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couple

Le digne homme, flegmatique et empesé, avait, à peu près, la jovialité d’un ténia dans un bocal de pharmacie. Cependant, lorsqu’il avait bu quelques verres d’absinthe en tête-à-tête avec sa femme, ainsi qu’on l’apprit bientôt, ses pommettes flamboyaient en haut du visage, comme deux falaises par une nuit de méchante mer. Alors, du milieu de la face, dont la couleur faisait penser bizarrement au cuir d’un chameau de Tartarie, à l’époque de la mue du poil, jaillissait une trompe judaïque dont l’extrémité, ordinairement filigranée de stries violâtres, devenait soudain, rubiconde, et ressemblait à une lampe d’autel.

Au-dessous fuyait une bouche niaise et impraticable, encapuchonnée de ces broussailleuses moustaches que certains recors arborent, pour donner une apparence de férocité militaire à la couardise professionnelle de leur institut.

Rien à dire des yeux qu’on aurait pu comparer tout au plus, pour leur expression, à ceux d’un phoque assouvi, quand il vient de se remplir et que l’extase de la digestion commence.

L’ensemble était d’un modeste pleutre accoutumé à trembler devant sa femme et tellement acclimaté dans le clair-obscur qu’il avait toujours l’air de projeter sur lui-même l’ombre de lui-même.

Sa présence eût été inaperçue et indiscernable sans une voix de toutes les Bouches-du-Rhône, qui sonnait comme l’olifant sur les premières syllabes de chaque mot et se prolongeait sur les dernières, en une espèce de mugissement nasal à faire grincer les guitares. Quand le ci-devant requéreur de la force publique vociférait dans sa maison tel ou tel axiome indiscutable sur les caprices de l’atmosphère, les passants auraient pu croire qu’on parlait dans une chambre vide… ou du fond d’une cave, tant la vacuité du personnage était contagieuse !

Or, Monsieur Poulot n’était rien, absolument rien, auprès de Madame Poulot.

En celle-ci paraissait renaître le mastic des plus estimables trumeaux du dernier siècle. Non qu’elle fût charmante ou spirituelle, ou qu’elle gardât, avec une grâce polissonne, des moutons fleuris au bord d’un fleuve. Elle était plutôt crapaude et d’une stupidité en cul-de-poule qui donnait à supposer des ouailles moins bucoliques. Mais il y avait, dans sa figure ou dans ses postures, quelque chose qui retroussait incroyablement l’imagination.

La renommée lui attribuait, comme dans la métempsycose, une existence antérieure très employée, une carrière très parcourue, et il se disait, au lavoir ou chez le marchand de vin, qu’elle n’était pas mal conservée, tout de même, en dépit de ses quarante ans, pour une femme qui avait tant fait la noce.

Auteur: Bloy Léon

Info: Dans "La femme Pauvre", Mercure de France, 1972, pages 323-325

[ portrait caricatural ] [ bassesse morale ]

 

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anatman

Un kôan dit  : "La neige tombe, flocon par flocon. Chaque flocon tombe à sa juste place". La "juste place" est très précisément le karma du flocon. En dehors de sa taille ou de sa forme, rien ne distingue a priori un flocon d’un autre flocon. Ce qui est sûr, c’est qu’il peut exister plusieurs flocons de la même taille ou de la même forme, mais aucun autre flocon ne peut tomber là où à un instant donné (on dit "ici et maintenant") tombe un flocon particulier.

Où que nous nous trouvions, à cet instant précis ou à un autre moment, ici ou ailleurs, est notre propre karma. À chaque instant, nous occupons une place particulière que rien d’autre ne peut occuper. Ceci est notre karma.

Si l’on comprend bien ce point, on comprend que le flocon n’a pas le choix de tomber où bon lui semblerait. Le flocon et l’endroit où il tombe sont liés. Ce qui signifie que ce flocon n’existe pas ailleurs qu’en cet endroit.

L’on pourrait penser que le flocon n’a aucune liberté, parce qu’il ne peut pas tomber ailleurs que là où il tombe, mais ce serait une mauvaise compréhension. Le flocon est là où il tombe ; il n’est pas ailleurs. Il n’y a pas à supposer qu’il puisse tomber ailleurs car supposer qu’il puisse tomber ailleurs revient à nier le flocon. Bien sûr, il existe des flocons qui tombent ailleurs, mais ce n’est pas le même flocon.

L’action juste est donc de se conformer à ce que l’on est, c’est-à-dire là où l’on est, en cet instant précis, parce que nous n’existons pas ailleurs. Nous pouvons bien sûr, à chaque instant, choisir de changer d’endroit, parce que tel lieu ou tel autre lieu ne nous semblent pas confortables, mais cela ne change rien au fait que quel que soit l’endroit où nous sommes, c’est exactement l’endroit où tombe le flocon. Il n’y a aucun déterminisme dans cette situation. L’endroit où nous sommes peut en effet être la conséquence d’un concours de circonstances dont il est impossible de connaître la cause première.

Fondamentalement, il n’y a pas d’ego, pas de soi, pas d’atman. Il pourrait y avoir une permutation d’ego que ça ne changerait rien à la situation dans laquelle nous sommes. En d’autres termes, l’action juste est bien celle d’être exactement là où nous sommes, et de réaliser qu’il n’y a pas d’ego, de soi ou d’atman à cette place précise.

Auteur: Dumè Antoni

Info: "Expérience zen"

[ bouddhisme ] [ exemple ]

 

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au-delà

Platon  a dit que quelle que soit l'approche rationnelle d'une vie après la mort, il y a toujours 2 facteurs très important dont il faut toujours tenir compte

1)  La notion est si obscure qu'elle doit toujours être narrée pour être abordée... D'ailleurs les récits d'ÊMI d'alors sont similaires aux notres. Et même si nous avons un million d'histoire, ça ne nous permet pas de prouver tout ça...

2) Qu'il nous manque une approche conceptuelle nouvelle pour ça. Bref dans le monde moderne la notion de l'après vie ne fait pas partie du monde scientifique, nous avons donc besoin de nouveaux concepts et explorateurs. David Hume l'a formulé ainsi : A la lumière de la raison il semble difficile de prouver la continuité de l'âme et son immortalité, une nouvelle sorte de logique est nécessaire et peut-être aussi quelques nouvelles faculté du mental, qui pourraient nous permettre d'aborder pareille logique. 

Nous en somme là, notre approche actuelle est insuffisante pour aborder la notion de l'après-vie. Notre logique a peut-être trop servi depuis 2300 ans et nous avons quand même l'impression que notre mental fonctionne suffisamment bien pour développer de nouvelles approches. 

Ce n'est pas une impasse, nous pouvons avancer dans cette direction. D'ailleurs si on y réfléchi "logique de choses incompréhensibles" est de fait contradictoire dans les termes. Par contre si nous utilisons les mots comme "après-vie" nous comprenons ce que nous disons. D'ailleurs vie après la mort est une contradiction aussi. Et, aussi attirante que soit cette idée de vie après, elle n'a aucun impact, ni n'a la même logique qui sous-tend notre vie incarnée. Telle est la raison qui me fait m'intéresser toujours plus à la philosophie du langage. Est-ce qu'il peut y avoir une logique de l'intelligible ? Ma réponse est oui, il est possible de raisonner logiquement à propos de choses qui n'ont pas de sens. 

Je suppose que quelqu'un équipé d'une appétence pour l'inintelligible et donc habitué au non-rationnele sera susceptible d'avancer dans cette direction.

Un artiste américain a participé a un séminaire ou j'abordai ceci. Il m'a appelé de longs mois plus tard pour me parler de ses NDE, après de grandes souffrances, gangrène et amputation, énormes fièvres, 60 jours entre la vie est la mort, etc.

Sa voix était faible, du à la maladie, puis j'ai remarqué un changement dans l'énergie lorsqu'il m'a dit, incidemment : - Raymond, quand j'étais en E.M.I, mon esprit est revenu sur ce concept de nonsense dont tu as parlé et j'ai réalisé que tu avais raison. Il faut prendre en compte l'inintelligibilité dont tu parlais.

Auteur: Moody Raymond A

Info: Fin de sa conférence, 4 février 2017, Paris

[ mort imminente ] [ dépassement conceptuel ]

 
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musique

Le jazz part de l'idée que ce serait bien que nous quatre, mecs simplistes que nous sommes, tout en jouant ensemble ce thème compliqué, puissions aussi être libres et autonomes. Presque tragiquement, ça ne fonctionne jamais tout à fait. Au mieux, on peut être libres un ou deux à la fois - alors que les autres gars s'accrochent à la trame. Ce qui ne veut pas dire que personne n'essaye de se passer des fils de cette trame. Beaucoup l'ont tenté, et parfois ça marche, mais ça ne ressemble plus à du jazz quand c'est le cas. L'architecture sonore dérive simplement vers la stratosphère de la dialectique formelle, s'éloignant de nos préoccupations sociales.

Le rock and roll, en revanche, suppose que nous quatre - aussi abimés et antisociaux que nous puissions être - nous démerderons pour nous mettre ensemble, à l'abri mec, pour jouer ce foutu truc. Et le jouer correctement, d'accord ? Au moins une fois, bien accordés et en rythme. Mais on n'y arrive pas. Mélodie et accords sont trop simples, et nous trop compliqués et excités. Et c'est pas faute d'essayer comme des fous, mais les guitares se désaccordent, l'intonation merdoie... le rythme reste imperceptiblement instable, en dépit de nos espérances, rien à faire. Simplement parce qu'on respire mec. Donc, essayant de jouer ensemble cette chanson toute simple, nous voilà à créer cet ouragan de bruit, filigranes fractaux infiniment complexes, aux nuances souvent  délicates.

Et n'hésitez pas à remercier les branleurs des années 80, et autres séquenceurs numériques, pour avoir prouvé que le rock technologiquement "parfait" - tout comme le jazz "libre" - font chier. Parce que l'ordre, ça craint. Je veux dire, regardez les Stones. Keith Richards est toujours au top du rythme, et Bill Wyman, jusqu'à ce qu'il démissionne, était toujours derrière, parce que Richards dirige le groupe, Charlie Watts le suit et Wyman écoute Watts. Bref le rythme se faufile parmi ces petits abimes neuronaux, sans qu'on puisse le formaliser bien sûr, mais on peut le sentir dans l'estomac. Ici aussi l'intonation vacille, avec l'impulsion du doigt sur la corde amplifiée. C'est la délicatesse du rock-and-roll, la rhétorique corporelle, de minuscules variations, imperfections nécessaires de cette contingence communautaire. Et tout ça a ses vertus, car le jazz ne fonctionne que si on essaye d'être libres et qu'on est, en fait, ensemble. Et le rock and roll, ça marche parce qu'on est juste une bande de parasites minables. Voilà une chose sur laquelle on peut compter, une vraie bonne chose, parce qu'au XXe siècle, il n'y a que ça : le jazz et le rock-and-roll. Le reste : éphèmères papiers journalistiques et publicité.  

Auteur: Hickey Dave

Info: Air Guitar :  Essays on Art and Democracy. Trad Mg

[ non classique ] [ politique ] [ blues source ]

 

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désignation idiomatique

Ce qui frappe d’abord l’homme "moderne", rompu à la théorie et à la science linguistique d’aujourd’hui, et pour lequel le langage est extérieur au réel, pellicule fine et sans consistance sinon conventionnelle, fictive, "symbolique", c’est que dans les sociétés "primitives", ou comme on dit "sans histoire", "pré-historiques", le langage est une substance et une force matérielle. Si l’homme primitif parle, symbolise, communique, c’est-à-dire établit une distance entre lui-même (comme sujet) et le dehors (le réel) pour le signifier dans un système de différences (le langage), il ne connaît pas cet acte comme un acte d’idéalisation ou d’abstraction, mais au contraire comme une participation à l’univers environnant. Si la pratique du langage suppose réellement pour l’homme primitif une distance par rapport aux choses, le langage n’est pas conçu comme un ailleurs mental, une démarche d’abstraction. Il participe comme un élément cosmique du corps et de la nature, confondu avec la force motrice du corps et de la nature. Son lien avec la réalité corporelle et naturelle n’est pas abstrait ou conventionnel, mais réel et matériel. L’homme primitif ne conçoit pas nettement de dichotomie entre matière et esprit, réel et langage, et par conséquent entre "réfèrent" et "signe linguistique", et encore moins entre "signifiant" et "signifié" : pour lui, ils participent tous au même titre d’un monde différencié.

Des systèmes magiques complexes, telle la magie assyrienne, reposent sur un traitement attentif de la parole conçue comme une force réelle. On sait que dans la langue akkadienne "être" et "nommer" sont synonymes. En akkadien, "quoi que ce soit" s’exprime par la locution "tout ce qui porte un nom". Cette synonymie n’est que le symptôme de l’équivalence généralement admise entre les mots et les choses, et qui sous-tend les pratiques magiques verbales. Elle transparaît aussi dans les exorcismes liés à l’interdiction de prononcer tel ou tel nom ou mot, aux incantations dont on exige la récitation à voix basse, etc.

Plusieurs mythes, pratiques et croyances révèlent cette vision du langage chez les primitifs. Frazer (the Golden Bough, 1911-1915) constate que dans plusieurs tribus primitives le nom, par exemple, considéré comme une réalité et non pas comme une convention artificielle, "peut servir d’intermédiaire — aussi bien que les cheveux, les ongles ou toute autre partie de la personne physique — pour faire agir la magie sur cette personne". Pour l’Indien d’Amérique du Nord, d’après ce même auteur, son nom n’est pas une étiquette, mais une partie distincte de son corps, comme l’œil, la dent, etc., et par conséquent un mauvais traitement de son nom le blessera comme une blessure physique. Pour sauvegarder le nom, on le fait entrer dans un système d’interdictions, ou de tabous.

Auteur: Kristeva Julia

Info: Le langage, cet inconnu, pp. 56-57

[ réalité encodée ] [ vocable dagyde ] [ premier degré performatif ] [ philologie diachronique ] [ codage du réel ]

 
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langage commun

Les lettres ont d'abord été des images. Les deux premières lettres de notre alphabet, qui lui donnent son nom, étaient à l'origine,  respectivement, une tête de taureau, et une maison.

A toutes les époques, s'exprime le souci, derrière les signes abstraits de notre alphabet, de retrouver une dimension figurative. Peintres, calligraphes, graphistes ou publicitaires, illustrateurs de livres pour enfants, écrivains et poètes, réintroduisent dans la lettre les images perdues.

Rappel de l'origine figurative de notre alphabet à travers l'histoire de l'aleph au travers de trois phases dans l'évolution qui mène de l'image à la lettre, du dessin à l'alphabet.

Dans un premier temps, le dessin représente le plus fidèlement possible un objet réel. Ce type d'écriture suppose qu'il existe autant de signes que d'objets.

Pour éviter la multiplicité des signes, on inventa certains procédés. Le premier consiste à permettre au dessin non seulement de signifier l'objet dessiné mais aussi certaines réalités rattachées au même objet : aussi, en Mésopotamie, pays entouré de montagnes, le signe  signifie montagne mais aussi frontière et, au-delà de la frontière, l'étranger. On passe ainsi du pictogramme à l'idéogramme.

A l'étape suivante, le son du signe initial est préservé mais il ne renvoie plus à l'image ou à l'objet mais seulement au son prononcé. Le signe devient phonogramme et s'associe à d'autres signes-sons comme dans les rébus pour former des mots.

La dernière étape consiste à garder le signe en ne le référant plus ni à l'image, ni au son de l'objet désigné, juste au début du son. Par le principe de l'acrophonie* naît alors l'alphabet.

C'est ainsi que le signe aleph permettant de désigner le bœuf ne signifie plus que le son "a".

Au commencement était donc le bœuf ou le taureau. Le bœuf avait une grande importance dans une civilisation rurale : force motrice, symbole d'énergie.

Chez les Egyptiens, le hiéroglyphe du taureau est un "déterminatif " permettant de préciser que le signe précédent désigne du bétail. Le taureau est alors dessiné sur pieds.

Chez les Phéniciens, le aleph ne représente plus qu'une image stylisée de la tête du taureau avec quelques variantes : parallèlement, au moment où l'image se réduit, elle se met à représenter au-delà du taureau, tout ce qu'il symbolise : force, énergie, vigueur. 

La phase suivante aboutit à la disparition de l'image figurative. La tête devient un simple trait sur lequel reposent les cornes : 

Ensuite le signe tourne à 90°, les cornes traversant la tête. 

Enfin, après un nouveau pivotement à 90 degrés la forme est complètement retournée et donne le alpha grec, d'où provient le "A" de notre alphabet : 

Auteur: Internet

Info: https://musicienintervenant.pagesperso-orange.fr/Templates/musiquepeintureletrsign.htm. *n.f. Énonciation d'une lettre de l'alphabet à l'aide d'un mot dont la lettre initiale représente cette lettre (ex. A comme Anatole).

[ émergence ] [ analogies ] [ caractères ] [ logotypes ] [ communication picturale ]

 
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inversion des valeurs

La vraie raison de l’euthanasie, en réalité, c’est que nous ne supportons plus les vieux, nous ne voulons même pas savoir qu’ils existent, c’est pour ça que nous les parquons dans des endroits spécialisés, hors de la vue des autres humains. La quasi-totalité des gens aujourd’hui considèrent que la valeur d’un être humain décroît au fur et à mesure que son âge augmente ; que la vie d’un jeune homme, et plus encore d’un enfant, a largement plus de valeur que celle d’une très vieille personne ; je suppose que vous serez également d’accord avec moi là-dessus ?

— Oui, tout à fait.

— Eh bien ça, c’est un retournement complet, une mutation anthropologique radicale. Bien sûr, du fait que le pourcentage de vieillards dans la population ne cesse d’augmenter, c’est assez malencontreux. Mais il y a autre chose, de beaucoup plus grave… 

Dans toutes les civilisations antérieures, dit-il finalement, ce qui déterminait l’estime, voire l’admiration qu’on pouvait porter à un homme, ce qui permettait de juger de sa valeur, c’était la manière dont il s’était effectivement comporté tout au long de sa vie ; même l’honorabilité bourgeoise n’était accordée que de confiance, à titre provisoire ; il fallait ensuite, par toute une vie d’honnêteté, la mériter. En accordant plus de valeur à la vie d’un enfant – alors que nous ne savons nullement ce qu’il va devenir, s’il sera intelligent ou stupide, un génie, un criminel ou un saint – nous dénions toute valeur à nos actions réelles. Nos actes héroïques ou généreux, tout ce que nous avons réussi à accomplir, nos réalisations, nos œuvres, rien de tout cela n’a plus le moindre prix aux yeux du monde – et, très vite, n’en a pas davantage à nos propres yeux. Nous ôtons ainsi toute motivation et tout sens à la vie ; c’est, très exactement, ce que l’on appelle le nihilisme. Dévaluer le passé et le présent au profit du devenir, dévaluer le réel pour lui préférer une virtualité située dans un futur vague, ce sont des symptômes du nihilisme européen bien plus décisifs que tous ceux que Nietzsche a pu relever – enfin maintenant il faudrait parler du nihilisme occidental, voire du nihilisme moderne, je ne suis pas du tout certain que les pays asiatiques soient épargnés à moyen terme. Il est vrai que Nietzsche ne pouvait pas repérer le phénomène, il ne s’est manifesté que largement après sa mort. Alors non, en effet, je ne suis pas chrétien ; j’ai même tendance à considérer que c’est avec le christianisme que ça a commencé, cette tendance à se résigner au monde présent, aussi insupportable soit-il, dans l’attente d’un sauveur et d’un avenir hypothétique ; le péché originel du christianisme, à mes yeux, c’est l’espérance.

Auteur: Houellebecq Michel

Info: Anéantir, p.453

[ assurances-vie ]

 
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protestantisme

Luther en 1515, en 1516, les notes du cours sur l’Épître aux Romains le montrent jusqu’à l’évidence — Luther a pris possession réellement de ses idées personnelles. Pour le bienfait qu’elles lui procurent, il leur voue tant de reconnaissance, il leur suppose tant d’efficacité qu’il entreprend de communiquer aux autres le cher trésor qu’il vient de découvrir. Aux autres ? aux étudiants d’abord, dans ses cours. Aux simples gens, dans ses prônes. Aux théologiens également, aux hommes doctes, ses pairs, ses anciens maîtres, ses émules... Et voilà Luther, petit à petit, qui prend figure de chef d’école. Le voilà, en septembre 1516, qui rédige et fait discuter sous sa présidence par un candidat, Bernhardi de Feldkirchen, des thèses de viribus et voluntate hominis sine gratia dont le titre seul montre sa libération des doctrines  gabriélistes et de l’aristotélisme. Le voilà, un an après très exactement, en septembre 1517, qui de nouveau préside à une dispute Contra Scolasticam theologiam et rédige à cette occasion pour un autre candidat, Fr. Gunther, des thèses, 97 thèses, qui sont un exposé des grandes lignes directrices de sa doctrine.

L’homme, transformé en un arbre pourri, arbor mala factus, ne peut vouloir et faire que le mal. Sa volonté n’est pas libre ; elle est serve. Dire qu’il peut, par ses propres moyens, parvenir à ce sommet, l’amour de Dieu par-dessus tout : mensonge et chimère (terminus fictus, sicut Chimera). Par nature, l’homme ne peut aimer Dieu qu’égoïstement. Tout ceci, répudiation fort nette par Luther des doctrines scotistes et gabriélistes. Et pour que nul n’en ignorât, il l’indiquait à la fin de chacune de ses thèses : Contra Scotum, contra Gabrielem, contra dictum commune... Ensuite, venaient des thèses philosophiques. Avec la même vigueur sans ménagements, Luther proclamait sa haine d’Aristote, de sa métaphysique, de sa logique, de son éthique : "L’exécrable éthique aristotélicienne est tout entière l’ennemie mortelle de la grâce (contre les scolastiques !) — Il est faux que la théorie du bonheur d’Aristote ne soit pas opposée radicalement à la doctrine chrétienne (contre les moralistes, contra morales !). — Un théologien qui n’est pas logicien est un monstre d’hérésie : voilà une proposition elle-même monstrueuse et hérétique ! " Après quoi Luther concluait en développant son thème favori, l’opposition fondamentale de la loi et de la grâce : "Toute œuvre de la loi sans la grâce a l’apparence d’une bonne action ; vue de près, elle n’est qu’un péché. — Maudits, ceux qui accomplissent les œuvres de la loi ; bénis, ceux qui accomplissent les œuvres de la grâce. — La loi bonne qui fait vivre le chrétien, ce n’est pas la loi morte du Lévitique ; ce n’est pas le Décalogue ; c’est l’amour de Dieu, répandu dans nos cœurs par le Saint-Esprit".

Ainsi argumentait Luther en 1516 et en 1517.

Auteur: Febvre Lucien

Info: Un destin : Martin Luther, PUF, 1968, pages 54-55

[ enseignement ] [ philosophie ] [ théologie ]

 

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courant occulte

Louis Antoine naquit en 1846 dans la province de Liège, d’une famille de mineurs ; il fut d’abord mineur lui-même, puis se fit ouvrier métallurgiste ; après un séjour de quelques années en Allemagne et en Pologne, il revint en Belgique et s’installa à Jemeppe-sur-Meuse. Ayant perdu leur fils unique, Antoine et sa femme se mirent à faire du spiritisme ; bientôt, l’ancien mineur, quoique à peu près illettré, se trouva à la tête d’un groupement dit des "Vignerons du Seigneur", dans lequel fonctionnait un véritable bureau de communication avec les morts (nous verrons que cette institution n’est pas unique en son genre) ; il édita aussi une sorte de catéchisme spirite, fait d’ailleurs entièrement d’emprunts aux ouvrages d’Allan Kardec. Un peu plus tard, Antoine adjoignit à son entreprise, dont le caractère ne semble pas avoir été absolument désintéressé, un cabinet de consultations "pour le soulagement de toutes les maladies et afflictions morales et physiques", placé sous la direction d’un "esprit" qui se faisait appeler le Dr Carita. Au bout de quelque temps encore, il se découvrit des facultés de "guérisseur" qui lui permettaient de supprimer toute évocation et d’ "opérer" directement par lui-même ; ce changement fut suivi de près par une brouille avec les spirites, dont les motifs ne sont pas très clairs. Toujours est-il que c’est de ce schisme qu’allait sortir l’Antoinisme ; au Congrès de Namur, en novembre 1913, M. Fraikin, président de la "Fédération Spirite Belge", déclara textuellement : "L’Antoinisme, pour des raisons peu avouables, refusa toujours de marcher avec nous" ; il est permis de supposer que ces "raisons peu avouables" étaient surtout d’ordre commercial, si l’on peut dire, et qu’Antoine trouvait plus avantageux d’agir entièrement à sa guise, en dehors de tout contrôle plus ou moins gênant. Pour les malades qui ne pouvaient venir le trouver à Jemeppe, Antoine fabriquait un médicament qu’il désignait sous le nom de "liqueur Coune", et auquel il attribuait le pouvoir de guérir indistinctement toutes les affections ; cela lui valut un procès pour exercice illégal de la médecine, et il fut condamné à une légère amende ; il remplaça alors sa liqueur par l’eau magnétisée, qui ne pouvait être qualifiée de médicament, puis par le papier magnétisé, plus facile à transporter. Cependant, les malades qui accouraient à Jemeppe devinrent si nombreux qu’il fallut renoncer à les traiter individuellement par des passes ou même par une simple imposition des mains, et instituer la pratique des "opérations" collectives. C’est à ce moment qu’Antoine, qui n’avait jusqu’alors parlé que de "fluides", fit intervenir la "foi", comme un facteur essentiel, dans les guérisons qu’il accomplissait, et qu’il commença à enseigner que l’imagination est l’unique cause de tous les maux physiques ; comme conséquence, il interdit à ses disciples (car il se posa dès lors en fondateur de secte) de recourir aux soins d’un médecin.

Auteur: Guénon René

Info: Dans "L'erreur spirite", Editions traditionnelles, 1952, page 349

[ biographie ] [ charlatan ]

 
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nœud borroméen

[à partir du schéma du bouquet renversé à deux miroirs ]

En effet, le sujet virtuel, reflet de l’œil mythique, c’est-à-dire l’autre que nous sommes, est là où nous avons d’abord vu notre ego – hors de nous, dans la forme humaine. cette forme est hors de nous, non pas en tant qu’elle est faite pour capter un comportement sexuel, mais en tant qu’elle est fondamentalement liée à l’impuissance primitive de l’être humain. L’être humain ne voit sa forme réalisée, totale, le mirage de lui-même, que hors de lui-même. [...]

Ce que le sujet qui, lui, existe, voit dans le miroir est une image, nette ou bien fragmentée, inconsistante, décomplétée. Cela dépend de sa position par rapport à l’image réelle. [...]

De l’inclinaison du miroir dépend donc que vous voyiez plus ou moins parfaitement l’image. Quant au spectateur virtuel, celui que vous vous substituez par la fiction du miroir pour voir l’image réelle, il suffit que le miroir plan soit incliné d’une certaine façon pour qu’il soit dans le champ où on voit très mal. De ce seul fait, vous aussi vous voyez très mal l’image dans le miroir. Disons que cela représente la difficile accommodation de l’imaginaire chez l’homme.

Nous pouvons supposer maintenant que l’inclinaison du miroir plan est commandée par la voix de l’autre. Cela n’existe pas au niveau du stade du miroir, mais c’est ensuite réalisé par notre relation avec autrui dans son ensemble – la relation symbolique. Vous pouvez saisir dès lors que la régulation de l’imaginaire dépend de quelque chose qui est situé de façon transcendante [...] – le transcendant dans l’occasion n’étant ici rien d’autre que la liaison symbolique entre les êtres humains.

Qu’est-ce que c’est que la liaison symbolique ? C’est [...] que, socialement, nous nous définissons par l’intermédiaire de la loi. C’est de l’échange des symboles que nous situons les uns par rapport aux autres nos différents moi – vous êtes, vous, Mannoni, et moi, Jacques Lacan, et nous sommes dans un certain rapport symbolique qui est complexe, selon les différents plans où nous nous plaçons, selon que nous sommes ensemble chez le commissaire de police, ensemble dans cette salle, ensemble en voyage.

En d’autres termes, c’est la relation symbolique qui définit la position du sujet comme voyant. C’est la parole, la fonction symbolique qui définit le plus ou moins grand degré de perfection, de complétude, d’approximation, de l’imaginaire. [...]

Un tel schéma vous montre que l’imaginaire et le réel jouent au même niveau. Pour le comprendre, il suffit de faire un petit perfectionnement de plus à cet appareil. Pensez que ce miroir est une vitre. Vous vous voyez dans la vitre et vous voyez les objets au-delà. Il s’agit justement de cela – d’une coïncidence entre certaines images et le réel.

Auteur: Lacan Jacques

Info: Dans le "Séminaire, Livre I", "Les écrits techniques de Freud (1953-1954)", éditions du Seuil, 1975, pages 221 à 223

[ genèse du concept ] [ constitution de la structure psychologique ]

 

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