-page-149.htm, dernière partie de "Communication empathique, télépathique et symbiotique"

[ charisme ] [ pouvoir ] [ identification ] [ rationalisme vs emoi ]

 

Commentaires: 0

célébrité

Cette séduction a la blancheur spectrale des étoiles, comme elles furent si bien nommées. Tour à tour les masses n'ont été  "séduites", à l'ère moderne, que par deux grands événements : la lumière blanche des stars, et la lumière noire du terrorisme. Ces deux phénomènes ont bien des choses en commun. Comme les étoiles, les stars ou les actes terroristes "clignotent" : ils n'éclairent pas, ils ne rayonnent pas d'une lumière blanche et continue, mais froide et intermittente, ils déçoivent en même temps qu'ils exaltent, ils fascinent par la soudaineté de leur apparition et l'imminence de leur disparition. Ils s'éclipsent aux-mêmes, dans une perpétuelle surenchère.

Les grandes séductrices ou les grandes stars ne brillent jamais par leur talent ou par leur intlligence, elles brillent par leur nullité, et leur froideur, qui est celle du maquillage et du hiératisme rituel (le rituel est cool, selon MacLuhan). Elles métaphorisent l'immense processus glaciaire qui s'est emparé de notre univers de sens pris dans les réseaux clignotants de signes et d'images- mais en même temps à un moment donné de cette histoire et dans une conjoncture qui ne se reproduira plus, elles le transfigurent en effet de séduction. 

Le cinéma n'a jamais resplendi que par cette séduction pure, par cette pure vibration du non-sens- vibration chaude d'autant plus belle qu'elle veneit du froid.

Artifice et non-sens : tel est le visage ésotérique de l'idole, son masque initiatique. Séduction d'un visage expurgé de toute expression, sinon celle d'un sourire rituel et d'une beauté non moins conventionnelle. Visage blanc, de la blancheur des signes voués à leur apparence ritualisée, et non plus soumis à quelques loi profonde de signification. La stérilité des idoles est bien connue : elles ne se reproduisent pas, elles ressuscitent à chaque fois de leurs cendres, comme le phénix, ou de leur miroir, comme la femme séductrice.

Ces grandes effigies séductrices sont nos masques à nous, ce sont nos statuts de l'île de pâques. Mais ne nous y trompons pas ; s'il y a eu historiquement les foules chaudes de l'adoration, de la passion religieuse, du sacrifice et de l'insurrection, il y a maintenant les masses froides de la séduction et de la fascination. Leur effigie est cinématographique, et elle est celle d'un autre sacrifice.

La mort des stars n'est que la sanction de leur idôlatrie rituelle. Il faut qu'elles meurent, il faut qu'elles soient déjà mortes. Il le faut pour être parfaite et superficielle, dans le maquillage aussi. Mais ceci ne doit pas nous incliner à une abrécation négative. Car il y a là derrière la seule immortalité qui soit, et qui est celle de l'artifice, l'idée, incarnée par les stars, que la mort elle-même brille par son absence, qu'elle peut se résoudre dans une apparence brillante et superficielle, qu'elle est une surface séduisante.

Auteur: Baudrillard Jean

Info: de la séduction (1988, 246 p., folio essais) p.132, 133, 134.

[ vedette ] [ fausse gloire ] [ manipulation ] [ néant ] [ populace ]

 

Commentaires: 0

télévision

Toi qui a su ôter la vue aux aveugles, l’ouïe aux sourds, la signification à toute vie ; toi qui effaces les repères, démembres les langues, anéantis le sens de tout ; toi qui débarrasses en beauté les hommes de leurs illusions idéologiques, de leurs attentes utopiques, de leurs velléités critiques ; toi qui les soulages de leur entendement, de leur jugement et de leur raisonnement, ô pur Non-Esprit !
Méfie-toi.
O irréel miroir du monde imprésentable, on cherche de plus en plus à t’interpréter, à te comprendre, à t’analyser.
Sans doute même rêve-t-on de te moraliser ? […]
Terminées, la libre pensée et l’acidité ! Finis les "refus hautains". Honte aux méprisants de l’écran ! Aux intégristes aigris de l’écrit !
Et vive la langue miséreuse des stars inoubliables qui vous fondent sur la langue !
Et en avant, dans la foulée, le recyclage des formulations ridicules et des clichés conjuratoires.
En avant le "primat de visuel", la "spectacularisation de la réalité", le problème de la "déresponsabilisation du citoyen", l’ "idéologie dépolitisante", le "futile événementialisé".
En avant la "grammaire de l’image".
Noueuse masse d’ondes triomphantes ! Ayant fait le pari raisonnable que ton expansion était irréversible, ta croissance illimitée, ton paradis enviable et ton horizon indépassable, ils veulent croire maintenant ta connerie éducable.
[…]
Vérole sortant des ondes ! Ils voudraient te rendre "bonne". Et savante. Et informante.
Ils te désirent "de qualité" !
Pourquoi pas "intelligente", ô Gâteuse infaillible ?
[…]
Ils voudraient t’apprendre à parler, ô Borborygme !
Ils rêvent de te contrôler. Ils ont des opinions sur ton "statut". Ils croient savoir ce que tu devrais être. Généraliste ? Bas de gamme ? Intéressante ? Thématique ? Divertissante ? […]
Et pour commencer, ô Multinationale de l’oubli pestifère, ils prétendent que tu as une "histoire" ! Une histoire ! Toi ! Un passé ! Toi l’inconscient incarné qui ignore royalement le temps ! Et allez donc les anecdotes ! Les rappels d’âge d’or. Les souvenirs mouillés du temps où tu n’étais encore qu’une toute petite maladie bénigne, ô Compulsion digitale universelle, la "télé voix de France", tes vieux feuilletons noir et blanc, trois heures de programmes par jour et ces foules qui se poussaient aux vitrines des marchands de poste pour découvrir, ô maternelle Mutante, comme par une brèche minuscule, tes rares images qui tremblaient d’aise.
[…]
Œsophage du monde nouveau, ils te traitent de "lien social indispensable" !
Ô caniveau !
Poubelle irrévocable ! Ne les laisse pas faire !
Refuse de te laisser arranger le portrait !
Ne deviens pas, surtout leur Téléubu à visage humain ce serait ta fin.
Reste l’Inconnaissable, l’Obscure, l’Impénétrable.
Te voilà avertie, ô grande Cochonnerie obligatoire ! Sois de plus en plus bête, obscène, téléthonne, délatrice, morbide, chiotte, corrompue, infâme. Le troisième millénaire sera dégueulasse ou ne sera pas. Ô Parque à Thèmes ! L’avenir épouvantable des siècles est à toi.

Auteur: Muray Philippe

Info: Dans "Exorcismes spirituels I - Rejet de greffe", pages 403 à 406

[ ode ironique ] [ encouragement gouvernemental ] [ dénigrement ]

 

Commentaires: 0

Ajouté à la BD par Coli Masson

cénacle

Au fil des journées Emma devenait toujours plus critique, surtout avec ses amis locaux, principalement la bande d'André, un musicien, ami de Miguel, pivot d'une clique d'artistes quadragénaires, tous issus de la bourgeoisie. Elle les analysait, les jaugeant maintenant comme de tristes êtres, qui se croyaient métamorphosés parce qu'après avoir vécu ces expériences - par lesquelles ils avaient eu l'impression de se faire peur - ils étaient simplement intégrés. Des petits bourgeois, ridicules par cette mise en place progressive et étudiée de façades plus ou moins réussies, plus ou moins souriantes, assorties de quelques petites excentricités d'habillement, de tournures verbales supposément originales. Elle voyait à présent des cadres moyens du fin tissu social helvétique, un de ces rassemblement de gens qui craignent toute forme de marginalité. Sérail dérisoire ou l'on se fait la bise comme les stars de la télévision pour marquer sa différence, pour montrer son appartenance à un cercle qui serait plus humain, plus averti, éclairé, mais qui, quand il existe, elle ne le savait que trop, n'a que le fonctionnement d'un groupe de pression. Elle riait presque en se remémorant qu'ils avaient créé une structure à but artistique baptisée "Les gars sympas " c'était à n'y pas croire.

Telle était donc l'intelligentsia, les révoltés de cet endroit ?... en était-ce de même pour la culture occidentale en général ?... Etaient-ce eux les artistes ?... Emma se surprenait à fulminer intérieurement. Traumatisée par l'enfant elle ne voyait plus chez eux qu'une forme d'élitisme atroce, imbécile, soumis aux conventions, aux diplômes, loin de la vie, la vraie, celle avec des excréments, des bleus, du sang, des cris. Elle aurait préféré ne pas les juger mais c'était impossible, elle les voyait si distants, si étriqués, prenant brusquement conscience qu'elle n'en n'avait jamais vu un plaisanter ou simplement discuter avec une caissière édentée ou un clodo en pleine cuite. Oui, c'était ça, égoïstes : lors des fêtes qui réunissaient les familles, elle voyait bien que leurs enfants leur cassaient les pieds, comme s'ils ne les avaient pondus que par convention, par simple peur de la mort, ou pire, par ennui. Pas comme dans son pays où la jeunesse était synonyme de joie, de plaisir... de folie qui se développe.

Elle les dépréciait, ils étaient froids, pédants. Elle analysait leurs postures, leurs attitudes - vues par elle comme un mélange de classe et de réserve étudiées - des limitations quoi, y voyant pour preuve que l'humour grossier, même sciemment provocateur, les faisaient se raidir immédiatement. Comprenant aussi qu'il fallait bien qu'ils conservent la cohérence de leur statut social. Ils étaient carrément bridés, oui, c'était ça : sans ouverture... s'auto bombardaient non racistes... tolérants... ne semblaient pas supporter par ailleurs qu'on fasse part de la moindre forme de non allégeance à leur endroit, empêtrés dans leurs représentations, leur foutu confort. Mais stop. Il fallait revenir sur terre, être positive. Qu'avaient-ils de différents des autres humains, somme toute ?... N'était-elle pas comme eux ?.

Auteur: MG

Info: In Jean-Sébastien, 1999

[ sociologie ] [ suisse ]

 

Commentaires: 0

filles-garçons

ELLE. Qu’en est-il des cours d’éducation sexuelle à l’école ?

Israël Nisand. Il y a une loi, datant de 2001, qui prévoit trois heures d’information sur la vie affective et sexuelle à partir de l’âge de 4 ans. J’ai rencontré tous les ministres successifs de l’Éducation nationale pour leur demander d’appliquer la loi, rien de plus.

ELLE. Et à quoi ressemble cette éducation sexuelle, alors ?

Israël Nisand. D’abord, il faut arrêter avec le mot éducation sexuelle, ça voudrait dire qu’on peut vous expliquer comment et dans quelles positions. Appelons ça "Information sur la sexualité". Il y a plein d’expérimentations volontaristes comme la mienne, conduites par le Planning familial ou quelques infirmières scolaires. Il y a eu énormément d’essais dans des régions qui tentent de palier le manque institutionnel dans ce domaine mais, sinon, rien. Appliquons la loi, c’est aussi simple que ça ! Le Canada, la Suisse romande le font : il y a une formation des instituteurs. À 4 ans, on apprend à respecter son propre corps. À 6 ans, on apprend le respect de l’autre. À 8 ans, on apprend ce qu’est la vie amoureuse. Bref, tout ce parcours de connaissance est fait par des profs formés pour ça. Puis, vers 11 ans, ce sont des intervenants extérieurs qui viennent parce que les jeunes sont très sensibles à l’interlocuteur et à ses compétences. Lorsque vous me demandiez à quel âge intervenir, certaines institutions souhaiteraient que je vienne plus tôt, en quatrième, parce qu’il y a des fellations collectives dans les toilettes.

ELLE. Comment expliquez-vous cela ?

Israël Nisand. On a confié l’éducation sexuelle de nos enfants au porno, qui est une non-éducation. J’entends des questions folles pendant les cours : "Comment ça se fait que les meufs elles aiment sucer le sexe des animaux ?" "Est-ce que, quand la meuf veut pas, un pote peut la tenir ?" Il y a plein de questions sur la zoophilie. Ils sont complètement animés, cultivés, éduqués par YouPorn.

ELLE. À partir de quel âge les enfants commencent-ils à regarder du porno ?

Israël Nisand. En moyenne, 11 ans. Mais il y a des enfants de 9 ans qui sont addicts et en consomment jusqu’à trois heures par jour. Ils sont comme fascinés, sidérés par ces images, ce qui est d’ailleurs une forme de maltraitance. Car jamais ils ne seront comme les stars du porno avec un zizi très long, et pratiquant telle ou telle position... Ils sont choqués.

ELLE. Est-ce que, comme pour les drogues, plus on consomme jeune, plus c’est nocif ?

Israël Nisand. C’est démontré. Un chercheur canadien a publié plusieurs travaux à ce sujet. Selon la précocité de la consommation et la quantité d’heures par jour, il étudie la sexualité en aval à travers trois marqueurs : l’utilisation des objets dans les premiers rapports, l’âge du premier rapport et le recours à la sodomie lors d’un premier rapport. Hautement significatif. Autre expérience : il a exposé une centaine d’adultes de 22-23 ans, sans perversion de nature pédophile, pendant deux heures à de la pédopornographie et les a réinterrogés : ça les avait bien sûr troublés, cela leur avait aussi donné du plaisir, du désir sur quelque chose qui ne les concernait pas auparavant.

ELLE. Pour autant, les adolescents ont toujours leur premier rapport au même âge ?

Israël Nisand. Non, l’âge du premier rapport est de 16 ans et demi pour les filles, 16 ans et deux mois pour les garçons. Il a bougé. Et bouge considérablement. Ce qui était normal à 17 ans et demi l’est maintenant maintenant à 16 ans. Entendons-nous : je ne suis pas dans le jugement moral, je suis en train de dire que l’on perturbe un mécanisme de fantasmagorie, de création des images et d’enchantement – la rencontre de l’autre avec un commerce qui se fait sur le dos de nos enfants.

ELLE. Que préconisez-vous ?

Israël Nisand. Comme je vous l’expliquais, il faut appliquer la loi et s’inspirer des usages suisse et canadien. Des cours d’information à la sexualité depuis l’âge de 4 ans. Ne chargeons pas les parents ! Il faut que l’école aide. De 4 à 10 ans, les fondamentaux : le respect de soi-même, le respect de l’autre ; c’est quoi la relation entre deux personnes qui s’aiment ? Instits et parents doivent transmettre ces fondamentaux, sinon, c’est foutu. Ensuite, tout se joue à l’extérieur. Il y a donc deux ou trois années de blanc au moment où l’enfant aurait le plus besoin d’être protégé. C’est là que l’école a un rôle fondamental : un adulte complice vient le voir, ce n’est pas un père, une mère, il ne juge pas, mais il va l’aider.

ELLE. Et les parents dans tout ça ?

Israël Nisand. Les parents sont là pour l’éducation à la morale que personne ne peut faire à leur place, mais ils ne peuvent pas donner la licence et interdire. Si les parents n’ont pas appris les interdits, on ne peut plus construire derrière et, s’ils posent les interdits, ils ne peuvent pas dire ensuite : "Il faut laisser de l’air au bout des préservatifs." Je parle en père !

ELLE. Et pour le porno ? Difficile de surveiller tablettes, mobile, réseaux sociaux…

Israël Nisand. Impossible. Je ne suis pas pour la censure mais, quand on veut empêcher une consommation sur Internet dans notre pays : djihadisme, pédophilie… on y arrive. Je demande : primo, que chaque première image de pornographie soit assortie d’une demande de carte Bleue. Rien que ça. Deuxio, une campagne d’information à destination des parents pour leur dire que ça fait du mal aux enfants, qu’ils doivent ranger leur matériel pornographique à usage personnel, car 30 % de la primo-consommation se fait sur des documents qui appartiennent aux parents. Tertio, une campagne d’information pour les enfants expliquant : "La pornographie, ça vous fait du mal, comme la drogue, et on ne la combat pas sans en parler."

ELLE. Les ados ne peuvent-ils pas aussi regarder du porno et en revenir, une fois la curiosité retombée, sans séquelles ? Autrement dit : ne faut-il pas leur faire confiance ?

Israël Nisand. Tout dépend du contexte, de la fragilité affective et de la manière dont on a pu en parler avec les parents. Mais on ne mesurera jamais tout à fait l’effet de sidération des premières images. Je préférerais que les jeunes découvrent la sexualité autrement que par des scènes qui sous-entendent que "non peut vouloir dire oui", avec la violence, le mépris de la femme et la possibilité de l’inceste que ça implique.

Auteur: Nisand Israël

Info: sur Elle.fr, 19 avril 2016

[ initiation ] [ décadence ] [ Internet ] [ femmes-hommes ]

 

Commentaires: 0

homme-machine

Un philosophe sur la mort de la romance, les robots ChatGPT vulgaires et le sexe virtuel

Je m'inquiète des développements du web et de l'intelligence artificielle. Quelques exemples au sujet desquels il faut se poser des questions..

L'explosion des nouveaux médias (Facebook, Google, Instagram, TikTok, etc.) dans l'Occident "démocratique" a radicalement modifié le rapport entre espace public et espace privé : un nouveau tiers espace a émergé qui efface le clivage entre public et privé.

Ce nouvel espace est public, accessible dans le monde entier, mais il fonctionne en même temps pour les échanges de messages privés. C'est tout sauf incontrôlé : il existe des algorithmes qui non seulement le censurent et empêchent certains messages de s'y infiltrer, mais manipulent également la façon dont les messages attirent notre attention.

Les plateformes technologiques font face à de nouveaux défis

Il s'agit ici de dépasser l'alternative "Chine ou Elon Musk" : ou le contrôle opaque de l'État, ou la "liberté" de faire ce qu'on veut, tout ceci pareillement manipulé par des algorithmes opaques. Ce que la Chine et Musk ont ​​en commun, c'est un contrôle algorithmique opaque.

Une équipe d'entrepreneurs israéliens dont le nom de code est "Team Jorge" "affirme avoir truqué plus de 30 élections dans le monde par le piratage, le sabotage et la désinformation automatisée sur les réseaux sociaux. La "Team Jorge" est dirigée par Tal Hanan, 50 ans, ancien commandant des opérations spéciales israéliennes. Les méthodes et techniques décrites par "Team Jorge" posent de nouveaux défis aux grandes plateformes technologiques qui luttent depuis des années pour empêcher les acteurs néfastes de répandre des mensonges ou de violer la sécurité de leurs plateformes. L'existence d'un marché privé mondial pour la désinformation ciblée sur les élections sonnera également l'alarme dans les démocraties du monde entier.

Tout cela est plus ou moins de notoriété publique maintenant, du moins depuis le scandale de Cambridge Analytica (dont l'implication dans les élections américaines de 2016 a joué un rôle déterminant dans la victoire de Trump). Pour aggraver les choses, la gamme de nouveaux algorithmes devrait également inclure l'explosion de programmes qui rendent l'échange de visages et d'autres techniques de deepfake facilement accessibles.

Bien sûr, les plus populaires sont les algorithmes qui permutent les visages des célébrités sur les corps des actrices porno dans les films pour adultes : Les outils nécessaires pour créer ces vidéos porno "maison" mettant en vedette les actrices et pop stars préférées d'Hollywood sont facilement disponibles et simples à utiliser. Cela signifie que même ceux qui n'ont aucune compétence en informatique et peu de connaissances techniques peuvent créer ces films.

Les films porno Deepfake sont faciles à créer. La s(t)imulation sexuelle parfaite.

Les visages des actrices hardcore peuvent être échangés non seulement par des stars de la pop, mais aussi par leurs proches - le processus est impressionnant de par sa simplicité : "Vous pouvez transformer n'importe qui en star du porno en utilisant la technologie deepfake pour remplacer le visage de la personne échangé contre une vidéo adulte. Il suffit de l'image et d'appuyer sur un bouton". Malheureusement, la plupart du temps, les deepfakes sont utilisés pour créer de la pornographie mettant en scène des femmes, pour qui cela a un effet dévastateur. "Entre 90 et 95 % de toutes les vidéos deepfake en ligne sont de la pornographie non consensuelle, et environ 90 % d'entre elles sont des femmes."

Et si vous voulez que les voix correspondent également aux visages échangés, utilisez la voix Voice AI pour créer "des recréations hyperréalistes qui ressemblent à la vraie personne". Bien sûr, le raccourci incestueux ultime ici serait d'échanger mon propre visage et celui de ma femme ou de mon partenaire dans une vidéo pour adultes et d'ajouter nos clones de voix aux enregistrements afin que nous puissions simplement nous asseoir confortablement, boire un verre et regarder notre sexe passionné.

Le chatbot génère des textes incroyablement clairs et nuancés

Mais pourquoi devrions-nous nous limiter au sexe ? Que diriez-vous d'embarrasser nos ennemis avec des vidéos d'échange de visage d'eux faisant quelque chose de grossier ou de criminel ? Et pour ne rien arranger, on peut ajouter à tout ceci des chatbots (programmes informatiques capables d'avoir une conversation avec un utilisateur en langage naturel, de comprendre ses intentions et de répondre en fonction de règles et de données prédéterminées). Récemment, leurs performances ont explosé.

Quand Antony Aumann, professeur de philosophie à la Northern Michigan University, a évalué des essais pour son cours sur les religions du monde le mois dernier, il a lu un essai qui, selon lui, était de loin "le meilleur de la classe". Il a examiné la moralité de l'interdiction de la burqa avec des paragraphes clairs, des exemples appropriés et des arguments solides. Aumann a demandé à son élève s'il avait écrit lui-même l'essai; l'étudiant a admis utiliser ChatGPT, un chatbot qui fournit des informations, explique des concepts et génère des idées dans des phrases simples - de fait dans ce cas a écrit l'essai.

Toutes choses qui font partie de l'arrivée en temps réel d' une nouvelle vague de technologie connue sous le nom d'intelligence artificielle générative. ChatGPT, sorti en novembre 2022 par la société OpenAI, est à la pointe de ce développement. Générant un texte incroyablement clair et nuancé en réponse à de courtes invites, ce chatbot est utilisé par les gens pour écrire des lettres d'amour, de la poésie, de la fanfiction - et des travaux scolaires.

L'intelligence artificielle peut se montrer effrayante

Pas étonnant que les universités et les lycées réagissent dans la panique et n'autorisent dans certains cas que les examens oraux. Entre autres questions, il en est une qui mérite attention : comment un chatbot doit-il réagir lorsque l'interlocuteur humain tient des propos sexistes et racistes agressifs, présente ses fantasmes sexuels dérangeants et utilise régulièrement un langage grossier ?

Microsoft a reconnu que certaines sessions de chat prolongées utilisant son nouvel outil de chat Bing peuvent fournir des réponses qui ne "correspondent pas à notre tonalité de message prévu". Microsoft a également déclaré que dans certains cas, la fonctionnalité de chat tente de "répondre ou de refléter le ton sur lequel il lui est demandé de répondre".

Bref, le problème se pose lorsque le diaogue humain avec un chatbot utilise un langage grossier ou tient des propos racistes et sexistes flagrants, et que le chatbot programmé pour être au même niveau que les questions qui lui sont adressées répond, sur le même ton. La réponse évidente est une forme de réglementation qui fixe des limites claires, c'est-à-dire la censure. Mais qui déterminera jusqu'où cette censure doit aller ? Faut-il également interdire les positions politiques que certains trouvent "offensantes" ? Est-ce que la solidarité avec les Palestiniens en Cisjordanie ou les affirmations selon lesquelles Israël est un État d'apartheid (comme Jimmy Carter l'a dit dans le titre de son livre) seront bloquées comme "antisémites" ?

La romance est presque morte    

En raison de ce clivage minimal, constitutif d'un sujet, le sujet est pour Lacan divisé ou "verrouillé". Dans la scène imaginée, je présente (ou plutôt mon double en tant que personne) à un professeur, via le zoom, un travail de séminaire rédigé par un chatbot, mais le professeur aussi n'est présent qu'en tant que personne, sa voix est générée artificiellement, et mon séminaire est noté par un algorithme. Il y a une dizaine d'années, The Guardian me demanda si le romantisme était mort aujourd'hui - voici ma réponse.

"Le romantisme n'est peut-être pas encore tout à fait mort, mais sa mort imminente se manifeste par des gadgets-objets qui promettent de fournir un plaisir excessif, mais qui ne font en fait que reproduire le manque lui-même. La dernière mode est le Stamina Training Unit, l'équivalent du vibromasseur : un appareil de masturbation qui ressemble à une lampe à piles ( afin que nous ne soyons pas gênés de le transporter avec nous). On insère son pénis en érection dans l'ouverture située à l'extrémité, on appuie sur le bouton et l'appareil vibre jusqu'à la satisfaction... Comment faire face à ce beau nouveau monde qui sape les fondements de notre vie intime ? La solution ultime serait bien sûr de mettre un vibromasseur dans cet appareil pour l'entraînement à l'endurance, de les allumer tous les deux et de laisser tout le plaisir à ce couple idéal, tandis que nous, les deux vrais partenaires humains, serions assis à une table à proximité, en train de boire du thé et de savourer tranquillement le fait d'avoir accompli notre devoir de jouissance sans trop d'efforts".

Ce qui reste de nous n'est qu'un cogito vide

Nous pouvons maintenant imaginer la même externalisation d'autres activités telles que les séminaires universitaires et les examens. Dans une scène idéale, tout le processus de rédaction de mon séminaire et des examens par le professeur se fait par interaction numérique, de sorte qu'à la fin, sans rien faire, nous ne faisons que valider les résultats.

Pendant ce temps, je fais l'amour avec ma maîtresse ... mais encore une fois un sexe délocalisé grâce à son vibromasseur qui pénètre dans mon appareil d'entraînement à l'endurance, alors que nous sommes tous les deux simplement assis à une table à proximité et, afin de nous amuser encore plus, nous voyons sur un écran de télévision un simulacre nous montrant tous les deux en train de faire l'amour ... et bien sûr, tout cela est contrôlé et réglé par l'équipe Jorge.

Ce qui reste de nous deux n'est qu'un cogito (du latin "je pense") vide, dominé par plusieurs versions de ce que Descartes appelait le "génie malin". Et c'est peut-être là notre dilemme actuel : nous sommes incapables de franchir l'étape suivante décrite par Descartes et de nous fier à une forme véridique et stable d'un grand Autre divin, nous sommes les "enfants d'un dieu moindre" (pour reprendre le titre d'une pièce de théâtre et d'un film), pris à jamais dans la multiplicité contradictoire d'esprits mauvais et trompeurs.

Auteur: Zizek Slavoj

Info: Résumé par le Berliner Zeitung ici : https://www.berliner-zeitung.de/kultur-vergnuegen/slavoj-zizek-ueber-den-tod-der-romantik-vulgaere-chatgpt-bots-und-unechten-sex-li.321649

[ dénaturation ]

 

Commentaires: 0

Ajouté à la BD par miguel

boomers vs wokes

Kompromat à la française - Pour avoir réussi un coup de maître – faire signer 50 artistes pour défendre Gérard Depardieu – Yannis Ezziadi est à son tour lynché. Cette affaire restera un cas d’école de la mécanique de la Terreur qui veut en finir avec toute singularité.



Pouvez-vous expliquer ces blagues ? Dans le brouhaha malveillant orchestré autour de la tribune de 50 artistes et assimilés pour Depardieu et de son auteur, notre ami Yannis Ezziadi, cette question que lui a adressée Marine Turchi dit la vérité la plus profonde de toute cette affaire (et de pas mal d’autres).



Dans le monde rêvé des néo-féministes en particulier et des wokistes en général, tout passe au hachoir de l’esprit de sérieux : l’art, la littérature, le sexe (abaissé à un ennuyeux pacte contractuel) et l’humour lui-même, prié de participer à la rééducation des masses boomeuses et dépravées.



Pour bien faire comprendre la dangerosité du gars, il me faut reproduire quelques-unes de ces plaisanteries citées à comparaître. Pour vous, c’est cadeau. D’abord, il y a cette citation de Courteline, postée en 2013 (les fouilleurs de poubelles numériques sont consciencieux):  L’homme est le seul mâle qui batte sa femelle. Il est donc le plus brutal des mâles, à moins que, de toutes les femelles, la femme soit la plus insupportable. Le petit malin (il avait 22 ans), avait assorti la citation de ce commentaire :  Je vais me faire lyncher, mais c’est tellement drôle.  Plus grave, car sortie du cerveau malade de l’auteur, cette blague de février 2021 : Pour les accusations de violences sexuelles, heureusement, ce ne sera pas comme pour le Covid. Une fois que la majorité des hommes aura été accusée de viol et d’inceste, ils seront peut-être protégés par l’immunité collective. C’est le seul espoir… Espoir fortement déçu. Si ça vous a fait marrer, votre compte est bon : vous êtes un défenseur des violences sexistes-et-sexuelles et un amateur de violences conjugales. Ou le contraire.



Vous avez le droit de rire, à condition que ce rire ne soit jamais traversé de mauvaises pensées. J’aimerais bien savoir à quoi sert l’humour s’il n’est pas le sauf-conduit de nos mauvaises pensées, le refuge du négatif. Si ça se trouve, nos mangeuses d’hommes n’ont jamais de mauvaises pensées. Les pauvres. Et pauvres de nous. Le règne de la positivité, du premier degré, de la transparence est ce qui s’apparente le plus au meilleur des mondes. C’est-à-dire à l’enfer.



Mais je reviens à mes moutons, en l’occurrence au bouc. Pour ceux qui l’ignorent, Marine Turchi, qui officie à Mediapart, est à la nouvelle terreur féministe ce que Vychinski était au stalinisme. Procureur implacable, elle est capable d’écouter des dizaines d’heure du Masque et la plume , pour révéler qu’on y a dit 32 fois salope ou entendu 41 blagues sexistes (les chiffres sont fantaisistes). Il faut lui reconnaître  une certaine conscience professionnelle. Turchi monte ses dossiers. Et bien sûr, elle donne la parole à l’accusé, parole qui se retrouve généralement noyée entre les témoignages accusatoires. Turchi exerce sa charge avec une certaine froideur, alors qu’Ariane Chemin, qui requiert au Monde, semble animée par la passion de nuire. Mais les deux, formées à l’école Plenel, ont le même talent pour construire et imposer un récit totalement fantasmé des faits qu’elles évoquent. En l’occurrence, elles ont réussi à faire passer l’initiative d’un franc-tireur baroque et flamboyant pour une opération d’extrême droite, orchestrée par "la galaxie Bolloré " pour faire main basse sur le monde de la culture – galaxie, ça vous a un petit air Guerre des étoiles, bien contre mal etc. Ces affabulations complotistes ont suffi à déclencher une chasse à l’homme.



Pour les historiens qui étudieront le totalitarisme sans goulag (analysé par Mathieu Bock-Côté dans son dernier livre) et se demanderont comment des peuples cultivés ont pu se laisser déposséder de leurs libertés sans la moindre contrainte militaire ou physique, l’affaire de la pétition Depardieu sera un cas d’école. Un modèle d’efficacité de la mécanique de la terreur.



Premier acte : panique au quartier général.



Cinquante-six artistes et producteurs dénoncent le lynchage de Depardieu. Un bras d’honneur à la loi du Milieu. Un artiste peut à la limite se taire (bien que cela soit parfois suspect). Mais s’il l’ouvre, il n’a qu’un droit : celui d’énoncer les poncifs du progressisme prêchi-prêcheur, en commençant par quelques génuflexions devant la révolution #metoo. S’il veut cocher toutes les cases, il peut lutter contre la loi scélérate sur les retraites (Bosser jusqu’à 63 ans, jamais !), dénoncer les crimes climatiques des riches et des ploucs, manifester (dans son salon) pour l’accueil des migrants. Cependant, s’il n’a pas le temps de dispenser sa compassion à tout-va, une cause contient toutes les autres, la lutte contre l’extrême droite. C’est la formule magique, la carte du Parti. Qui, en plus d’offrir à son détenteur la considération de France Inter lui permet de bosser.



Sans la sortie d’Emmanuel Macron, qui a déclaré quelques jours plus tôt que Depardieu faisait la fierté de la France, l’affaire en serait peut-être restée là. Du reste, sans l’encouragement présidentiel, les signataires auraient certainement été moins nombreux et moins titrés. Cette fois, il ne s’agit pas des sans-grades de l’intermittence du spectacle, ni de réacs estampillés, mais de stars. Certaines sont sur le retour ou en fin de carrière (ce qui permettra à d’élégants plumitifs de calculer l’âge moyen des signataires), d’autres sont inconnus, mais il y a aussi des comédiens bankables, dont les noms aident à monter un film.



C’est bien ce qui enrage le clergé médiatico-culturel, habitué à voir ses excommunications et proscriptions appliquées sans protestations. La volaille qui fait l’opinion sent le danger : sous peine de voir son pouvoir d’intimidation ébranlé, il lui faut frapper fort. On peut compter sur la police politique.



Acte II. On discrédite le message.



C’est simple : il n’y a qu’à saucissonner le texte en lui faisant dire ce qu’il ne dit pas – que Depardieu a tous les droits, y compris de cuissage. Peut-être y a-t-il des maladresses de rédaction, le texte n’établissant pas assez clairement la différence entre des accusations de viol et des blagues obscènes. Reste que 55 personnes l’ont signé en connaissance de cause – le seul à avoir longuement essayé d’introduire des modifications a été Yvan Attal qui, malgré ces désaccords, a maintenu sa signature. Des agents, des avocats l’ont lu, beaucoup ont dissuadé leurs clients de signer, d’autres ont approuvé des deux mains.



A lire aussi, Dominique Labarrière: Affaire Depardieu: la bourgeoisie de farces et attrapes dans tous ses états



Que ce texte choque, c’est naturel, mais pas pour les raisons invoquées par les milices vigilantes qui sévissent dans les égouts numériques. Le scandale c’est que des artistes puissent adopter le point de vue de l’art plutôt que celui de la morale. Qu’ils affirment clairement que le génie de l’artiste leur importe plus que les agissements de l’homme – cela ne signifie pas que l’un excuse les autres. L’histoire retiendra-t-elle de Picasso qu’il a mal traité ses femmes ou été un artiste de génie ? La réponse à cette question dépendra de l’issue de la guerre idéologique entre les déconstructeurs et les héritiers. En attendant, ce ne sont pas des hommes déconstruits qui ont fait l’histoire de l’art. Ni l’histoire tout court.



Les maîtresses d’école[1] qui surveillent le débat public n’entendent rien à cette grammaire qui échappe aux cadres rigides structurant leur pensée. Elles se contentent de distribuer froncements de sourcils et coups de règles aux signataires. Ils n’ont pas un mot pour les victimes (qui sont en réalité des plaignantes), preuve qu’ils sont solidaires des agresseurs, violeurs et autres pédophiles. Ces premières sommations entraînent déjà quelques défections, sur le mode " J’avais mal lu " voire " J’ai signé sans lire ". Mais croyez-le bien je pense tous les jours aux violences contre les femmes.



Acte III. On brûle le messager.



Là, on ne rigole plus. La hauteur de l’affront exige une victime expiatoire. Après les préliminaires, se met en branle une mécanique proprement totalitaire, de celles qui broient les individus pour la bonne cause. Dans les sacristies médiatiques, on découvre avec fureur que le diablus ex machina de cette sorcellerie est un quasi inconnu (sauf pour les heureux lecteurs de Causeur et les afficionados). Voilà un type qui prétend avoir, avec ses petits bras, convaincu des vedettes comme Bertrand Blier, Carole Bouquet ou Pierre Richard de prendre la défense d’un homme que Le Monde et Mediapart ont pourtant condamné à la mort sociale.



Il faut lui donner une leçon, à lui et à tous ceux qui l’ont suivi. Leur faire passer l’envie de récidiver. On s’intéresse donc à sa personne, débitée en tranches avec encore plus de malveillance que son texte. De ce point de vue, l’article d’Ariane Chemin mérite la médaille d’or de la dégueulasserie journalistique. Avec quelques micro-bouts de vérité, elle dresse un portrait totalement mensonger intitulé : À la source de la tribune pour Depardieu, un comédien proche des sphères identitaires et réactionnaires. Non seulement il écrit dans Causeur, mensuel dépeint, selon les médias ou les jours, comme d’extrême droite, conservateur, ultra-conservateur ou réactionnaire, mais Chemin souligne qu’il est ami avec Sarah Knafo et Eric Zemmour et qu’il fait la fête avec votre servante. À l’évidence, pour Chemin, l’amitié ne saurait tolérer la divergence. Quant à nos fêtes, elle doit s’imaginer qu’on y récite des horreurs racistes et sexistes affublés de chapeaux pointus. Nous passons en effet d’excellentes soirées à rire, nous disputer, boire, manger, danser, chanter et rire encore. Tout ce rire, c’est suspect, chef. Surtout entre gens qui ne pensent pas la même chose.



Les articles d’Ezziadi sont passés à la même moulinette diffamatoire. Le texte magnifique dans lequel il démonte la mécanique complotiste qui lui a retourné le cerveau à l’âge de 18 ans devient une preuve à charge : le gars est un « dieudonniste repenti » (ce qui signifie dieudonniste toujours). Sa charge contre Jean-Paul Rouve qui joue Matzneff en monstre et se dit fier de ne rien comprendre à son personnage est présentée comme une défense de l’écrivain à nymphettes. Pour sa défense, Ezziadi cite Bruno Ganz qui, dans la Chute, campait un Hitler diablement humain et fut honoré pour cela. Certains en concluent sans doute qu’en prime, il est nazi. Son reportage sur l’islamisation rampante de Nangis, paisible ville de Seine et Marne fait de lui un adepte de " la théorie complotiste-extrême-droite du Grand remplacement " sans que quiconque se donne la peine de réfuter les faits qu’il décrit – et pour cause. Et quand il affirme, sur LCI, que les hommes ont peur, son interlocutrice, une péronnelle blonde à l’air méchant, le toise, semblant penser qu’ils ont bien raison d’avoir peur, toi le premier. Les ligues de vertu avaient fabriqué un monstre avec Depardieu. En une semaine, elles accouchent d’une nouvelle figure du mal et du mâle à abattre.



Acte IV. La litanie des autocritiques.



Pour nombre de signataires, la pression morale et financière est insupportable. Ils n’ont pas l’habitude des flots de haine et d’injures qui s’abattent sur eux. Leurs agents les engueulent, ils se font pourrir par leurs neveux woke lors des dîners de famille, des directeurs de théâtre, des producteurs, des diffuseurs, des réalisateurs menacent à mots couverts. Ils doivent lâcher l’ennemi du Parti sous peine d’être purgé avec lui. Certains, honteux de leur propre reculade, se retirent sur la pointe des pieds, parfois après avoir adressé en privé à Ezziadi un signe amical – je suis désolé mais je n’ai pas le choix. Jacques Weber pleurniche, écrivant curieusement que sa signature était un  " autre viol  " – son respect de la présomption d’innocence aura duré deux semaines. D’autres en rajoutent dans l’adoration de la Révolution, braillent comme des pourceaux, jurant qu’ils ont été trahis, manipulés, envoutés par un petit comploteur d’extrême droite. Puisque Le Monde le dit, il ne leur vient même pas à l’esprit de se poser une question. Comme me l’écrit Jonathan Siksou, " si Ariane Chemin ou BFM avait dit que Yannis était une table à roulettes ou un pélican, tout le monde le croirait ". Ils ont signé parce qu’ils croyaient que le vent avait tourné. Ils se replacent naturellement dans le sens du vent.



Le plus inquiétant est que la machine à détruire s’en prenne à un jeune homme qui n’a aucun pouvoir, sinon celui de son grand charme et du plaisir que ses amis prennent à sa compagnie. Contrairement aux consœurs qui peuvent encore briser des carrières et réduire des hommes au chômage sur la seule foi d’accusations (les femmes ne mentent jamais), Yannis Ezziadi ne peut nuire à personne. Il a effectivement monté son attentat contre la bienséance avec sa seule force de conviction. Il s’est pendu au téléphone, d’abord avec les amis, puis les amis d’amis, chacun des signataires a donné ses contacts, certains, dit « oui » puis « non » en fonction de leurs dîners de la veille.



Il n’est guère étonnant que ce dandy fantastiquement drôle qui peut pleurer de bonheur en écoutant un opéra ou en regardant une corrida enrage les vestales fanatiques de la religion des femmes et tous ceux qui, terrifiés, psalmodient derrière elles. Yannis Ezziadi possède quelque chose que ces esprits policiers haïssent parce qu’ils y ont renoncé. Cela s’appelle la liberté.



Epilogue. Le Parti a toujours raison.



Les tricoteuses féministes ont réduit au silence tous ceux qui auraient pu, qui auraient dû, se lever contre ce procès de Moscou. Beaucoup se taisent par peur d’être à leur tour soupçonnés, donc condamnés. On peut le comprendre mais ils ont tort. Pour peu qu’ils aient une sexualité vaguement débridée (quoique parfaitement légale), ils finiront, eux aussi, par être arrêtés un matin, même sans avoir jamais rien fait. Si toutes les stars de la tribune Depardieu avaient tenu bon et adressé un grand bras d’honneur aux maitres-chanteurs, le rapport de forces aurait changé. Un peu de courage ne nuit pas.



Oui, il y a des raisons d’avoir peur. L’inquisition a gagné une bataille. Si demain, plus personne n’ose sortir des clous de la bienséance, si nous acceptons docilement que Polanski, Depardieu et tant d’autres soient brûlés en place publique, que leurs œuvres soient bannies des écrans et des mémoires, elle règnera sur nos esprits. Quand on a peur de dire ce qu’on pense, on finit par avoir peur de penser.



[1] Des deux sexes mais le féminin pour tout le monde est ici parfaitement justifié

Auteur: Lévy Elisabeth

Info: Causeur, 4 janvier 2024

[ pouvoir sémantique ] [ Gaule ] [ parisianisme ]

 

Commentaires: 0

Ajouté à la BD par Le sous-projectionniste

refus

Jours, années, vies. Les arbres avaient perdu leurs parures multicolores. C’était ça : elle se trouvait pile à cette conjonction des trois boucles. L’entame du dernier quart. La journée avait dépassé sa dix-neuvième heure, l’hiver était là et Emma se préparait à fêter ses soixante et un ans. Anniversaire dont elle avait fait le symbolique début de l’hiver de sa vie.

Encore récemment elle avait le sentiment de commencer à jouir de la sérénité de son âge. Jusqu’à l’arrivée du gosse.

Emma l’albanaise n’en revenait pas.

Imaginez : vous êtes en charge du service psychiatrique d’un hôpital Suisse. On vous amène un petit garçon, noiraud aux cheveux ondulés, Jean-Sébastien. Enfant sans aucun problème apparent selon toutes les informations et surtout ses proches. Un gosse qui a été éduqué tout à fait correctement dans ce pays, dans son pays : la Suisse. Diagnostic du corps médical : anorexie mentale. Le gosse refuse de s’alimenter et même, surprise, a sa propre auto-évaluation, affirmée : je refuse de vivre mon général. Un credo presque annoncé avec humour.

Après quelques jours tout le personnel de l’immense hôpital en parlait. Une anorexie à neuf ans, c’était déjà exceptionnel, quoi qu’on commençait à en voir apparaître dans les statistiques occidentales, mais ce gosse avait une telle tranquillité, une conscience, comme si son regard et ses appréciations liquidaient d’un coup la raison d’être, l’existence même de la structure hospitalière. Et tout le reste. Une gifle pour le Monde. Pour tous. Les êtres humains. Un déni.

Le tapis de feuilles mortes rassemblées devant les escaliers par un jardinier l’obligea à faire un crochet. Elle lança un sourire à l’homme au balai qui le lui rendit.

Selon le garçonnet, la vie ne valait pas la peine d’être vécue, point. Et les bipèdes adultes de son espèce, malgré tous leurs efforts, n’y changeraient rien. L’amour conjugué de ses proches, les visites de ses camarades, l’abnégation souriante des infirmières, l’attention soutenue de la doctoresse en chef… rien n’avait pu infléchir sa décision. L’enfant au regard foncé répétait et déclinait en souriant :

- Je ne suis pas fait pour vivre.. je suis de trop, c’est évident…

Les infirmières comprenaient confusément que le gosse ne voyait pas pourquoi ce monde méritait encore d’être connu, exploré. C’était juste une non envie d’entrer en matière. Ses parents, elle secrétaire, lui mécanicien, n’avaient rien de particulier. Des gens simples, adorables. Le fiston l’assurait lui-même : il n’avait rien à leur reprocher, surtout pas de l’avoir amené à la vie, au contraire, surtout pas…. Son expérience restait irremplaçable. Il insistait : irremplaçable. Leur expliquant : vous n’y pouvez rien, mes amours, mes chéris… c’est comme ça. Il parvenait à même leur remonter le moral.

Dans le hall, l’hôtesse d’accueil lui adressa le salut matinal routinier derrière son grand vitrage.

Une semaine après l’arrivée du malade, un collègue d’Emma, Pierre B, vieux médecin, était venu trouver l’enfant sous un prétexte imaginaire. Quelques heures plus tard il prenait la doctoresse à part au détour d’un couloir :
- Je suis bouleversé, je reviens des Andes… ici les magasins, les rues, tout m’inspire une aversion irraisonnée. Les fêtes qui approchent, la foule des acheteurs, les corps pétant de cholestérol, le fric… C’est affreux, le seul endroit où je me sens mieux c’est ici, à l’hôpital. L’argent me gêne, il envahit tout… je ne vois plus des personnes, mais de petits amas de pognon, de mesquines solitudes feutrées, comme si les gens n’avaient pas besoin les uns des autres, comme s’il n’y avait plus de communauté…

La médecin chef lui répondit sur le ton de la plaisanterie, expliquant que ce n’était pas professionnel, qu’il fallait maîtriser ses émotions.

Elle se dirigeait vers la chambre du petit, ses pas étouffés par l’épais revêtement de linoléum gris. Emma, qui avait réussi, à force de volonté, à se faire sa place de médecin dans la société occidentale, se disait que dans son pays, en Albanie - elle y retournait chaque année - ce genre de syndrome n’apparaissait pas. Jamais. Encore moins chez des êtres si jeunes.

L’infirmière de garde lui indiqua que le petit venait de s’endormir.

Tous pouvaient observer, impuissants, les parents du môme déployer des trésors d’imagination pour essayer de le sortir de ce qu’ils voyaient comme une torpeur incompréhensible. Ils avaient proposé, l’air de rien, d’aller observer un volcan en éruption, d’affronter les cinquantièmes hurlants en catamaran…. Lui les remerciait d’un sourire. Il comprenait parfaitement la démarche, leur expliquait que d’autres que lui seraient enchantés d’aller suivre en direct les ébats amoureux des baleines au large de la Californie, ajoutant que ce devrait être facile d’emmener des enfants défavorisés jouer dans l’eau avec des dauphins. Pas lui.

***

Ce soir là, au sortir de son travail elle croisa la gérante du petit supermarché voisin, une femme d’âge mûr aux grands cheveux frisés, pleine d’ardeur, avec qui elle avait de bons rapports. Elle ne put s’empêcher de lui parler de l’enfant. La dame la transperça de son regard bleu. Deux vrilles sous la masse crépue.

- Mon Dieu, le pauvre chéri… il est trop intelligent….

Elle avait tout dit. Et puis elle rentra. Il fallait prendre le courrier, faire manger les enfants. Il faisait déjà nuit.

***

Le lendemain en fin de matinée la doctoresse quitta son service un peu plus tôt qu’à l’accoutumée, préoccupée. Elle était de plus en plus frustrée parce que depuis plusieurs jours le gamin sommeillait durant la journée alors qu’elle aurait vraiment voulu essayer de communiquer avec lui. Ce qui l’amena à couper la priorité à’un automobiliste, qui, après avoir ouvert sa vitre latérale lui lança, rigolard. "Je comprends maintenant pourquoi vous êtes passée devant un million de spermatozoïdes, vous êtes un hymne à la précipitation… à l’engouffrement". Elle se surprit à sourire, libérée pour un instant du monologue intérieur nourris par l’image du jeune être en train de se faner. Elle se sentait comme enceinte mentalement de lui. De cet homme. Oui, c’était bien un homme… puisqu’il était en fin de parcours, sur sa propre décision. Puisqu’il leur parlait autrement, couché dans son lit trop grand, comme une sorte d’enseignant cosmique, loin de leurs volontés absurdes de vouloir avoir une prise sur le réel. Il avait annoncé la couleur à son arrivée à l’hôpital :

- Je ne veux pas me soigner parce que plus je vais mal mieux je me porte.

Ainsi, après deux semaines d’hospitalisation il avait nettement faibli. Il fallait maintenant faire un effort d’attention pour le comprendre, lui parler doucement et distinctement. Lui restait imperturbable, ses grands yeux marrons brillants d’une sérénité de fer.

***

Emma avait accepté de dîner avec son ami Miguel, helvète de vieille souche, qu’elle appréciait pour cette raison mais aussi parce que son humour self destructeur l’amusait. Il l’accueillit, goguenard, après avoir brièvement jaugé la voiture qu’elle venait de s’acheter.

- Attention ! Je ne vais bientôt plus accepter de te voir, notre amitié va s’achever… regardes-toi un peu, tu es déjà plus Suisse que moi…. mon Dieu la bourgeoise ! J’ose pas t’imaginer dans dix piges ?
- Tu veux dire ?
- Que tu es de plus en plus organisée, aseptisée, maintenant presque riche…. Il ne te manque plus qu’un peu d’inhibition.. Peut-être aussi de réprobation dans l’attitude.
- T'es dur Miguel
- Tu sais bien que le succès et l’argent nous éloignent de l’essentiel.
- C’est quoi l’essentiel ?
- La vie
- Tu en es sûr ?

Elle ne lui parla pas du gosse.

***

De retour à l’hôpital elle aperçut Pierre B. en discussion avec les parents de Jean-Sébastien. Tous se firent un petit signe de loin. Elle monta dans son service, traversa les couloirs déserts pour aller le voir. Il somnolait et réagit mollement lorsqu’elle lui prit la main, esquissant une moue. Elle resta ainsi, assise sur le lit arrosé par l’éclairage crû.

Qui avait chanté un jour que la lumière ne fait pas de bruit ?

Son regard glissait sur les choses. Elle pensait à sa vie, à la vie. Pourquoi se retrouvait-elle médecin… dans ce pays ? Fourmi parmi les autres fourmis. Quelle était la société qui pouvait produire de tel effet sur ses petits ?… Sa pensée se fixa sur des connaissances côtoyées récemment ; une clique d’artistes quadra et quinquagénaires, presque tous issus de la bourgeoisie locale qui, malgré la mise en place de façades plus ou moins réussies, assorties de quelques petites excentricités d’habillement, représentaient pour elle la société dans laquelle elle vivait. Ils formaient un de ces clans ou les individus se rassemblent plutôt par crainte de la marginalité et de la solitude que par de réelles affinités. Sérail ou l’on se fait la bise comme les stars de la télévision ; pour marquer sa différence, son appartenance à un cercle qui serait plus humain, plus averti. Tels étaient donc les révoltés ?… Les artistes ?... quelles étaient donc leur réflexions ?. Assise sur le lit sa main autour de celle du gosse Emma se demandait s’il ne fallait pas voir chez eux une forme d’élitisme atroce, imbécile, destructeur, soumis aux conventions, aux diplômes, loin de la vie, la vraie, celle avec les excréments, les coups, le sang, les hurlements. Vivaient-ils réellement, ces gens encoconnés qu’elle avait vu ignorer ostensiblement ici une caissière édentée ou là un clodo en pleine cuite. Qui, lors des fêtes réunissant les familles, paraissaient tout de suite excédés par leurs enfants, comme s’ils ne les avaient pondus que par convention, par simple peur de la mort, par ennui. Dans son pays à elle la jeunesse était synonyme de joie, de plaisir.

… mais qu’ont-ils de différents des autres humains, somme toute... ne suis-je pas comme eux ?

Jean-Sébastien gardait les yeux fermés, la respiration régulière. Elle caressa doucement le maigre avant-bras que la perfusion prolongeait de manière incongrue.

***

Cette nuit là elle eut ce rêve : Il y avait, lors d’une grande réunion de diverses familles, une scène de discussion animée entre adultes. Les enfants présents - les siens y étaient, tout comme Jean-Sébastien - enthousiastes comme toujours amenaient continuellement des interruptions qui dérangent la continuité des phrases, si sérieuses, des adultes. Coupures qui, à la longue, entraînèrent quelques haussements de voix puis, finalement, l’enfermement de Jean-Sébastien dans une voiture. Il y eut alors un zoom arrière et les humains se transformèrent en arbres. C’étaient les mêmes individus mais qui en sapin, en hêtre, etc.. Et, dans un film accéléré, elle put alors contempler la nouvelle forêt ainsi formée endurer la douce agression des jeunes pousses qui, après s’être hardiment insinuées au pied des grands troncs, s’accrochaient ensuite au premières frondaisons, avant de vaillamment titiller les niveaux supérieurs et d’émerger au sommet pour faire partie de la Pangée. Voir le soleil.

Elle se retrouva assise sur son lit, en nage. Et l’enfant dans la voiture ?… Pourquoi ces plages temporelles mélangées ?… Pourquoi Jean-Sébastien n’avait-il plus cette volonté de monter, de toucher les crêtes… cette curiosité de la vie ?


***

Les forces du gosse déclinaient doucement, implacablement. L’esprit imperturbable et sans tristesse il continuait de communiquer au maximum de ses possibilités, c’est à dire qu’à ce stade il ne faisait plus qu’acquiescer ou rejeter. Mais il observait. Emma, incrédule, attendait quelque chose. Elle ne savait pas exactement quoi : une forme de culpabilisation du gosse, des parents… de grands transports d’émotion avec la famille. De culpabilisation elle n’en vit point. Quand à l’émotion, il y en avait. Beaucoup. Mais tout le monde se maîtrisait.

On le sentait se détacher, comme un fruit. Le temps du silence mûrissait.

***

Il y eut alors ce colloque, une journée/rencontre prévue de longue date où le professeur P., grande ponte allemand de pédopsychiatrie, fit état de l’augmentation sensible des cas d’anorexie chez les enfants en occident. Dans la continuité ils reçurent communication du travail d’une équipe de chercheurs Hindous où étaient explicitées la progression et l'incidence constante des problèmes psychiques de la jeunesse dans les sociétés industrielles. Un médecin psychiatre japonais vint ensuite parler des difficultés rencontrées dans son pays. On commençait à y voir de plus en plus de groupes de discussion sur Internet qui amenaient - et poussaient parfois - de jeunes nippons à se suicider ensemble. Puis il y eut ce rapport sur une maladie mystérieuse affectant plus de 400 enfants de requérants d'asile en Suède, issus la plupart du temps de l'ancienne union Soviétique et des états yougoslaves. Ces enfants tombaient dans une dépression profonde et perdaient la volonté de vivre. Pour finir une intervenante vint expliquer comment les résultats de son étude sociologique de la Suède montraient que la courbe des suicides était inversement proportionnelle aux difficultés économiques. En bref, lors de temps difficiles les gens se suicidaient moins….

Tout ce monde se retrouva ce soir là au milieu de la chaude et joviale l’atmosphère d’une brasserie pour un repas en commun bigarré qui concluait le colloque. Les participants à la conférence confabulèrent bruyamment de tout, sauf de problèmes professionnels. Emma aimait ce genre de brouhaha. Il était passé minuit quand elle rentra. Excitée par l’alcool elle se prépara un grand verre d’eau, prit la zappette et s’installa devant la télévision. Les informations présentaient un sujet sur les prévisions alarmistes quand au réchauffement de la planète. Apparut ensuite sur le plateau l’abbé X qui se faisait le porte-parole des voix innombrables dénonçant le petit nombre de riches - toujours plus riches - et celui, toujours plus grand, des pauvres - toujours plus pauvres. Puis ce fut l’interview d’un politicien qui exprima les craintes suscitées par le comportement paranoïaque de l’empire américain. La rubrique suivante montra une manifestation écologiste européenne. On pouvait y voir des manifestant défiler avec des pancartes qui disaient : "Ressources de la terre en danger " "Consommation galopante, Halte !". "Surpopulation, manque de contrôle !". Le journal se termina par les infos économiques et la progression boursière spectaculaire d’une entreprise pharmaceutique qui développait un médicament contre le diabète, maladie en constante progression chez l’individu moyen - trop gros - des populations américaines et européennes, phénomène qu’on voyait maintenant émerger en Asie. Tous les espoirs étaient permis pour la jeune entreprise.

Dans la salle de bain elle posa cette question muette à son reflet, dans la glace : - Jean-Sébastien entend-il la même mélodie du monde que toi ?

Son mari grogna légèrement lorsqu’elle lui imposa sa présence dans le lit, le forçant à se déplacer.


***


Elle démarrait fréquemment sa matinée par cette pensée de la tradition zen : "un jour, une vie". Après le départ des enfants pour l’école, elle pouvait profiter d’un petit printemps personnel réservé, enfance de sa journée. Moments d’énergie, de fraîcheur, d’optimisme. Tout ce que Jean-Sébastien aurait normalement du vivre en cette période matinale de son existence de jeune mammifère. Alors qu’en réalité il était comme avant d’aller se coucher. Certes son cycle d’existence, sa fin de vie coïncidaient avec la saison hivernale, mais pas avec la bonne synchronisation. Pas du tout.

Elle se confectionna un nouveau café.

Emma avait toujours perçu les mômes comme de grands initiés, dotés d’un sens aigu du mystère, au bénéfice de la fraîcheur de perception qu’ont les étrangers qui pénètrent une contrée inconnue. Confrontée à Jean-Sébastien elle en arrivait à se demander s’il n’avait apporté avec lui les souvenirs de quelque chose d’antérieur, les réminiscences d’une source fabuleuse. Quels pouvaient donc bien être ses critères de jugement ?… en avait-il ?… était-ce du pur instinct, du laisser aller ?. Il avait l’air si équilibré… Ou alors, était-ce diabolique ?… Non, il était trop jeune, trop dans le timing. Trop conscient.

Elle ne savait comment exprimer son sentiment. Ce garçon était comme au delà - ou en deçà - des mots. Un pur poète. Comme s’il avait affirmé que les bateaux ne flottent que depuis Archimède et que tout le monde ait acquiescé. Comme s’il avait décrété que le vent est créé par les arbres sans que personne n’en doute.

Elle voyait vivre ses enfants dans un monde qui n’était pas le sien, celui des grands. Ils n’avaient qu’un intérêt restreint pour la politique, la philosophie de la vie et de ce genre de choses. Leur occupation sérieuse principale c’était le jeu. En tout cas en apparence. Elle ne pouvait se résoudre à leur parler de Jean-Sébastien, d’abord pour garder sa vie privée intacte de ses activités professionnelles. Et puis quelle pouvait être la famille ou l’on aurait abordé de pareils sujets philosophique sérieusement, longuement et profondément, avec les enfants ?... Les siens posaient des questions certes, son mari et elles y répondaient, mais cela restait superficiel. Ces sujets intéressent les mômes mais leurs réflexions lui paraissaient trop courtes. Ou alors leurs forces de vies leurs interdisaient de s’arrêter sur ce genre de réflexions

Mais comment un gosse qui ne voyait plus la réalité avec aucun étonnement s’était-il forgé ?… D’où venaient ses certitudes ?… Était-ce possible qu’un de ses enfants un jour ?…

Elle rassembla ses affaire : sac, clefs, s’habilla. Il fallait en tout cas encore essayer. Encore.

***

Ce vingt décembre Jean-Sébastien dormait si profondément, en état comateux, qu’Emma invita ses parents à la cafétéria pour un café. La communication entre eux ne nécessitait presque plus de mots, artificielles constructions sans intérêt. Au réfectoire ils eurent à subir les activités sauvageonnes d’un groupe d’enfants. Jeunes excités, en mal de cette existence avérée que conforte la réaction témoin de grandes personnes prises en otage-spectateur-cible. Elles ressentit beaucoup de gratitude à l’endroit des emplâtres gesticulants et bruyants qui tentaient d’accaparer attention et champ de vision des adultes.

**

Au milieu de tous ses questionnements, Emma eut l’honnêteté de s’avouer qu’elle l’admirait. Mais quel était son secret… Qui était ce vieux maître… ce fou ?… Elle ne parvenait pas à le voir comme un malade et ressentait même quelque chose qui ressemblait à de la reconnaissance. La jeune créature lui permettait de rétablir une sorte de connexion avec un infini qu’elle avait oublié, trop absorbée par sa vie, par ses obligations. La vitesse.

Le mioche lui dilatait la conscience.

**

Jean-Sébastien mourut la veille de Noël.

Enfin pur esprit.

Auteur: Mg

Info: Jean-Sébastien. D'après une histoire vécue. 2002.

[ histoire courte ] [ automne ]

 
Mis dans la chaine

Commentaires: 0

Ajouté à la BD par Le sous-projectionniste