Citation
Catégorie
Tag – étiquette
Auteur
Info



nb max de mots
nb min de mots
trier par
Dictionnaire analogique intriqué pour extraits. Recherche mots ou phrases tous azimuts. Aussi outil de précision sémantique et de réflexion communautaire. Voir la rubrique mode d'emploi. Jetez un oeil à la colonne "chaînes". ATTENTION, faire une REINITIALISATION après  une recherche complexe. Et utilisez le nuage de corrélats !!!!..... Lire la suite >>
Résultat(s): 7
Temps de recherche: 0.0441s

vacuité

Le silence, un des plus doux cadeau du ciel dans ce monde tapageur ! Le silence, l'horizon contre lequel seule la musique assume le contour et la signification.

Auteur: Hindemith Paul

Info:

[ contraste ]

 

Commentaires: 0

ambiance

Le ravin débordait les jours de grosses pluies. Dans son eau frissonnante des nuages couraient comme des bribes de pensées.

Et de l'autre coté du ravin s'étendaient des terres marécageuses où se rassemblaient de nombreux oiseaux et les plus tapageurs de tous étaient les corbeaux.

De bon matin on était réveillé par des cris perçants et éraillés qui pénétraient votre sommeil comme des griffes déchirants du papier ou un tissu gaufré.

Auteur: Oates Joyce Carol

Info: Mudwoman

[ sonore ]

 

Commentaires: 0

Ajouté à la BD par miguel

boomers

Les rejetons du baby-boom tels que les a décrit François Ricard avaient imposé sans peine leur autorité au milieu d’un brassage formidable d’institutions, de valeurs et de mœurs. La pseudo-bataille qu’ils avaient menée contre le "vieux monde" et la "réaction" avait moins été une lutte de libération que l’étalage tapageur d’une liberté déjà acquise. Et maintenant ce sont leurs "valeurs" et leur vision magique du monde qui sont devenues celles de toutes les communautés avancées de cette planète. Et ce sont leurs aventures clinquantes et calamiteuses dont on peut voir les suites interminables, mais sur des théâtres de plus en plus amplifiés où elles ne peuvent même plus être repérées comme émanant des hommes et des femmes d’une génération. Leur œuvre les a depuis longtemps dépassés. Elle marche toute seule. Elle est devenue celle de tous. Et quand elle n’est pas celle de tous (ce qu’elle n’est en réalité jamais), les sondages, les merveilleux sondages imposés par le terrorisme sondagier, sont là pour le faire croire. Le lyrisme s’est transformé en feuilleton quotidien.

Auteur: Muray Philippe

Info: Dans "Exorcismes spirituels, tome 3", Les Belles Lettres, Paris, 2002, page 94

[ révolution soixante-huitarde ] [ pensée dominante ] [ fausse pensée dominée ] [ lutte en territoire conquis ] [ soft power US diffusé ]

 

Commentaires: 0

Ajouté à la BD par Coli Masson

pouvoir

- C'est seulement une arme. Un objet usuel.
- Oui, bien sûr. Et quand je te regarde le manier et l'utiliser, je vois bien qu'il ne possède pas de vie propre. C'est seulement ... une chose. Mais j'ai aussi constaté un changement en toi depuis que tu le portes. Sans lui, tu étais différent. Sans défense. Impuissant. En ce qui me concerne, je suis un vrai chasseur, et je me suis toujours servi d'un arc pour abattre les animaux. Dire que je suis un vrai chasseur signifie que j'ai conscience d'avoir à mériter la vie que je prends. Notre façon de chasser m'aide à en être digne. Mais si la chasse devient facile, alors peut-être, je commencerai à me croire en possession d'un pouvoir que je ne possède pas réellement. Voilà pourquoi mon père n'aime pas le fer sacré, et je le comprends...
De La Vérendrye acquiesça d'un signe de tête. "Tu as raison," admit-il, un peu honteux. "Lorsque vous avez pris Bruneaux [Blanc en fuite qui a tué une vieille femme de la tribu et qui est responsable de la blessure de De La Vérendrye] au piège sur cette crête, je ne pouvais rien faire d'autre que vous observer. Je me sentais passif parce que je n'étais pas armé d'un fer sacré. A présent, c'est différent. Quand j'aperçois des cerfs, je les regarde d'un autre oeil." Il haussa les épaules. "Peut-être est-ce parce que je sais que je peux les tuer, si j'en ai envie."
Walks High hocha énergiquement la tête. "Je pense que mon père perçoit quelque chose au sujet du fer sacré que les autres ne voient pas. Et ne veulent pas voir.
- Je crois que ton père est dans le vrai," répondit De La Vérendrye. "J'ai vu des hommes doux et craintifs devenir bruyants et tapageurs quand ils avaient un fer sacré dans les mains...

Auteur: Marshall Joseph

Info: L'hiver du fer sacré

[ colonialisme ] [ armes ] [ usa ]

 

Commentaires: 0

USA

Le paysage médiatique en Amérique est dominé par les "fausses nouvelles". Depuis des décennies. Ces fausses nouvelles n’émanent pas du Kremlin. C’est une industrie de plusieurs milliards de dollars par an, qui est habilement conçue et gérée par des agences de relations publiques, des publicistes et des services de communications au nom d’individus précis, du gouvernement, et des sociétés pour manipuler l’opinion publique.
Cette industrie de la propagande met en scène des pseudo-événements pour façonner notre perception de la réalité. Le public est tellement inondé par ces mensonges, livrés 24 heures par jour à la radio, à la télévision et dans la presse écrite, que les téléspectateurs et les lecteurs ne peuvent plus distinguer entre la vérité et la fiction.
Donald Trump et les théoriciens racistes-conspirateurs, les généraux et les milliardaires autour de lui, ont hérité et exploité cette situation, tout comme ils ont hérité et exploiteront la destruction des libertés civiles et l’effondrement des institutions démocratiques. Trump n’a pas créé ce vide politique, moral et intellectuel. C’est l’inverse. Ce vide a créé un monde où les faits changent avec l’opinion, où les célébrités ont d’énormes mégaphones tout simplement parce que ce sont des célébrités, où l’information doit être divertissante et où nous avons la possibilité de croire ce que nous voulons, indépendamment de la vérité. Un démagogue comme Trump est le résultat que vous obtenez quand la culture et la presse tournent au burlesque.
Les journalistes ont depuis longtemps renoncé à décrire un monde objectif ou à donner la parole aux hommes et aux femmes ordinaires. Ils ont été conditionnés pour répondre aux demandes des entreprises. Les personnalités de l’actualité, qui gagnent souvent des millions de dollars par an, deviennent courtisanes. Elles vendent des commérages. Elles favorisent le consumérisme et l’impérialisme. Elles bavardent sans cesse au sujet des sondages, des stratégies, de la présentation et des tactiques ou jouent à des jeux de devinettes sur les rendez-vous présidentiels à venir. Elles comblent l’absence de nouvelles avec des histoires triviales, conduites émotionnellement, qui nous font sentir bien dans notre peau. Ils sont incapables de produire de véritables reportages. Elles s’appuient sur des propagandistes professionnels pour encadrer toute discussion et débat.
Il y a des journalistes établis qui ont passé toute leur carrière à reformuler des communiqués de presse ou à participer à des séances d’information officielles ou à des conférences de presse – j’en connaissais plusieurs lorsque j’étais au New York Times. Ils travaillent comme sténographes des puissants. Beaucoup de ces reporters sont très estimés dans la profession.
Les entreprises qui possèdent des médias, contrairement aux anciens empires de presse, voient les nouvelles comme simplement une autre source de revenus publicitaires. Ces revenus concourent au bénéfice de l’entreprise. Lorsque le secteur des nouvelles ne produit pas ce qui est considéré comme un profit suffisant, la hache tombe. Le contenu n’est pas pertinent. Les courtisans de la presse, redevables à leurs seigneurs dans l’entreprise, s’accrochent férocement à des places privilégiées et bien rémunérées. Parce qu’ils endossent servilement les intérêts du pouvoir des entreprises, ils sont haïs par les travailleurs américains, qu’ils ont rendus invisibles. Ils méritent la haine qu’ils suscitent.
La plupart des rubriques d’un journal – "style de vie", voyages, immobilier et mode, entre autres – sont conçues pour s’adresser au 1%. Ce sont des appâts pour la publicité. Seulement environ 15% de la surface rédactionnelle de n’importe quel journal est consacrée aux nouvelles. Si vous supprimez de ces 15% le contenu fourni par l’industrie des relations publiques à l’intérieur et à l’extérieur du gouvernement, le pourcentage de nouvelles tombe à un seul chiffre. Pour les nouvelles diffusées par les ondes et le câble, le pourcentage des nouvelles véritables, rapportées de façon indépendante, serait proche de zéro.
L’objet des fausses nouvelles est de façonner l’opinion publique, en créant des personnalités fantoches et des réponses émotionnelles qui submergent la réalité. Hillary Clinton, contrairement à la façon dont elle a souvent été dépeinte lors de la récente campagne présidentielle, n’a jamais combattu dans l’intérêt des femmes et des enfants – elle avait défendu la destruction d’un système d’aide sociale dans lequel 70% des bénéficiaires étaient des enfants. Elle est un outil des grandes banques, de Wall Street et de l’industrie de guerre. De pseudo-événements ont été créés pour maintenir la fiction de son souci pour les femmes et les enfants, de sa compassion et de ses liens avec les gens ordinaires. Trump n’a jamais été un grand homme d’affaires. Il a une longue histoire de faillites et de pratiques commerciales obscures. Mais il a joué le rôle fictif d’un titan de la finance dans son émission de télé-réalité, L’Apprenti.
"Les pseudo-événements qui inondent notre conscience ne sont ni vrais ni faux, dans le vieux sens familier", écrit Daniel Boorstin dans son livre L’image : un guide des pseudo-événements en Amérique : "Les mêmes progrès qui les ont rendues possibles, ont aussi rendu les images plus réalistes, plus attirantes, plus impressionnantes et plus convaincantes que la réalité elle-même, bien que planifiées, artificielles ou déformées."
La réalité est consciemment prémâchée en récits faciles à digérer. Ceux qui sont impliqués dans les relations publiques, les campagnes politiques et le gouvernement ressassent implacablement le message. Ils ne s’écartent pas du simple slogan criard ou du cliché qu’ils sont invités à répéter. C’est une espèce de conversation continue avec des bébés.
"Les raffinements de la raison et les nuances d’ombre de l’émotion ne peuvent pas atteindre un public considérable", a noté cyniquement Edward Bernays, le père des relations publiques modernes.
Le rythme trépidant et le format abrégé de la télévision excluent les complexités et les nuances. La télévision est manichéenne, bien et mal, noir et blanc, héros et méchant. Elle nous fait confondre les émotions induites avec la connaissance. Elle renforce le récit mythique de la vertu et de la bonté américaines. Elle rend hommage à des experts et spécialistes soigneusement sélectionnés par les élites du pouvoir et l’idéologie régnante. Elle discrédite ou ridiculise tous ceux qui s’opposent.
Le Parti démocrate est-il assez stupide pour croire qu’il a perdu l’élection présidentielle à cause des courriels fuités de John Podesta et de la décision du directeur du FBI, James Comey, peu de temps avant le vote, d’envoyer une lettre au Congrès à propos du serveur de messagerie privé de Clinton ? La direction du parti démocrate ne peut-elle pas voir que la cause première de la défaite est qu’elle a abandonné les travailleurs pour promouvoir les intérêts des entreprises ? Ne comprend-t’elle pas que, bien que ses mensonges et sa propagande aient fonctionné pendant trois décennies, les Démocrates ont fini par perdre leur crédibilité auprès de ceux qu’ils avaient trahis ?
L’indignation de l’establishment démocratique, au sujet de la fuite de courrier électronique vers le site de WikiLeaks, ignore le fait qu’une telle divulgation d’information dommageable est une tactique employée couramment par le gouvernement des États-Unis et d’autres, y compris la Russie, pour discréditer des individus et des entités. Cela fait partie intégrante de la presse. Personne, même au sein du parti démocrate, n’a fait valoir de façon convaincante que les emails de Podesta étaient fabriqués. Ces courriels sont réels. Ils ne peuvent pas être étiquetés fausses nouvelles.
En tant que correspondant à l’étranger, j’ai reçu régulièrement des informations divulguées, parfois confidentielles, de divers groupes ou gouvernements cherchant à endommager certaines cibles. L’agence de renseignement nationale d’Israël, le Mossad, m’avait parlé d’un petit aéroport appartenant au gouvernement iranien à l’extérieur de Hambourg, en Allemagne. Je suis allé à l’aéroport et j’ai publié une enquête qui a constaté que, comme les Israéliens m’en avaient correctement informé, l’Iran l’utilisait pour démonter du matériel nucléaire, l’expédier en Pologne, le remonter et l’envoyer vers l’Iran par avion. L’aéroport a été fermé après mon article.
Dans un autre cas, le gouvernement des États-Unis m’a remis des documents montrant qu’un membre important du parlement chypriote et son cabinet d’avocats blanchissaient de l’argent pour la mafia russe. Mon histoire a paralysé les affaires légitimes du cabinet d’avocats et a incité le politicien à poursuivre The New York Times et moi. Les avocats du journal ont choisi de contester la poursuite devant un tribunal chypriote, en disant qu’ils ne pouvaient pas obtenir un procès équitable là-bas. Ils m’ont dit que, pour éviter l’arrestation, je ne devais pas retourner à Chypre.
Je pourrais remplir plusieurs colonnes avec des exemples comme ceux-ci.
Les gouvernements n’organisent pas des fuites parce qu’ils se soucient de la démocratie ou d’une presse libre. Ils le font parce qu’il est dans leur intérêt de faire tomber quelqu’un ou quelque chose. Dans la plupart des cas, parce que le journaliste vérifie l’information divulguée, la nouvelle n’est pas un faux. C’est lorsque le journaliste ne vérifie pas l’information – comme ce fut le cas lorsque le New York Times a rapporté sans scrupule les accusations de l’administration Bush prétendant faussement que Saddam Hussein avait des armes de destruction massive en Irak – qu’il participe à la vaste industrie des fausses nouvelles.
De fausses nouvelles sont maintenant utilisées pour dépeindre des sites d’information indépendants, y compris Truthdig, et des journalistes indépendants, comme des informateurs ou des agents involontaires de la Russie. Les élites des partis républicain et démocrate utilisent des fausses nouvelles dans leur tentative pour présenter Trump comme une marionnette du Kremlin et invalider l’élection. Aucune preuve convaincante de telles accusations n’a été rendue publique. Mais la fausse nouvelle est devenue un bélier dans la dernière série de diffamations russophobes.
Dans une lettre à Truthdig, datée du 7 décembre, l’avocat du Washington Post (qui a publié un article le 24 novembre à propos d’allégations selon lesquelles Truthdig et quelque 200 autres sites Web étaient des outils de propagande russe), disait que l’auteur de l’article, Craig Timberg connaissait l’identité des accusateurs anonymes de PropOrNot, le groupe qui a fait les accusations. [Note de la rédaction de Truthdig : l’avocat a écrit, en partie, au sujet de l’article du 24 novembre et de PropOrNot, "La description de l’article repose sur des rapports substantiels de M. Timberg, y compris de nombreuses entrevues, des vérifications d’antécédents de personnes spécifiques impliquées dans le groupe (dont les identités étaient connues de Timberg, contrairement à vos spéculations). […]"]. Le Washington Post dit qu’il doit protéger l’anonymat de PropOrNot. Il a transmis une fausse accusation sans preuve. Les victimes, dans ce cas, ne peuvent pas répondre adéquatement, parce que les accusateurs sont anonymes. Ceux qui sont diffamés sont informés qu’ils devraient faire appel à PropOrNot pour obtenir que leurs noms soient retirés de la liste noire du groupe. Ce procédé de raisonnement circulaire donne de la crédibilité aux groupes anonymes qui établissent des listes noires et propagent des fausses nouvelles, ainsi qu’aux mensonges qu’ils répandent.
La transformation culturelle et sociale du XXe siècle, dont E.P. Thompson a parlé dans son essai Time, Work-Discipline, and Industrial Capitalism, s’est avérée être beaucoup plus que l’étreinte d’un système économique ou la célébration du patriotisme. Cela fait partie, a-t-il souligné, d’une réinterprétation révolutionnaire de la réalité. Elle marque l’ascendant de la culture de masse, la destruction de la culture authentique et de la véritable vie intellectuelle.
Richard Sennett, dans son livre The Fall of the Public Man, a identifié la montée de la culture de masse comme l’une des forces principales derrière ce qu’il a appelé une nouvelle "personnalité collective […] engendrée par un fantasme commun". Et les grands propagandistes du siècle sont non seulement d’accord, mais ajoutent que ceux qui peuvent manipuler et façonner ces fantasmes déterminent les directions prises par la "personnalité collective".
Cette énorme pression interne, cachée à la vue du public, rend la production d’un bon journalisme et d’une bonne érudition très, très difficile. Les journalistes et les universitaires qui se soucient de la vérité, et ne reculent pas, sont soumis à une coercition subtile, parfois ouverte, et sont souvent purgés des institutions.
Les images, qui sont le moyen par lequel la plupart des gens ingèrent maintenant les informations, sont particulièrement enclines à être transformées en fausses nouvelles. La langue, comme le remarque le critique culturel Neil Postman, "ne fait sens que lorsqu’elle est présentée comme une suite de propositions. La signification est déformée lorsqu’un mot ou une phrase est, comme on dit, pris hors contexte. Quand un lecteur ou un auditeur est privé de ce qui a été dit avant et après". Les images n’ont pas de contexte. Elles sont "visibles d’une manière différente". Les images, surtout lorsqu’elles sont livrées en segments longs et rapides, démembrent et déforment la réalité. Le procédé "recrée le monde dans une série d’événements idiosyncrasiques".
Michael Herr, qui a couvert la guerre du Vietnam pour le magazine Esquire, a observé que les images de la guerre présentées dans les photographies et à la télévision, à la différence du mot imprimé, obscurcissent la brutalité du conflit. "La télévision et les nouvelles ont toujours été présentées comme ayant mis fin à la guerre, a déclaré M. Herr. J’ai pensé le contraire. Ces images ont toujours été vues dans un autre contexte – intercalées entre les publicités – de sorte qu’elles sont devenues un entremet sucré dans l’esprit du public. Je pense que cette couverture a prolongé la guerre."
Une population qui a oublié l’imprimerie, bombardée par des images discordantes et aléatoires, est dépouillée du vocabulaire ainsi que du contexte historique et culturel permettant d’articuler la réalité. L’illusion est la vérité. Un tourbillon d’élans émotionnels fabriqués nourrit notre amnésie historique.
Internet a accéléré ce processus. Avec les nouvelles par câble, il a divisé le pays en clans antagonistes. Les membres d’un clan regardent les mêmes images et écoutent les mêmes récits, créant une réalité collective. Les fausses nouvelles abondent dans ces bidonvilles virtuels. Le dialogue est clos. La haine des clans opposés favorise une mentalité de troupeau. Ceux qui expriment de l’empathie pour l’ennemi sont dénoncés par leurs compagnons de route pour leur impureté supposée. C’est aussi vrai à gauche qu’à droite. Ces clans et leurs troupeaux, gavés régulièrement de fausses nouvelles conçues pour émouvoir, ont donné naissance à Trump.
Trump est habile à communiquer à travers l’image, les slogans tapageurs et le spectacle. Les fausses nouvelles, qui dominent déjà la presse écrite et la télévision, définiront les médias sous son administration. Ceux qui dénonceront les mensonges seront vilipendés et bannis. L’État dévoué aux grandes entreprises multinationales a créé cette machine monstrueuse de propagande et l’a léguée à Trump. Il l’utilisera.

Auteur: Hedges Chris

Info: Internet, Truthdig, 18 décembre 2016

[ Etats-Unis ] [ Russie ] [ vingt-et-unième siècle ]

 

Commentaires: 0

consumérisme

Comment réguler l’exploitation de notre attention ? Dans Les marchands d’attention (The Attention Merchants, 2017, Atlantic Books, non traduit), le professeur de droit, spécialiste des réseaux et de la régulation des médias, Tim Wu (@superwuster), 10 ans après avoir raconté l’histoire des télécommunications et du développement d’internet dans The Master Switch (où il expliquait la tendance de l’industrie à créer des empires et le risque des industries de la technologie à aller dans le même sens), raconte, sur 400 pages, l’histoire de l’industrialisation des médias américains et de la publicité de la fin du XIXe siècle à aujourd’hui. En passant d’une innovation médiatique l’autre, des journaux à la radio, de la télé à l’internet, Wu tisse une très informée histoire du rapport de l’exploitation commerciale de l’information et du divertissement. Une histoire de l’industrialisation des médias américains qui se concentre beaucoup sur leurs innovations et leurs modèles d’affaires, c’est-à-dire qui s’attarde à montrer comment notre attention a été convertie en revenus, comment nous avons été progressivement cédés à la logique du commerce – sans qu’on n’y trouve beaucoup à redire d’ailleurs.

"La compétition pour notre attention n’a jamais cherché à nous élever, au contraire."

Tout le long de cette histoire, Tim Wu insiste particulièrement sur le fait que la capture attentionnelle produite par les médias s’est faite par-devers nous. La question attentionnelle est souvent présentée comme le résultat d’une négociation entre l’utilisateur, le spectateur, et le service ou média qu’il utilise… mais aucun d’entre nous n’a jamais consenti à la capture attentionnelle, à l’extraction de son attention. Il souligne notamment que celle-ci est plus revendue par les médias aux annonceurs, qu’utilisée par les médias eux-mêmes. Il insiste également à montrer que cette exploitation vise rarement à nous aider à être en contrôle, au contraire. Elle ne nous a jamais apporté rien d’autre que toujours plus de contenus insignifiants. Des premiers journaux à 1 cent au spam publicitaire, l’exploitation attentionnelle a toujours visé nos plus vils instincts. Elle n’a pas cherché à nous élever, à nous aider à grandir, à développer nos connaissances, à créer du bien commun, qu’à activer nos réactions les plus instinctives. Notre exploitation commerciale est allée de pair avec l’évolution des contenus. Les journaux qui ont adopté le modèle publicitaire, ont également inventé des rubriques qui n’existaient pas pour mieux les servir : comme les faits divers, les comptes-rendus de procès, les récits de crimes… La compétition pour notre attention dégrade toujours les contenus, rappelle Tim Wu. Elle nous tourne vers "le plus tapageur, le plus sinistre, le plus choquant, nous propose toujours l’alternative la plus scandaleuse ou extravagante". Si la publicité a incontestablement contribué à développer l’économie américaine, Wu rappelle qu’elle n’a jamais cherché à présenter une information objective, mais plutôt à déformer nos mécanismes de choix, par tous les moyens possibles, même par le mensonge. L’exploitation attentionnelle est par nature une course contre l’éthique. Elle est et demeure avant tout une forme d’exploitation. Une traite, comme disait le spécialiste du sujet Yves Citton, en usant volontairement de ce vocabulaire marqué au fer.

Wu souligne que l’industrie des contenus a plus été complice de cette exploitation qu’autre chose. La presse par exemple, n’a pas tant cherché à contenir ou réguler la publicité et les revenus qu’elle générait, qu’à y répondre, qu’à évoluer avec elle, notamment en faisant évoluer ses contenus pour mieux fournir la publicité. Les fournisseurs de contenus, les publicitaires, aidés des premiers spécialistes des études comportementales, ont été les courtiers et les ingénieurs de l’économie de l’attention. Ils ont transformé l’approche intuitive et improvisée des premières publicités en machines industrielles pour capturer massivement l’attention. Wu rappelle par exemple que les dentifrices, qui n’existaient pas vraiment avant les années 20, vont prendre leur essor non pas du fait de la demande, mais bien du fait de l’offensive publicitaire, qui s’est attaquée aux angoisses inconscientes des contemporains. Plus encore que des ingénieurs de la demande, ces acteurs ont été des fabricants de comportements, de moeurs…

L’histoire de l’exploitation de notre attention souligne qu’elle est sans fin, que "les industries qui l’exploitent, contrairement aux organismes, n’ont pas de limite à leur propre croissance". Nous disposons de très peu de modalités pour limiter l’extension et la croissance de la manipulation attentionnelle. Ce n’est pas pour autant que les usagers ne se sont pas régulièrement révoltés, contre leur exploitation. "La seule dynamique récurrente qui a façonné la course des industries de l’attention a été la révolte". De l’opposition aux premiers panneaux publicitaires déposés en pleine ville au rejet de services web qui capturent trop nos données ou exploitent trop notre attention, la révolte des utilisateurs semble avoir toujours réussi à imposer des formes de régulations. Mais l’industrie de l’exploitation attentionnelle a toujours répondu à ces révoltes, s’adaptant, évoluant au gré des rejets pour proposer toujours de nouvelles formes de contenus et d’exploitation. Parmi les outils dont nous nous sommes dotés pour réguler le développement de l’économie de l’attention, Wu évoque trop rapidement le travail des associations de consommateurs (via par exemple le test de produits ou les plaintes collectives…) ou celui des régulateurs définissant des limites au discours publicitaire (à l’image de la création de la Commission fédérale du commerce américaine et notamment du bureau de la protection des consommateurs, créée pour réguler les excès des annonceurs, que ce soit en améliorant l’étiquetage des produits ou en interdisant les publicités mensongères comme celles, nombreuses, ventant des produits capables de guérir des maladies). Quant à la concentration et aux monopoles, ils ont également toujours été surveillés et régulés, que ce soit par la création de services publics ou en forçant les empires des médias à la fragmentation.

L’attention, un phénomène d’assimilation commercial et culturel L’invention du prime time à la radio puis à la télé a été à la fois une invention commerciale et culturelle, fusionnant le contenu au contenant, l’information/divertissement et la publicité en inventant un rituel d’attention collective massive. Il n’a pas servi qu’à générer une exposition publicitaire inédite, il a créé un phénomène social, une conscience et une identité partagée, tout en rendant la question de l’exposition publicitaire normale et sociale.

Dans la succession des techniques qu’ont inventés les médias de masse pour mobiliser et orienter les foules que décrit Tim Wu, on constate qu’une sorte de cycle semble se reproduire. Les nouvelles technologies et les nouveaux formats rencontrent des succès très rapides. Puis, le succès rencontre des résistances et les audiences se délitent vers de nouvelles techniques ou de nouveaux formats proposés par des concurrents. On a l’impression d’être dans une course poursuite où chaque décennie pourrait être représentée par le succès d’un support phare à l’image des 28 courts chapitres qui scandent le livre. L’essor de la télévision par exemple est fulgurant : entre 1950 et 1956 on passe de 9% à 72% des maisons équipées et à la fin des années 50, on l’a regarde déjà 5 heures par jour en moyenne. Les effets de concentration semblent très rapides… et dès que la fatigue culturelle pointe, que la nouveauté s’émousse, une nouvelle vague de propositions se développe à la fois par de nouveaux formats, de nouvelles modalités de contrôle et de nouveaux objets attentionnels qui poussent plus loin l’exploitation commerciale des publics. Patiemment, Wu rappelle la très longue histoire des nouveaux formats de contenus : la naissance des jeux, des journaux télé, des soirées spéciales, du sport, des feuilletons et séries, de la télé-réalité aux réseaux sociaux… Chacun ayant généré une nouvelle intrication avec la publicité, comme l’invention des coupures publicitaires à la radio et à la télé, qui nécessitaient de réinventer les contenus, notamment en faisant monter l’intrigue pour que les gens restent accrochés. Face aux outils de révolte, comme l’invention de la télécommande ou du magnétoscope, outils de reprise du contrôle par le consommateur, les industries vont répondre par la télévision par abonnement, sans publicité. Elles vont aussi inventer un montage plus rapide qui ne va cesser de s’accélérer avec le temps.

Pour Wu, toute rébellion attentionnelle est sans cesse assimilée. Même la révolte contre la communication de masse, d’intellectuels comme Timothy Leary ou Herbert Marcuse, sera finalement récupérée.

De l’audience au ciblage

La mesure de l’audience a toujours été un enjeu industriel des marchands d’attention. Notamment avec l’invention des premiers outils de mesure de l’audimat permettant d’agréger l’audience en volumes. Wu prend le temps d’évoquer le développement de la personnalisation publicitaire, avec la socio-géo-démographie mise au point par la firme Claritas à la fin des années 70. Claritas Prizm, premier outil de segmentation de la clientèle, va permettre d’identifier différents profils de population pour leur adresser des messages ciblés. Utilisée avec succès pour l’introduction du Diet Coke en 1982, la segmentation publicitaire a montré que la nation américaine était une mosaïque de goûts et de sensibilités qu’il fallait adresser différemment. Elle apporte à l’industrie de la publicité un nouvel horizon de consommateurs, préfigurant un ciblage de plus en plus fin, que la personnalisation de la publicité en ligne va prolonger toujours plus avant. La découverte des segments va aller de pair avec la différenciation des audiences et la naissance, dans les années 80, des chaînes câblées qui cherchent à exploiter des populations différentes (MTV pour la musique, ESPN pour le sport, les chaînes d’info en continu…). L’industrie du divertissement et de la publicité va s’engouffrer dans l’exploitation de la fragmentation de l’audience que le web tentera de pousser encore plus loin.

Wu rappelle que la technologie s’adapte à ses époques : "La technologie incarne toujours l’idéologie, et l’idéologie en question était celle de la différence, de la reconnaissance et de l’individualité". D’un coup le spectateur devait avoir plus de choix, plus de souveraineté… Le visionnage lui-même changeait, plus inattentif et dispersé. La profusion de chaînes et le développement de la télécommande se sont accompagnés d’autres modalités de choix comme les outils d’enregistrements. La publicité devenait réellement évitable. D’où le fait qu’elle ait donc changé, devenant plus engageante, cherchant à devenir quelque chose que les gens voudraient regarder. Mais dans le même temps, la télécommande était aussi un moyen d’être plus branché sur la manière dont nous n’agissons pas rationnellement, d’être plus distraitement attentif encore, à des choses toujours plus simples. "Les technologies conçues pour accroître notre contrôle sur notre attention ont parfois un effet opposé", prévient Wu. "Elles nous ouvrent à un flux de sélections instinctives et de petites récompenses"… En fait, malgré les plaintes du monde de la publicité contre la possibilité de zapper, l’état d’errance distrait des spectateurs n’était pas vraiment mauvais pour les marchands d’attention. Dans l’abondance de choix, dans un système de choix sans friction, nous avons peut-être plus perdu d’attention qu’autre chose.

L’internet a démultiplié encore, par de nouvelles pratiques et de nouveaux médiums, ces questions attentionnelles. L’e-mail et sa consultation sont rapidement devenus une nouvelle habitude, un rituel attentionnel aussi important que le prime time. Le jeu vidéo dès ses débuts a capturé toujours plus avant les esprits.

"En fin de compte, cela suggère aussi à quel point la conquête de l’attention humaine a été incomplète entre les années 1910 et les années 60, même après l’entrée de la télévision à la maison. En effet, même s’il avait enfreint la sphère privée, le domaine de l’interpersonnel demeurait inviolable. Rétrospectivement, c’était un territoire vierge pour les marchands d’attention, même si avant l’introduction de l’ordinateur domestique, on ne pouvait pas concevoir comment cette attention pourrait être commercialisée. Certes, personne n’avait jamais envisagé la possibilité de faire de la publicité par téléphone avant même de passer un appel – non pas que le téléphone ait besoin d’un modèle commercial. Ainsi, comme AOL qui a finalement opté pour la revente de l’attention de ses abonnés, le modèle commercial du marchand d’attention a été remplacé par l’un des derniers espaces considérés comme sacrés : nos relations personnelles." Le grand fournisseur d’accès des débuts de l’internet, AOL, a développé l’accès aux données de ses utilisateurs et a permis de développer des techniques de publicité dans les emails par exemple, vendant également les mails de ses utilisateurs à des entreprises et leurs téléphones à des entreprises de télémarketing. Tout en présentant cela comme des "avantages" réservés à ses abonnés ! FB n’a rien inventé ! "

La particularité de la modernité repose sur l’idée de construire une industrie basée sur la demande à ressentir une certaine communion". Les célébrités sont à leur tour devenues des marchands d’attention, revendant les audiences qu’elles attiraient, à l’image d’Oprah Winfrey… tout en transformant la consommation des produits qu’elle proposait en méthode d’auto-récompense pour les consommateurs.

L’infomercial a toujours été là, souligne Wu. La frontière entre divertissement, information et publicité a toujours été floue. La télé-réalité, la dernière grande invention de format (qui va bientôt avoir 30 ans !) promettant justement l’attention ultime : celle de devenir soi-même star.

Le constat de Wu est amer. "Le web, en 2015, a été complètement envahi par la malbouffe commerciale, dont une grande partie visait les pulsions humaines les plus fondamentales du voyeurisme et de l’excitation." L’automatisation de la publicité est le Graal : celui d’emplacements parfaitement adaptés aux besoins, comme un valet de chambre prévenant. "Tout en promettant d’être utile ou réfléchi, ce qui a été livré relevait plutôt de l’intrusif et pire encore." La télévision – la boîte stupide -, qui nous semblait si attentionnellement accablante, paraît presque aujourd’hui vertueuse par rapport aux boucles attentionnelles sans fin que produisent le web et le mobile.

Dans cette histoire, Wu montre que nous n’avons cessé de nous adapter à cette capture attentionnelle, même si elle n’a cessé de se faire à notre détriment. Les révoltes sont régulières et nécessaires. Elles permettent de limiter et réguler l’activité commerciale autour de nos capacités cognitives. Mais saurons-nous délimiter des frontières claires pour préserver ce que nous estimons comme sacré, notre autonomie cognitive ? La montée de l’internet des objets et des wearables, ces objets qui se portent, laisse supposer que cette immixtion ira toujours plus loin, que la régulation est une lutte sans fin face à des techniques toujours plus invasives. La difficulté étant que désormais nous sommes confrontés à des techniques cognitives qui reposent sur des fonctionnalités qui ne dépendent pas du temps passé, de l’espace ou de l’emplacement… À l’image des rythmes de montage ou des modalités de conception des interfaces du web. Wu conclut en souhaitant que nous récupérions "la propriété de l’expérience même de la vie". Reste à savoir comment…

Comment répondre aux monopoles attentionnels ?

Tim Wu – qui vient de publier un nouveau livre The Curse of Bigness : antitrust in the new Gilded age (La malédiction de la grandeur, non traduit) – prône, comme d’autres, un renforcement des lois antitrusts américaines. Il y invite à briser les grands monopoles que construisent les Gafam, renouvelant par là la politique américaine qui a souvent cherché à limiter l’emprise des monopoles comme dans le cas des télécommunications (AT&T), de la radio ou de la télévision par exemple ou de la production de pétrole (Standard Oil), pour favoriser une concurrence plus saine au bénéfice de l’innovation. À croire finalement que pour lutter contre les processus de capture attentionnels, il faut peut-être passer par d’autres leviers que de chercher à réguler les processus attentionnels eux-mêmes ! Limiter le temps d’écran finalement est peut-être moins important que limiter la surpuissance de quelques empires sur notre attention !

La règle actuelle pour limiter le développement de monopoles, rappelle Wu dans une longue interview pour The Verge, est qu’il faut démontrer qu’un rachat ou une fusion entraînera une augmentation des prix pour le consommateur. Outre, le fait que c’est une démonstration difficile, car spéculative, "il est pratiquement impossible d’augmenter les prix à la consommation lorsque les principaux services Internet tels que Google et Facebook sont gratuits". Pour plaider pour la fragmentation de ces entreprises, il faudrait faire preuve que leur concentration produit de nouveaux préjudices, comme des pratiques anticoncurrentielles quand des entreprises absorbent finalement leurs concurrents. Aux États-Unis, le mouvement New Brandeis (qui fait référence au juge Louis Brandeis acteur majeur de la lutte contre les trusts) propose que la régulation favorise la compétition.

Pour Wu par exemple, la concurrence dans les réseaux sociaux s’est effondrée avec le rachat par Facebook d’Instagram et de WhatsApp. Et au final, la concurrence dans le marché de l’attention a diminué. Pour Wu, il est temps de défaire les courtiers de l’attention, comme il l’explique dans un article de recherche qui tente d’esquisser des solutions concrètes. Il propose par exemple de créer une version attentionnelle du test du monopoleur hypothétique, utilisé pour mesurer les abus de position dominante, en testant l’influence de la publicité sur les pratiques. Pour Tim Wu, il est nécessaire de trouver des modalités à l’analyse réglementaire des marchés attentionnels.

Dans cet article, Wu s’intéresse également à la protection des audiences captives, à l’image des écrans publicitaires des pompes à essence qui vous délivrent des messages sans pouvoir les éviter où ceux des écrans de passagers dans les avions… Pour Wu, ces nouvelles formes de coercition attentionnelle sont plus qu’un ennui, puisqu’elles nous privent de la liberté de penser et qu’on ne peut les éviter. Pour lui, il faudrait les caractériser comme un "vol attentionnel". Certes, toutes les publicités ne peuvent pas être caractérisées comme telles, mais les régulateurs devraient réaffirmer la question du consentement souligne-t-il, notamment quand l’utilisateur est captif ou que la capture cognitive exploite nos biais attentionnels sans qu’on puisse lutter contre. Et de rappeler que les consommateurs doivent pouvoir dépenser ou allouer leur attention comme ils le souhaitent. Que les régulateurs doivent chercher à les protéger de situations non consensuelles et sans compensation, notamment dans les situations d’attention captive ainsi que contre les intrusions inévitables (celles qui sont augmentées par un volume sonore élevé, des lumières clignotantes, etc.). Ainsi, les publicités de pompe à essence ne devraient être autorisées qu’en cas de compensation pour le public (par exemple en proposant une remise sur le prix de l’essence)…

Wu indique encore que les réglementations sur le bruit qu’ont initié bien des villes peuvent être prises pour base pour construire des réglementations de protection attentionnelle, tout comme l’affichage sur les autoroutes, également très réglementé. Pour Tim Wu, tout cela peut sembler peut-être peu sérieux à certain, mais nous avons pourtant imposé par exemple l’interdiction de fumer dans les avions sans que plus personne aujourd’hui n’y trouve à redire. Il est peut-être temps de prendre le bombardement attentionnel au sérieux. En tout cas, ces défis sont devant nous, et nous devrons trouver des modalités pour y répondre, conclut-il.

Auteur: Guillaud Hubert

Info: 27 décembre 2018, http://internetactu.blog.lemonde.fr

[ culture de l'epic fail ] [ propagande ] [ captage de l'attention ]

 

Commentaires: 0

Ajouté à la BD par miguel

non-voyant

Le monde tel que l'imaginent ceux qui n'ont jamais vu. (II)

Imaginer les couleurs

L'épineuse question des couleurs offre un autre exemple du "fossé perceptif" qui sépare voyants et aveugles de naissance. Les voyants s'imaginent souvent qu'il leur suffit de fermer les yeux pour se représenter la perception d'un aveugle. En réalité, ce n'est pas parce que nous fermons les yeux que nos yeux cessent de voir : le noir qui nous apparaît n'est rien d'autre que la couleur de nos paupières closes. Il en va tout autrement pour la plupart des aveugles, et à plus forte raison pour les aveugles de naissance. Comme il leur serait difficile de nous expliquer leur perception du monde, tant elle relève pour eux de l'évidence, le mieux est encore de nous tourner vers quelqu'un qui a vu avant de ne plus voir et qui, de ce fait, dispose d'un point de comparaison.

Jean-Marc Meyrat, devenu aveugle à l'âge de 8 ans, raconte son passage du monde des voyants dans celui des aveugles en ces termes : "Cela s'est fait très progressivement. Ce glissement presque impalpable s'est matérialisé par le déplacement de ma chaise de plus en plus près de l'écran de la télévision. Vers la fin du processus, je suis entré dans une sorte de zone grise qui s'est peu à peu assombrie pour virer au noir avant de disparaître. Puis, plus rien. La persistance de la couleur noire, parfois entrecoupée d'éblouissements, peut durer plus ou moins longtemps. Ceci est d'autant plus vrai si la cécité est intervenue brutalement. Après, plus rien, je ne peux pas dire mieux : plus rien.

Voilà qui pose un sérieux problème à ceux que le noir fascine et que la notion de rien effraie.". C'est l'image traditionnelle de l'aveugle errant dans les ténèbres qui se trouve ici battue en brèche... Certains aveugles tardifs regrettent de n'avoir pas même la perception du noir : ainsi, l'écrivain Jorge Luis Borges, devenu aveugle au cours de sa vie, affirmait que le noir lui manquait surtout au moment d'aller se coucher, lui qui avait pris l'habitude de s'endormir dans l'obscurité la plus complète...

Qu'est-ce que c'est que de ne rien voir ? En réalité, il est aussi difficile pour un aveugle de naissance de se représenter les couleurs que pour un voyant d'imaginer une perception absolument dénuée de couleurs, où l'on ne trouve pas même de noir et blanc, ni aucune nuance intermédiaire : autant chercher à imaginer un désert sans sol ni ciel, ou ce fameux couteau dont parle Lichtenberg, dépourvu de lame et auquel manque le manche. "Les gens s'imaginent les choses par rapport à ce qu'ils connaissent, remarque Christine Cloux. Nous qui entendons, nous imaginons à tort que les sourds de naissance sont plongés dans le silence. Or, pour connaître le silence il faut connaître le bruit, ce qui est notre cas mais pas celui des sourds, qui ne connaissent pas plus le bruit que son absence. Ce qu'ils connaissent, c'est un monde privé de ces notions."

Ces considérations posent tout de même plusieurs problèmes logiques : comment un aveugle peut-il se représenter l'image spatiale d'un objet, en considérant qu'il n'a pas même deux couleurs différentes à sa disposition pour distinguer l'objet du fond ? Il suffirait pourtant de nous remémorer certaines images qui nous viennent en rêve, ou en pensée : par exemple, nous voyons l'image d'une femme, mais nous sommes bien incapables de dire quelle est la couleur ou la forme exacte de sa robe. L'image mentale du voyant a rarement la précision d'une image photographique... Ces couleurs flottantes, ces formes incertaines, peuvent sans doute nous donner un aperçu des images non visuelles de l'aveugle. Si les couleurs sont inaccessibles aux sens de l'aveugle, cela ne l'empêche pas de tenter de se les représenter.

"Ca n'empêche même pas d'avoir des préférences, fait remarquer Sophie Massieu. Je m'habille en fonction de ce que j'imagine de la couleur en question. Par exemple, je ne porte jamais de jaune. Allez savoir ce qu'il m'a fait ce pauvre jaune...". "Je me suis créée des représentations mentales des couleurs, exactement comme je me représente les idées ou les concepts qui ne se voient pas, comme un atome par exemple..." explique Christine Cloux.

Mais d'où viennent ces représentations mentales exactement ? Pour la plupart, des commentaires des voyants : "Un jour une copine est arrivée vers moi en s'écriant : "Ouah ! Du rouge ! Ca te va super bien !" D'autres ont confirmé et depuis ce moment-là j'achète plus souvent du rouge.", raconte Christine. Parfois, la couleur peut évoquer à l'aveugle de naissance un souvenir précis : Sophie Massieu associe le bleu Majorelle à un après-midi passé dans le jardin Majorelle à Marrakech. Certains aveugles associeront le noir à la tristesse s'ils ont porté du noir pendant un enterrement, le blanc à la gaieté, puisqu'ils savent que c'est la couleur dont se parent les mariées et les communiants... La couleur dépose son image dans la mémoire affective et non dans la mémoire sensorielle ; le mot s'imprègne de l'émotion, comme un buvard. "Cela rend la sensation plus épaisse." explique Sophie.

Dans ce domaine éminemment subjectif, les "glissements sensoriels" sont légion. Il arrive fréquemment que l'aveugle de naissance prête aux couleurs les propriétés tactiles des objets qui leur sont couramment associés : par exemple, si en se vautrant dans le gazon, l'aveugle en a apprécié la douceur et la mollesse, il attribuera désormais au vert ses propriétés ; de même, le rouge brûle puisque c'est le feu, le blanc est froid comme la neige... L'aveugle de naissance n'hésite jamais à puiser dans des termes empruntés aux autres sens pour décrire l'image qu'il se fait des couleurs. Christine Cloux vous dira que le blanc lui semble "très aérien, léger, comme de la glace, très pur, peut-être parfois trop", alors que le noir lui paraît au contraire "presque encombrant, étouffant".

A ce petit jeu, la langue est pour l'aveugle un vivier de métaphores et d'associations verbales précieuses : ne dit-on pas un éclat tapageur, une teinte agressive ou insolente, un rose fade ? Ecrivains et poètes ne parlent-ils pas de "l'épaisseur des ténèbres", de "ruissellements de lumières" ? La mémoire tactile de l'aveugle est alors à même de lui fournir des repères, aussi abstraits soient-ils. Quand elle lit ou entend les termes "une forêt obscure", Christine Cloux s'imagine "que la forêt est très dense, qu'il y fait frisquet, voire franchement froid parce que le soleil ne passe pas... "Le rayonnement de la chaleur donne une idée très nette à l'aveugle de ce que peut-être le rayonnement de la lumière (on parle d'ailleurs d'une lumière douce et pénétrante...).

Parfois, l'image que l'aveugle se fait d'une couleur se fonde simplement sur le mot qui la désigne. "Enfant, le jaune m'évoquait un clown en train de jouer de la trompette, parce que je trouvais le mot amusant et que je savais que c'est une couleur gaie, voire criarde, explique Christine Cloux. C'est jaune, yellow, gelb... ou même giallo. Ces sonorités participent à ma représentation de cette couleur.". Ce faisant, l'aveugle se comporte en quelque sorte en "cratylien"- du nom de Cratyle, cet interlocuteur de Socrate qui professait que la sonorité des mots pouvait nous renseigner sur la nature même de ce qu'ils désignent.

Un voyant, pourtant, sait bien qu'il est hasardeux de tenter d'établir un lien entre le nom d'une couleur et la couleur elle-même... Et cependant, n'agissons-nous pas de manière analogue quand nous imaginons une ville ou un pays où nous ne sommes jamais allés et dont nous ne savons rien, en nous fondant sur la sonorité de son nom ? Des noms tels que Constantinople, Byzance ou Marrakech ne charrient-ils pas déjà un flot d'images abstraites considérables rien que par leurs propriétés auditives, indépendamment même des images visuelles précises qu'on leur accole ? La plupart des aveugles de naissance n'hésitent pas à puiser dans les impressions auditives pour se représenter les couleurs : "Je me représente le spectre des diverses couleurs un peu comme l'échelle des sons - l'échelle des couleurs est simplement plus grande et plus complexe à se représenter." explique Christine Cloux.

La comparaison n'est pas insensée : couleurs et sons ont en commun de se définir par une certaine fréquence (hauteur pour le son, teinte pour la couleur), une certaine pureté (timbre pour le son, saturation pour la couleur), une certaine intensité (force pour le son, valeur ou luminosité pour la couleur)... Cela explique peut-être les fréquentes associations verbales entre l'ouïe et la vue dans le langage courant : ne parle-t-on pas d'un rouge criard, d'une gamme de couleur, du ton d'un tissu, d'une voix blanche ?

Pour Christine Cloux, si les couleurs émettaient du son, "le jaune, l'orange et le rouge nous casseraient les oreilles alors que le bleu par exemple ferait un bruit aussi soutenu mais moins fort, avec le vert." Cette croyance selon laquelle il pourrait exister une correspondance directe entre la sensation auditive et la sensation visuelle n'est pas propre aux aveugles, elle a longtemps hanté l'oeuvre des symbolistes et des romantiques, et des artistes en général : qu'on songe aux Synesthésies de Baudelaire ("les parfums, les couleurs et les sons se répondent" dans le poème Correspondances), à Rimbaud cherchant à assigner une couleur à chaque voyelle ("A noir, E blanc, I rouge"...), ou à cette très sérieuse table de concordance entre voyelles, couleurs et instruments que tenta d'établir René Ghil, un disciple de Mallarmé, ou encore au plasticien Nicolas Schöffer qui mit des sons en couleur... Bien qu'on sente ce qu'il entre de rêverie poétique dans cette croyance, on ne peut s'empêcher d'imaginer que, si les divers stimuli sensoriels n'étaient que les différents dialectes d'une même langue, toutes sortes de traductions deviendraient possibles...

Que vienne le temps du traducteur couleurs/sons qui permettrait de traduire un tableau de Van Gogh en symphonie ! Imaginer l'art La seule chose que les aveugles de naissance savent des peintres, c'est ce qu'on a bien voulu leur en dire - or le langage est évidemment inapte à rendre compte de ce qui fait la spécificité de cet art. Là encore, l'aveugle doit trouver des analogies où il peut : Christine Cloux imagine la peinture impressionniste en se fondant sur l'impressionnisme musical et littéral, la peinture cubiste en pensant au style de Gertrude Stein - elle imagine les personnages peints par Picasso comme "des corps dont on aurait" découpé" les diverses parties pour les reconstituer n'importe comment.", mais ajoute aussitôt "Je n'aime pas le désordre, ça ne me parle pas.". Quand on lui demande ce que lui évoque une oeuvre comme le Carré blanc sur fond blanc de Malevitch, il lui semble que "ce doit être beau, presque intangible et cependant... Comme une porte d'entrée." 

Natacha de Montmollin est plus sceptique : "Je ne vois pas l'intérêt.". La peinture l'indiffère - Escher est le seul dessinateur dont elle se soit forgée une image précise : "sa technique m'intrigue". Etrange, si l'on considère que les dessins d'Escher reposent la plupart du temps sur des illusions optiques, des perspectives truquées qui, par essence, ne peuvent tromper qu'un voyant... Quel rapport les aveugles de naissance entretiennent-ils avec un art comme la poésie ? Sophie Massieu avoue qu'elle n'y est pas très sensible. "Je ne sais pas si ça relève de mon caractère ou de ma cécité... Peut-être qu'il y a une part de l'image qui m'échappe... "Christine Cloux, pour sa part, ne considère pas que la cécité soit une entrave pour apprécier un poème : selon elle, les images poétiques font autant - si ce n'est davantage - appel à la mémoire affective qu'à la mémoire sensorielle. "Peut-être que parfois je perçois une métaphore un peu autrement que quelqu'un d'autre, mais c'est le cas pour chacun de nous, je pense. Nous comprenons les figures de styles avec notre monde de référence.". Le rapport à l'art de certains aveugles de naissance semble parfois tenir du besoin vital : "C'est une expérience très riche dont je ne saurais me passer, explique Christine Cloux. J'ai peut-être d'autant plus besoin de l'art que je n'ai pas les images "extérieures à moi"".

Si l'aveugle de naissance exige davantage de l'art que le commun des voyants, c'est peut-être parce qu'il attend de lui qu'il lui restitue les beautés de la nature dont la cécité l'a privé. Oscar Wilde, pour expliquer à quel point l'oeuvre d'un artiste pouvait déteindre sur notre vision du monde, disait que ce n'est pas l'art qui imite la nature mais la nature qui imite l'art. Cette phrase a une pertinence toute particulière dans le cas de l'aveugle de naissance, car tout ce qu'il lit à propos de la nature, dans les poèmes ou dans les romans, se mêle intimement dans son imaginaire à la représentation qu'il s'en fait dans la vie de tous les jours - et cette représentation a sans doute plus à voir avec une transfiguration artistique, infiniment subjective, qu'avec, par exemple, une reproduction photographique un peu floue... Imaginer la nature D'une façon générale, la nature - tout du moins sa face visible - constitue pour l'aveugle de naissance une source inépuisable de curiosités. Certains phénomènes auxquels les voyants sont accoutumés demeurent pour lui un mystère - notamment les plus insubstantiels, ceux qu'il ne peut connaître par le toucher. "Un gaz... on risque de ne pas le voir. En revanche on voit la vapeur, ce qui est un peu étrange puisque l'eau est transparente, et pourtant, vous la voyez tout de même... Je le comprends en théorie mais c'est quand même bizarre." avoue Christine Cloux.

La transparence fait partie des notions difficiles à concevoir quand on ignore ce qu'est l'opacité visuelle - en témoigne la fascination qu'exercent les poissons sur de ce jeune aveugle de naissance, interrogé par Sophie Calle (dans le catalogue de l'exposition M'as-tu vue) : "C'est leur évolution dans l'eau qui me plaît, l'idée qu'ils ne sont rattachés à rien. Des fois, je me prends à rester debout des minutes entières devant un aquarium, debout comme un imbécile.". Un autre (toujours cité par Sophie Calle) tente de se représenter les miroitements de la mer : "On m'a expliqué que c'est bleu, vert, que les reflets avec le soleil font mal aux yeux. Cela doit être douloureux à regarder." Certaines reproductions peuvent donner à l'aveugle de naissance une idée approximative de certains phénomènes insubstantiels. Une femme (interrogée par Jane Hervé) se souvient d'un bas-relief du Moyen-Âge : "Il représentait le feu, avec des flammes en pointe comme des épées. Des flammes en pierre. J'étais éblouie. Des stries dans tous les sens, des nervures sur un flanc de rocher. Je n'avais aucune idée de la façon dont on pouvait représenter une flamme. Je ne savais pas que l'on pouvait toucher du feu".

Les aveugles de naissance n'en demeurent pas moins les premiers à reconnaître l'insuffisance de ces palliatifs, qui les induisent parfois d'avantage en erreur qu'ils ne les renseignent vraiment. "Les étoiles, on en a tous dessiné, alors ça empiète sur l'imagination, remarque Christine Cloux. Sauf que les vraies étoiles doivent avoir bien d'autres formes encore..." La difficulté à se représenter un phénomène proprement visuel, quand elle n'arrête pas un aveugle, peut au contraire aiguillonner sa curiosité. Il semble en effet que, pour certains d'entre eux, comme d'ailleurs pour quantité de voyants, moins une chose leur est accessible et plus elle les fascine. Une notion comme l'horizon, par exemple, laisse Christine Cloux rêveuse : "L'horizon, c'est là où la vue ne peut pas aller plus loin. C'est le sens de l'expression "à perte de vue", littéralement. C'est une limite, poétique pour moi... Instinctivement cela m'évoque la mer, le soleil, les océans. L'espace, l'infini presque, la liberté, l'évasion.". Le spectacle des plaines s'étendant à perte de vue, des montagnes dont les sommets se perdent dans les nuages ou des vallées s'abîmant dans des gouffres vertigineux, demeure l'apanage de la vue, mais certaines impressions auditives peuvent en donner de puissants équivalents à l'aveugle. Face à la mer, le bruit de la vague qui vient de loin lui permet de composer, à partir d'images spatiales finies, "une vision indéfinie qui peut lui donner la sensation de l'infini" (Pierre Villey). "Sur un rivage, je me concentre sur le bruit des vagues à en avoir le vertige, et je me livre toute entière à l'instant présent."confie Sophie Massieu.

A la montagne, des bruits légers transportés à de grandes distances, dont l'écho se répercute pendant de longues secondes, élargissent "l'horizon" de l'aveugle dans toutes les directions à la fois. L'aveugle est en outre affranchi de certains aléas liés à l'altitude : "Je ne pense pas que je puisse avoir le vertige, dans la mesure où il me semble qu'il s'agit d'un phénomène en relation avec la vue. "explique Daniel Baud (66 ans, retraité). Christine Cloux assure même aimer "la sensation de vide au bord d'une falaise.". Certains aveuglent de naissance aiment particulièrement se confronter à l'immensité des grands espaces : "Les espaces infinis, je suis allée dans le désert juste pour me plonger dedans..." affirme Sophie Massieu. Sans vouloir généraliser outre mesure, il semble que l'infini soit, pour les aveugles de naissance, moins une source de crainte que de curiosité. Quand, après leur avoir lu la phrase de Pascal : "Le silence éternel des espaces infinis m'effraie.", je leur demande lequel de ces termes leur inspire la plus grande crainte, aucun ne mentionne l'infini.

Pour Sophie Massieu, c'est l'éternité : "Se dire que rien ne va changer pendant toute une vie, ça ne correspond pas du tout à mon caractère". Pour Daniel Baud, c'est le silence éternel - et pour cause, un silence absolu serait, pour l'aveugle, comme une obscurité totale pour un voyant. "Perdre tout point de repère - plus d'espace-temps, plus de son, plus d'espace... - effectivement c'est effrayant, admet Christine Cloux. Nous avons besoin d'un lieu où être ancrés, d'un point de référence pour pouvoir dire :"je suis ici, je suis vivant." Mais sa foi tempère ses craintes : "C'est effrayant pour nous maintenant, Mais lorsque nous serons éternels, nous n'aurons plus besoin de ces notions physiques."

a couleur du "jamais" 

Nous disions plus haut que l'aveugle de naissance ne pouvait pas regretter la vue puisqu'il s'agissait d'un état qu'il n'avait jamais connu... Mais ne leur arrivent-ils jamais de soupirer après ces merveilles de la nature dont ils entendent parler autour d'eux, en songeant à ces beautés qu'ils n'ont jamais vu et, pour la majorité d'entre eux, ne verront jamais ? Ces pensées ne colorent-elles pas ce "jamais" d'une pointe d'amertume ?

"Je regrette la vue comme on peut envier le don de la divination ou les ailes de l'aigle" affirme un aveugle de naissance cité par Pierre Villey. Quand Christine Cloux s'imagine voyante, elle reste songeuse : "Peut-être qu'au lieu d'écrire je ferais des aquarelles... et encore, je pense que non.". La vue semble n'inspirer aux aveugles de naissance que des songes vains ou des désirs abstraits - voire même, parfois, une certaine méfiance : "Tant de gens qui voient sont en fait malheureux, remarque Christine Cloux. Pour sûr, la vue n'apporte ni le bonheur ni rien. Ou peut-être qu'elle apporte trop et qu'on est envahis par tout ce qu'il faut regarder." A l'en croire, la cécité peut même parfois s'avérer un filtre bénéfique : "Je peux éviter de me représenter ce que je ne veux pas, comme nombre d'images que vous subissez aux informations : les catastrophes, les morts... Je les comprends, je les intègre, ça me touche, mais je ne les "vois" pas précisément dans ma tête. L'impact émotionnel est largement suffisant et je ne suis pas masochiste."

En définitive, le rapport que l'aveugle de naissance entretient avec la vue est sans doute semblable à celui que nous entretenons tous vis-à-vis de l'inconnu : un mélange de peur et de désir, d'attirance et de défiance, comme en atteste ce témoignage de Christine Cloux, à qui nous laisserons le mot de la fin : "Oui, il m'arrive de regretter de ne pas voir. Je ne verrai jamais le visage des gens que j'aime, les fleurs, les étoiles, la nature, les petits enfants, les gens qui me sourient, les couleurs, les planètes... Et si je pouvais voir, juste un jour, juste une heure, cela ferait tellement plaisir à ma famille ! Ce serait pour eux un vrai bonheur, je pense, nettement plus que pour moi, puisque que je suis heureuse de ma vie de toute manière. Mais comme je suis curieuse, je voudrais tout voir, quitte à ne rien comprendre : les nuages, les étoiles, les gens. Je voudrais voir les visages changer lorsqu'ils ressentent des émotions. Je voudrais regarder dans un miroir pour voir quel effet ça fait d'être "face à soi-même" littéralement. Mais si vraiment je pouvais, je crois bien que ça me donnerait le vertige. C'est parce que je sais que ça ne risque pas d'arriver que je me dis que ce serait peut-être bien. Mais voir tout le temps... pas sûr. Il faudrait apprendre à voir, puis à regarder, puis à gérer. Et qui saurait m'apprendre comment faire ?"

Auteur: Molard Arthur

Info: http://www.jeanmarcmeyrat.ch/blog/2011/05/12/le-monde-tel-que-limaginent-ceux-qui-nont-jamais-vu

[ réflexion ] [ vacuité ] [ onirisme ] [ mimétisme ] [ imagination ] [ synesthésie ] [ monde mental ]

 

Commentaires: 0