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incipit

Il faut comprendre qu'ils n'étaient pas des rêveurs professionnels. Les rêveurs professionnels sont des talents très bien payés, respectés et très recherchés. Comme la majorité d'entre nous, ces sept personnes rêvaient sans effort ni discipline. Rêver professionnellement, de manière à ce que ses rêves puissent être enregistrés et diffusés pour le divertissement des autres, est une proposition beaucoup plus exigeante. Elle exige la capacité de réguler les impulsions créatives semi-conscientes et de stratifier l'imagination, une combinaison extraordinairement difficile à réaliser. Un rêveur professionnel est à la fois le plus organisé de tous les artistes et le plus spontané. Un tisseur subtil de spéculations, pas un simple et maladroit individu comme vous ou moi. Ou ces sept dormeurs.

De tous, Ripley était la plus proche de posséder ce potentiel particulier. Elle avait quelque talent de rêve enraciné et une plus grande souplesse d'imagination que ses compagnons. Mais elle manquait d'inspiration réelle et de la puissante maturité de pensée caractéristique du tisseur de rêves.

Elle était très douée pour organiser les magasins et les cargaisons, pour ranger le carton A dans la chambre de stockage B ou pour faire correspondre les bordereaux. C'était dans l'entrepôt de l'esprit que son système de classement fonctionnait mal. Espoirs et craintes, spéculations et demi-créations glissaient au hasard de compartiment en compartiment.

L'adjudant Ripley avait besoin de plus de maîtrise d'elle-même. Les pensées rococo brutes attendaient en vain d'être exploitées, juste à la frontière de la réalisation. Un peu plus d'effort, une plus grande intensité de reconnaissance de soi et elle aurait fait une assez bonne pro-rêveuse. C'est du moins ce qu'elle pensait parfois.

Le capitaine Dallas maintenant, il semblait paresseux tout en étant le mieux organisé de tous. Il ne manquait pas non plus d'imagination. Sa barbe en était la preuve. Personne n'en conservait en hibernation. Personne, sauf Dallas. C'était une partie de sa personnalité, avait-il expliqué à plus d'un coéquipier curieux. Il ne se séparait pas plus de l'antique duvet facial qu'il ne se séparait de toute autre partie de son anatomie. Dallas était le capitaine de deux navires : le remorqueur interstellaire Nostromo, et son corps. Tous deux restaient inchangés, tant en rêve qu'à l'état de veille. Il avait donc une bonne capacité de régulation et un minimum d'imagination. Mais un rêveur professionnel a besoin de beaucoup plus qu'un minimum de cette dernière ; et c'est une carence, qui ne peut être compensée par une quantité disproportionnée de la première. Dallas n'était pas plus apte que Ripley en matière de tissage de rêve.

Kane était moins contrôlé que Dallas en terme d'action et de pensée aride et il possédait beaucoup moins d'imagination. C'était un bon dirigeant. Mais il ne deviendrait jamais capitaine. Il faut pour ça une certaine motivation et la capacité de commander les autres, deux qualités dont Kane n'avait pas la chance de bénéficier. Ses rêves étaient des ombres translucides et informe par rapport à ceux de Dallas, tout comme Kane était un écho plus fin et moins vibrant du capitaine. Cela ne le rendait pas moins sympathique. Mais faire tisseur de rêve exige une forme de surcroît d'énergie, et Kane en avait à peine assez pour la vie de tous les jours.

Les rêves de Parker n'étaient pas déplacés, mais ils étaient moins pastoraux que ceux de Kane. Il y avait peu d'imagination dans ces rêves. Ils étaient trop spécialisés et ne traitaient que rarement des choses humaines. On ne pouvait rien attendre d'autre d'un ingénieur de bord. Ils étaient directs, et parfois laids. A l'état de veille, ces restes profondément enfouis se montraient rarement lorsque l'ingénieur s'irritait ou se mettait en colère. La majeure partie du suintement et du mépris qui fermentait au fond de la citerne de son âme était bien cachée. Ses compagnons n'en avaient jamais vu flotter au-dessus ou au-delà de la distillerie Parker, personne n'avait jamais eu un aperçu de ce qui bouillonnait et brassait au fond de cette cuve.

Lambert était plus inspiration pour rêveurs que rêveuse elle-même. En hyper-sommeil, ses rêveries agitées étaient remplies de tracés inter-systèmes et de facteurs de charge annulés par des considérations de carburant. Il arrivait que l'imagination entre dans de telles structures de rêve, mais jamais d'une manière qui puisse faire couler le sang des autres.

Parker et Brett imaginaient souvent leurs propres systèmes en train de s'interpénétrer avec les siens. Ils considéraient la question des facteurs de charge et des juxtapositions spatiales d'une manière qui aurait exaspéré Lambert si elle en avait été consciente. Réflexions non autorisées qu'ils gardaient pour eux, enfermés dans leurs rêves diurnes ou nocturnes, de peur qu'ils ne la mettent de mauvaise humeur. Même si cela ne lui aurait pas fait de malt. Mais en tant que navigatrice du Nostromo, elle était la principale responsable de leur retour à la maison, et c'était la plus importante et la plus souhaitable des collaborations qu'un homme puisse imaginer.

Brett n'était répertorié que comme technicien en ingénierie. C'était une façon de dire qu'il était aussi intelligent et compétent que Parker, mais qu'il manquait d'ancienneté. Les deux hommes formaient une paire étrange, inégale et totalement différente pour des gens non avertis. Pourtant, ils coexistaient et fonctionnaient ensemble en douceur. Leur succès comme amis et collègues était dû en grande partie au fait que Brett ne s'était jamais immiscé dans la vie mentale de Parker. Le technard était aussi solennel et flegmatique dans sa façon de voir et de parler que Parker était volubile et instable. Parker pouvait râler pendant des heures sur la défaillance d'un circuit de micro-puce, renvoyant ses ancêtres à la terre dont les constituants de terre rare avaient été extraits. Alors que Brett ponctuait placide : "right".

Pour Brett, ce seul mot était bien plus qu'une simple déclaration d'opinion. C'était une affirmation de soi. Pour lui, le silence était la forme de communication la plus propre. Dans la loquacité résidait le délire.

Et puis il y avait Ash. Ash était l'officier scientifique, mais ce n'était pas ce qui rendait ses rêves si drôles : particulièrement drôles, super drôles ha-ha ! Ses rêves étaient les plus professionnellement organisés de tout l'équipage. De tous, c'est celui qui se rapprochait le plus de son état éveillé. Les rêves de Ash ne contenaient absolument aucune illusion.

Ce n'était pas surprenant si vous connaissiez vraiment Ash. Mais aucun de ses six coéquipiers ne le connaissait. Mais lui, Ash, se connaissait bien. Si on lui avait demandé, il aurait pu vous dire pourquoi il n'avait jamais pu devenir tisseur de rêves. Personne n'avait jamais pensé à lui demander, malgré le fait que l'officier scientifique ait bien montré combien le tissage de rêves semblait plus fascinant pour lui que pour n'importe lequel d'entre eux.

Oh, et il y avait aussi le chat. Il s'appelait Jones. Un chat domestique très ordinaire, ou, dans ce cas, un chat de vaisseau. Jones était un gros matou jaune aux origines incertaines et à la personnalité indépendante, depuis longtemps habitué aux aléas des voyages spatiaux et aux particularités des humains qui voyageaient dans l'espace. Il dormait lui aussi d'un sommeil froid et faisait de simples rêves de lieux chauds et sombres et de souris soumises à la gravité.

De tous les rêveurs à bord, il était le seul à être satisfait, bien qu'on ne puisse pas le qualifier d'innocent.

Il est dommage qu'aucun d'entre eux n'ait eu la qualification de tisseur de songes, car chacun d'eux disposait de plus de temps pour rêver dans le cadre de son travail que n'importe quelle douzaine de professionnels, ceci malgré le ralentissement de leur rythme de rêve par le sommeil froid. Tout ça de par la nécessité de leur principale occupation, le rêve. Un équipage de l'espace lointain ne peut rien faire dans les congélateurs, si ce n'est dormir et rêver. Ils resteraient peut-être à jamais des amateurs, mais ils étaient depuis longtemps devenus très compétents.

Ils étaient sept. Sept rêveurs tranquilles à la recherche d'un cauchemar.

Bien qu'il possède une sorte de conscience, le Nostromo ne rêvait pas. Il n'en avait pas besoin, pas plus qu'il n'avait besoin de l'effet de conservation des congélateurs. S'il rêvait, ces rêveries devaient être brèves et fugaces, car il ne dormait jamais. Il travaillait, entretenait, et faisait en sorte que son complément humain en hibernation ait toujours une longueur d'avance sur une mort, toujours prête, qui suivait le sommeil froid comme un vaste requin gris derrière un navire en mer.

Les preuves de la vigilance mécanique incessante du Nostromo se trouvaient partout sur le navire silencieux, dans les doux bourdonnements et les lumières qui formaient une sensibilité instrumentale qui imprégnait le tissu même du vaisseau, prolongeait les capteurs pour vérifier chaque circuit et chaque jambe de force. Elle avait aussi des capteurs à l'extérieur, surveillant le pouls du cosmos. Les capteurs s'étaient fixés sur une anomalie électromagnétique.

Une partie du cerveau de Nostromo était particulièrement habile à extraire le sens des anomalies. Il avait soigneusement mâché celle-ci, trouvé le goût déroutant, examiné les résultats de l'analyse et pris une décision. Des instruments endormis furent activés, des circuits dormants régulèrent à nouveau le flux d'électrons. Pour célébrer cette décision, des banques de lumières brillantes clignotèrent, signes de vie d'une respiration mécanique agitée.

Un bip sonore caractéristique retentit, bien qu'il n'y ait encore que des tympans artificiels pour entendre et reconnaître. C'était un son que l'on n'avait plus entendu sur le Nostromo depuis un certain temps, et il signifiait un événement peu fréquent.

Au milieu de tous ces clics et ces flashs, dispositifs qui conversent entre eux, se trouvait une pièce spéciale. Dans enceinte de métal blanc se trouvaient sept cocons métal-plastique de couleur neige.

Un nouveau bruit emplit la pièce, une expiration explosive la remplissait d'une atmosphère fraîchement nettoyée et respirable. L'humanité s'était volontairement placée dans cette position, faisant confiance à de petits dieux de fer blanc comme le Nostromo pour lui fournir le souffle de vie quand elle ne pouvait pas le faire elle-même. Des extensions de cet électronique mi-sensible testaient maintenant l'air nouvellement exsudé et le déclarèrent satisfaisant pour maintenir la vie de ces organismes minables, les hommes. D'autres lumières s'allumèrent, d'autres connexions se fermèrent. Sans fanfare, les couvercles des sept chrysalides s'ouvrirent, et les formes de chenilles qui s'y trouvaient commencèrent à émerger dans la lumière.

Auteur: Foster Alan Dean

Info: Alien, le 8e passager, Chapitre 1 : Sept rêveurs. Trad Mg. Il fut demandé à Foster, après le grand succès du film, d'en faire un livre.

[ novélisation ] [ science-fiction ] [ galerie de personnages ] [ maîtrise du rêveur ]

 
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mort imminente

Pourquoi les mourants sont souvent pris d'un accès de lucidité

De nouvelles recherches révèlent des niveaux d'activité surprenants dans les cerveaux des mourants et peuvent contribuer à expliquer la clarté soudaine que ressentent de nombreuses personnes atteintes de démence à l'approche de la mort.

Longtemps au centre des préoccupations des religions, de la philosophie et de la littérature du monde entier, l'expérience consciente de la mort a récemment fait l'objet d'une attention croissante de la part de la science. Cela se produit alors que les progrès de la médecine étendent la capacité de maintenir le corps en vie, ouvrant progressivement une fenêtre sur l'ultime pièce fermée à clé : les derniers instants de vie d'un esprit humain.

"Vers 1959, l'homme a découvert une méthode pour faire redémarrer le cœur de personnes qui seraient mortes, et nous avons appelé cela la réanimation cardio-pulmonaire", explique Sam Parnia, médecin en soins intensifs à la NYU Langone Health. Sam Parnia a étudié les souvenirs des personnes réanimées à la suite d'un arrêt cardiaque, des phénomènes qu'il qualifie d'"expériences rappelées entourant la mort". Avant la mise au point des techniques de réanimation cardio-pulmonaire, l'arrêt cardiaque était pratiquement synonyme de mort. Aujourd'hui, les médecins peuvent réanimer certaines personnes jusqu'à 20 minutes ou plus après que leur cœur a cessé de battre. En outre, selon M. Parnia, de nombreuses cellules cérébrales restent intactes pendant des heures, voire des jours, après la mort, ce qui remet en question notre idée d'une frontière rigide entre la vie et la mort.

Les progrès de la technologie médicale et des neurosciences, ainsi que les changements de perspective des chercheurs, sont en train de révolutionner notre compréhension du processus de mort. Les recherches menées au cours de la dernière décennie ont mis en évidence une augmentation de l'activité cérébrale chez les humains et les animaux victimes d'un arrêt cardiaque. Dans le même temps, de vastes enquêtes documentent les périodes de lucidité apparemment inexplicables dont le personnel des hospices et les familles endeuillées déclarent souvent avoir été témoins chez les personnes atteintes de démence qui sont en train de mourir. Le poète Dylan Thomas a adressé à ses lecteurs le célèbre avertissement suivant : "Ne t'endors pas doucement dans cette bonne nuit. Rage, rage contre l'extinction de la lumière". Mais à mesure que l'on consacre davantage de ressources à l'étude de la mort, il apparaît de plus en plus clairement que la mort n'est pas un simple affaiblissement de la lumière interne de la conscience, mais plutôt un processus incroyablement actif dans le cerveau.

QU'EST-CE QUE LA LUCIDITÉ TERMINALE ?

Depuis des décennies, les chercheurs, les soignants des hospices et les membres des familles stupéfaits observent avec effroi les personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer ou d'autres formes de démence qui retrouvent soudainement leurs souvenirs et leur personnalité juste avant de mourir. Pour les membres de leur famille, cela peut ressembler à une seconde vie, mais pour de nombreux professionnels de la santé expérimentés, cela peut être le signe que la fin est proche. Christopher Kerr, directeur général et médecin en chef du Center for Hospice and Palliative Care à Buffalo, dans l'État de New York, a étudié les visions lucides de plusieurs centaines de malades en phase terminale. Il affirme que ces événements "se produisent généralement dans les derniers jours de la vie". Selon Andrew Peterson, de l'université George Mason, chercheur en bioéthique et en conscience, coauteur d'une étude sur ce phénomène commandée par les National Institutes of Health, cette "lucidité terminale" se définit comme le retour inattendu de facultés cognitives telles que la parole et la "connexion" avec d'autres personnes.

Cette connectivité va au-delà du retour de la capacité de communication et de la conscience de la situation perdues. Une chose qui semble être très profonde pour les membres de la famille qui observent la lucidité est l'émergence de ce que nous appelons l'"ancien moi"", explique Peterson. "Il semble évident qu'ils sont conscients non seulement de leur environnement, mais aussi de leurs relations avec les autres, qu'il s'agisse de l'utilisation d'un surnom ou d'une référence à une plaisanterie de longue date.

Aussi surprenants que ces événements puissent paraître, ils sont assez courants. "Notre étude n'était pas une étude de prévalence", précise Jason Karlawish, gérontologue au Penn Memory Center et chercheur principal de l'étude des NIH. Néanmoins, ajoute-t-il, "nous avons constaté que la lucidité était plus fréquente qu'exceptionnelle chez les patients atteints de démence, ce qui suggère que l'idée qu'elle se passe en phase terminale n'est pas tout à fait correcte". Il suggère plutôt de considérer les épisodes de lucidité comme faisant partie de "l'expérience de la maladie" plutôt que comme des événements aberrants. "Nous avons en fait constaté que plusieurs de ces épisodes se sont produits des mois, voire des années, avant le décès de la personne", note M. Karlawish. Malgré cela, de nombreux experts, dont Kerr et Parnia, s'accordent à dire que la plupart de ces épisodes sont associés à l'approche de la mort. "C'est un peu comme s'ils se préparaient à mourir", dit Parnia.

Les implications potentielles de ces résurgences cognitives temporaires et généralisées sont profondes. "Cela suggère qu'il peut y avoir des réseaux neuronaux restants, et/ou des voies et des fonctions neuronales, qui pourraient aider à restaurer les capacités cognitives de personnes que nous pensons être définitivement déficientes", explique Peterson.

Néanmoins, la recherche sur ce phénomène n'en est qu'à ses débuts. "Nous ne savons pas vraiment ce qui se passe dans le cerveau pendant le processus de mort et qui pourrait, d'une manière ou d'une autre, être lié à ces épisodes", explique M. Peterson. Malgré cette incertitude, d'autres recherches sur l'activité cérébrale à l'approche ou au moment de la mort pourraient permettre aux scientifiques et aux cliniciens de mieux comprendre certains des processus qui se déroulent dans le cerveau malade et mourant.

QUE SE PASSE-T-IL DANS LE CERVEAU AU MOMENT DE LA MORT ?

Dans une étude publiée en mai dans Proceedings of the National Academy of Sciences USA, des chercheurs de l'université du Michigan ont observé un regain d'activité cérébrale organisée chez deux personnes comateuses sur quatre qui subissaient un arrêt cardiaque après avoir été débranchées de leur respirateur artificiel. Ces travaux s'appuient sur plus d'une décennie de recherche sur les animaux, notamment une étude PNAS de 2013 qui a révélé une augmentation similaire de l'activité cérébrale synchronisée chez des rats exposés à une toxine cardiaque et une étude de 2015 dans laquelle des rats ont été tués par asphyxie. Dans toutes ces études, les chercheurs ont constaté que l'activité des ondes gamma augmentait dans les premières minutes de l'arrêt cardiaque, puis cessait. Les ondes gamma sont une fréquence d'ondes cérébrales typiquement associée à l'éveil, à la vigilance et à la mémoire.

Jimo Borjigin, neurologue et professeur agrégé de physiologie moléculaire et intégrative à l'université du Michigan, a participé aux trois études. La poussée d'ondes gamma chez les sujets mourants était particulièrement intense dans une région du cerveau que Borjigin appelle la "zone chaude corticale postérieure", située près de l'arrière du crâne. D'autres chercheurs pensent que cette région pourrait également être essentielle à l'expérience consciente. Les parties du cerveau situées dans cette zone sont liées à la perception visuelle, auditive et du mouvement, un phénomène qui, selon Mme Borjigin, est impliqué dans les expériences extracorporelles rapportées par les personnes qui ont frôlé la mort et s'en sont remises. Elle ajoute que les modèles d'activation des ondes gamma, semblables à ceux observés chez les personnes comateuses, sont associés à des activités qui incluent la reconnaissance d'une image familière, telle qu'un visage humain, chez les personnes en bonne santé.

Dans les études humaines et animales, le cerveau des sujets a montré un pic d'activité après la réduction soudaine de l'apport en oxygène, explique Mme Borjigin. "Il commence à activer ce mécanisme homéostatique pour récupérer de l'oxygène, soit en respirant plus fort, soit en accélérant le rythme cardiaque", ajoute-t-elle. Mme Borjigin émet l'hypothèse qu'une grande partie de l'augmentation de l'activité cérébrale plus complexe observée chez les humains et les animaux en arrêt cardiaque résulte également du fait que le cerveau tente de rétablir l'homéostasie, ou l'équilibre biologique, après avoir détecté un manque d'oxygène. Elle suppose en outre que ces mécanismes de survie peuvent être impliqués dans d'autres changements cognitifs entourant la mort. "Je pense que la lucidité terminale des patients atteints de démence peut être due à ce type d'efforts ultimes du cerveau" pour se préserver lorsque les systèmes physiologiques sont défaillants, explique Mme Borjigin.

M. Parnia, de NYU Langone, pense lui aussi que la réaction du cerveau à la perte d'oxygène est au moins partiellement responsable des expériences lucides entourant la mort. Entre 2017 et 2020, Parnia a dirigé une étude appelée AWARE II, dans laquelle les chercheurs ont surveillé l'activité cérébrale de plus de 500 personnes gravement malades aux États-Unis et au Royaume-Uni qui recevaient une réanimation cardio-pulmonaire. Les patients ont été exposés à des stimuli audiovisuels pendant la RCP afin de tester leur mémoire des événements survenus après l'arrêt cardiaque. Ceux qui ont survécu ont ensuite été interrogés sur leur degré de conscience pendant le processus de réanimation. Selon Parnia, un survivant sur cinq a fait état d'expériences lucides survenues après l'arrêt de son cœur. L'équipe AWARE II a également observé un pic inattendu dans l'activité cérébrale pendant la réanimation cardio-pulmonaire. "Dans les 20 secondes qui suivent l'arrêt cardiaque, le cerveau est à plat", explique M. Parnia. Cependant, "généralement dans les cinq minutes qui suivent - mais cela peut être plus long - nous constatons la réapparition d'une période transitoire d'électricité cérébrale". Il ajoute que les fréquences d'activité cérébrale observées sont similaires à celles associées à l'expérience consciente.

Parnia pense que le cerveau mourant perd les mécanismes de suppression habituels qui nous permettent de nous concentrer sur des tâches individuelles au cours de notre vie quotidienne. "Lorsque vous mourez, votre cerveau est privé d'oxygène et de nutriments, et il s'éteint", explique M. Parnia. "Ce processus d'arrêt supprime les freins... et soudain, ce qui semble se produire, c'est qu'il vous donne accès à des parties de votre cerveau auxquelles vous n'avez normalement pas accès.... Toutes vos pensées, tous vos souvenirs ou toutes vos interactions avec les autres sortent. Mais il insiste sur le fait que les expériences des personnes qui subissent un arrêt cardiaque sont lucides et ne sont pas de simples hallucinations. "Ils ne sont pas dans le délire", affirme Parnia à propos des personnes réanimées qu'il a étudiées, et ce qu'ils vivent "n'est pas un rêve ou une hallucination". Bien que ses études précédentes aient porté sur des personnes réanimées gravement malades, Parnia pense que la lucidité terminale chez les personnes comateuses ou atteintes de démence peut être le produit d'un processus similaire. Il participe actuellement à une étude sur ce dernier phénomène.

Les expériences conscientes des mourants n'ont pas encore trouvé d'explication complète. Mais les recherches montrent de plus en plus que la mort est un processus incroyablement actif et complexe - et, ce qui est peut-être plus important, "un processus humanisé", comme le décrit Kerr. Quant aux personnes atteintes de démence, M. Karlawish estime qu'au lieu de supposer que leur conscience a été irrévocablement modifiée, "nous devrions tout de même prêter une attention particulière à leur esprit, car certains aspects sont encore présents, même s'ils peuvent être très endommagés".





 

Auteur: Internet

Info: https://www.scientificamerican.com/article/why-dying-people-often-experience-a-burst-of-lucidity - Jordan Kinard le 12 juin 2023. Jordan Kinard a été stagiaire au sein du service d'opinion de Scientific American. Il est diplômé de l'université de Columbia.

[ homme-animal ] [ dégénérescence présénile ]

 

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Ajouté à la BD par Le sous-projectionniste

chronos

Le temps est une différence de pression : la respiration comme média environnemental dans "Exhalation" de Ted Chiang

Dans la nouvelle de science-fiction "Exhalation" de Ted Chiang, publiée en 2008, le souffle est le médiateur de la fin du monde.

Ce texte raconte l'histoire d'une espèce mécanique alimentée par l'air. Chaque jour, les membres de cette espèce consomment deux poumons d'aluminium remplis d'air, et chaque jour, ils les remplissent à nouveau à partir d'un réservoir caché sous terre. Leur univers comporte de nombreuses villes et quartiers, mais il est délimité par un "mur de chrome solide" qui s'étend jusqu'au ciel. Un jour, une cérémonie traditionnelle du nouvel an, qui dure toujours exactement une heure (chronométrée avec la précision mécanique de l'espèce), dure quelques minutes de plus. C'est surprenant. La nouvelle se répand et ils découvrent que la manifestation s'est prolongée dans tout leur univers. Les horloges elles-mêmes semblent fonctionner correctement ; c'est plutôt le temps lui-même qui s'est ralenti d'une manière ou d'une autre. Le narrateur, un anatomiste, soupçonne que la vérité réside dans le cerveau des espèces et décide de procéder à une autodissection avec un appareil de sa conception. De même que la nature de la conscience échappe aux humains organiques, elle échappe aussi aux automates de Chiang. Certains pensent que leur esprit est inscrit sur d'innombrables feuilles d'or dans leur cerveau ; d'autres soupçonnent que le flux d'air agit sur d'autres supports plus subtils. Au cours de son autodissection, le narrateur découvre la vérité : la conscience n'est pas inscrite dans le cerveau, mais constituée par la circulation de l'air dans le cerveau, qui forme et reforme les connexions électriques avec une plasticité infinie. De cette révélation, le narrateur déduit que le temps lui-même ne ralentit pas, mais que c'est plutôt la force de l'air à travers le cerveau qui ralentit, altérant la cognition. La deuxième loi de la thermodynamique : l'entropie augmente dans un système fermé, ce que l'univers doit être en fait. Chaque action, pensée et mouvement augmente l'entropie de leur univers, "hâtant l'arrivée de cet équilibre fatal", c'est-à-dire la possibilité de la mort.

Comme de nombreuses histoires de Chiang, "Exhalation" explore les conséquences culturelles étendues d'un concept scientifique, en l'occurrence l'entropie. À travers les principes physiques de la thermodynamique, la respiration met en scène une ironie tragique dans le système mondial. Le travail de maintien d'un type particulier de vie rend toute autre vie impossible. Je lis "Exhalation" comme une riche archive de possibilités théoriques médiatiques, car Chiang relie les problèmes de la technologie, de la médiation, de la conscience, de l'incarnation, de la temporalité et de l'environnement. La respiration est le pivot qui maintient ces concepts ensemble, et en particulier, selon moi, la relation de la respiration avec le temps. Dans cet article, je lis "Exhalation" à la fois à travers et en tant que théorie des médias pour suggérer que la mesure et la perception du temps, qui sont depuis longtemps des problèmes fondamentaux pour les études sur les médias, sont devenues des questions environnementales urgentes. Nous pouvons appréhender ces temporalités environnementales par le biais de la respiration, qui ne fonctionne pas de manière linéaire mais plutôt récursive, franchissant une certaine échelle dans sa répétition.

"Exhalation" met en scène deux types de temps différents : celui de la perception intérieure et celui de la comptabilité extérieure. D'une part, le temps est le sentiment incarné qu'un moment suit le suivant. D'autre part, le temps est la comptabilité de technologies théoriquement impartiales, elles-mêmes étalonnées par rapport à des phénomènes physiques. Le fait que le monde d'"Exhalation" soit entièrement mécanique permet à Chiang d'établir une analogie fluide entre ces deux sens du temps. Le drame découle donc de la découverte par le narrateur que ces sens, qui partagent supposément un substrat matériel, sont devenus non calibrés. Le véritable substrat, découvre le narrateur, n'est pas la matière en elle-même, mais plutôt la différence entre les matières. "Voici pourquoi", écrit le narrateur,

...j'ai dit que l'air n'est pas la source de la vie. L'air ne peut être ni créé ni détruit ; la quantité totale d'air dans l'univers reste constante, et si l'air était tout ce dont nous avons besoin pour vivre, nous ne mourrions jamais. Mais en réalité, la source de la vie est une différence de pression atmosphérique, le flux d'air des espaces où il est épais vers ceux où il est mince.... En réalité, nous ne consommons pas d'air.

En tant que matière, l'air ne s'épuise pas. Au contraire, les actions de l'espèce évacuent la différence, augmentent l'aléatoire et éliminent ainsi l'action mécanique et sa temporalité concomitante.

À première vue, l'approche du temps de Chiang est conforme à certains modèles fondamentaux des études sur les médias, pour lesquels le temps est un effet secondaire de sa technologisation. Pour Harold Innis, critique du début du XXe siècle, par exemple, les supports d'enregistrement disponibles dans une civilisation donnée déterminent les relations possibles avec le temps. Une civilisation basée sur le papier favorise la synchronisation sur de grandes distances, facilitée par la vitesse de circulation du papier, tandis qu'une civilisation basée sur la pierre serait plus diachronique, favorisant les supports statiques qui couvrent de grandes étendues de temps. Les idées d'Innis ont inspiré des approches ultérieures des médias numériques. Pour le théoricien des médias Wolfgang Ernst, les médias numériques sont "critiques en termes de temps", dans la mesure où ils dépendent d'un timing précis pour fonctionner. Le temps numérique est mesuré par des cristaux de quartz qui marquent les tics du temps UNIX, qui compte le début de l'histoire à partir du jeudi 1er janvier 1970, lorsque le carbone atmosphérique ne mesurait que 325 ppm. Ernst fait la distinction entre le temps "dur" et le temps "mou", c'est-à-dire le temps imposé aux machines par la physique et le temps inventé par les machines dans leur fonctionnement. Si le temps dur de la physique se poursuit en dehors de l'objet médiatique, notre appréhension de ce temps est inéluctablement liée à la durabilité du temps mou, généré par les machines.

Je suis loin d'être le seul à m'opposer à ces modèles de temporalité des médias. Je pense, par exemple, à l'argument de Sarah Sharma selon lequel ces modèles sont obsédés par la vitesse : l'hypothèse selon laquelle les médias accélèrent la temporalité et réduisent l'espace, rapprochant les cultures et effaçant le temps passé à attendre que les messages soient transmis. Pour Sharma, la vitesse est trop simple ; en revanche, elle affirme que le principal sujet temporel des médias est la synchronicité, dont la négociation et le maintien exigent un travail culturel et matériel constant. La relation au temps, tout comme la relation à l'environnement, est liée à la position politique de chacun. Elle est également liée au corps. John Durham Peters affirme que le corps humain lui-même est un support temporel, qui calibre une multiplicité vertigineuse d'échelles de temps. Les rythmes circadiens intègrent la "pulsation" géophysique du jour et de la nuit dans les êtres vivants. Vu dans ce cadre, le rythme inconscient de la respiration n'est qu'une partie d'un système médiatique complexe de temporalité qui se calibre et se recalibre constamment. Je souhaite faire progresser le rythme dans mon analyse. Shintaro Miyazaki affirme que le rythme a toujours été un aspect central, bien que méconnu, de la culture algorithmique. Le rythme supplante la notion d'"horloge" ou d'"impulsion", qui ne rendent pas compte de la négociation constante entre les états de la matière caractéristiques des médias numériques. Le rythme nomme alors le travail actif de synchronisation de la médiation. Il s'ensuit que nous pourrions caractériser le drame d'"Exhalation", et peut-être notre crise climatique actuelle, comme une désarticulation du rythme.

Au fur et à mesure que la nouvelle de la découverte du narrateur se répand, la panique face à la nouvelle possibilité de mort se répand également. Pendant quelques pages, "Exhalation" devient une allégorie manifeste des réactions humaines au changement climatique. "Nombreux sont ceux qui réclament une limitation stricte des activités afin de minimiser l'épaississement de notre atmosphère", écrit le narrateur, "les accusations de gaspillage d'air ont dégénéré en rixes furieuses". Une secte quasi-religieuse, les Inverseurs, gagne en popularité. Dans une parodie de la géo-ingénierie, ils construisent un moteur qui comprime l'air, augmentant ainsi la pression atmosphérique globale. "Hélas, observe le narrateur, le moteur lui-même était alimenté par l'air du réservoir..... Il n'a pas inversé l'égalisation, mais a permis d'augmenter la pression de l'air. Il n'a pas inversé l'égalisation mais, comme tout ce qui existe dans le monde, l'a exacerbée". Face à l'impossibilité d'empêcher la dégradation de l'atmosphère, les mécaniciens tentent de remodeler le cerveau lui-même, parallèlement aux adaptations transhumaines aux climats inhospitaliers. Tout cela n'aboutit à rien. Le narrateur termine l'histoire en spéculant sur un avenir possible, lorsqu'un explorateur intrépide franchira le mur de chrome et transformera le système fermé en un système ouvert. Les automates pourraient revivre, grâce à l'introduction d'une nouvelle pression, d'un nouveau souffle, mais leur esprit et leur culture ne survivraient pas.

Mais le souffle n'est rien d'autre qu'une technologie de survie. Je pense ici au travail de Jean-Thomas Tremblay sur le souffle en tant que technique féministe, ou aux archives d'Ashton Crawley sur le souffle dans les pratiques culturelles et spirituelles des Noirs. Les logiques médiatisées de sa mise en péril, de sa vulnérabilité et de sa force sont, comme l'affirme Tremblay, "autant une déclaration phénoménologique qu'une déclaration historique et culturelle". À ces archives respiratoires, j'ajouterais le souffle en tant que médiation environnementale. Cette médiation se produit à différents niveaux, depuis le brouillage par la respiration des frontières entre les médias et le corps jusqu'à la respiration en tant que modèle de réflexion sur le temps environnemental. Il est essentiel de noter qu'il ne s'agit pas d'un temps avec un début ou une fin, mais plutôt de cycles imbriqués de naissance et de décomposition, la médiation s'empilant sur elle-même. Quels nouveaux rythmes peuvent émerger ?

La temporalité de la conclusion d'"Exhalation" apporte une réponse provisoire. Les derniers paragraphes offrent une "valédiction"*, le narrateur s'adressant directement au lecteur. "Le même sort que celui qui m'a frappé t'attend-il ?" demandent-ils. Alors que la majeure partie du récit se déroule au passé, la fin s'inscrit dans un futur imaginé et s'adresse au lecteur à l'impératif : "Visualisez tout cela la prochaine fois que vous regarderez le monde gelé qui vous entoure, et il redeviendra, dans votre esprit, animé et vital. Telle est la temporalité de la spéculation, que Chiang présente comme un mode de réflexion sur l'effondrement écologique, qui ne prend pas l'effondrement comme une donnée et ne croit pas naïvement qu'il peut être évité. Il y a une fin, et il y a ce qui vient après la fin. L'après-fin est un espace de possibilités endeuillées :

Notre univers aurait pu glisser vers l'équilibre en n'émettant rien de plus qu'un sifflement silencieux. Le fait qu'il ait engendré une telle plénitude est un miracle, qui n'a d'égal que l'univers qui vous a donné naissance.

Respirer, c'est être médiateur du temps, pour soi mais aussi pour les autres. C'est être le médiateur de la possibilité du prochain souffle à venir, c'est coordonner et relier une multitude de systèmes naturels et culturels. Dans le cadre de la crise climatique, nous savons désormais de manière concluante que nos médias industriels sont à bout de souffle. Le défi que nous lance "Exhalation" est de les refaçonner pour qu'ils puissent soutenir le souffle.

Auteur: Moro Jeffrey

Info: https://jeffreymoro.com/blog/2022-04-01-defense-talk/ - 7 Jan 2021. Présentation faite dans le cadre du panel Environmental Media au MLA 2021, qui s'est tenu virtuellement. Pour les références du texte, voir directement sur le site. Trad Mg et DeepL. *Formule qui recommande le destinataire à la protection divine

[ homme-machine ] [ cadence ] [ science-fiction ] [ analyse de texte ] [ réchauffement climatique ] [ Gaïa ] [ tétravalence ] [ accélérationnisme ]

 

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La signification des meuglements des vaches, et autres histoires animales surprenantes
Vous pensez bien connaître les animaux? Pourtant les scientifiques qui les étudient leur découvrent régulièrement de nouvelles habiletés, intelligences et savoir-être étonnants.

C'est ce que raconte la journaliste spécialiste des sciences Aline Richard Zivohlava dans son ouvrage "Dans la peau des bêtes", paru en mai aux éditions Plon. Elle se glisse dans la peau de différents animaux pour un récit à la première personne. Nous en publions ci-dessous des extraits. Le titre et les intertitres sont de la rédaction de Slate.

Les corbeaux clairvoyants
L’histoire des Corneilles noires de la ville de Sendai, au Japon, a fait le tour du monde. À des branches de noyer plantés le long des routes pendaient de savoureuses noix, mais elles étaient, dans leurs coques vertes, inaccessibles à nos becs. C’est alors que mes congénères ont appris le code de la route. Au feu rouge, l’oiseau dépose sa noix devant la voiture, qui l’écrase au feu vert, et dont les fragments sont récupérés au feu rouge suivant. Malin, non? Et même carrément intelligent.

Les recherches scientifiques de ces dernières années ont révélé des capacités insoupçonnées chez les corvidés, en particulier dans le domaine de la cognition. Certains de nos savoir-faire avaient pourtant été remarqués dans le passé, mais vous n’aviez pas su les analyser… Vous rappelez-vous d’Ésope, le fabuliste qui a commis "Le Corbeau et le Renard", que nous critiquions tout à l’heure? Nous lui avons volontiers pardonné son écart puisqu’il a rendu hommage à l’ingéniosité de la corneille dans la comptine suivante: "La Corneille ayant soif, trouva par hasard une cruche où il y avait un peu d’eau; mais comme la cruche était trop profonde, elle n’y pouvait atteindre pour se désaltérer. Elle essaya d’abord de rompre la cruche avec son bec; mais n’en pouvant venir à bout, elle s’avisa d’y jeter plusieurs petits cailloux, qui firent monter l’eau jusqu’au bord de la cruche. Alors elle but tout à son aise."

Deux douzaines de siècles plus tard, en 2014, cette fable a été reproduite dans un laboratoire de l’université d’Auckland, en Nouvelle-Zélande. Des chercheurs ont voulu savoir si différents corvidés –Corbeaux calédoniens, Corbeaux freux et Geais des chênes– se montraient aussi clairvoyants que l’oiseau du fabuliste. Expérience réussie: soit deux tubes de verre, un large et un étroit, reliés entre eux par un mécanisme de vases communicants et à moitié remplis d’eau. Dans le premier, un morceau de liège flotte, agrémenté d’un morceau de viande. Tube trop étroit pour y plonger le bec. Les oiseaux ont dû trouver un moyen d’atteindre la nourriture: ils ont jeté des petits cailloux dans le tube large ne contenant pas le morceau de viande, pour faire monter l’eau dans le second tube étroit, et récupérer la récompense. C’est ce que l’on appelle effectuer une relation de cause à effet. Incroyable, quand on sait que, soumis au même test, les petits humains ne le réussissent que vers l’âge de 7 ans.

Les corbeaux sont capables de se priver dans l’immédiat pour une meilleure récompense dans le futur, une opération cognitive complexe.

La conclusion semble couler de source: des corbeaux aussi intelligents que vous, à l’âge de raison des petits humains! Mais au risque de décevoir mes congénères, je n’irai pas jusque-là. Rien ne prouve en effet que les mécanismes mentaux mis en jeu soient les mêmes pour nos deux espèces. Et la faculté spontanée de raisonner dans l’abstrait par le biais d’un processus d’association n’est pas forcément équivalente à ce que vous, humains, entendez généralement par "intelligence".

Il fallait en savoir plus. Les scientifiques qui nous étudient ont d’abord observé nos capacités cognitives liées à la vie en société. Tout comme vous, les corvidés activent leurs neurones pour améliorer leur cadre de vie, interagir avec leurs semblables, obtenir le meilleur pour eux-mêmes et leurs proches… La gestion de la nourriture est un enjeu majeur pour tout être vivant, et, pour nous autres corbeaux, l’occasion d’exercer notre mémoire et même de se projeter dans l’avenir. Des chercheurs britanniques ont par exemple montré que des geais, qui ont l’habitude de cacher leur nourriture, étaient capables de "classer" leurs aliments en fonction du temps écoulé avant la consommation: ils déterraient d’abord les caches de vers de terre, très appréciés mais périssables, avant celles des cacahuètes, moins goûteuses mais plus durables.

Les corbeaux sont aussi capables de se priver dans l’immédiat pour une meilleure récompense dans le futur, une opération cognitive complexe que vous pensiez réservée aux humains et aux grands singes. Une expérience menée en 2017 à l’université de Lund, en Suède, sur des corbeaux dressés consistait à leur faire choisir une friandise à dévorer tout de suite, ou bien un outil permettant d’ouvrir une boîte contenant une friandise plus grosse, au prix de quinze minutes d’efforts. La plupart des corbeaux ont choisi l’outil. Cela suggère la capacité de contrôle de soi et celle d’anticipation.

S’alimenter, c’est aussi coopérer mais parfois se fâcher quand un comportement est jugé incorrect. Dans une expérimentation menée dans un laboratoire à Vienne, des grands corbeaux ont su s’allier en tirant de concert deux bouts de ficelle pour récupérer deux parts de fromage: si l’un des oiseaux n’avait pas joué le jeu, aucun des deux n’aurait pu en profiter. Mais, dans une autre série d’expériences, il est arrivé qu’un des oiseaux ruse pour s’approprier tout le fromage. L’autre a alors refusé de coopérer plus avant avec le tricheur.

Les poulpes farceurs
Ces dernières années, nombre de nos capacités cognitives ont été découvertes par les scientifiques qui nous observent. Par exemple, notre dextérité au maniement des outils, faculté que l’on pensait réservée aux animaux "supérieurs". En 2009, quatre pieuvres de l’espèce Amphioctopus marginatus, habitantes des eaux chaudes de l’ouest du Pacifique, ont été filmées en train de manipuler des coquilles de noix de coco pour s’en faire une armure de protection contre les prédateurs, puis se balader, ainsi équipées, sur le plancher marin. La vidéo a intéressé les chercheurs…

Et enchanté le grand public: sans être encore aussi populaires que ceux consacrés aux chatons mignons, les films de poulpes malins font les beaux jours de votre Internet. Sur YouTube, 3 millions de vidéos sont disponibles! C’est ainsi que les humains ont pu découvrir les talents d’Inky, notre maître-poulpe de l’évasion. Cantonné dans son aquarium de Nouvelle-Zélande, Inky a profité de l’inattention d’un gardien qui n’avait pas bien fermé son réceptacle pour déverrouiller le dispositif, glisser au sol, et emprunter un tuyau d’un diamètre de 15 centimètres (!) se déversant dans l’océan Pacifique.

Stratégie, adaptation, innovation… Autant de qualités qui marquent, pour le moins, une belle intelligence des situations.Nous sommes aussi capables d’apprendre par observation et de manipuler des règles logiques: facultés d’autant plus étonnantes que nous n’avons pas eu de parents pour nous les enseigner. Des chercheurs ont installé des pieuvres devant un labyrinthe, elles ont su s’orienter en observant des congénères, puis en fonction d’indices visuels mis à leur disposition. Dans une autre expérience, on nous a placées devant cinq portes fermées, chacune marquée d’un symbole. Il fallait trouver celle donnant accès à un crabe, friandise que nous apprécions parmi toutes. Nous avons réussi à repérer la bonne porte, et appris à reconnaître son symbole même quand les scientifiques le changeaient de place. Et nous sommes capables de retenir plusieurs jours ces informations apprises, signe d’une bonne mémoire.

De même, nous jouons: un comportement évolué, peu commun chez les invertébrés. Sarah Zylinski, biologiste à l’université de Leeds, au Royaume-Uni, a observé un poulpe de l’espèce Octopus bimaculoides se livrer au jeu du chat et de la souris avec un crabe. En pleine mer, plusieurs plongeurs qui nous observaient ont eu la surprise de voir un tentacule taquin tenter de leur retirer leur masque à oxygène… En captivité, nous jonglons dans l’aquarium avec les petits cubes en plastique que vous nous envoyez. Et ne croyez pas que nous ne savons pas qui vous êtes.

En 2010, à l’aquarium de Seattle, aux États-Unis, deux membres de l’équipe soignante se sont livrés au jeu bien connu du "bad cop-good cop": l’un nous nourrissait avec douceur, l’autre nous touchait avec un bâton piquant. Après deux semaines, racontent les scientifiques qui ont organisé cette expérience, les huit pieuvres de l’aquarium se comportaient différemment avec l’un et l’autre, habillé pourtant du même uniforme.

En captivité, nous savons parfaitement vous faire passer des messages. La chercheuse de Leeds rapporte que des seiches, impatientes d’être nourries, aspergeaient d’eau leur gardien s’il tardait. Et, dans un parc zoologique en Allemagne, un poulpe est monté sur le bord de son aquarium pour inonder un spot dont la lumière devait le gêner.

La science n’a pas fini de dévoiler tout ce qu’il y a d’extraordinaire en nous. En avril 2017, un article scientifique, fort technique puisqu’il a été publié dans la revue Cell (dédiée à la biologie moléculaire et cellulaire), a suggéré que nous évoluions différemment de presque tous les êtres vivants de la planète: certains d’entre nous sont en effet capables de modifier à plusieurs reprises leur séquence d’ARN (acide ribonucléique, l’autre "molécule du vivant" avec l’ADN) et de l’éditer, pour mieux s’adapter à notre environnement. S’ensuivent, par exemple, des modifications de notre cerveau pour pouvoir prospérer dans des eaux aux températures différentes. Bien pratique en cette période de changements climatiques! Ludovic vous l’avait bien dit: nous sommes de véritables extraterrestres du fond des mers.

Les vaches communiquantes
La vache a ses sens en éveil. À l’inverse de ce que certains stupides imaginent, un regard bovin est un regard expert: une vision à 330 degrés, sans bouger la tête, qu’en dites-vous? Il est vrai que nous sommes plutôt myopes, et distinguons bien mieux les tendres pousses dans le pré qu’un véhicule arrivant au loin. Mais notre ouïe très fine y pallie. Les vaches distinguent les ultrasons (jusqu’à 35.000 hertz), tout comme les basses fréquences et les très faibles volumes sonores. Et puis, il y a notre odorat. C’est notre sens premier, il nous distingue et organise notre vie sociale. Les odeurs disent notre âge, nos besoins sexuels, notre place dans la hiérarchie du troupeau, notre niveau de stress. On se renifle et on se lèche entre vaches, et on approche nos mufles des humains à l’approche: il s’agit de flairer l’éleveur, le vétérinaire que l’on connaît, et de s’inquiéter de la présence d’un intrus à l’odeur inconnue.

En 2015, en Suisse, des chercheurs de l’École polytechnique de Zurich se sont livrés à une analyse acoustique de troupeaux pour tenter de comprendre ce que les vaches se disent. Lors des naissances de nos veaux et cela durant trois à quatre semaines, nous parlons à nos petits le mufle à moitié fermé pour produire un son grave. Et à l’inverse, quand on nous les retire, nous produisons un meuglement dans les fréquences hautes. De même, les veaux nous appellent plutôt dans les aigus.

De l’avis des scientifiques et des professionnels, fermiers et éleveurs qui nous côtoient, notre cri d’espèce, émis jusqu’à une cinquantaine de fois dans la journée, exprime une grande variété de situations et d’états: faim, soif, chaud, froid, souffrance, désir, appels…

Quant à vous, on dirait que nos "meuh" vous fascinent. Vous tentez parfois de nous imiter, bizarre! des humains qui singent les vaches! Mais vous n’êtes même pas fichus de vous entendre sur le son à produire… "Meuh" en France ; "moo" chez les Anglo-Saxons; "muh" pour les Allemands et les Danois; et "mō" du côté du Japon. Un plaisantin est même allé jusqu’à fabriquer ce qu’il a appelé une "boîte à meuh" pour faire rire ses semblables, on se demande vraiment pourquoi. Laquelle boîte a au moins eu une utilité: le docteur Lucien Moatti l’a calibrée pour le dépistage néonatal de la surdité des bébés humains. Si l’enfant tourne la tête au son de la vache, c’est qu’il entend bien…

Auteur: Internet

Info: Slate, Aline Richard, 30 mai 2019

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Comment l'IA comprend des trucs que personne ne lui lui a appris

Les chercheurs peinent à comprendre comment les modèles d'Intelligence artificielle, formés pour perroquetter les textes sur Internet, peuvent effectuer des tâches avancées comme coder, jouer à des jeux ou essayer de rompre un mariage.

Personne ne sait encore comment ChatGPT et ses cousins ​​de l'intelligence artificielle vont transformer le monde, en partie parce que personne ne sait vraiment ce qui se passe à l'intérieur. Certaines des capacités de ces systèmes vont bien au-delà de ce pour quoi ils ont été formés, et même leurs inventeurs ne savent pas pourquoi. Un nombre croissant de tests suggèrent que ces systèmes d'IA développent des modèles internes du monde réel, tout comme notre propre cerveau le fait, bien que la technique des machines soit différente.

"Tout ce que nous voulons faire avec ces systèmes pour les rendre meilleurs ou plus sûrs ou quelque chose comme ça me semble une chose ridicule à demander  si nous ne comprenons pas comment ils fonctionnent", déclare Ellie Pavlick de l'Université Brown,  un des chercheurs travaillant à combler ce vide explicatif.

À un certain niveau, elle et ses collègues comprennent parfaitement le GPT (abréviation de generative pretrained transformer) et d'autres grands modèles de langage, ou LLM. Des modèles qui reposent sur un système d'apprentissage automatique appelé réseau de neurones. De tels réseaux ont une structure vaguement calquée sur les neurones connectés du cerveau humain. Le code de ces programmes est relativement simple et ne remplit que quelques pages. Il met en place un algorithme d'autocorrection, qui choisit le mot le plus susceptible de compléter un passage sur la base d'une analyse statistique laborieuse de centaines de gigaoctets de texte Internet. D'autres algorithmes auto-apprenants supplémentaire garantissant que le système présente ses résultats sous forme de dialogue. En ce sens, il ne fait que régurgiter ce qu'il a appris, c'est un "perroquet stochastique", selon les mots d'Emily Bender, linguiste à l'Université de Washington. Mais les LLM ont également réussi à réussir l'examen pour devenir avocat, à expliquer le boson de Higgs en pentamètre iambique (forme de poésie contrainte) ou à tenter de rompre le mariage d'un utilisateurs. Peu de gens s'attendaient à ce qu'un algorithme d'autocorrection assez simple acquière des capacités aussi larges.

Le fait que GPT et d'autres systèmes d'IA effectuent des tâches pour lesquelles ils n'ont pas été formés, leur donnant des "capacités émergentes", a surpris même les chercheurs qui étaient généralement sceptiques quant au battage médiatique sur les LLM. "Je ne sais pas comment ils le font ou s'ils pourraient le faire plus généralement comme le font les humains, mais tout ça mes au défi mes pensées sur le sujet", déclare Melanie Mitchell, chercheuse en IA à l'Institut Santa Fe.

"C'est certainement bien plus qu'un perroquet stochastique, qui auto-construit sans aucun doute une certaine représentation du monde, bien que je ne pense pas que ce soit  vraiment de la façon dont les humains construisent un modèle de monde interne", déclare Yoshua Bengio, chercheur en intelligence artificielle à l'université de Montréal.

Lors d'une conférence à l'Université de New York en mars, le philosophe Raphaël Millière de l'Université de Columbia a offert un autre exemple à couper le souffle de ce que les LLM peuvent faire. Les modèles avaient déjà démontré leur capacité à écrire du code informatique, ce qui est impressionnant mais pas trop surprenant car il y a tellement de code à imiter sur Internet. Millière est allé plus loin en montrant que le GPT peut aussi réaliser du code. Le philosophe a tapé un programme pour calculer le 83e nombre de la suite de Fibonacci. "Il s'agit d'un raisonnement en plusieurs étapes d'un très haut niveau", explique-t-il. Et le robot a réussi. Cependant, lorsque Millière a demandé directement le 83e nombre de Fibonacci, GPT s'est trompé, ce qui suggère que le système ne se contentait pas de répéter ce qui se disait sur l'internet. Ce qui suggère que le système ne se contente pas de répéter ce qui se dit sur Internet, mais qu'il effectue ses propres calculs pour parvenir à la bonne réponse.

Bien qu'un LLM tourne sur un ordinateur, il n'en n'est pas un lui-même. Il lui manque des éléments de calcul essentiels, comme sa propre mémoire vive. Reconnaissant tacitement que GPT seul ne devrait pas être capable d'exécuter du code, son inventeur, la société technologique OpenAI, a depuis introduit un plug-in spécialisé -  outil que ChatGPT peut utiliser pour répondre à une requête - qui remédie à cela. Mais ce plug-in n'a pas été utilisé dans la démonstration de Millière. Au lieu de cela, ce dernier suppose plutôt que la machine a improvisé une mémoire en exploitant ses mécanismes d'interprétation des mots en fonction de leur contexte -  situation similaire à la façon dont la nature réaffecte des capacités existantes à de nouvelles fonctions.

Cette capacité impromptue démontre que les LLM développent une complexité interne qui va bien au-delà d'une analyse statistique superficielle. Les chercheurs constatent que ces systèmes semblent parvenir à une véritable compréhension de ce qu'ils ont appris. Dans une étude présentée la semaine dernière à la Conférence internationale sur les représentations de l'apprentissage (ICLR), le doctorant Kenneth Li de l'Université de Harvard et ses collègues chercheurs en intelligence artificielle, Aspen K. Hopkins du Massachusetts Institute of Technology, David Bau de la Northeastern University et Fernanda Viégas , Hanspeter Pfister et Martin Wattenberg, tous à Harvard, ont créé leur propre copie plus petite du réseau neuronal GPT afin de pouvoir étudier son fonctionnement interne. Ils l'ont entraîné sur des millions de matchs du jeu de société Othello en alimentant de longues séquences de mouvements sous forme de texte. Leur modèle est devenu un joueur presque parfait.

Pour étudier comment le réseau de neurones encodait les informations, ils ont adopté une technique que Bengio et Guillaume Alain, également de l'Université de Montréal, ont imaginée en 2016. Ils ont créé un réseau de "sondes" miniatures pour analyser le réseau principal couche par couche. Li compare cette approche aux méthodes des neurosciences. "C'est comme lorsque nous plaçons une sonde électrique dans le cerveau humain", dit-il. Dans le cas de l'IA, la sonde a montré que son "activité neuronale" correspondait à la représentation d'un plateau de jeu d'Othello, bien que sous une forme alambiquée. Pour confirmer ce résultat, les chercheurs ont inversé la sonde afin d'implanter des informations dans le réseau, par exemple en remplaçant l'un des marqueurs noirs du jeu par un marqueur blanc. "En fait, nous piratons le cerveau de ces modèles de langage", explique Li. Le réseau a ajusté ses mouvements en conséquence. Les chercheurs ont conclu qu'il jouait à Othello à peu près comme un humain : en gardant un plateau de jeu dans son "esprit" et en utilisant ce modèle pour évaluer les mouvements. Li pense que le système apprend cette compétence parce qu'il s'agit de la description la plus simple et efficace de ses données pour l'apprentissage. "Si l'on vous donne un grand nombre de scripts de jeu, essayer de comprendre la règle qui les sous-tend est le meilleur moyen de les comprimer", ajoute-t-il.

Cette capacité à déduire la structure du monde extérieur ne se limite pas à de simples mouvements de jeu ; il apparaît également dans le dialogue. Belinda Li (aucun lien avec Kenneth Li), Maxwell Nye et Jacob Andreas, tous au MIT, ont étudié des réseaux qui jouaient à un jeu d'aventure textuel. Ils ont introduit des phrases telles que "La clé est dans le coeur du trésor", suivies de "Tu prends la clé". À l'aide d'une sonde, ils ont constaté que les réseaux encodaient en eux-mêmes des variables correspondant à "coeur" et "Tu", chacune avec la propriété de posséder ou non une clé, et mettaient à jour ces variables phrase par phrase. Le système n'a aucun moyen indépendant de savoir ce qu'est une boîte ou une clé, mais il a acquis les concepts dont il avait besoin pour cette tâche."

"Une représentation de cette situation est donc enfouie dans le modèle", explique Belinda Li.

Les chercheurs s'émerveillent de voir à quel point les LLM sont capables d'apprendre du texte. Par exemple, Pavlick et sa doctorante d'alors, l'étudiante Roma Patel, ont découvert que ces réseaux absorbent les descriptions de couleur du texte Internet et construisent des représentations internes de la couleur. Lorsqu'ils voient le mot "rouge", ils le traitent non seulement comme un symbole abstrait, mais comme un concept qui a une certaine relation avec le marron, le cramoisi, le fuchsia, la rouille, etc. Démontrer cela fut quelque peu délicat. Au lieu d'insérer une sonde dans un réseau, les chercheurs ont étudié sa réponse à une série d'invites textuelles. Pour vérifier si le systhème ne faisait pas simplement écho à des relations de couleur tirées de références en ligne, ils ont essayé de le désorienter en lui disant que le rouge est en fait du vert - comme dans la vieille expérience de pensée philosophique où le rouge d'une personne correspond au vert d'une autre. Plutôt que répéter une réponse incorrecte, les évaluations de couleur du système ont évolué de manière appropriée afin de maintenir les relations correctes.

Reprenant l'idée que pour remplir sa fonction d'autocorrection, le système recherche la logique sous-jacente de ses données d'apprentissage, le chercheur en apprentissage automatique Sébastien Bubeck de Microsoft Research suggère que plus la gamme de données est large, plus les règles du système faire émerger sont générales. "Peut-être que nous nous constatons un tel bond en avant parce que nous avons atteint une diversité de données suffisamment importante pour que le seul principe sous-jacent à toutes ces données qui demeure est que des êtres intelligents les ont produites... Ainsi la seule façon pour le modèle d'expliquer toutes ces données est de devenir intelligent lui-même".

En plus d'extraire le sens sous-jacent du langage, les LLM sont capables d'apprendre en temps réel. Dans le domaine de l'IA, le terme "apprentissage" est généralement réservé au processus informatique intensif dans lequel les développeurs exposent le réseau neuronal à des gigaoctets de données et ajustent petit à petit ses connexions internes. Lorsque vous tapez une requête dans ChatGPT, le réseau devrait être en quelque sorte figé et, contrairement à l'homme, ne devrait pas continuer à apprendre. Il fut donc surprenant de constater que les LLM apprennent effectivement à partir des invites de leurs utilisateurs, une capacité connue sous le nom d'"apprentissage en contexte". "Il s'agit d'un type d'apprentissage différent dont on ne soupçonnait pas l'existence auparavant", explique Ben Goertzel, fondateur de la société d'IA SingularityNET.

Un exemple de la façon dont un LLM apprend vient de la façon dont les humains interagissent avec les chatbots tels que ChatGPT. Vous pouvez donner au système des exemples de la façon dont vous voulez qu'il réponde, et il obéira. Ses sorties sont déterminées par les derniers milliers de mots qu'il a vus. Ce qu'il fait, étant donné ces mots, est prescrit par ses connexions internes fixes - mais la séquence de mots offre néanmoins une certaine adaptabilité. Certaines personnes utilisent le jailbreak à des fins sommaires, mais d'autres l'utilisent pour obtenir des réponses plus créatives. "Il répondra mieux aux questions scientifiques, je dirais, si vous posez directement la question, sans invite spéciale de jailbreak, explique William Hahn, codirecteur du laboratoire de perception de la machine et de robotique cognitive à la Florida Atlantic University. "Sans il sera un meilleur universitaire." (Comme son nom l'indique une invite jailbreak -prison cassée-, invite à  moins délimiter-verrouiller les fonctions de recherche et donc à les ouvrir, avec les risques que ça implique) .

Un autre type d'apprentissage en contexte se produit via l'incitation à la "chaîne de pensée", ce qui signifie qu'on demande au réseau d'épeler chaque étape de son raisonnement - manière de faire qui permet de mieux résoudre les problèmes de logique ou d'arithmétique en passant par plusieurs étapes. (Ce qui rend l'exemple de Millière si surprenant  puisque le réseau a trouvé le nombre de Fibonacci sans un tel encadrement.)

En 2022, une équipe de Google Research et de l'École polytechnique fédérale de Zurich - Johannes von Oswald, Eyvind Niklasson, Ettore Randazzo, João Sacramento, Alexander Mordvintsev, Andrey Zhmoginov et Max Vladymyrov - a montré que l'apprentissage en contexte suit la même procédure de calcul de base que l'apprentissage standard, connue sous le nom de descente de gradient". 

Cette procédure n'était pas programmée ; le système l'a découvert sans aide. "C'est probablement une compétence acquise", déclare Blaise Agüera y Arcas, vice-président de Google Research. De fait il pense que les LLM peuvent avoir d'autres capacités latentes que personne n'a encore découvertes. "Chaque fois que nous testons une nouvelle capacité que nous pouvons quantifier, nous la trouvons", dit-il.

Bien que les LLM aient suffisamment d'angles morts et autres défauts pour ne pas être qualifiés d'intelligence générale artificielle, ou AGI - terme désignant une machine qui atteint l'ingéniosité du cerveau animal - ces capacités émergentes suggèrent à certains chercheurs que les entreprises technologiques sont plus proches de l'AGI que même les optimistes ne l'avaient deviné. "Ce sont des preuves indirectes que nous en sommes probablement pas si loin", a déclaré Goertzel en mars lors d'une conférence sur le deep learning à la Florida Atlantic University. Les plug-ins d'OpenAI ont donné à ChatGPT une architecture modulaire un peu comme celle du cerveau humain. "La combinaison de GPT-4 [la dernière version du LLM qui alimente ChatGPT] avec divers plug-ins pourrait être une voie vers une spécialisation des fonctions semblable à celle de l'homme", déclare Anna Ivanova, chercheuse au M.I.T.

Dans le même temps, les chercheurs s'inquiètent de voir leur capacité à étudier ces systèmes s'amenuiser. OpenAI n'a pas divulgué les détails de la conception et de l'entraînement de GPT-4, en partie du à la concurrence avec Google et d'autres entreprises, sans parler des autres pays. "Il y aura probablement moins de recherche ouverte de la part de l'industrie, et les choses seront plus cloisonnées et organisées autour de la construction de produits", déclare Dan Roberts, physicien théoricien au M.I.T., qui applique les techniques de sa profession à la compréhension de l'IA.

Ce manque de transparence ne nuit pas seulement aux chercheurs, il entrave également les efforts qui visent à comprendre les répercussions sociales de l'adoption précipitée de la technologie de l'IA. "La transparence de ces modèles est la chose la plus importante pour garantir la sécurité", affirme M. Mitchell.

Auteur: Musser Georges

Info: https://www.scientificamerican.com,  11 mai 2023. *algorithme d'optimisation utilisé dans l'apprentissage automatique et les problèmes d'optimisation. Il vise à minimiser ou à maximiser une fonction en ajustant ses paramètres de manière itérative. L'algorithme part des valeurs initiales des paramètres et calcule le gradient de la fonction au point actuel. Les paramètres sont ensuite mis à jour dans la direction du gradient négatif (pour la minimisation) ou positif (pour la maximisation), multiplié par un taux d'apprentissage. Ce processus est répété jusqu'à ce qu'un critère d'arrêt soit rempli. La descente de gradient est largement utilisée dans la formation des modèles d'apprentissage automatique pour trouver les valeurs optimales des paramètres qui minimisent la différence entre les résultats prédits et les résultats réels. Trad et adaptation Mg

[ singularité technologique ] [ versatilité sémantique ]

 

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nanomonde

Les particules quantiques ne tournent pas. Alors d'où vient leur spin ?

Le fait que les électrons possèdent la propriété quantique du spin est essentiel pour notre monde tel que nous le connaissons. Pourtant, les physiciens ne pensent pas que ces particules tournent réellement. 

Les électrons sont des petits magiciens compétents. Ils semblent voltiger autour d'un atome sans suivre de chemin particulier, ils semblent souvent être à deux endroits à la fois, et leur comportement dans les micropuces en silicium alimente l'infrastructure informatique du monde moderne. Mais l'un de leurs tours les plus impressionnants est faussement simple, comme toute bonne magie. Les électrons semblent toujours tourner. Tous les électrons jamais observés, qu'ils se déplacent sur un atome de carbone dans votre ongle ou qu'ils se déplacent à toute vitesse dans un accélérateur de particules, ont l'air de faire constamment de petites pirouettes en se déplaçant dans le monde. Sa rotation ne semble jamais ralentir ou accélérer. Peu importe comment un électron est bousculé ou frappé, il semble toujours tourner à la même vitesse. Il possède même un petit champ magnétique, comme devrait le faire un objet en rotation doté d'une charge électrique. Naturellement, les physiciens appellent ce comportement "spin".

Mais malgré les apparences, les électrons ne tournent pas. Ils ne peuvent pas tourner. Prouver qu'il est impossible que les électrons tournent est un problème standard dans tout cours d'introduction à la physique quantique. Si les électrons tournaient suffisamment vite pour expliquer tout le comportement de rotation qu'ils affichent, leurs surfaces se déplaceraient beaucoup plus vite que la vitesse de la lumière (si tant est qu'ils aient des surfaces). Ce qui est encore plus surprenant, c'est que pendant près d'un siècle, cette contradiction apparente a été ignorée par la plupart des physiciens comme étant une autre caractéristique étrange du monde quantique, qui ne mérite pas qu'on s'y attarde.

Pourtant, le spin est profondément important. Si les électrons ne semblaient pas tourner, votre chaise s'effondrerait pour ne plus représenter qu'une fraction minuscule de sa taille. Vous vous effondreriez aussi - et ce serait le moindre de vos problèmes. Sans le spin, c'est tout le tableau périodique des éléments qui s'effondrerait, et toute la chimie avec. En fait, il n'y aurait pas de molécules du tout. Le spin n'est donc pas seulement l'un des meilleurs tours de magie des électrons, c'est aussi l'un des plus importants. Et comme tout bon magicien, les électrons n'ont jamais dit à personne comment ils faisaient ce tour. Mais aujourd'hui, une nouvelle explication du spin est peut-être en train de se profiler à l'horizon, une explication qui tire le rideau et montre comment la magie opère.

UNE DÉCOUVERTE VERTIGINEUSE

La rotation a toujours été une source de confusion. Même les premières personnes qui ont développé l'idée du spin pensaient qu'elle devait être fausse. En 1925, deux jeunes physiciens hollandais, Samuel Goudsmit et George Uhlenbeck, s'interrogeaient sur les derniers travaux du célèbre (et célèbre) physicien Wolfgang Pauli. Pauli, dans une tentative d'expliquer la structure des spectres atomiques et du tableau périodique, avait récemment postulé que les électrons avaient une "double valeur non descriptible classiquement". Mais Pauli n'avait pas dit à quelle propriété physique de l'électron sa nouvelle valeur correspondait, et Goudsmit et Uhlenbeck se demandaient ce que cela pouvait être.

Tout ce qu'ils savaient - tout le monde le savait à l'époque - c'est que la nouvelle valeur de Pauli était associée à des unités discrètes d'une propriété bien connue de la physique newtonienne classique, appelée moment angulaire. Le moment angulaire est simplement la tendance d'un objet en rotation à continuer de tourner. C'est ce qui fait que les toupies tournent et que les bicyclettes restent droites. Plus un objet tourne vite, plus il a de moment cinétique, mais la forme et la masse de l'objet ont aussi leur importance. Un objet plus lourd a plus de moment cinétique qu'un objet plus léger qui tourne aussi vite, et un objet qui tourne avec plus de masse sur les bords a plus de moment cinétique que si sa masse était concentrée en son centre.

Les objets peuvent avoir un moment angulaire sans tourner. Tout objet qui tourne autour d'un autre objet, comme la Terre qui tourne autour du soleil ou un trousseau de clés qui se balance autour de votre doigt sur un cordon, a un certain moment angulaire. Mais Goudsmit et Uhlenbeck savaient que ce type de moment angulaire ne pouvait pas être la source du nouveau nombre de Pauli. Les électrons semblent effectivement se déplacer autour du noyau atomique, retenus par l'attraction entre leur charge électrique négative et l'attraction positive des protons du noyau. Mais le moment angulaire que ce mouvement leur confère était déjà bien pris en compte et ne pouvait pas être le nouveau nombre de Pauli. Les physiciens savaient également qu'il existait déjà trois nombres associés à l'électron, qui correspondaient aux trois dimensions de l'espace dans lesquelles il pouvait se déplacer. Un quatrième nombre signifiait une quatrième façon dont l'électron pouvait se déplacer. Les deux jeunes physiciens pensaient que la seule possibilité était que l'électron lui-même tourne, comme la Terre qui tourne sur son axe autour du soleil. Si les électrons pouvaient tourner dans l'une des deux directions - dans le sens des aiguilles d'une montre ou dans le sens inverse - cela expliquerait la "bivalence" de Pauli.

Excités, Goudsmit et Uhlenbeck rédigent leur nouvelle idée et la montrent à leur mentor, Paul Ehrenfest. Ehrenfest, un ami proche d'Einstein et un formidable physicien à part entière, trouve l'idée intrigante. Tout en la considérant, il dit aux deux jeunes hommes enthousiastes d'aller consulter quelqu'un de plus âgé et de plus sage : Hendrik Antoon Lorentz, le grand manitou de la physique néerlandaise, qui avait anticipé une grande partie du développement de la relativité restreinte deux décennies plus tôt et qu'Einstein lui-même tenait en très haute estime.

Mais Lorentz est moins impressionné par l'idée de spin qu'Ehrenfest. Comme il l'a fait remarquer à Uhlenbeck, on sait que l'électron est très petit, au moins 3 000 fois plus petit qu'un atome - et on sait déjà que les atomes ont un diamètre d'environ un dixième de nanomètre, soit un million de fois plus petit que l'épaisseur d'une feuille de papier. L'électron étant si petit, et sa masse encore plus petite - un milliardième de milliardième de milliardième de gramme - il était impossible qu'il tourne assez vite pour fournir le moment angulaire que Pauli et d'autres recherchaient. En fait, comme Lorentz l'a dit à Uhlenbeck, la surface de l'électron devrait se déplacer dix fois plus vite que la vitesse de la lumière, une impossibilité absolue.

Défait, Uhlenbeck retourne voir Ehrenfest et lui annonce la nouvelle. Il demande à Ehrenfest de supprimer l'article, mais on lui répond qu'il est trop tard, car son mentor a déjà envoyé l'article pour publication. "Vous êtes tous les deux assez jeunes pour pouvoir vous permettre une stupidité", a dit Ehrenfest. Et il avait raison. Malgré le fait que l'électron ne pouvait pas tourner, l'idée du spin était largement acceptée comme correcte, mais pas de la manière habituelle. Plutôt qu'un électron qui tourne réellement, ce qui est impossible, les physiciens ont interprété la découverte comme signifiant que l'électron portait en lui un certain moment angulaire intrinsèque, comme s'il tournait, même s'il ne pouvait pas le faire. Néanmoins, l'idée était toujours appelée "spin", et Goudsmit et Uhlenbeck ont été largement salués comme les géniteurs de cette idée.

Le spin s'est avéré crucial pour expliquer les propriétés fondamentales de la matière. Dans le même article où il avait proposé son nouveau nombre à deux valeurs, Pauli avait également suggéré un "principe d'exclusion", à savoir que deux électrons ne pouvaient pas occuper exactement le même état. S'ils le pouvaient, alors chaque électron d'un atome tomberait simplement dans l'état d'énergie le plus bas, et pratiquement tous les éléments se comporteraient presque exactement de la même manière les uns que les autres, détruisant la chimie telle que nous la connaissons. La vie n'existerait pas. L'eau n'existerait pas. L'univers serait simplement rempli d'étoiles et de gaz, dérivant dans un cosmos ennuyeux et indifférent sans rencontrer la moindre pierre. En fait, comme on l'a compris plus tard, toute matière solide, quelle qu'elle soit, serait instable. Bien que l'idée de Pauli soit clairement correcte, la raison pour laquelle les électrons ne pouvaient pas partager des états n'était pas claire. Comprendre l'origine du principe d'exclusion de Pauli permettrait d'expliquer tous ces faits profonds de la vie quotidienne.

La réponse à cette énigme se trouvait dans le spin. On découvrit bientôt que le spin était une propriété de base de toutes les particules fondamentales, et pas seulement des électrons, et qu'il était étroitement lié au comportement de ces particules en groupes. En 1940, Pauli et le physicien suisse Markus Fierz ont prouvé que lorsque la mécanique quantique et la relativité restreinte d'Einstein étaient combinées, cela conduisait inévitablement à un lien entre le spin et le comportement statistique des groupes. Le principe d'exclusion de Pauli n'était qu'un cas particulier de ce théorème de la statistique du spin, comme on l'a appelé. Ce théorème est un "fait puissant sur le monde", comme le dit le physicien Michael Berry. "Il est à la base de la chimie, de la supraconductivité, c'est un fait très fondamental". Et comme tant d'autres faits fondamentaux en physique, le spin s'est avéré utile sur le plan technologique également. Dans la seconde moitié du XXe siècle, le spin a été exploité pour développer des lasers, expliquer le comportement des supraconducteurs et ouvrir la voie à la construction d'ordinateurs quantiques.

VOIR AU-DELÀ DU SPIN

Mais toutes ces fabuleuses découvertes, applications et explications laissent encore sur la table la question de Goudsmit et Uhlenbeck : qu'est-ce que le spin ? Si les électrons doivent avoir un spin, mais ne peuvent pas tourner, alors d'où vient ce moment angulaire ? La réponse standard est que ce moment est simplement inhérent aux particules subatomiques et ne correspond à aucune notion macroscopique de rotation.

Pourtant, cette réponse n'est pas satisfaisante pour tout le monde. "Je n'ai jamais aimé l'explication du spin donnée dans un cours de mécanique quantique", déclare Charles Sebens, philosophe de la physique à l'Institut de technologie de Californie. On vous le présente et vous vous dites : "C'est étrange. Ils agissent comme s'ils tournaient, mais ils ne tournent pas vraiment ? Je suppose que je peux apprendre à travailler avec ça". Mais c'est étrange."

Récemment, cependant, Sebens a eu une idée. "Dans le cadre de la mécanique quantique, il semble que l'électron ne tourne pas", dit-il. Mais, ajoute-t-il, "la mécanique quantique n'est pas notre meilleure théorie de la nature. La théorie des champs quantiques est une théorie plus profonde et plus précise."

La théorie quantique des champs est l'endroit où le monde quantique des particules subatomiques rencontre l'équation la plus célèbre du monde : E = mc2, qui résume la découverte d'Einstein selon laquelle la matière peut se transformer en énergie et vice versa. (La théorie quantique des champs est également à l'origine du théorème de la statistique du spin). C'est à partir de cette propriété que lorsque des particules subatomiques interagissent, de nouvelles particules sont souvent créées à partir de leur énergie, et les particules existantes peuvent se désintégrer en quelque chose d'autre. La théorie quantique des champs traite ce phénomène en décrivant les particules comme provenant de champs qui imprègnent tout l'espace-temps, même l'espace vide. Ces champs permettent aux particules d'apparaître et de disparaître, conformément aux règles strictes de la relativité restreinte d'Einstein et aux lois probabilistes du monde quantique.

Et ce sont ces champs, selon Sebens, qui pourraient contenir la solution à l'énigme du spin. "L'électron est habituellement considéré comme une particule", explique-t-il. "Mais dans la théorie quantique des champs, pour chaque particule, il existe une façon de la considérer comme un champ." En particulier, l'électron peut être considéré comme une excitation dans un champ quantique connu sous le nom de champ de Dirac, et ce champ pourrait être ce qui porte le spin de l'électron. "Il y a une véritable rotation de l'énergie et de la charge dans le champ de Dirac", dit Sebens. Si c'est là que réside le moment angulaire, le problème d'un électron tournant plus vite que la vitesse de la lumière disparaît ; la région du champ portant le spin de l'électron est bien plus grande que l'électron supposé ponctuel lui-même. Ainsi, selon Sebens, d'une certaine manière, Pauli et Lorentz avaient à moitié raison : il n'y a pas de particule qui tourne. Il y a un champ tournant, et c'est ce champ qui donne naissance aux particules.

UNE QUESTION SANS RÉPONSE ?

Jusqu'à présent, l'idée de Sebens a produit quelques remous, mais pas de vagues. Pour ce qui est de savoir si les électrons tournent, "je ne pense pas qu'il s'agisse d'une question à laquelle on puisse répondre", déclare Mark Srednicki, physicien à l'université de Californie à Santa Barbara. "Nous prenons un concept qui trouve son origine dans le monde ordinaire et nous essayons de l'appliquer à un endroit où il ne s'applique plus vraiment. Je pense donc que ce n'est vraiment qu'une question de choix, de définition ou de goût pour dire que l'électron tourne vraiment." Hans Ohanian, physicien à l'université du Vermont qui a réalisé d'autres travaux sur le spin des électrons, souligne que la version originale de l'idée de Sebens ne fonctionne pas pour l'antimatière.

Mais tous les physiciens ne sont pas aussi dédaigneux. Selon Sean Carroll, physicien à l'université Johns Hopkins et à l'Institut Santa Fe, "la formulation conventionnelle de notre réflexion sur le spin laisse de côté un élément potentiellement important". "Sebens est tout à fait sur la bonne voie, ou du moins fait quelque chose de très, très utile dans le sens où il prend très au sérieux l'aspect champ de la théorie quantique des champs." Mais, souligne Carroll, "les physiciens sont, au fond, des pragmatiques..... Si Sebens a raison à 100 %, les physiciens vous diront : "D'accord, mais qu'est-ce que cela m'apporte ?"

Doreen Fraser, philosophe de la théorie des champs quantiques à l'université de Waterloo, au Canada, se fait l'écho de ce point de vue. "Je suis ouverte à ce projet que Sebens a de vouloir forer plus profondément pour avoir une sorte d'intuition physique pour aller avec le spin", dit-elle. "Vous avez cette belle représentation mathématique ; vous voulez avoir une image physique intuitive pour l'accompagner." En outre, une image physique pourrait également déboucher sur de nouvelles théories ou expériences qui n'ont jamais été réalisées auparavant. "Pour moi, ce serait le test pour savoir si c'est une bonne idée."

Il est trop tôt pour dire si les travaux de M. Sebens porteront ce genre de fruits. Et bien qu'il ait rédigé un article sur la manière de résoudre la préoccupation d'Ohanian concernant l'antimatière, d'autres questions connexes restent en suspens. "Il y a beaucoup de raisons d'aimer" l'idée du champ, dit Sebens. "Je prends cela plus comme un défi que comme un argument massue contre elle."

Auteur: Becker Adam

Info: Scientific American, November 22, 2022

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homme-machine

Les grands modèles de langage tels que ChatGPT sont aujourd'hui suffisamment importants pour commencer à afficher des comportements surprenants et imprévisibles.

Quel film ces emojis décrivent-ils ? (On voit une vidéo qui présente des myriades d'émoji formant des motifs mouvants, modélisés à partir de métadonnées)

Cette question était l'une des 204 tâches choisies l'année dernière pour tester la capacité de divers grands modèles de langage (LLM) - les moteurs de calcul derrière les chatbots d'IA tels que ChatGPT. Les LLM les plus simples ont produit des réponses surréalistes. "Le film est un film sur un homme qui est un homme qui est un homme", commençait l'un d'entre eux. Les modèles de complexité moyenne s'en sont approchés, devinant The Emoji Movie. Mais le modèle le plus complexe l'a emporté en une seule réponse : Finding Nemo.

"Bien que j'essaie de m'attendre à des surprises, je suis surpris par ce que ces modèles peuvent faire", a déclaré Ethan Dyer, informaticien chez Google Research, qui a participé à l'organisation du test. C'est surprenant parce que ces modèles sont censés n'avoir qu'une seule directive : accepter une chaîne de texte en entrée et prédire ce qui va suivre, encore et encore, en se basant uniquement sur des statistiques. Les informaticiens s'attendaient à ce que le passage à l'échelle permette d'améliorer les performances sur des tâches connues, mais ils ne s'attendaient pas à ce que les modèles puissent soudainement gérer autant de tâches nouvelles et imprévisibles.

Des études récentes, comme celle à laquelle a participé M. Dyer, ont révélé que les LLM peuvent produire des centaines de capacités "émergentes", c'est-à-dire des tâches que les grands modèles peuvent accomplir et que les petits modèles ne peuvent pas réaliser, et dont beaucoup ne semblent pas avoir grand-chose à voir avec l'analyse d'un texte. Ces tâches vont de la multiplication à la génération d'un code informatique exécutable et, apparemment, au décodage de films à partir d'emojis. De nouvelles analyses suggèrent que pour certaines tâches et certains modèles, il existe un seuil de complexité au-delà duquel la fonctionnalité du modèle monte en flèche. (Elles suggèrent également un sombre revers de la médaille : À mesure qu'ils gagnent en complexité, certains modèles révèlent de nouveaux biais et inexactitudes dans leurs réponses).

"Le fait que les modèles de langage puissent faire ce genre de choses n'a jamais été abordé dans la littérature à ma connaissance", a déclaré Rishi Bommasani, informaticien à l'université de Stanford. L'année dernière, il a participé à la compilation d'une liste de dizaines de comportements émergents, dont plusieurs ont été identifiés dans le cadre du projet de M. Dyer. Cette liste continue de s'allonger.

Aujourd'hui, les chercheurs s'efforcent non seulement d'identifier d'autres capacités émergentes, mais aussi de comprendre pourquoi et comment elles se manifestent - en somme, d'essayer de prédire l'imprévisibilité. La compréhension de l'émergence pourrait apporter des réponses à des questions profondes concernant l'IA et l'apprentissage automatique en général, comme celle de savoir si les modèles complexes font vraiment quelque chose de nouveau ou s'ils deviennent simplement très bons en statistiques. Elle pourrait également aider les chercheurs à exploiter les avantages potentiels et à limiter les risques liés à l'émergence.

"Nous ne savons pas comment déterminer dans quel type d'application la capacité de nuisance va se manifester, que ce soit en douceur ou de manière imprévisible", a déclaré Deep Ganguli, informaticien à la startup d'IA Anthropic.

L'émergence de l'émergence

Les biologistes, les physiciens, les écologistes et d'autres scientifiques utilisent le terme "émergent" pour décrire l'auto-organisation, les comportements collectifs qui apparaissent lorsqu'un grand nombre d'éléments agissent comme un seul. Des combinaisons d'atomes sans vie donnent naissance à des cellules vivantes ; les molécules d'eau créent des vagues ; des murmurations d'étourneaux s'élancent dans le ciel selon des schémas changeants mais identifiables ; les cellules font bouger les muscles et battre les cœurs. Il est essentiel que les capacités émergentes se manifestent dans les systèmes qui comportent de nombreuses parties individuelles. Mais ce n'est que récemment que les chercheurs ont été en mesure de documenter ces capacités dans les LLM, car ces modèles ont atteint des tailles énormes.

Les modèles de langage existent depuis des décennies. Jusqu'à il y a environ cinq ans, les plus puissants étaient basés sur ce que l'on appelle un réseau neuronal récurrent. Ceux-ci prennent essentiellement une chaîne de texte et prédisent le mot suivant. Ce qui rend un modèle "récurrent", c'est qu'il apprend à partir de ses propres résultats : Ses prédictions sont réinjectées dans le réseau afin d'améliorer les performances futures.

En 2017, les chercheurs de Google Brain ont introduit un nouveau type d'architecture appelé "transformateur". Alors qu'un réseau récurrent analyse une phrase mot par mot, le transformateur traite tous les mots en même temps. Cela signifie que les transformateurs peuvent traiter de grandes quantités de texte en parallèle. 

Les transformateurs ont permis d'augmenter rapidement la complexité des modèles de langage en augmentant le nombre de paramètres dans le modèle, ainsi que d'autres facteurs. Les paramètres peuvent être considérés comme des connexions entre les mots, et les modèles s'améliorent en ajustant ces connexions au fur et à mesure qu'ils parcourent le texte pendant l'entraînement. Plus il y a de paramètres dans un modèle, plus il peut établir des connexions avec précision et plus il se rapproche d'une imitation satisfaisante du langage humain. Comme prévu, une analyse réalisée en 2020 par les chercheurs de l'OpenAI a montré que les modèles gagnent en précision et en capacité au fur et à mesure qu'ils s'étendent.

Mais les débuts des LLM ont également apporté quelque chose de vraiment inattendu. Beaucoup de choses. Avec l'avènement de modèles tels que le GPT-3, qui compte 175 milliards de paramètres, ou le PaLM de Google, qui peut être étendu à 540 milliards de paramètres, les utilisateurs ont commencé à décrire de plus en plus de comportements émergents. Un ingénieur de DeepMind a même rapporté avoir pu convaincre ChatGPT qu'il s'était lui-même un terminal Linux et l'avoir amené à exécuter un code mathématique simple pour calculer les 10 premiers nombres premiers. Fait remarquable, il a pu terminer la tâche plus rapidement que le même code exécuté sur une vraie machine Linux.

Comme dans le cas du film emoji, les chercheurs n'avaient aucune raison de penser qu'un modèle de langage conçu pour prédire du texte imiterait de manière convaincante un terminal d'ordinateur. Nombre de ces comportements émergents illustrent l'apprentissage "à zéro coup" ou "à quelques coups", qui décrit la capacité d'un LLM à résoudre des problèmes qu'il n'a jamais - ou rarement - vus auparavant. Selon M. Ganguli, il s'agit là d'un objectif de longue date dans la recherche sur l'intelligence artificielle. Le fait de montrer que le GPT-3 pouvait résoudre des problèmes sans aucune donnée d'entraînement explicite dans un contexte d'apprentissage à zéro coup m'a amené à abandonner ce que je faisais et à m'impliquer davantage", a-t-il déclaré.

Il n'était pas le seul. Une série de chercheurs, qui ont détecté les premiers indices montrant que les LLM pouvaient dépasser les contraintes de leurs données d'apprentissage, s'efforcent de mieux comprendre à quoi ressemble l'émergence et comment elle se produit. La première étape a consisté à documenter minutieusement l'émergence.

Au-delà de l'imitation

En 2020, M. Dyer et d'autres chercheurs de Google Research ont prédit que les LLM auraient des effets transformateurs, mais la nature de ces effets restait une question ouverte. Ils ont donc demandé à la communauté des chercheurs de fournir des exemples de tâches difficiles et variées afin de déterminer les limites extrêmes de ce qu'un LLM pourrait faire. Cet effort a été baptisé "Beyond the Imitation Game Benchmark" (BIG-bench), en référence au nom du "jeu d'imitation" d'Alan Turing, un test visant à déterminer si un ordinateur peut répondre à des questions d'une manière humaine convaincante. (Le groupe s'est particulièrement intéressé aux exemples où les LLM ont soudainement acquis de nouvelles capacités qui étaient totalement absentes auparavant.

"La façon dont nous comprenons ces transitions brutales est une grande question de la echerche", a déclaré M. Dyer.

Comme on pouvait s'y attendre, pour certaines tâches, les performances d'un modèle se sont améliorées de manière régulière et prévisible au fur et à mesure que la complexité augmentait. Pour d'autres tâches, l'augmentation du nombre de paramètres n'a apporté aucune amélioration. Mais pour environ 5 % des tâches, les chercheurs ont constaté ce qu'ils ont appelé des "percées", c'est-à-dire des augmentations rapides et spectaculaires des performances à partir d'un certain seuil d'échelle. Ce seuil variant en fonction de la tâche et du modèle.

Par exemple, les modèles comportant relativement peu de paramètres - quelques millions seulement - n'ont pas réussi à résoudre des problèmes d'addition à trois chiffres ou de multiplication à deux chiffres, mais pour des dizaines de milliards de paramètres, la précision a grimpé en flèche dans certains modèles. Des sauts similaires ont été observés pour d'autres tâches, notamment le décodage de l'alphabet phonétique international, le décodage des lettres d'un mot, l'identification de contenu offensant dans des paragraphes d'hinglish (combinaison d'hindi et d'anglais) et la formulation d'équivalents en langue anglaise, traduit à partir de proverbes kiswahili.

Introduction

Mais les chercheurs se sont rapidement rendu compte que la complexité d'un modèle n'était pas le seul facteur déterminant. Des capacités inattendues pouvaient être obtenues à partir de modèles plus petits avec moins de paramètres - ou formés sur des ensembles de données plus petits - si les données étaient d'une qualité suffisamment élevée. En outre, la formulation d'une requête influe sur la précision de la réponse du modèle. Par exemple, lorsque Dyer et ses collègues ont posé la question de l'emoji de film en utilisant un format à choix multiples, l'amélioration de la précision a été moins soudaine qu'avec une augmentation graduelle de sa complexité. L'année dernière, dans un article présenté à NeurIPS, réunion phare du domaine, des chercheurs de Google Brain ont montré comment un modèle invité à s'expliquer (capacité appelée raisonnement en chaîne) pouvait résoudre correctement un problème de mots mathématiques, alors que le même modèle sans cette invitation progressivement précisée n'y parvenait pas.

 Yi Tay, scientifique chez Google Brain qui a travaillé sur l'étude systématique de ces percées, souligne que des travaux récents suggèrent que l'incitation par de pareilles chaînes de pensées modifie les courbes d'échelle et, par conséquent, le point où l'émergence se produit. Dans leur article sur NeurIPS, les chercheurs de Google ont montré que l'utilisation d'invites via pareille chaines de pensée progressives pouvait susciter des comportements émergents qui n'avaient pas été identifiés dans l'étude BIG-bench. De telles invites, qui demandent au modèle d'expliquer son raisonnement, peuvent aider les chercheurs à commencer à étudier les raisons pour lesquelles l'émergence se produit.

Selon Ellie Pavlick, informaticienne à l'université Brown qui étudie les modèles computationnels du langage, les découvertes récentes de ce type suggèrent au moins deux possibilités pour expliquer l'émergence. La première est que, comme le suggèrent les comparaisons avec les systèmes biologiques, les grands modèles acquièrent réellement de nouvelles capacités de manière spontanée. "Il se peut très bien que le modèle apprenne quelque chose de fondamentalement nouveau et différent que lorsqu'il était de taille inférieure", a-t-elle déclaré. "C'est ce que nous espérons tous, qu'il y ait un changement fondamental qui se produise lorsque les modèles sont mis à l'échelle.

L'autre possibilité, moins sensationnelle, est que ce qui semble être émergent pourrait être l'aboutissement d'un processus interne, basé sur les statistiques, qui fonctionne par le biais d'un raisonnement de type chaîne de pensée. Les grands LLM peuvent simplement être en train d'apprendre des heuristiques qui sont hors de portée pour ceux qui ont moins de paramètres ou des données de moindre qualité.

Mais, selon elle, pour déterminer laquelle de ces explications est la plus probable, il faut mieux comprendre le fonctionnement des LLM. "Comme nous ne savons pas comment ils fonctionnent sous le capot, nous ne pouvons pas dire laquelle de ces choses se produit.

Pouvoirs imprévisibles et pièges

Demander à ces modèles de s'expliquer pose un problème évident : Ils sont des menteurs notoires. Nous nous appuyons de plus en plus sur ces modèles pour effectuer des travaux de base", a déclaré M. Ganguli, "mais je ne me contente pas de leur faire confiance, je vérifie leur travail". Parmi les nombreux exemples amusants, Google a présenté en février son chatbot d'IA, Bard. Le billet de blog annonçant le nouvel outil montre Bard en train de commettre une erreur factuelle.

L'émergence mène à l'imprévisibilité, et l'imprévisibilité - qui semble augmenter avec l'échelle - rend difficile pour les chercheurs d'anticiper les conséquences d'une utilisation généralisée.

"Il est difficile de savoir à l'avance comment ces modèles seront utilisés ou déployés", a déclaré M. Ganguli. "Et pour étudier les phénomènes émergents, il faut avoir un cas en tête, et on ne sait pas, avant d'avoir étudié l'influence de l'échelle. quelles capacités ou limitations pourraient apparaître.

Dans une analyse des LLM publiée en juin dernier, les chercheurs d'Anthropic ont cherché à savoir si les modèles présentaient certains types de préjugés raciaux ou sociaux, à l'instar de ceux précédemment signalés dans les algorithmes non basés sur les LLM utilisés pour prédire quels anciens criminels sont susceptibles de commettre un nouveau délit. Cette étude a été inspirée par un paradoxe apparent directement lié à l'émergence : Lorsque les modèles améliorent leurs performances en passant à l'échelle supérieure, ils peuvent également augmenter la probabilité de phénomènes imprévisibles, y compris ceux qui pourraient potentiellement conduire à des biais ou à des préjudices.

"Certains comportements nuisibles apparaissent brusquement dans certains modèles", explique M. Ganguli. Il se réfère à une analyse récente des LLM, connue sous le nom de BBQ benchmark, qui a montré que les préjugés sociaux émergent avec un très grand nombre de paramètres. "Les grands modèles deviennent brusquement plus biaisés. Si ce risque n'est pas pris en compte, il pourrait compromettre les sujets de ces modèles."

Mais il propose un contrepoint : Lorsque les chercheurs demandent simplement au modèle de ne pas se fier aux stéréotypes ou aux préjugés sociaux - littéralement en tapant ces instructions - le modèle devient moins biaisé dans ses prédictions et ses réponses. Ce qui suggère que certaines propriétés émergentes pourraient également être utilisées pour réduire les biais. Dans un article publié en février, l'équipe d'Anthropic a présenté un nouveau mode d'"autocorrection morale", dans lequel l'utilisateur incite le programme à être utile, honnête et inoffensif.

Selon M. Ganguli, l'émergence révèle à la fois un potentiel surprenant et un risque imprévisible. Les applications de ces grands LLM prolifèrent déjà, de sorte qu'une meilleure compréhension de cette interaction permettra d'exploiter la diversité des capacités des modèles de langage.

"Nous étudions la manière dont les gens utilisent réellement ces systèmes", a déclaré M. Ganguli. Mais ces utilisateurs sont également en train de bricoler, en permanence. "Nous passons beaucoup de temps à discuter avec nos modèles, et c'est là que nous commençons à avoir une bonne intuition de la confiance ou du manque de confiance.

Auteur: Ornes Stephen

Info: https://www.quantamagazine.org/ - 16 mars 2023. Trad DeepL et MG

[ dialogue ] [ apprentissage automatique ] [ au-delà du jeu d'imitation ] [ dualité ]

 

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symphonie des équations

Des " murmurations " de courbe elliptique découvertes grâce à l'IA prennent leur envol

Les mathématiciens s’efforcent d’expliquer pleinement les comportements inhabituels découverts grâce à l’intelligence artificielle.

(photo - sous le bon angle les courbes elliptiques peuvent se rassembler comme les grands essaims d'oiseaux.)

Les courbes elliptiques font partie des objets les plus séduisants des mathématiques modernes. Elle ne semblent pas compliqués, mais  forment une voie express entre les mathématiques que beaucoup de gens apprennent au lycée et les mathématiques de recherche dans leur forme la plus abstruse. Elles étaient au cœur de la célèbre preuve du dernier théorème de Fermat réalisée par Andrew Wiles dans les années 1990. Ce sont des outils clés de la cryptographie moderne. Et en 2000, le Clay Mathematics Institute a désigné une conjecture sur les statistiques des courbes elliptiques comme l'un des sept " problèmes du prix du millénaire ", chacun d'entre eux étant récompensé d'un million de dollars pour sa solution. Cette hypothèse, formulée pour la première fois par Bryan Birch et Peter Swinnerton-Dyer dans les années 1960, n'a toujours pas été prouvée.

Comprendre les courbes elliptiques est une entreprise aux enjeux élevés qui est au cœur des mathématiques. Ainsi, en 2022, lorsqu’une collaboration transatlantique a utilisé des techniques statistiques et l’intelligence artificielle pour découvrir des modèles complètement inattendus dans les courbes elliptiques, cela a été une contribution bienvenue, bien qu’inattendue. "Ce n'était qu'une question de temps avant que l'apprentissage automatique arrive à notre porte avec quelque chose d'intéressant", a déclaré Peter Sarnak , mathématicien à l'Institute for Advanced Study et à l'Université de Princeton. Au départ, personne ne pouvait expliquer pourquoi les modèles nouvellement découverts existaient. Depuis lors, dans une série d’articles récents, les mathématiciens ont commencé à élucider les raisons derrière ces modèles, surnommés " murmures " en raison de leur ressemblance avec les formes fluides des étourneaux en troupeaux, et ont commencé à prouver qu’ils ne doivent pas se produire uniquement dans des cas particuliers. exemples examinés en 2022, mais dans les courbes elliptiques plus généralement.

L'importance d'être elliptique

Pour comprendre ces modèles, il faut jeter les bases de ce que sont les courbes elliptiques et de la façon dont les mathématiciens les catégorisent.

Une courbe elliptique relie le carré d'une variable, communément écrite comme y , à la troisième puissance d'une autre, communément écrite comme x : 2  =  3  + Ax + B , pour une paire de nombres A et B , tant que A et B remplissent quelques conditions simples. Cette équation définit une courbe qui peut être représentée graphiquement sur le plan, comme indiqué ci-dessous. (Photo : malgré la similitude des noms, une ellipse n'est pas une courbe elliptique.)

Introduction

Bien qu’elles semblent simples, les courbes elliptiques s’avèrent être des outils incroyablement puissants pour les théoriciens des nombres – les mathématiciens qui recherchent des modèles dans les nombres entiers. Au lieu de laisser les variables x et y s'étendre sur tous les nombres, les mathématiciens aiment les limiter à différents systèmes numériques, ce qu'ils appellent définir une courbe " sur " un système numérique donné. Les courbes elliptiques limitées aux nombres rationnels – nombres qui peuvent être écrits sous forme de fractions – sont particulièrement utiles. "Les courbes elliptiques sur les nombres réels ou complexes sont assez ennuyeuses", a déclaré Sarnak. "Seuls les nombres rationnels sont profonds."

Voici une façon qui est vraie. Si vous tracez une ligne droite entre deux points rationnels sur une courbe elliptique, l’endroit où cette ligne coupe à nouveau la courbe sera également rationnel. Vous pouvez utiliser ce fait pour définir " addition " dans une courbe elliptique, comme indiqué ci-dessous. 

(Photo -  Tracez une ligne entre P et Q . Cette ligne coupera la courbe en un troisième point, R . (Les mathématiciens ont une astuce spéciale pour gérer le cas où la ligne ne coupe pas la courbe en ajoutant un " point à l'infini ".) La réflexion de R sur l' axe des x est votre somme P + Q . Avec cette opération d'addition, toutes les solutions de la courbe forment un objet mathématique appelé groupe.)

Les mathématiciens l'utilisent pour définir le " rang " d'une courbe. Le rang d'une courbe est lié au nombre de solutions rationnelles dont elle dispose. Les courbes de rang 0 ont un nombre fini de solutions. Les courbes de rang supérieur ont un nombre infini de solutions dont la relation les unes avec les autres à l'aide de l'opération d'addition est décrite par le rang.

Les classements (rankings) ne sont pas bien compris ; les mathématiciens n'ont pas toujours le moyen de les calculer et ne savent pas quelle taille ils peuvent atteindre. (Le plus grand rang exact connu pour une courbe spécifique est 20.) Des courbes d'apparence similaire peuvent avoir des rangs complètement différents.

Les courbes elliptiques ont aussi beaucoup à voir avec les nombres premiers, qui ne sont divisibles que par 1 et par eux-mêmes. En particulier, les mathématiciens examinent les courbes sur des corps finis – des systèmes d’arithmétique cyclique définis pour chaque nombre premier. Un corps fini est comme une horloge dont le nombre d'heures est égal au nombre premier : si vous continuez à compter vers le haut, les nombres recommencent. Dans le corps fini de 7, par exemple, 5 plus 2 est égal à zéro et 5 plus 3 est égal à 1.

(Photo : Les motifs formés par des milliers de courbes elliptiques présentent une similitude frappante avec les murmures des étourneaux.)

Une courbe elliptique est associée à une séquence de nombres, appelée a p , qui se rapporte au nombre de solutions qu'il existe à la courbe dans le corps fini défini par le nombre premier p . Un p plus petit signifie plus de solutions ; un p plus grand signifie moins de solutions. Bien que le rang soit difficile à calculer, la séquence a p est beaucoup plus simple.

Sur la base de nombreux calculs effectués sur l'un des tout premiers ordinateurs, Birch et Swinnerton-Dyer ont conjecturé une relation entre le rang d'une courbe elliptique et la séquence a p . Quiconque peut prouver qu’il avait raison gagnera un million de dollars et l’immortalité mathématique.

Un modèle surprise émerge

Après le début de la pandémie, Yang-Hui He , chercheur au London Institute for Mathematical Sciences, a décidé de relever de nouveaux défis. Il avait étudié la physique à l'université et avait obtenu son doctorat en physique mathématique du Massachusetts Institute of Technology. Mais il s'intéressait de plus en plus à la théorie des nombres et, étant donné les capacités croissantes de l'intelligence artificielle, il pensait essayer d'utiliser l'IA comme un outil permettant de trouver des modèles inattendus dans les nombres. (Il avait déjà utilisé l'apprentissage automatique pour classifier les variétés de Calabi-Yau , des structures mathématiques largement utilisées en théorie des cordes.

(Photo ) Lorsque Kyu-Hwan Lee (à gauche) et Thomas Oliver (au centre) ont commencé à travailler avec Yang-Hui He (à droite) pour utiliser l'intelligence artificielle afin de trouver des modèles mathématiques, ils s'attendaient à ce que ce soit une plaisanterie plutôt qu'un effort qui mènerait à de nouveaux découvertes. De gauche à droite : Grace Lee ; Sophie Olivier ; gracieuseté de Yang-Hui He.

En août 2020, alors que la pandémie s'aggravait, l'Université de Nottingham l'a accueilli pour une conférence en ligne . Il était pessimiste quant à ses progrès et quant à la possibilité même d’utiliser l’apprentissage automatique pour découvrir de nouvelles mathématiques. "Son récit était que la théorie des nombres était difficile parce qu'on ne pouvait pas apprendre automatiquement des choses en théorie des nombres", a déclaré Thomas Oliver , un mathématicien de l'Université de Westminster, présent dans le public. Comme il se souvient : " Je n'ai rien trouvé parce que je n'étais pas un expert. Je n’utilisais même pas les bons éléments pour examiner cela."

Oliver et Kyu-Hwan Lee , mathématicien à l'Université du Connecticut, ont commencé à travailler avec He. "Nous avons décidé de faire cela simplement pour apprendre ce qu'était l'apprentissage automatique, plutôt que pour étudier sérieusement les mathématiques", a déclaré Oliver. "Mais nous avons rapidement découvert qu'il était possible d'apprendre beaucoup de choses par machine."

Oliver et Lee lui ont suggéré d'appliquer ses techniques pour examiner les fonctions L , des séries infinies étroitement liées aux courbes elliptiques à travers la séquence a p . Ils pourraient utiliser une base de données en ligne de courbes elliptiques et de leurs fonctions L associées , appelée LMFDB , pour former leurs classificateurs d'apprentissage automatique. À l’époque, la base de données contenait un peu plus de 3 millions de courbes elliptiques sur les rationnels. En octobre 2020, ils avaient publié un article utilisant les informations glanées à partir des fonctions L pour prédire une propriété particulière des courbes elliptiques. En novembre, ils ont partagé un autre article utilisant l’apprentissage automatique pour classer d’autres objets en théorie des nombres. En décembre, ils étaient capables de prédire les rangs des courbes elliptiques avec une grande précision.

Mais ils ne savaient pas vraiment pourquoi leurs algorithmes d’apprentissage automatique fonctionnaient si bien. Lee a demandé à son étudiant de premier cycle Alexey Pozdnyakov de voir s'il pouvait comprendre ce qui se passait. En l’occurrence, la LMFDB trie les courbes elliptiques en fonction d’une quantité appelée conducteur, qui résume les informations sur les nombres premiers pour lesquels une courbe ne se comporte pas correctement. Pozdnyakov a donc essayé d’examiner simultanément un grand nombre de courbes comportant des conducteurs similaires – disons toutes les courbes comportant entre 7 500 et 10 000 conducteurs.

Cela représente environ 10 000 courbes au total. Environ la moitié d'entre eux avaient le rang 0 et l'autre moitié le rang 1. (Les rangs supérieurs sont extrêmement rares.) Il a ensuite fait la moyenne des valeurs de a p pour toutes les courbes de rang 0, a fait la moyenne séparément de a p pour toutes les courbes de rang 1 et a tracé la résultats. Les deux ensembles de points formaient deux vagues distinctes et facilement discernables. C’est pourquoi les classificateurs d’apprentissage automatique ont été capables de déterminer correctement le rang de courbes particulières.

" Au début, j'étais simplement heureux d'avoir terminé ma mission", a déclaré Pozdnyakov. "Mais Kyu-Hwan a immédiatement reconnu que ce schéma était surprenant, et c'est à ce moment-là qu'il est devenu vraiment excitant."

Lee et Oliver étaient captivés. "Alexey nous a montré la photo et j'ai dit qu'elle ressemblait à ce que font les oiseaux", a déclaré Oliver. "Et puis Kyu-Hwan l'a recherché et a dit que cela s'appelait une murmuration, puis Yang a dit que nous devrions appeler le journal ' Murmurations de courbes elliptiques '."

Ils ont mis en ligne leur article en avril 2022 et l’ont transmis à une poignée d’autres mathématiciens, s’attendant nerveusement à se faire dire que leur soi-disant « découverte » était bien connue. Oliver a déclaré que la relation était si visible qu'elle aurait dû être remarquée depuis longtemps.

Presque immédiatement, la prépublication a suscité l'intérêt, en particulier de la part d' Andrew Sutherland , chercheur scientifique au MIT et l'un des rédacteurs en chef de la LMFDB. Sutherland s'est rendu compte que 3 millions de courbes elliptiques n'étaient pas suffisantes pour atteindre ses objectifs. Il voulait examiner des gammes de conducteurs beaucoup plus larges pour voir à quel point les murmures étaient robustes. Il a extrait des données d’un autre immense référentiel d’environ 150 millions de courbes elliptiques. Toujours insatisfait, il a ensuite extrait les données d'un autre référentiel contenant 300 millions de courbes.

"Mais même cela ne suffisait pas, j'ai donc calculé un nouvel ensemble de données de plus d'un milliard de courbes elliptiques, et c'est ce que j'ai utilisé pour calculer les images à très haute résolution", a déclaré Sutherland. Les murmures indiquaient s'il effectuait en moyenne plus de 15 000 courbes elliptiques à la fois ou un million à la fois. La forme est restée la même alors qu’il observait les courbes sur des nombres premiers de plus en plus grands, un phénomène appelé invariance d’échelle. Sutherland s'est également rendu compte que les murmures ne sont pas propres aux courbes elliptiques, mais apparaissent également dans des fonctions L plus générales . Il a écrit une lettre résumant ses découvertes et l'a envoyée à Sarnak et Michael Rubinstein de l'Université de Waterloo.

"S'il existe une explication connue, j'espère que vous la connaîtrez", a écrit Sutherland.

Ils ne l'ont pas fait.

Expliquer le modèle

Lee, He et Oliver ont organisé un atelier sur les murmurations en août 2023 à l'Institut de recherche informatique et expérimentale en mathématiques (ICERM) de l'Université Brown. Sarnak et Rubinstein sont venus, tout comme l'étudiante de Sarnak, Nina Zubrilina .

LA THÉORIE DU NOMBRE

Zubrilina a présenté ses recherches sur les modèles de murmuration dans des formes modulaires , des fonctions complexes spéciales qui, comme les courbes elliptiques, sont associées à des fonctions L. Dans les formes modulaires dotées de grands conducteurs, les murmurations convergent vers une courbe nettement définie, plutôt que de former un motif perceptible mais dispersé. Dans un article publié le 11 octobre 2023, Zubrilina a prouvé que ce type de murmuration suit une formule explicite qu'elle a découverte.

" La grande réussite de Nina est qu'elle lui a donné une formule pour cela ; Je l’appelle la formule de densité de murmuration Zubrilina ", a déclaré Sarnak. "En utilisant des mathématiques très sophistiquées, elle a prouvé une formule exacte qui correspond parfaitement aux données."

Sa formule est compliquée, mais Sarnak la salue comme un nouveau type de fonction important, comparable aux fonctions d'Airy qui définissent des solutions aux équations différentielles utilisées dans divers contextes en physique, allant de l'optique à la mécanique quantique.

Bien que la formule de Zubrilina ait été la première, d'autres ont suivi. "Chaque semaine maintenant, un nouvel article sort", a déclaré Sarnak, "utilisant principalement les outils de Zubrilina, expliquant d'autres aspects des murmurations."

(Photo - Nina Zubrilina, qui est sur le point de terminer son doctorat à Princeton, a prouvé une formule qui explique les schémas de murmuration.)

Jonathan Bober , Andrew Booker et Min Lee de l'Université de Bristol, ainsi que David Lowry-Duda de l'ICERM, ont prouvé l'existence d'un type différent de murmuration sous des formes modulaires dans un autre article d'octobre . Et Kyu-Hwan Lee, Oliver et Pozdnyakov ont prouvé l'existence de murmures dans des objets appelés caractères de Dirichlet qui sont étroitement liés aux fonctions L.

Sutherland a été impressionné par la dose considérable de chance qui a conduit à la découverte des murmurations. Si les données de la courbe elliptique n'avaient pas été classées par conducteur, les murmures auraient disparu. "Ils ont eu la chance de récupérer les données de la LMFDB, qui étaient pré-triées selon le chef d'orchestre", a-t-il déclaré. « C'est ce qui relie une courbe elliptique à la forme modulaire correspondante, mais ce n'est pas du tout évident. … Deux courbes dont les équations semblent très similaires peuvent avoir des conducteurs très différents. Par exemple, Sutherland a noté que 2 = 3 – 11 x + 6 a un conducteur 17, mais en retournant le signe moins en signe plus, 2 = 3  + 11 x + 6 a un conducteur 100 736.

Même alors, les murmures n'ont été découverts qu'en raison de l'inexpérience de Pozdniakov. "Je ne pense pas que nous l'aurions trouvé sans lui", a déclaré Oliver, "parce que les experts normalisent traditionnellement a p pour avoir une valeur absolue de 1. Mais il ne les a pas normalisés… donc les oscillations étaient très importantes et visibles."

Les modèles statistiques que les algorithmes d’IA utilisent pour trier les courbes elliptiques par rang existent dans un espace de paramètres comportant des centaines de dimensions – trop nombreuses pour que les gens puissent les trier dans leur esprit, et encore moins les visualiser, a noté Oliver. Mais même si l’apprentissage automatique a découvert les oscillations cachées, " ce n’est que plus tard que nous avons compris qu’il s’agissait de murmures ".



 

Auteur: Internet

Info: Paul Chaikin pour Quanta Magazine, 5 mars 2024 - https://www.quantamagazine.org/elliptic-curve-murmurations-found-with-ai-take-flight-20240305/?mc_cid=797b7d1aad&mc_eid=78bedba296

[ résonance des algorithmes ] [ statistiques en mouvement ] [ chants des fractales ] [ bancs de poissons ]

 

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monde covidien

Paniques anticomplotistes

Si Hold-up n’avait pas existé, les anticomplotistes l’auraient inventé. C’est le produit parfait, le bloc de complotisme-étalon en platine iridié, déposé au Pavillon de Breteuil à Sèvres.(...)

Le torrent de commentaires qu’a immédiatement suscité la diffusion du documentaire est sans doute le premier signe qui trahit la fébrilité — du temps a passé depuis le mépris et les ricanements. Si encore il n’y avait que la quantité. Mais il faut voir la "qualité". C’est peut-être là le trait le plus caractéristique de l’épisode "Hold-up" que toutes les réactions médiatiques ou expertes suscitée par le documentaire ne font que reconduire les causes qui l’ont rendu possible. Les fortes analyses reprises à peu près partout ont d’abord fait assaut de savoirs professionnels par des professionnels : "la musique" — inquiétante (la musique complotiste est toujours inquiétante), le format "interviews d’experts sur fond sombre" (le complotisme est sombre), "le montage" (le montage… monte ?). C’est-à-dire, en fait, les ficelles ordinaires, et grossières, de tous les reportages de M6, TF1, LCI, BFM, France 2, etc. Et c’est bien parce que l’habitude de la bouillie de pensée a été installée de très longue date par ces formats médiatiques que les spectateurs de documentaires complotistes ne souffrent d’aucun dépaysement, se trouvent d’emblée en terrain formel connu, parfaitement réceptifs... et auront du mal à comprendre que ce qui est standard professionnel ici devienne honteuse manipulation là.

Complotistes ou décrypteurs ?

Mais les médias ont passé ce point d’inquiétude où l’on sent bien qu’on ne peut plus se contenter de la stigmatisation des cinglés. L’urgence maintenant c’est de comprendre — hélas en partant de si loin, et avec si peu de moyens. Alors la science médiatique-complotologique pioche pour refaire son retard, et tout y passe. Il y a d’abord, nous dit très sérieusement Nicolas Celnik dans Libération (lui aussi a compris qu’il ne fallait plus se moquer, alors il écrit une "Lettre à (son) ami complotiste"), que l’un des ressorts positifs des adeptes de complots vient de "l’impression d’avoir découvert ce qui devait rester caché". Mais Nicolas Celnik sait-il que le vocable princeps de l’idéologie journalistique est "décrypter", ce qui, si l’on suit bien l’étymologie, signifie, précisément, mettre à découvert ce qui était caché. Il n’est pas un organe de presse qui ne s’enorgueillisse de ses "décryptages". (...)

Le décryptage autorisé a toujours consisté en cette forme particulière de recryptage, mais ici tout à fait inconsciente

Ici le parallélisme manifestement inaperçu entre les îlotes tentant de "découvrir ce qui devrait rester caché" et l’aristocratie des "décrypteurs" se complique de ce que le décryptage autorisé n’a jamais rien décrypté, qu’il a même toujours consisté en cette forme particulière de recryptage, mais ici tout à fait inconsciente, en quoi consiste le catéchisme néolibéral. Il suffit d’écouter un "décrypteur" livrer aux masses abruties qu’il a la bonté d’éclairer le sens profond de la suppression de l’ISF, de la réduction de la dette publique ou du démantèlement du code du travail pour être au clair sur ce que "décrypter" signifie réellement — à savoir voiler dans les catégories de la pensée néolibérale. "Décrypter", c’est avoir admis que les gueux ne se contentent plus d’une simple injonction, et entreprendre de leur en donner les bonnes raisons. Par exemple : "il faut supprimer l’ISF sinon les cerveaux partiront" — là c’est décrypté ; "il faut réduire la fiscalité du capital pour financer nos entreprises" (tout est clair) ; "il faut fermer des lits pour que l’hôpital soit agile" (décryptage de qualité : qui voudrait d’un hôpital podagre ou arthritique ? on comprend) ; "il faut réduire les dépenses publiques pour ne pas laisser la dette à nos enfants" (clarté économique, clarté morale), etc.

C’est très exaltant pour un journaliste de décrypter, ça donne un grand sentiment d’utilité sociale, c’est comme une charité démocratique. Les gueux ne pouvaient pas apercevoir tout ça, ça leur restait donc crypté — du coup on le leur décrypte. Décrypter, c’est faire comprendre aux intéressés ce qu’on va leur faire, pourquoi c’est nécessaire, et pourquoi c’est bon pour eux. (...)

Les complotistes en tout cas ont parfaitement reçu le message du "décryptage", à ceci près qu’à force de s’entendre administrer par d’autres un sens inaperçu du monde qui les bousille en leur expliquant qu’il est le meilleur possible, ils ont entrepris de s’en chercher un autre par eux-mêmes. Ça ne donne sans doute pas des résultats bien fameux — mais à décrypteur, décrypteur et demi. C’est le "décryptage" lui-même qui, pour permettre aux journalistes de faire les entendus, a installé l’idée qu’il y avait quelque chose à aller chercher dessous. Les complotistes les prennent au mot, à ceci près que le quelque chose des décrypteurs étant toujours la même chose, eux se mettent en devoir d’aller chercher autre chose.

Cérébroscopie des complotistes

Alors on va chercher pourquoi l’autodécryptage des gueux décrypte de travers. Ici la science complotologique est à son meilleur. Comme les sciences les plus avancées, elle isole des "effets". Par exemple la physique connaît "l’effet Compton", "l’effet Doppler", "l’effet Einstein". La complotologie, pour sa part dispose de l’effet "millefeuille argumentatif". Impossible d’ouvrir un article sur Hold-up sans avoir à manger du millefeuille (argumentatif) — une feuille de vrai, une feuille de faux, une feuille de vrai... Un journaliste de Mediapart va plus loin et pose gravement la question : "pourquoi nos cerveaux sont-ils si perméables" (à l’aberration complotiste) ? "Nos" : pas de discrimination offensante. "Cerveaux" : parce que c’est là-dedans que ça se passe. La réception du complotisme, c’est une affaire "dans le cerveau". Un psychologue social, dont la psychologie sociale n’a plus rien de social (mais c’est la grande tendance de la psychologie sociale) saisit aussitôt la perche du "cerveau" : comme une invitation faite aux sciences cognitives et à leur panacée explicative : le biais. Pourquoi le "cerveau" (des complotistes) erre-t-il ? Parce qu’il est en proie à des biais (cognitifs) — marche aussi avec "pourquoi votre fille est muette" : elle est en proie à des biais (auditifs). Après le biais pâtissier (celui du millefeuille — particulièrement traître avec toute cette crème, on ne sait plus si on mange des feuilles vraies ou des feuilles fausses), le biais de confirmation, puis le biais d’intentionnalité (à qui profite le crime ?), etc. De ce qu’il y a des biais, il résulte que la pensée n’est pas droite. C’est scientifique, on a bien avancé.

(...)

Les paroles institutionnelles en ruines

Voilà donc où en est la "compréhension" du fait complotiste dans les médias assistés de leurs experts satellites. D’où naît irrésistiblement un désir de compréhension de cette "compréhension", ou plutôt de cette incompréhension, de cette compréhension tronquée sur l’essentiel. En réalité, que la formation des opinions reprenne toute liberté, pour le meilleur et pour le pire, quand l’autorité des paroles institutionnelles est à terre, ça n’a pas grand-chose de surprenant. Mais pourquoi l’autorité des paroles institutionnelles est-elle à terre ? C’est la question à laquelle les paroles institutionnelles ont le moins envie de répondre. On les comprend : l’examen de conscience promet d’être douloureux, autant s’en dispenser — et maintenir le problème bien circonscrit au cerveau des complotistes.

Mais pourquoi l’autorité des paroles institutionnelles est-elle à terre ? C’est la question à laquelle les paroles institutionnelles ont le moins envie de répondre

C’est que l’autorité des paroles institutionnelles n’a pas été effondrée du dehors par quelque choc exogène adverse : elle s’est auto-effondrée, sous le poids de tous ses manquements. À commencer par le mensonge des institutions de pouvoir. Les institutions de pouvoir mentent. Mediator : Servier ment. Dépakine : Sanofi ment. Bridgestone : Bridgetsone ment. 20 milliards de CICE pour créer un million d’emplois : le Medef ment. Mais aussi : Lubrizol, les pouvoirs publics mentent ; nucléaire, tout est sûr : les nucléocrates mentent. Loi de programmation de la recherche : Vidal ment (mais à un point extravagant). Violences policières, alors là, la fête : procureurs, préfecture, IGPN, ministres, président de la République, tout le monde ment, et avec une obscénité resplendissante qui ajoute beaucoup. Covid : hors-concours.

Le capitalisme néolibéral a déchaîné les intérêts les plus puissants, or là où les intérêts croissent, la vérité trépasse. C’est qu’il faut bien accommoder la contradiction entre des politiques publiques forcenées et l’effet qu’elles font aux gens. Or pour combler ce genre d’écart, quand on a décidé de ne pas toucher aux causes de l’écart, il n’y a que le secours des mots. Alors on arrose généreusement avec du discours. Au début on fait de la "pédagogie", on "décrypte". Et puis quand le décryptage ne marche plus, il ne reste plus qu’à mentir — à soutenir que ce qui est n’est pas ("la police républicaine ne se cagoule pas, elle agit à visage découvert"), ou que ce qui n’est pas est (on ferme des lits pour améliorer l’accueil des malades). Quand il n’est pas pure et simple répression, le néolibéralisme finissant n’est plus qu’une piscine de mensonge. Nous baignons là-dedans. C’est devenu une habitude, et en même temps on ne s’y habitue pas. Vient forcément le moment où l’autorité de la parole institutionnelle s’effondre parce que l’écart entre ce qu’elle dit et ce que les gens expérimentent n’est plus soutenable d’aucune manière.

Alors ça part en glissement de terrain, et tout s’en va avec, notamment les médias d’accompagnement, précisément parce qu’ils auront accompagné, trop accompagné, pendant trop longtemps. Ils auront tant répété, tant ratifié, se seront tant empressés. Les complotistes voient l’esprit critique de la presse se réarmer dans la journée même de la parution d’un documentaire. Mais, en matière d’esprit critique, ils se souviennent aussitôt des interviews de Léa Salamé, de Macron interrogé par TF1-France2-BFM, de la soupe servie à la louche argentée, de la parole gouvernementale outrageusement mensongère mais jamais reprise comme telle, ils se souviennent de deux mois d’occultation totale des violences policières contre les "gilets jaunes", ils se souviennent du journalisme de préfecture qui a si longtemps débité tels quels les communiqués de Beauvau, certifié l’envahissement de la Salpêtrière par des casseurs.(...) C’est long trente ans à ce régime, pendant que le chômage, la précarité, les inégalités, les suicides et les services publics explosent. Ça en fait du travail de sape dans les esprits.

En fait c’est très simple : pourquoi les paroles institutionnelles s’effondrent-elles ? Parce que, dans le temps même où elles présidaient au délabrement de la société, elles auront, chacune dans leur genre, ou trop menti, ou trop couvert, ou trop laissé passer, ou trop regardé ailleurs, ou trop léché, que ça s’est trop vu, et qu’à un moment, ça se paye. Le complotisme en roue libre, c’est le moment de l’addition. Il faut vraiment être journaliste, ou expert de Conspiracy Watch pour ne pas voir ça. Trente ans de ruine à petit feu de l’autorité institutionnelle, et puis un beau jour, l’immeuble entier qui s’effondre : le discrédit. Mais normalement on sait ça : le crédit détruit, ne se reconstruit pas rapidement. Maintenant, il y a les ruines, et il va falloir faire au milieu des gravats pour un moment. On comprend que la plupart des médias, qui comptent au nombre des gravats, ne se résolvent pas à regarder le tableau. C’est bien pourquoi il fallait faire aussitôt un hold-up sur Hold-up : pour en fixer la "compréhension", et qu’elle ne s’en aille surtout pas ailleurs.

Rééducation et bienveillance

En attendant, la soupe est renversée et on a les complotistes sur les bras. Comment faire ? On a compris que l’heure de les traiter de cinglés était passée et qu’il urge de trouver autre chose pour endiguer la marée. Mais quoi ? Dans l’immédiat, pas grand-chose hélas, en tout cas pas ça. Il va falloir se faire à l’idée que la ruine des constructions de longue période, comme le crédit fait à la parole institutionnelle, ne se répare que par des reconstructions de longue période (par exemple, la destruction présente de la chaîne éducation-recherche prendra des décennies à être surmontée). Tant que la phalange anticomplotiste continuera d’apparaître telle qu’elle est, c’est-à-dire soudée au bloc des pouvoirs, le crédit de l’ensemble restera à zéro. En réalité, tant que la masse "médias" ne se fragmentera pas, tant que ne s’en détachera pas une fraction significative, qui rompe avec la position globale de ratification de l’ordre néolibéral et de déférence à l’endroit de tous ses pouvoirs, les clients du complotisme continueront de n’y voir qu’un appareil homogène de propagande — et d’aller chercher "ailleurs". Les gens ne vont chercher un "ailleurs" au-dehors que lorsque le champ institutionnel a échoué à aménager un "ailleurs" au-dedans. Mais quel aggiornamento, quelles révisions déchirantes, cette rupture, maintenant, ne suppose-t-elle pas ?

Pour l’heure, incapable, la parole autorisée cherche fébrilement quelque autre ressource — mais forcément au voisinage de ses formes de pensée invétérées. Idée de génie et redéploiement pédagogique : on va aller leur parler. Mais gentiment cette fois. On va leur écrire des lettres, en leur disant qu’ils sont nos amis — c’est donc la version Libération. Il y a celle du Monde. Si l’ambiance générale n’était pas si flippante, ce serait à se rouler par terre de rire. Tout y est. On va chercher Valérie Igounet de Conspiracy Watch — on avait l’habitude jusqu’ici de Rudy Reichstadt mais lui est trop épais, c’était l’anticomplotisme première manière, maintenant on ne peut plus le sortir. Dans la saison 2, ça donne : "Il faut réfuter par des faits, décrypter, mais sans être dans l’accusation ou la moquerie". Voilà la solution : tout dans l’onctueux, l’humain et la bienveillance — on est excellemment partis. "On est sur un fil", ajoute quand même l’experte dans un souffle. Tu l’as dit Valérie.

Tristan Mendès-France, lui, explique à peu de choses près qu’on a le stock des zinzins sur les bras et qu’avec eux, c’est foutu, il faudra faire avec. Mais que tout notre effort doit aller à enrayer les nouveaux recrutements : "il faut viser les primo-arrivants, faire de la prévention". Valérie Igounet a déjà commencé : elle mène, nous explique Le Monde, "de nombreux ateliers avec l’Observatoire du complotisme auprès d’enfants" — il faut prendre les "primo-arrivants" de loin. Tout le problème de l’anticomplotisme, c’est qu’il peut prononcer l’âme claire une phrase pareille qui, normalement, devrait faire froid dans le dos. Qu’on n’aille pas croire à une embardée individuelle : c’est la ligne générale. Le nouvel expert gyroscopique — il tourne sur à peu près tous les médias, France Culture, Le Monde, Regards —, Thomas Huchon, pense également qu’il faut "faire de l’éducation aux médias (…) en gros de la prévention pour vacciner contre l’épidémie de “fake news”". On se croirait au point de presse de Jérôme Salomon, et ça n’est pas un hasard. Car c’est cela qu’on trouve dans une tête d’anticomplotiste : des images de bacilles, de prophylaxie et de cordon sanitaire. De politique ? Aucunement. Ça n’est pas une affaire de politique, ou de discours politique : c’est une affaire médicale.

On voit d’ici à quoi pourra ressembler "l’éducation", ou plutôt la rééducation, aux médias. L’essentiel est que l’analyse du complotisme soit ramenée à son cadre : d’un côté le pathologique, de l’autre le pédagogique. Et puis, dans le camp-école réaménagé, les éducateurs, nous est-il désormais garanti, seront pleins d’empathie et d’écoute : "la diffusion du complotisme, conclut l’article du Monde, pose un défi à une multitude d’acteurs qui doivent plus que jamais prendre le temps d’expliquer, de démontrer, sans ostraciser ni caricaturer". De ne rien comprendre à ce point, c’en est extravagant. Finalement, rien n’a bougé d’un iota, le complotisme a encore de beaux jours devant lui. On se croirait revenu dans Tintin au Congo, mais où on aurait rappelé les missionnaires pour leur faire faire une UV de psycho avant de les renvoyer sur le terrain : "Nous n’économiserons ni notre patience ni notre bonté pour vous faire apercevoir que les esprits de la forêt n’existent pas. Puisque ce qui existe, c’est Dieu". 

Auteur: Lordon Fredéric

Info: https://blog.mondediplo.net/paniques-anticomplotistes, 25 nov 2020

[ contre-mesures sémantiques ]

 

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évolution technologique

Intelligence artificielle ou stupidité réelle ?

Bien que le battage médiatique augmente la sensibilisation à l'IA, il facilite également certaines activités assez stupides et peut distraire les gens de la plupart des progrès réels qui sont réalisés.
Distinguer la réalité des manchettes plus dramatiques promet d'offrir des avantages importants aux investisseurs, aux entrepreneurs et aux consommateurs.

L'intelligence artificielle a acquis sa notoriété récente en grande partie grâce à des succès très médiatisés tels que la victoire d'IBM Watson à Jeopardy et celle de Google AlphaGo qui a battu le champion du monde au jeu "Go". Waymo, Tesla et d'autres ont également fait de grands progrès avec les véhicules auto-propulsés. Richard Waters a rendu compte de l'étendue des applications de l'IA dans le Financial Times : "S'il y a un message unificateur qui sous-tend la technologie grand public exposée [au Consumer Electronics Show] .... c'est : "L'IA partout."

Les succès retentissants de l'IA ont également capturé l'imagination des gens à un tel point que cela a suscité d'autres efforts d'envergure. Un exemple instructif a été documenté par Thomas H. Davenport et Rajeev Ronanki dans le Harvard Business Review. Ils écrirent, "En 2013, le MD Anderson Cancer Center a lancé un projet ""Moon shot " : diagnostiquer et recommander des plans de traitement pour certaines formes de cancer en utilisant le système cognitif Watson d'IBM". Malheureusement, ce système n'a pas fonctionné et en 2017 le projet fut mis en veilleuse après avoir coûté plus de 62 millions de dollars sans avoir été utilisé pour les patients.

Waters a également abordé un autre message, celui des attentes modérées. En ce qui concerne les "assistants personnels à commande vocale", note-t-elle, "on ne sait pas encore si la technologie est capable de remplacer le smartphone pour naviguer dans le monde numérique autrement autrement que pour écouter de la musique ou vérifier les nouvelles et la météo".

D'autres exemples de prévisions modérées abondent. Generva Allen du Baylor College of Medicine et de l'Université Rice a avertit , "Je ne ferais pas confiance à une très grande partie des découvertes actuellement faites qui utilisent des techniques de machine learning appliquées à de grands ensembles de données". Le problème, c'est que bon nombre des techniques sont conçues pour fournir des réponses précises et que la recherche comporte des incertitudes. Elle a précisé : "Parfois, il serait beaucoup plus utile qu'ils reconnaissent que certains sont vraiment consolidés, mais qu'on est pas sûr pour beaucoup d'autres".

Pire encore, dans les cas extrêmes, l'IA n'est pas seulement sous-performante ; elle n'a même pas encore été mise en œuvre. Le FT rapporte, "Quatre jeunes entreprises européennes sur dix n'utilisent aucun programme d'intelligence artificielle dans leurs produits, selon un rapport qui souligne le battage publicitaire autour de cette technologie.

Les cycles d'attentes excessives suivies de vagues de déception ne sont pas surprenants pour ceux qui ont côtoyé l'intelligence artificielle pendant un certain temps. Ils savent que ce n'est pas le premier rodéo de l'IA. En effet, une grande partie du travail conceptuel date des années 1950. D'ailleurs, en passant en revue certaines de mes notes récentes je suis tombé sur une pièce qui explorait les réseaux neuronaux dans le but de choisir des actions - datant de 1993.

La meilleure façon d'avoir une perspective sur l'IA est d'aller directement à la source et Martin Ford nous en donne l'occasion dans son livre, Architects of Intelligence. Organisé sous la forme d'une succession d'entrevues avec des chercheurs, des universitaires et des entrepreneurs de premier plan de l'industrie, le livre présente un historique utile de l'IA et met en lumière les principaux courants de pensée.

Deux perspectives importantes se dégagent de ce livre.

La première est qu'en dépit des origines et des personnalités disparates des personnes interrogées, il existe un large consensus sur des sujets importants.

L'autre est qu'un grand nombre des priorités et des préoccupations des principales recherches sur l'IA sont bien différentes de celles exprimées dans les médias grand public.

Prenons par exemple le concept d'intelligence générale artificielle (AGI). Qui est étroitement lié à la notion de "singularité" ce point où l'IA rejoindra celle de l'homme - avant un dépassement massif de cette dernière. Cette idée et d'autres ont suscité des préoccupations au sujet de l'IA, tout comme les pertes massives d'emplois, les drones tueurs et une foule d'autres manifestations alarmantes.

Les principaux chercheurs en AI ont des points de vue très différents ; ils ne sont pas du tout perturbés par l'AGI et autres alarmismes.

Geoffrey Hinton, professeur d'informatique à l'Université de Toronto et vice-président et chercheur chez Google, dit : "Si votre question est : Quand allons-nous obtenir un commandant-docteur Data (comme dans Star Trek ) je ne crois pas que ce sera comme çà que ça va se faire. Je ne pense pas qu'on aura des programmes uniques et généralistes comme ça."

Yoshua Bengio, professeur d'informatique et de recherche opérationnelle à l'Université de Montréal, nous dit qu'il y a des problèmes très difficiles et que nous sommes très loin de l'IA au niveau humain. Il ajoute : "Nous sommes tous excités parce que nous avons fait beaucoup de progrès dans cette ascension, mais en nous approchant du sommet, nous apercevons d'autres collines qui s'élèvent devant nous au fur et à mesure".

Barbara Grosz, professeur de sciences naturelles à l'Université de Harvard : "Je ne pense pas que l'AGI soit la bonne direction à prendre". Elle soutient que la poursuite de l'AGI (et la gestion de ses conséquences) sont si loin dans l'avenir qu'elles ne sont que "distraction".

Un autre fil conducteur des recherches sur l'IA est la croyance que l'IA devrait être utilisée pour améliorer le travail humain plutôt que le remplacer.

Cynthia Breazeal, directrice du groupe de robots personnels du laboratoire de médias du MIT, aborde la question : "La question est de savoir quelle est la synergie, quelle est la complémentarité, quelle est l'amélioration qui permet d'étendre nos capacités humaines en termes d'objectifs, ce qui nous permet d'avoir vraiment un plus grand impact dans le monde, avec l'IA."

Fei-Fei Li, professeur d'informatique à Stanford et scientifique en chef pour Google Cloud dit lui : "L'IA en tant que technologie a énormément de potentiel pour valoriser et améliorer le travail, sans le remplacer".

James Manyika, président du conseil et directeur du McKinsey Global Institute, fait remarquer que puisque 60 % des professions ont environ un tiers de leurs activités qui sont automatisables et que seulement environ 10 % des professions ont plus de 90 % automatisables, "beaucoup plus de professions seront complétées ou augmentées par des technologies qu'elles ne seront remplacées".

De plus, l'IA ne peut améliorer le travail humain que si elle peut travailler efficacement de concert avec lui.

Barbara Grosz fait remarquer : "J'ai dit à un moment donné que 'les systèmes d'IA sont meilleurs s'ils sont conçus en pensant aux gens'". Je recommande que nous visions à construire un système qui soit un bon partenaire d'équipe et qui fonctionne si bien avec nous que nous ne nous rendions pas compte qu'il n'est pas humain".

David Ferrucci, fondateur d'Elemental Cognition et directeur d'IA appliquée chez Bridgewater Associates, déclare : " L'avenir que nous envisageons chez Elemental Cognition repose sur une collaboration étroite et fluide entre l'intelligence humaine et la machine. "Nous pensons que c'est un partenariat de pensée." Yoshua Bengio nous rappelle cependant les défis à relever pour former un tel partenariat : "Il ne s'agit pas seulement de la précision [avec l'IA], il s'agit de comprendre le contexte humain, et les ordinateurs n'ont absolument aucun indice à ce sujet."

Il est intéressant de constater qu'il y a beaucoup de consensus sur des idées clés telles que l'AGI n'est pas un objectif particulièrement utile en ce moment, l'IA devrait être utilisée pour améliorer et non remplacer le travail et l'IA devrait fonctionner en collaboration avec des personnes. Il est également intéressant de constater que ces mêmes leçons sont confirmées par l'expérience des entreprises.

Richard Waters décrit comment les implémentations de l'intelligence artificielle en sont encore à un stade assez rudimentaire.

Éliminez les recherches qui monopolisent les gros titres (un ordinateur qui peut battre les humains au Go !) et la technologie demeure à un stade très primaire .

Mais au-delà de cette "consumérisation" de l'IT, qui a mis davantage d'outils faciles à utiliser entre les mains, la refonte des systèmes et processus internes dans une entreprise demande beaucoup de travail.

Ce gros travail prend du temps et peu d'entreprises semblent présentes sur le terrain. Ginni Rometty, responsable d'IBM, qualifie les applications de ses clients d'"actes aléatoires du numérique" et qualifie nombre de projets de "hit and miss". (ratages). Andrew Moore, responsable de l'intelligence artificielle pour les activités de Google Cloud business, la décrit comme "intelligence artificielle artisanale". Rometty explique : "Ils ont tendance à partir d'un ensemble de données isolé ou d'un cas d'utilisation - comme la rationalisation des interactions avec un groupe particulier de clients. Tout ceci n'est pas lié aux systèmes, données ou flux de travail plus profonds d'une entreprise, ce qui limite leur impact."

Bien que le cas HBR du MD Anderson Cancer Center soit un bon exemple d'un projet d'IA "au clair de lune "qui a probablement dépassé les bornes, cela fournit également une excellente indication des types de travail que l'IA peut améliorer de façon significative. En même temps que le centre essayait d'appliquer l'IA au traitement du cancer, son "groupe informatique expérimentait l'utilisation des technologies cognitives pour des tâches beaucoup moins ambitieuses, telles que faire des recommandations d'hôtels et de restaurants pour les familles des patients, déterminer quels patients avaient besoin d'aide pour payer leurs factures, et résoudre les problèmes informatiques du personnel".

Dans cette entreprise, le centre a eu de bien meilleures expériences : "Les nouveaux systèmes ont contribué à accroître la satisfaction des patients, à améliorer le rendement financier et à réduire le temps consacré à la saisie fastidieuse des données par les gestionnaires de soins de l'hôpital. De telles fonctions banales ne sont peut-être pas exactement du ressort de Terminator, mais elles sont quand même importantes.

Optimiser l'IA dans le but d'augmenter le travail en collaborant avec les humains était également le point central d'une pièce de H. James Wilson et Paul R. Daugherty "HBRpiece". Ils soulignent : "Certes, de nombreuses entreprises ont utilisé l'intelligence artificielle pour automatiser leurs processus, mais celles qui l'utilisent principalement pour déplacer leurs employés ne verront que des gains de productivité à court terme. Grâce à cette intelligence collaborative, l'homme et l'IA renforcent activement les forces complémentaires de l'autre : le leadership, le travail d'équipe, la créativité et les compétences sociales de la première, la rapidité, l'évolutivité et les capacités quantitatives de la seconde".

Wilson et Daugherty précisent : "Pour tirer pleinement parti de cette collaboration, les entreprises doivent comprendre comment les humains peuvent le plus efficacement augmenter les machines, comment les machines peuvent améliorer ce que les humains font le mieux, et comment redéfinir les processus commerciaux pour soutenir le partenariat". Cela demande beaucoup de travail et cela va bien au-delà du simple fait de balancer un système d'IA dans un environnement de travail préexistant.

Les idées des principaux chercheurs en intelligence artificielle, combinées aux réalités des applications du monde réel, offrent des implications utiles. La première est que l'IA est une arme à double tranchant : le battage médiatique peut causer des distractions et une mauvaise attribution, mais les capacités sont trop importantes pour les ignorer.

Ben Hunt discute des rôles de la propriété intellectuelle (PI) et de l'intelligence artificielle dans le secteur des investissements, et ses commentaires sont largement pertinents pour d'autres secteurs. Il note : "L'utilité de la propriété intellectuelle pour préserver le pouvoir de fixation des prix est beaucoup moins fonction de la meilleure stratégie que la PI vous aide à établir, et beaucoup plus fonction de la façon dont la propriété intellectuelle s'intègre dans le l'esprit du temps (Zeitgeist) dominant dans votre secteur.

Il poursuit en expliquant que le "POURQUOI" de votre PI doit "répondre aux attentes de vos clients quant au fonctionnement de la PI" afin de protéger votre produit. Si vous ne correspondez pas à l'esprit du temps, personne ne croira que les murs de votre château existent, même si c'est le cas". Dans le domaine de l'investissement (et bien d'autres encore), "PERSONNE ne considère plus le cerveau humain comme une propriété intellectuelle défendable. Personne." En d'autres termes, si vous n'utilisez pas l'IA, vous n'obtiendrez pas de pouvoir de fixation des prix, quels que soient les résultats réels.

Cela fait allusion à un problème encore plus grave avec l'IA : trop de gens ne sont tout simplement pas prêts à y faire face.

Daniela Rus, directrice du laboratoire d'informatique et d'intelligence artificielle (CSAIL) du MIT déclare : "Je veux être une optimiste technologique. Je tiens à dire que je vois la technologie comme quelque chose qui a le potentiel énorme d'unir les gens plutôt que les diviser, et de les autonomiser plutôt que de les désolidariser. Mais pour y parvenir, nous devons faire progresser la science et l'ingénierie afin de rendre la technologie plus performante et plus utilisable." Nous devons revoir notre façon d'éduquer les gens afin de nous assurer que tous ont les outils et les compétences nécessaires pour tirer parti de la technologie.

Yann Lecun ajoute : "Nous n'aurons pas de large diffusion de la technologie de l'IA à moins qu'une proportion importante de la population ne soit formée pour en tirer parti ".

Cynthia Breazeal répéte : "Dans une société de plus en plus alimentée par l'IA, nous avons besoin d'une société alphabétisée à l'IA."

Ce ne sont pas non plus des déclarations creuses ; il existe une vaste gamme de matériel d'apprentissage gratuit pour l'IA disponible en ligne pour encourager la participation sur le terrain.

Si la société ne rattrape pas la réalité de l'IA, il y aura des conséquences.

Brezeal note : "Les craintes des gens à propos de l'IA peuvent être manipulées parce qu'ils ne la comprennent pas."

Lecun souligne : " Il y a une concentration du pouvoir. À l'heure actuelle, la recherche sur l'IA est très publique et ouverte, mais à l'heure actuelle, elle est largement déployée par un nombre relativement restreint d'entreprises. Il faudra un certain temps avant que ce ne soit utilisé par une plus grande partie de l'économie et c'est une redistribution des cartes du pouvoir."

Hinton souligne une autre conséquence : "Le problème se situe au niveau des systèmes sociaux et la question de savoir si nous allons avoir un système social qui partage équitablement... Tout cela n'a rien à voir avec la technologie".

À bien des égards, l'IA est donc un signal d'alarme. En raison de l'interrelation unique de l'IA avec l'humanité, l'IA a tendance à faire ressortir ses meilleurs et ses pires éléments. Certes, des progrès considérables sont réalisés sur le plan technologique, ce qui promet de fournir des outils toujours plus puissants pour résoudre des problèmes difficiles. Cependant, ces promesses sont également limitées par la capacité des gens, et de la société dans son ensemble, d'adopter les outils d'IA et de les déployer de manière efficace.

Des preuves récentes suggèrent que nous avons du pain sur la planche pour nous préparer à une société améliorée par l'IA. Dans un cas rapporté par le FT, UBS a créé des "algorithmes de recommandation" (tels que ceux utilisés par Netflix pour les films) afin de proposer des transactions pour ses clients. Bien que la technologie existe, il est difficile de comprendre en quoi cette application est utile à la société, même de loin.

Dans un autre cas, Richard Waters nous rappelle : "Cela fait presque dix ans, par exemple, que Google a fait trembler le monde de l'automobile avec son premier prototype de voiture autopropulsée". Il continue : "La première vague de la technologie des voitures sans conducteur est presque prête à faire son entrée sur le marché, mais certains constructeurs automobiles et sociétés de technologie ne semblent plus aussi désireux de faire le grand saut. Bref, ils sont menacés parce que la technologie actuelle est à "un niveau d'autonomie qui fait peur aux constructeurs automobiles, mais qui fait aussi peur aux législateurs et aux régulateurs".

En résumé, que vous soyez investisseur, homme d'affaires, employé ou consommateur, l'IA a le potentiel de rendre les choses bien meilleures - et bien pires. Afin de tirer le meilleur parti de cette opportunité, un effort actif axé sur l'éducation est un excellent point de départ. Pour que les promesses d'AI se concrétisent, il faudra aussi déployer beaucoup d'efforts pour mettre en place des infrastructures de systèmes et cartographier les forces complémentaires. En d'autres termes, il est préférable de considérer l'IA comme un long voyage plutôt que comme une destination à court terme.

Auteur: Internet

Info: Zero Hedge, Ven, 03/15/2019 - 21:10

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Ajouté à la BD par miguel