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surmoi

Certes, il n’y a rien de plus fréquent que la conviction à bon compte d’avoir bien agi. Les pires abominations se commettent dans l’inébranlable conviction de faire ce qu’on a à faire (avec le plus souvent l’approbation totale et unanime du Groupe auquel on s’identifie, est-il besoin de le dire…), d’être on ne peut plus "en règle avec sa conscience" (qui a toujours bon dos). Sans doute même ne pourraient-elles pas s’accomplir sans cela, et en tout cas pas en pleine connaissance de cause.  Mais cette conviction, tout comme ce qu’on appelle communément "la conscience" proviennent du moi, elles n’impliquent pas les couches tant soit peu profondes de la psyché et ne sont nullement le reflet ou la source d’une véritable connaissance. Ces convictions font partie des accessoires du rôle que nous avons choisi de jouer, et cette "conscience" (qu’elle soit "bonne" ou "mauvaise", peu importe la différence…) fait partie du livret. Ces simagrées-là se déroulent dans les couches périphériques de la psyché. Et je n’ai aucun doute que dans ce cas si commun, celui du sempiternel "cinéma" qu’on joue à soi-même, on est toujours parfaitement au courant du jeu qui se joue. Mais cette connaissance reste à fleur de conscience, et au besoin est refoulée dans les parties plus ou moins profondes de l’Inconscient. »

Auteur: Grothendieck Alexandre

Info: La clef des songes, Sur la responsabilité

[ grégarisme ] [ autojustification ]

 
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origine

En revanche, on a, semble-t-il, quasi unanimement adopté la version des origines de l'homme que détaille un lumineux poème mythologique, "Le Supersage", comme nous l'appelons, traduction du non akkadien du héros : Atrahasîs. Selon ce mythe, les dieux, d'abord réduits à besogner par eux-mêmes pour vivre, s'étaient, à la fin, mis en grève, pour être dispensé d'une aussi épuisante corvée et traités sur le même pied sue leurs chefs, qui n'étaient pas astreints au travail. C'est alors que l’astucieux Enki/Ea avait eu l'idée d'une sorte de suppléant : l'homme, fait à la fois d’une argile tirée de la terre et qui le rappellerait un jour à la terre - à sa mort ; et du sang d'un dieu mineur, immolé pour la circonstance, qui lui conférerait quelque chose de l'intelligence, de l'énergie et de la productivité des ouvriers divins. Ce poème résumait les raisons d'être des hommes telles que se les imaginaient les Mésopotamiens : ils ne voyaient pas d’autre sens à leur existence que dans l'exploitation laborieuse et sans fin des matières premières du monde, pour en tirer tous les produits nécessaires, utiles ou agréables, destinés à assurer d'abord aux maîtres de l'univers, aux dieux, une vie insouciante et comblée, quitte à profiter eux-mêmes, subsidiairement, des surplus. La vie humaine n'avait de valeur qu’ordonnée au service-culte des dieux, tant la religiosité dominait tout.

Auteur: Bottéro Jean

Info: Babylone : A l'aube de notre culture

[ religion ] [ canevas ] [ historique ]

 

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totem et tabou

Ce coupable du mal, qui met la communauté en danger, à son insu peut-être, il faut le débusquer. Les animaux politiques, malades de la crise, se réunissent donc pour confesser leurs fautes et trouver le coupable - fût-ce le baudet, le bouc, le taureau, le cheval ou le premier venu – afin de le sacrifier (de le "faire sacré"), et d’apaiser la colère du ciel. Car, dit ce vieux salaud de Caïphe, le sacrificateur, "il est de votre intérêt qu’un seul homme meure pour le peuple, plutôt que la nation entière périsse." (Jean. Ch. 11, v.48, 51) On sait la suite. Le sacrifice unanime de la victime émissaire, son effusion de sang, purge, purifie la communauté de ses maux et fautes. Vient le moment où saisie de remord et de culpabilité, elle s’écrie d’une voix, "nous avons tué un dieu !" Ou, "brûlé une sainte !" Ou, "pendu un innocent !" Cette révélation prend souvent du temps. Elle travaille la communauté au fur et à mesure de la répétition du lynchage primitif, transformé en rite religieux (qui relie). Un rite de gratitude et d’adoration envers le dieu caché dans la victime, qui par sa mort a fait que tous vivent. Ensemble et en paix. Alors naît le culte du Loup, cette fierté d’appartenir à la meute, d’en être reconnu membre et de chasser avec.

Auteur: PMO Pièces et main-d'oeuvre

Info: http://www.piecesetmaindoeuvre.com/IMG/pdf/je_hurle_avec_les_loups.pdf

[ chasse au loup ] [ ambivalence ]

 
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viande industrielle

[...] conscient de ses responsabilités croissancistes, un éleveur de Langoëlan (Morbihan) envisage-t-il une extension de ses poulaillers pour y accueillir 120 000 têtes. Conseillé par ses maîtres - le groupe LDC (marques Le Gaulois, Maître Coq, Loué, etc.) qui le poussent à s'endetter toujours plus pour produire du poulet à nuggets pour McDonald's -, un concurrent de Néant-sur-Yvel, situé à l'orée de la forêt de Brocéliande, vise encore mieux. Si son projet va au bout, 190 000 poulets s'entasseraient bientôt dans de nouveaux bâtiments d'élevage - contre 40 000 actuellement. Le soutien des conseillers municipaux est unanime, ravis que doublent les émissions d'ammoniac (compostage des déjections), que s'accroisse le risque de pollution des cours d'eau du secteur (déjà de qualité "moyenne"), que soient pompés 5 millions de litres d'eau annuels dans une nappe déjà saturée en nitrates, que circulent les myriades de camions qui transporteraient des centaines de tonnes de fumier ou d'aliments par an et que soit détruit le travail des paysans non rentables. Les emmerdeurs habituels (les écologistes) soulignent de plus que ces poulets hors-sol seront évidemment nourris par les importations de soja et de maïs OGM en provenance d'Amérique du Sud, qui ont le très léger inconvénient de provoquer une déforestation accélérée de l'Amazonie, laquelle tire tant de larmes chez nos si sensibles dirigeants... Sans compter que les pesticides dont on les arrose ont le mauvais goût d'être respirés à plein poumons par les dockers qui contractent de magnifiques cancers professionnels en déchargeant les navires ! Tout ça pour que les poulets de Néant-sur-Yvel soient exportés vers les émirats !

Auteur: Anvélaut Raoul

Info: Dans "La décroissance" n° 164, novembre 2019, page 6

[ catastrophe globale ] [ élevage de masse ]

 
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arrivée

Nul ne le vit débarquer dans la nuit unanime, nul ne vit le canot de bambou s’enfoncer dans la fange sacrée, mais, quelques jours plus tard, nul n’ignorait que l’homme taciturne venait du Sud et qu’il avait pour patrie un des villages infinis qui sont en amont, sur le flanc violent de la montagne, où la langue zende n’est pas contaminée par le grec et où la lèpre est rare. Ce qu’il y a de certain c’est que l’homme gris baisa la fange, monta sur la rive sans écarter (probablement sans sentir) les roseaux qui lui lacéraient la peau et se traîna, étourdi et ensanglanté, jusqu’à l’enceinte circulaire surmontée d’un tigre ou d’un cheval de pierre, autrefois couleur de feu et maintenant couleur de cendre. Cette enceinte est un temple dévoré par les incendies anciens et profané par la forêt paludéenne, dont le dieu ne reçoit pas les honneurs des hommes. L’étranger s’allongea contre le piédestal. Le soleil haut l’éveilla. Il constata sans étonnement que ses blessures s’étaient cicatrisées ; il ferma ses yeux pâles et s’endormit, non par faiblesse de la chair mais par décision de la volonté. Il savait que ce temple était le lieu requis pour son invincible dessein ; il savait que les arbres incessants n’avaient pas réussi à étrangler, en aval, les ruines d’un autre temple propice, aux dieux incendiés et morts également ; il savait que son devoir immédiat était de dormir. Vers minuit, il fut réveillé par le cri inconsolable d’un oiseau. Des traces de pieds nus, des figues et une cruche l’avertirent que les hommes de la région avaient épié respectueusement son sommeil et sollicitaient sa protection ou craignaient sa magie. Il sentit le froid de la peur et chercha dans la muraille dilapidée une niche sépulcrale et se couvrit de feuilles inconnues.



 

Auteur: Borges Jorge Luis

Info: Les ruines circulaires, in Fictions

[ incipit ]

 

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représentation de soi

Le développement de la photographie nous a permis de démultiplier notre image. Qu’on y songe : il se prenait moins d’un milliard de photographies par an en 1930 alors qu’on en compte aujourd’hui, chaque année, près de 1 000 milliards ! L’un des objectifs les plus évidents de cette compulsion photographique est de proposer ces images de nous-mêmes à l’ensemble des membres de notre réseau social en scrutant le nombre de notifications que cette exhibition produit. Nous poussons parfois l’impudeur jusqu’à photographier le contenu de nos assiettes pour faire savoir combien même nos repas ne sont pas banals. Mais, puisque nous sommes des légions à alimenter ainsi ce narcissisme, d’où vient qu’il soit unanimement condamné ?

Il est vrai que cette passion photographique peut avoir des conséquences inattendues et regrettables. Certains paysages naturels, par exemple, sont défigurés par des légions d’instagrameurs avides de prendre et de diffuser la photo exceptionnelle. Le parc canadien de Joffre Lakes n’est plus le même depuis que, ces dernières années, sa fréquentation s’est accrue de plus de 250 % ! La raison en est qu’il abrite trois magnifiques lacs d’eau turquoise qui, surmontés par un glacier, offrent un décor magnifique ne demandant qu’à être immortalisé. Cerise sur le gâteau, un tronc d’arbre large et solide échoué depuis une rive permet de s’aventurer au-dessus d’un des lacs. Ce tronc a même été renommé Instalog. La raison ? Sur ce tronc pouvant soutenir le poids de plusieurs individus, on peut se faire prendre en photo en donnant l’impression qu’on est absolument seul face à la nature sauvage. Un produit parfait pour récolter des cœurs sur le réseau Instagram dévolu au partage de photographies. Faire cette photo est même devenu un passage obligé de la visite du parc. Si chacune de ces photos était décadrée, le sentiment qu’elle inspirerait serait bien différent : on verrait que devant le tronc s’allonge une file d’attente composées d’individus impatients et agressifs, attendant de faire la même photo pour pouvoir partager ce moment unique sur les réseaux sociaux.

Le destin d’un grand nombre de lieux de la planète a été modifié parce que le paysage qu’ils offrent est devenu viral sur les réseaux sociaux. C’est encore le cas de Trolltunga en Norvège, spectaculaire pic rocheux qui avance dans le vide à 700 mètres de hauteur. En 2010, quelques centaines de personnes seulement bravaient la difficile randonnée qui permettait d’accéder à ce graal. En 2016, il croulait sous les 90 000 visiteurs voulant à tout prix prendre la photo emblématique.

Le propriétaire d’une ferme de la province de Manitoba, au Canada, se souviendra lui aussi longtemps de ces milliers de personnes qui, en un week-end, ont débarqué dans ses champs de tournesol pour tenter de prendre la même photographie qu’elles avaient admirée quelques jours avant sur Instagram. Il en va de même pour la petite ville californienne de Lake Elsinore qui, à la Saint-Patrick, a vu l’un de ses champs de pavot piétiné par les 100 000 personnes avides de reproduire les photos qu’avait prises une influenceuse. Ce type de situation conduit parfois à des décisions radicales. Dans l’État de Washington, aux États-Unis, on a préféré détruire le Vance Creek Bridge, un magnifique pont abandonné traversant la forêt, plutôt que de subir le vandalisme plus ou moins volontaire de la légion des individus voulant faire la photo unique et cependant identique à toutes les autres.

Auteur: Bronner Gérald

Info: Apocalypse cognitive

[ destruction ] [ phénomène de masse ] [ mimétisme ] [ panurgisme ]

 
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sciences

Créer de nouveaux souvenirs pendant le sommeil ?
L'équipe de Karim Benchenane du Laboratoire Plasticité du cerveau à l'ESPCI, associée à des chercheurs du laboratoire Neuroscience à l'Institut de biologie Paris-Seine, a réussi à créer artificiellement, à l'aide d'une interface cerveau-machine, un souvenir de lieu pendant le sommeil chez la souris. Cette étude publiée dans la revue Nature Neuroscience démontre ainsi le rôle causal des cellules de lieu de l'hippocampe dans l'établissement d'une carte cognitive de l'environnement, et leur rôle dans la consolidation de la mémoire pendant le sommeil.
L'hippocampe est une structure cérébrale cruciale pour la mémoire et la navigation spatiale, chez l'homme comme chez l'animal. En effet, des lésions de l'hippocampe entrainent une amnésie antérograde, c'est à dire l'incapacité de former de nouveaux souvenirs. De plus, ces études de lésions ont pu montrer qu'il existait deux types de mémoire: la mémoire dite déclarative ou explicite, qui peut être communiquée par des mots, et la mémoire procédurale, qui concerne notamment des apprentissages moteurs, ou encore les conditionnements simples. Chez le rongeur, la mémoire spatiale, dont les facultés sont altérées par des lésions de l'hippocampe, est alors considérée comme une mémoire de type explicite, notamment lorsqu'elle est utilisée dans la mise en place d'un comportement dirigé vers un but.
De manière intéressante, l'activité de certains neurones de l'hippocampe est corrélée à la position de l'animal dans un environnement: on parle de cellules de lieu. Ce corrélât est si fort que l'on peut déduire la position de l'animal uniquement par l'analyse de l'activité de ces cellules de lieu, ce qui suggère que l'animal pourrait se servir de ces neurones particuliers comme carte mentale lors de la navigation. La découverte de ces cellules de lieu, ainsi que l'établissement de la théorie de la carte cognitive, a valu au neurobiologiste John O'Keefe l'attribution du prix Nobel de médecine 2014. Cependant, même si cette théorie était unanimement acceptée, elle ne reposait que sur des corrélations et il n'y avait jusqu'alors pas de preuve directe d'un lien de causalité entre la décharge des cellules de lieu et la représentation mentale de l'espace.
L'activité de ces cellules pourrait également expliquer le rôle bénéfique du sommeil dans la mémoire. En 1989, le chercheur Gyuri Buzsaki a proposé que ce rôle bénéfique pourrait reposer sur les réactivations neuronales survenant pendant le sommeil. En effet pendant le sommeil, les cellules de lieu rejouent l'activité enregistrée pendant l'éveil, comme si la souris parcourait à nouveau mentalement l'environnement afin d'en renforcer son apprentissage. A nouveau, cette théorie, bien qu'étayée par un nombre important de résultats concordants, n'avait pas pu être démontrée directement.
L'équipe du Laboratoire Plasticité du Cerveau à l'ESPCI, a utilisé une interface cerveau-machine pour associer pendant le sommeil les réactivations spontanées d'une cellule de lieu unique à une stimulation dans les fibres dopaminergiques du circuit de la récompense, appelé faisceau médian prosencéphalique. Au réveil, la souris se dirigeait directement vers le champ de lieu de la cellule de lieu associée aux stimulations, comme pour y rechercher une récompense, alors qu'aucune récompense n'y avait jamais été présentée. La souris avait donc consolidé un nouveau souvenir pendant son sommeil, celui de l'association de ce lieu à une sensation de plaisir.
Dans cette expérience, l'activité de la cellule de lieu était décorrélée de la position de la souris puisque celle-ci était endormie dans sa cage. L'association entre l'activité du neurone et de la stimulation récompensante entraine au réveil de la souris une association lieu-récompense. Cette étude apporte donc une preuve du lien causal entre l'activité d'une cellule de lieu et la représentation mentale de l'espace. Enfin, elle montre que les réactivations des cellules de lieu pendant le sommeil portent bien la même information spatiale que pendant l'éveil, confirmant ainsi le rôle des réactivations neuronales dans la consolidation de la mémoire.
Cette étude démontre enfin qu'il est possible de créer une mémoire complexe, ou explicite, durant le sommeil, allant bien au delà des précédentes études montrant que des conditionnements simples pouvaient être réalisés pendant le sommeil. Ces recherches pourraient permettre le développement de nouvelles thérapies du stress post-traumatique en utilisant le sommeil pour effacer l'association pathologique.

Auteur: Internet

Info: 8 avril 2015

[ dormir ] [ programmation ]

 

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léviathan

Le calamar géant qui a fait trembler les mers

Il a fallu plusieurs siècles aux savants pour donner crédit aux récits des marins attaqués par un terrifiant monstre marin. Le calamar géant devint un personnage littéraire à part entière au travers d’œuvres telles que Les Travailleurs de la mer de Victor Hugo ou Vingt Mille Lieues sous les mers de Jules Verne.

Les chroniques et les sagas nordiques du Moyen-Âge décrivent un terrifiant monstre marin qui faisait la taille d’une île et se déplaçait dans les mers séparant la Norvège de l’Islande. Au XIIIe siècle, la saga islandaise Örvar-Oddr parle du "monstre le plus grand de la mer", capable d’avaler "des hommes, des bateaux et même des baleines". 

Cette intrigante apparition revient dans des textes ultérieurs, comme la chronique du Suédois Olaus Magnus, qui décrit au XVIe siècle de colossales créatures, capables de couler un bateau. Ce type de récits continue de circuler au XVIIIe siècle, époque à laquelle ce monstre commence à être connu sous le nom de kraken (littéralement “arbre déraciné”), un terme norvégien désignant une réalité pour le moins fantasque. Dans son Histoire naturelle de la Norvège (1752), Erik Ludvigsen Pontoppidan, évêque de Bergen, décrit en effet le kraken comme "une bête d’un mille et demi de long qui, si elle s’accroche au plus grand navire de guerre, le fait couler jusqu’au fond" et précise qu’il "vit dans les fonds marins, dont il ne remonte qu’une fois réchauffé par les feux de l’enfer".

Pourtant, ces descriptions ne sortaient pas totalement de l’imagination de leurs auteurs. Erik Ludvigsen Pontoppidan nota par exemple que "les décharges de l’animal troublaient l’eau" ; il pourrait donc s’agir d’un calamar géant. L’histoire du kraken est liée aux péripéties vécues dans des mers inconnues par des marins qui les relataient à leur retour. Si les marins nordiques s’étaient limités à l’Atlantique Nord, l’entrée dans la modernité a toutefois étendu le champ d’observation à l’ensemble du Pacifique.

Certains marins ont parlé d’un "diable rouge", un calamar qui attrapait et dévorait des naufragés ; d’autres ont évoqué des animaux marins insatiables, mesurant de 12 à 13 m de longueur. La succession de témoignages d’officiers de marine racontant avoir été confrontés à ces créatures déconcertait les scientifiques. Si le célèbre naturaliste suédois Carl von Linné, le père de la taxonomie moderne, inclut le kraken dans son Systema naturae (1735), la plupart des scientifiques n’étaient pas prêts à assumer l’existence du terrible monstre nordique. Le sort injuste que subit le Français Pierre Denys de Montfort illustre cette fermeture d’esprit. Dans son Histoire naturelle générale et particulière des mollusques, le naturaliste consigna en 1801 l’existence des animaux "[les plus grands] de la Nature quant à notre planète" : le "poulpe colossal"et le "poulpe kraken". Il se fondait sur des récits nordiques et des témoignages de marins contemporains, qu’il mit en relation avec un animal similaire cité par le naturaliste romain Pline l’Ancien. Il inclut dans son oeuvre une illustration représentant l’attaque d’un navire par un poulpe géant au large de l’Angola, qui devint l’image emblématique du kraken, mais suscita le rejet unanime de la communauté scientifique et le discrédita à vie.

Or, les témoignages sur l’existence de cet animal légendaire continuaient à se succéder. Le capitaine de baleinier Frank Bullen raconta ainsi qu’il avait sans l’ombre d’un doute assisté au combat d’un "énorme cachalot" avec un "gigantesque calamar". Selon sa description, les yeux de l’animal étaient situés à la base de ses tentacules, corroborant l’idée qu’il s’agissait plutôt d’un calamar (pieuvre et poulpe possédant des bras, mais pas de tentacules).

L’épisode qui marqua un tournant dans l’histoire des calamars géants se produisit en 1861, lorsque le navire français Alecton se trouva confronté à un céphalopode de 6 m de long au nord-est de Ténériffe, dans l’Atlantique. Son commandant, le capitaine de frégate Frédéric Bouyer, relata cette rencontre dans un rapport qu’il soumit à l’Académie des sciences : l’animal "semblait vouloir éviter le navire", mais le capitaine se disposa à le chasser en lui lançant des harpons et en lui tirant des coups de fusil. Il ordonna même de le "garrotter […] et de l’amener le long du bord", mais la créature finit par s’enfoncer dans les profondeurs. Frédéric Bouyer conserva ainsi un morceau du calamar, qu’il fit parvenir au prestigieux biologiste Pierre Flourens. 

Le calamar géant devint un personnage littéraire à part entière au travers d’œuvres telles que Les Travailleurs de la mer de Victor Hugo ou Vingt Mille Lieues sous les mers de Jules Verne. Toujours avide de nouvelles découvertes scientifiques, Jules Verne décrivit dans son roman l’épisode de l’Alecton et toutes les références mythiques et historiques à l’animal ; il y inclut aussi l’attaque d’un calamar contre le Nautilus lui-même. Les scientifiques analysèrent pour leur part les témoignages de marins et les restes de calamars récupérés en mer ou échoués, et conclurent qu’il s’agissait d’une espèce particulière, qu’ils baptisèrent Architeuthis dux.

Le mystère continue de planer autour de cet animal. On ne sait presque rien de son cycle de vie ni de ses habitudes, ni même s’il s’agit d’une seule espèce de calamar. Seules une équipe de scientifiques japonais et une chaîne nord-américaine ont pu le filmer de manière brève respectivement en 2006 et 2012. On sait malgré tout que les mâles mesurent environ 10 m de long et les femelles 14. Son oeil, le plus grand du règne animal, peut mesurer jusqu’à 30 cm de diamètre. 

L’habitat de cet animal se situe dans des profondeurs extrêmes, surtout dans l’océan Pacifique, mais aussi dans l’Atlantique. Il trouve par exemple refuge dans le canyon d’Avilés, à 5 000 m de profondeur au large des Asturies. Habitués à en rencontrer lorsqu’ils partent en mer, les pêcheurs locaux n’ont guère accordé d’importance à la controverse autour de son existence. Cet animal leur est si familier qu’ils lui ont même donné un nom : le peludín ("petit velu") ; un musée, qui lui est consacré, a par ailleurs ouvert ses portes en 1997 à Luarca, sur la côte des Asturies. 

Qu’on l’appelle peludín ou Architeuthis dux, on sait désormais avec certitude que cet animal existe, même s’il n’est pas aussi sauvage que la créature sortie de l’imagination nordique et des bestiaires de la Renaissance. Il est désormais si réel que seuls notre abandon de l’exploration sous- marine et l’absence de progrès de la science entravent encore son étude et la connaissance que nous en avons. D’ici là, le mystère qui l’entoure continuera d’alimenter des légions de cryptozoologues résolus à ressusciter le kraken, mais aussi les créatures les plus romantiques de nos vieilles légendes marines.

Auteur: Armendariz Xabier

Info: sur https://www.nationalgeographic.fr/, 6 juillet 2021

[ mythologie ] [ homme-animal ]

 

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fric

Faut-il réduire la taille des établissements bancaires ? Une stricte séparation entre banque de dépôt et banque d'investissement est-elle nécessaire ? Qu'en est-il des relations entre les pouvoirs publics et les banques ?
La Lettre des Académies, une publication commune de l'Académie royale de Belgique, l'Académie royale de Médecine de Belgique, l'Académie royale de langue et littérature françaises de Belgique, The Royal Academies for Science and the Arts of Belgium et l'Union Académique internationale, me pose la question mise en titre. Ma réponse sera publiée dans le N° 31.
Une réponse a été offerte indirectement à ces questions d'actualité, le 6 mars 2013, par Eric Holder, l'Attorney General des États-Unis, l'équivalent de notre Ministre de la justice.
Le cadre de sa déclaration était une audition du Comité judiciaire du Sénat américain. Les questions posées visaient à comprendre pourquoi aucun dirigeant d'établissement bancaire n'avait été poursuivi à la suite des événements qui avaient conduit à l'effondrement du système financier international en septembre 2008, le fait étant patent que l'origine de ce séisme se trouve au sein-même du système bancaire américain, et plus particulièrement dans l'émission de titres adossés à des prêts immobiliers résidentiels de qualité médiocre, les fameux prêts "subprime".
Répondant au Sénateur Chuck Grassley (républicain de l'Iowa), qui l'interrogeait sur l'apathie du ministère de la Justice dans la recherche de coupables, Eric Holder déclaraot ceci :
"Je crains que la taille de certains de ces établissements ne soit devenue si grande qu'il est devenu difficile de les poursuivre en justice, parce que des indications nous parviennent qui si nous les poursuivions - si nous procédions à des inculpations - cela aurait un impact négatif sur l'économie nationale, voire même sur l'économie mondiale, et il me semble que ceci est la conséquence du fait que certains de ces établissements sont devenus trop importants [...] Ceci a une influence inhibitoire sur, ou impacte, notre capacité à prendre les mesures qui seraient selon moi les plus adéquates..."
Holder ne dit pas explicitement qu'il existe entre le secteur bancaire et le ministère de la Justice un rapport de force et qu'au sein de celui-ci, le ministère de la Justice est en position défavorable, mais c'est bien ainsi que ses propos furent interprétés par les sénateurs qui l'interrogeaient. C'est également la manière dont sa réponse fut rapportée par la presse unanime.
* * *
Lorsqu'il était devenu manifeste à l'automne 2008 que certaines banques étaient à ce point stratégiques que leur chute, comme celle de Lehman Brothers qui venait d'intervenir, entraînerait celle du secteur financier tout entier, l'expression "Too Big to Fail" se répandit : trop grosse pour faire défaut. Elle s'emploie toujours, en concurrence avec l'expression officielle de "banque systémique", en référence au risque systémique : la mise en péril du système financier dans son ensemble.
En février 2013, dans une tribune libre du Financial Times, Neil Barofsky, qui avait été l'Inspecteur-général du Troubled Asset Relief Programme (TARP), le programme de sauvetage du système financier américain, employa une nouvelle expression calquée sur la première : "Too Big to Jail", trop grosse pour être mise en prison.
S'il était donc apparu en 2008 que certains établissements bancaires étaient à ce point cruciaux que leur faillite se répercuterait sur l'ensemble du système financier, il était devenu évident en 2013, et c'est ce que les propos du ministre de la Justice américain confirmaient, que le rapport de force entre ces mêmes banques et le gouvernement était tel qu'elles disposaient du pouvoir de maintenir le statu quo. Les banques systémiques disposaient désormais du pouvoir de faire obstacle à ce qu'on les empêche de mettre en péril l'ensemble du système financier, et ce pouvoir, elles l'exerçaient.
Trois approches étaient envisageables vis-à-vis des banques systémiques :
1) les démanteler, jusqu'à ce que la taille des unités recomposées soit telle que leur défaut n'entraîne plus d'effet domino ;
2) décourager ou interdire celles de leurs activités qui génèrent du risque systémique, à savoir les paris sur les variations de prix (ce qu'on désigne habituellement du terme trop vague de "spéculation").
3) accroître les réserves par rapport à leur niveau d'avant-crise, en espérant que le calcul soit cette fois fait correctement.
À chaud, à l'automne 2008, les deux premières options uniquement étaient sérieusement prises en considération, la troisième était écartée du fait de sa touchante naïveté. Seule cette dernière pourtant serait adoptée en juillet 2011 avec les normes Bâle III, qui devraient être mises en vigueur entre 2016 et 2019, du moins si les efforts des lobbies qui cherchent aujourd'hui à les bloquer devaient échouer.
Dans une approche en termes de réserves, rien n'est fait - il faut le souligner - pour endiguer le risque systémique : on s'efforce seulement d'évaluer les pertes éventuelles. Bâle III ne distingue pas non plus les risques inévitables, dus aux impondérables d'un avenir incertain, et les risques encourus délibérément par les banques quand elles font des paris sur les variations de prix.
* * *
Dans trois cas récents, les efforts du secteur bancaire pour faire obstacle à ce qu'on l'empêche de mettre à l'avenir l'ensemble du système financier en péril, furent couronnés de succès.
Un tribunal à Washington invalidait le 29 septembre 2012 des mesures prises par la CFTC (Commodity Futures Trading Commission), le régulateur américain du marché des produits dérivés, règles qui auraient plafonné le volume des positions qu'un intervenant peut prendre sur le marché à terme des matières premières, afin qu'il ne puisse à lui seul le déséquilibrer. Le secteur s'était opposé à de telles mesures, noyant la commission sous un flot d'avis défavorables, s'assurant ensuite - grâce au parti républicain - que le budget de l'organe de contrôle prévu ne soit pas voté, assignant enfin la CFTC devant les tribunaux. Cette dernière stratégie s'avérerait payante.
On avait appris quelques jours auparavant, le 24 septembre 2012, que l'IOSCO (International Organisation of Securities Commissions), organisme fédérant les régulateurs nationaux sur le marché des matières premières, et à qui le G20 avait confié le soin de réguler le marché du pétrole, jetait l'éponge. Lors de la réunion qui venait de se tenir, les contreparties : l'Agence Internationale de l'énergie, l'OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole) et les compagnies Total et Shell, avaient constitué un front du refus. Les compagnies pétrolières avaient affirmé qu'en cas de réglementation du secteur, elles cesseraient de communiquer à leurs organismes de supervision les données relatives aux prix pratiqués.
Le mois précédent, le 22 août 2012, alors que la SEC (Securities and Exchange Commission), le régulateur des marchés boursiers américains, avait mis au point un ensemble de mesures en vue d'empêcher que ne se reproduise un effondrement du marché des capitaux à court terme (money market), tel celui qui l'avait dévasté en septembre 2008, elle n'était pas parvenue à réunir une majorité en son sein, l'un des membres du comité - très lié au secteur - ayant refusé son aval.
Je concluais ainsi ma chronique dans le quotidien Le Monde, où je rapportais ces trois illustrations (°) :
"La finance dispose donc des moyens de neutraliser toute tentative de réduire la nocivité de ses pratiques. Elle s'est immunisée contre les efforts engagés par la communauté pour se protéger contre un nouvel effondrement, efforts motivés bien entendu par le souci de se prémunir contre les conséquences économiques et sociales d'une telle catastrophe. Toute mesure préventive d'un nouveau désastre étant systématiquement désamorcée, celui-ci devient inéluctable".
J'avais donné pour titre à ma chronique elle-même, une citation d'Arnold J. Toynbee : "Les civilisations ne meurent pas assassinées, elles se suicident".
Tous les efforts menés en vue d'une nouvelle régulation de la finance recourent à la même stratégie : le monde financier est consulté par les autorités, se tient ensuite une négociation visant à ce que se dégage un compromis entre les exigences des uns et des autres. La condition essentielle pour qu'une telle stratégie réussisse est que l'industrie financière s'identifie à l'intérêt général, qu'elle reconnaisse et promeuve la nécessité de garantir un cadre qui maintienne la pérennité des institutions financières sans affecter pour autant la bonne santé de l'économie. Cette condition-là n'est hélas pas remplie.
John Maynard Keynes écrivait en 1926 dans un essai consacré à "La fin du laisser-faire" : "Suggérer à la City de Londres une action sociale en vue du bien public est du même ordre d'idée que discuter L'origine des espèces avec un évêque il y a soixante ans". La remarque n'a rien perdu de son actualité, et notre tolérance, à nous citoyens, face à ce scandale, toujours aussi grande, suggérant que nous nous sommes faits une raison devant un rapport de force entre le secteur bancaire et nous qui semble destiné à nous demeurer éternellement défavorable.

Auteur: Jorion Paul

Info: 13 AOÛT 2013

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