Citation
Catégorie
Tag – étiquette
Auteur
Info



nb max de mots
nb min de mots
trier par
Dictionnaire analogique intriqué pour extraits. Recherche mots ou phrases tous azimuts. Aussi outil de précision sémantique et de réflexion communautaire. Voir la rubrique mode d'emploi. Jetez un oeil à la colonne "chaînes". ATTENTION, faire une REINITIALISATION après  une recherche complexe. Et utilisez le nuage de corrélats !!!!..... Lire la suite >>
Résultat(s): 573
Temps de recherche: 0.0574s

non-voyant

Le monde tel que l'imaginent ceux qui n'ont jamais vu. (I)
Depuis les opérations pratiquées par le chirurgien anglais Cheselden en 1728 sur des personnes atteintes de cataracte congénitale, redonner la vue aux aveugles ne tient plus du miracle biblique mais de la science - et les avancées extraordinaires que la médecine a effectuées dans ce domaine invitent à être optimistes pour l'avenir. Toutefois, la plupart des aveugles de naissance qui vivent aujourd'hui savent que ces progrès bénéficieront surtout aux générations futures et que, pour la majorité d'entre eux, ils quitteront ce monde sans en avoir rien vu. Pour autant, à en croire certains, il n'y a nullement là de quoi s'affliger :" Je ne regrette jamais de ne pas voir. Je vois autrement et puis je n'ai jamais vu avec les yeux, ça ne peut pas me manquer." affirme Sophie Massieu (36 ans, journaliste).
L'aveugle de naissance "ne sait pas ce qu'il perd", littéralement parlant, il n'a donc aucune raison de soupirer après un état qu'il n'a jamais connu. Ce n'est donc pas, dans son cas, sur le mode de la lamentation ou du regret lyrique qu'il faut entendre le mot "jamais", comme ce peut être le cas pour les aveugles tardifs qui restent longtemps hantés par leurs souvenirs de voyant... Non, pour l'aveugle-né, ce "jamais" fonctionne à la manière d'un levier, d'une faille où s'engouffre son imagination : à quoi peut ressembler ce monde visible dont tout le monde parle autour de lui ? Comment se représenter des notions proprement visuelles, telles que les couleurs, l'horizon, la perspective ? Toutes ces questions pourraient tenir en une seule : comment concevoir ce qu'est la vue sans voir ? Question qui a sa réciproque pour le voyant : comment se représenter ce que c'est que de ne pas voir pour quiconque a toujours vu ? Il y a là un défi lancé à l'imagination, défi d'autant plus difficile à relever que les repères auxquels chacun aura spontanément tendance à se référer seront tirés d'un univers perceptif radicalement différent de celui qu'on cherche à se représenter, et qu'ils risquent fort, par conséquent, de nous induire en erreur. Il n'est pas dit que ce fossé perceptif puisse être franchi par l'imagination - mais comme tout fossé, celui-ci appelle des passerelles : analogies puisées dans les autres sens ou dans le langage, efforts pour s'abstraire de ses automatismes de pensée - ce que Christine Cloux, aveugle de naissance, appelle une forme de "souplesse mentale"... L'enjeu, s'il est vital pour l'aveugle, peut sembler minime pour le voyant : que gagne-t-on à imaginer le monde avec un sens en moins ? On aurait tort de négliger l'intérêt d'une telle démarche intellectuelle, car s'interroger sur la perception du monde d'un aveugle de naissance, c'est remettre la nôtre en perspective, en appréhender le caractère relatif, mesurer à quel point nos représentations mentales dépendent de nos dispositions sensibles - enfin, c'est peut-être le moyen de prendre conscience des limites de notre point de vue et, le temps d'un effort d'imagination, de les dépasser...
Imaginer le monde quand on est enfant
Le jeune enfant voyant croit que les choses cessent d'exister dès lors qu'elles quittent son champ de vision : un moment très bref, dit-on, sépare le temps où il croit encore sa mère absente et celui où il la croit déjà morte. Qu'on s'imagine alors ce qu'il en est pour l'enfant aveugle de naissance... "J'avais peur de lancer un ballon, parce que je pensais qu'il allait disparaître. Mon monde s'arrêtait à un mètre, au-delà, pour moi, c'était le vide. "explique Natacha de Montmollin (38 ans, informaticienne de gestion). Comment être sûr que les objets continuent d'exister quand ils sont hors de portée, d'autant plus quand on ne les retrouve pas là où on les avait laissés ? Comment accorder sa confiance à monde aussi inconstant ? Un enfant aveugle de naissance aura nécessairement besoin de plus de temps qu'un enfant voyant pour trouver ses marques et pour comprendre le monde qui l'entoure.
Dans les premières années de sa vie, l'aveugle de naissance n'a pas conscience de son handicap... De fait, s'il ne vivait dans une société de voyants, il passerait toute sa vie sans se douter de l'existence du monde visible. Dans la nouvelle de H. G. Wells Le pays des aveugles, le héros, voyant débarqué dans une communauté d'aveugles qui vit repliée sur elle-même, découvre à ses dépens qu'on y traite ceux qui se prétendent doués de la vue non comme des dieux ou des rois, mais comme des fous, comme nous traitons ceux qui affirment voir des anges - pour le dire autrement : au royaume des aveugles de naissance, les borgnes seraient internés. C'est uniquement parce qu'il vit dans une société organisée par et pour des voyants que l'aveugle finit par contracter, avec le temps, le sentiment de sa différence. Cette découverte peut se faire de différentes manières : les parents peuvent, quand ils estiment leur enfant assez mûr, lui expliquer son infirmité ; l'enfant peut également la découvrir par lui-même, au contact des autres enfants. "On ne m'a jamais expliqué que j'étais aveugle, j'en ai pris conscience avec le temps, explique Sophie Massieu. Quand je jouais à cache-cache avec les autres enfants, je ne comprenais pas pourquoi j'étais toujours la première débusquée... Evidemment, j'étais toujours cachée sous une table, sans rien autour pour me protéger, je sautais un peu aux yeux..."
Le jeune aveugle de naissance finit donc par comprendre qu'il existe une facette de la réalité que les autres perçoivent mais qui lui demeure inaccessible. Dans un premier temps, cette "face du monde" doit lui paraître pour le moins abstraite et difficile à concevoir. Pour avoir un aperçu de l'effort d'imagination que cela exige, le voyant devrait tenter de se représenter une quatrième dimension de l'espace qui l'engloberait sans qu'il en ait conscience...
Il est inévitable que l'aveugle de naissance commence par se faire de certaines choses une représentation inexacte : ces "fourvoiements de l'imagination" constituent des étapes indispensables à l'élaboration de l'intelligence, qu'on soit aveugle ou non. En outre, ils peuvent avoir leur poésie. Un psychologue russe (cité par Pierre Villey dans son ouvrage Le monde des aveugles) mentionne l'exemple d'un jeune aveugle de naissance qui se représentait absolument tous les objets comme en mouvement, jusqu'aux plus immobiles : "pour lui les pierres sautent, les couleurs jouent et rient, les arbres se battent, gémissent, pleurent". Cette représentation peut prêter à sourire, mais après tout, la science et la philosophie ne nous ont-elles pas enseigné que l'immobilité du monde n'était qu'une illusion de la perception, découlant de l'incomplétude de notre point de vue ? A ce titre, l'imagination de ce garçon semblait lui avoir épargné certaines illusions dont l'humanité a eu tant de mal à se déprendre : par exemple, quoiqu'il ne sut rien du mouvement des corps célestes, on raconte que, lorsqu'on lui posa la question : "le soleil et la lune se meuvent-ils ?", il répondit par l'affirmative, sans aucune hésitation.
L'aveugle de naissance peut se représenter la plupart des objets en les palpant. Quand ceux-ci sont trop imposants, des maquettes ou des reproductions peuvent s'y substituer. "J'ai su comment était foutue la Tour Eiffel en ayant un porte-clefs entre les mains... " se souvient Sophie Massieu. Tant que l'objet demeure hors de sa portée, hors du champ de son expérience, il n'est pas rare que l'aveugle s'en fasse une image fantaisiste en se fondant sur la sonorité du mot ou par associations d'idées. Ce défaut n'est pas propre aux aveugles, et "chez chacun, l'imagination devance l'action des sens", pour reprendre l'expression de Pierre Villey. Mais ce défaut peut avoir des conséquences nettement plus fâcheuses chez l'aveugle de naissance, car s'il se contente de ces représentations inexactes et ne cherche pas à les corriger, il risque de méconnaître le monde qui l'entoure et de s'isoler dans un royaume fantasque construit selon les caprices de son imagination. L'aveugle-né n'a pas le choix : il doit s'efforcer de se représenter le monde le plus fidèlement possible, sous peine d'y vivre en étranger...
Imaginer les individus
Très tôt, l'aveugle va trouver des expédients pour se représenter le monde qui l'entoure, à commencer par les gens qu'il côtoie. Leur voix, pour commencer, constitue pour lui une mine d'informations précieuses : l'aveugle prête autant attention à ce que dit son interlocuteur qu'à la manière dont il le dit. La voix révèle un caractère, le ton une humeur, l'accent une origine... "On peut dire ce qu'on veut, mais notre voix parle de nous à notre insu." explique Christine Cloux (36 ans, informaticienne). Certains aveugles considèrent qu'il est beaucoup plus difficile de déguiser les expressions de sa voix que celles de son visage, et pour eux, c'est la voix qui est le miroir de l'âme : "Un monde d'aveugle aurait ses Lavater [auteur de"L'Art de connaître les hommes par la physionomie"]. Une phonognomie y tiendrait lieu de notre physiognomie." écrit Pierre Villey dans Le monde des aveugles. Mais à trop se fier au caractère révélateur d'une voix, l'aveugle s'expose parfois à de cruelles désillusions... Villey cite le cas d'une jeune aveugle qui s'était éprise d'une actrice pour le charme de sa voix : "Instruite des déportements peu recommandables de son idole elle s'écrie dans un naïf élan de désespoir : "Si une pareille voix est capable de mentir, à quoi pourrons-nous donc donner notre confiance ?".
De nombreux autres indices peuvent renseigner l'aveugle sur son interlocuteur : une poignée de main en dit long (Sophie Massieu affirme haïr "les poignées de main pas franches, mollasses...", qu'elle imagine comparables à un regard fuyant) ; le son des pas d'un individu peut renseigner sur sa corpulence et sa démarche ; les odeurs qu'il dégage peuvent donner de précieux renseignements sur son mode de vie - autant d'indices que le voyant néglige souvent, en se focalisant principalement sur les informations que lui fournit sa vue. Quant à l'apparence physique en elle-même, la perspicacité de l'aveugle atteint ici ses limites : "Il y a des choses qu'on sait par le toucher mais d'autres nous échappent : on a la forme du visage, mais on n'a pas la finesse des traits, explique Sophie Massieu. On peut toujours demander aux copines "tiens, il me plaît bien, à quoi il ressemble ?" Bon, il faut avoir des bonnes copines... " Certains aveugles de naissance sont susceptibles de se laisser influencer par les goûts de la majorité voyante : Jane Hervé mentionne la préférence d'une aveugle de naissance pour les blonds aux yeux bleus :"Je crois que les blonds sont beaux. Peut-être que c'est rare...". "D'une façon générale, je pense que la manière dont nous imaginons les choses que nous ne pouvons pas percevoir tient beaucoup à la manière dont on nous en parle, explique Sophie Massieu. Si la personne qui vous le décrit trouve ça beau, vous allez trouvez ça beau, si elle trouve ça moche, vous allez trouver ça moche...". De ce point de vue, l'aveugle dépend - littéralement - du regard des autres : "Mes amis et ma famille verbalisent beaucoup ce qu'ils voient, alors ils sont en quelque sorte mon miroir parlant..." confie Christine Cloux.
Imaginer l'espace
On a cru longtemps que l'étendue était une notion impossible à concevoir pour un aveugle. Platner, un médecin philosophe du siècle dernier, en était même arrivé à la conclusion que, pour l'aveugle-né, c'était le temps qui devait faire office d'espace : "Eloignement et proximité ne signifient pour lui que le temps plus ou moins long, le nombre plus ou moins grand d'intermédiaires dont il a besoin pour passer d'une sensation tactile à une autre.". Cette théorie est très poétique - on se prend à imaginer, dans un monde d'aveugles-nés, des cartes en relief où la place dévolue à chaque territoire ne serait pas proportionnelle à ses dimensions réelles mais à son accessibilité, au temps nécessaire pour le parcourir... Dans les faits, cependant, cette théorie nous en dit plus sur la manière dont les voyants imaginent le monde des aveugles que sur le contraire. Car s'il faut en croire les principaux intéressés, ils n'ont pas spécialement de difficulté à se figurer l'espace.
"Tout est en 3D dans ma tête, explique Christine Cloux. Si je suis chez moi, je sais exactement comment mon appartement est composé : je peux décrire l'étage inférieur sans y aller, comme si j'en avais une maquette. Vraiment une maquette, pas un dessin ou une photo. De même pour les endroits que je connais ou que j'explore : les gares, des quartiers en ville, etc. Plus je connais, plus c'est précis. Plus j'explore, plus j'agrandis mes maquettes et j'y ajoute des détails."La représentation de l'espace de l'aveugle de naissance se fait bien sous formes d'images spatiales, mais celles-ci n'en sont pas pour autant des images-vues : il faudrait plutôt parler d'images-formes, non visuelles, où l'aveugle projette à l'occasion des impressions tactiles. Pour décrire cette perception, Jane Hervé utilise une comparaison expressive :"les sensations successives et multiples constituent une toile impressionniste - tramée de mille touchers et sensations - suggérant la forme sentie, comme les taches d'or étincelant dans la mer composant l'Impression, soleil devant de Claude Monet."
A l'époque des Lumières, certains commentateurs, stupéfaits par les pouvoirs de déduction des aveugles, s'imaginaient que ceux-ci étaient capables de voir avec le bout de leurs doigts (ils étaient trompés, il faut dire, par certains aveugles qui prétendaient pouvoir reconnaître les couleurs d'un vêtement simplement en touchant son étoffe). Mais les aveugles de naissance eux-mêmes ne sont pas à l'abri de ce genre de méprises : Jane Hervé cite le cas d'une adolescente de 18 ans - tout à fait intelligente par ailleurs - qui pensait que le regard des voyants pouvait contourner les obstacles - exactement comme la main permet d'enserrer entièrement un petit objet pour en connaître la forme. Elle pensait également que les voyants pouvaient voir de face comme de dos, qu'ils étaient doués d'une vision panoramique : "Elle imaginait les voyants comme des Janus bifaces, maîtres du regard dans toutes les directions.". L'aveugle du Puiseaux dont parle Diderot dans sa Lettre sur les aveugles, ne sachant pas ce que voulait dire le mot miroir, imaginait une machine qui met l'homme en relief, hors de lui-même. Chacun imagine l'univers perceptif de l'autre à partir de son univers perceptif propre : le voyant croit que l'aveugle voit avec les doigts, l'aveugle que le voyant palpe avec les yeux. Comme dans la parabole hindoue où des individus plongés dans l'obscurité tentent de déduire la forme d'un éléphant en se fondant uniquement sur la partie du corps qu'ils ont touché (untel qui a touché la trompe prétend que l'éléphant a la forme d'un tuyau d'eau, tel autre qui a touché l'oreille lui prête la forme d'un éventail...) - semblablement les êtres humains imaginent un inconnu radical à partir de ce qu'ils connaissent, quand bien même ces repères se révèlent impropres à se le représenter.
Parmi les notions spatiales particulièrement difficiles à appréhender pour un aveugle, il y a la perspective - le fait que la taille apparente d'un objet diminue proportionnellement à son éloignement pour le sujet percevant. "En théorie je comprends ce qu'est la perspective, mais de là à parvenir à réaliser un dessin ou à en comprendre un, c'est autre chose - c'est d'ailleurs la seule mauvaise note que j'ai eu en géométrie, explique Christine Cloux. Par exemple, je comprends que deux rails au loin finissent par ne former qu'une ligne. Mais ce n'est qu'une illusion, car en réalité il y a toujours deux rails, et dans ma tête aussi. Deux rails, même très loin, restent deux rails, sans quoi le train va avoir des ennuis pour passer..." Noëlle Roy, conservatrice du musée Valentin Haüy, se souvient d'une aveugle âgée, qui, effleurant avec ses doigts une reproduction en bas-relief du tableau l'Angélus de Millet, s'était étonnée que les deux paysans au premier plan soient plus grands que le clocher dont la silhouette se découpe sur l'horizon. Quand on lui expliqua que c'était en vertu des lois de la perspective, les personnages se trouvant au premier plan et le clocher très loin dans la profondeur de champ, la dame s'étonna qu'on ne lui ait jamais expliqué cela... On peut se demander comment cette dame aurait réagi si, recouvrant l'usage de la vue suite à une opération chirurgicale, elle avait aperçu la minuscule silhouette d'un individu dans le lointain : aurait-elle pensé que c'était là sa taille réelle et que cet individu, s'approchant d'elle, n'en serait pas plus grand pour autant ? Jane Hervé cite le témoignage d'une aveugle de 62 ans qui a retrouvé la vue suite à une opération : "Tout était déformé, il n'y avait plus aucune ligne droite, tout était concave... Les murs m'emprisonnaient, les toitures des maisons paraissaient s'effondrer comme après un bombardement. Ce que je voyais ovale, je le sentais rond avec mes mains. Ce que je distinguais à distance, je le sentais sur moi. J'avais des vertiges permanents. "On peut s'imaginer le cauchemar que représente une perception du monde où la vision et la sensation tactile ne concordent pas, où les sens envoient au cerveau des signaux impossibles à concilier... D'autres aveugles de naissance, ayant recouvré l'usage de la vue suite à une opération, dirent avoir l'impression que les objets leur touchaient les yeux : ils eurent besoin de plusieurs jours pour saisir la distance et de plusieurs semaines pour apprendre à l'évaluer correctement. Cela nous rappelle que notre vision du monde en trois dimensions n'a rien d'innée, qu'elle résulte au contraire d'un apprentissage et qu'il y entre une part considérable de construction intellectuelle.

Auteur: Molard Arthur

Info: http://www.jeanmarcmeyrat.ch/blog/2011/05/12/le-monde-tel-que-limaginent-ceux-qui-nont-jamais-vu

[ réflexion ] [ vacuité ] [ onirisme ] [ mimétisme ] [ synesthésie ] [ imagination ]

 
Mis dans la chaine

Commentaires: 0

consumérisme

Comment réguler l’exploitation de notre attention ? Dans Les marchands d’attention (The Attention Merchants, 2017, Atlantic Books, non traduit), le professeur de droit, spécialiste des réseaux et de la régulation des médias, Tim Wu (@superwuster), 10 ans après avoir raconté l’histoire des télécommunications et du développement d’internet dans The Master Switch (où il expliquait la tendance de l’industrie à créer des empires et le risque des industries de la technologie à aller dans le même sens), raconte, sur 400 pages, l’histoire de l’industrialisation des médias américains et de la publicité de la fin du XIXe siècle à aujourd’hui. En passant d’une innovation médiatique l’autre, des journaux à la radio, de la télé à l’internet, Wu tisse une très informée histoire du rapport de l’exploitation commerciale de l’information et du divertissement. Une histoire de l’industrialisation des médias américains qui se concentre beaucoup sur leurs innovations et leurs modèles d’affaires, c’est-à-dire qui s’attarde à montrer comment notre attention a été convertie en revenus, comment nous avons été progressivement cédés à la logique du commerce – sans qu’on n’y trouve beaucoup à redire d’ailleurs.

"La compétition pour notre attention n’a jamais cherché à nous élever, au contraire."

Tout le long de cette histoire, Tim Wu insiste particulièrement sur le fait que la capture attentionnelle produite par les médias s’est faite par-devers nous. La question attentionnelle est souvent présentée comme le résultat d’une négociation entre l’utilisateur, le spectateur, et le service ou média qu’il utilise… mais aucun d’entre nous n’a jamais consenti à la capture attentionnelle, à l’extraction de son attention. Il souligne notamment que celle-ci est plus revendue par les médias aux annonceurs, qu’utilisée par les médias eux-mêmes. Il insiste également à montrer que cette exploitation vise rarement à nous aider à être en contrôle, au contraire. Elle ne nous a jamais apporté rien d’autre que toujours plus de contenus insignifiants. Des premiers journaux à 1 cent au spam publicitaire, l’exploitation attentionnelle a toujours visé nos plus vils instincts. Elle n’a pas cherché à nous élever, à nous aider à grandir, à développer nos connaissances, à créer du bien commun, qu’à activer nos réactions les plus instinctives. Notre exploitation commerciale est allée de pair avec l’évolution des contenus. Les journaux qui ont adopté le modèle publicitaire, ont également inventé des rubriques qui n’existaient pas pour mieux les servir : comme les faits divers, les comptes-rendus de procès, les récits de crimes… La compétition pour notre attention dégrade toujours les contenus, rappelle Tim Wu. Elle nous tourne vers "le plus tapageur, le plus sinistre, le plus choquant, nous propose toujours l’alternative la plus scandaleuse ou extravagante". Si la publicité a incontestablement contribué à développer l’économie américaine, Wu rappelle qu’elle n’a jamais cherché à présenter une information objective, mais plutôt à déformer nos mécanismes de choix, par tous les moyens possibles, même par le mensonge. L’exploitation attentionnelle est par nature une course contre l’éthique. Elle est et demeure avant tout une forme d’exploitation. Une traite, comme disait le spécialiste du sujet Yves Citton, en usant volontairement de ce vocabulaire marqué au fer.

Wu souligne que l’industrie des contenus a plus été complice de cette exploitation qu’autre chose. La presse par exemple, n’a pas tant cherché à contenir ou réguler la publicité et les revenus qu’elle générait, qu’à y répondre, qu’à évoluer avec elle, notamment en faisant évoluer ses contenus pour mieux fournir la publicité. Les fournisseurs de contenus, les publicitaires, aidés des premiers spécialistes des études comportementales, ont été les courtiers et les ingénieurs de l’économie de l’attention. Ils ont transformé l’approche intuitive et improvisée des premières publicités en machines industrielles pour capturer massivement l’attention. Wu rappelle par exemple que les dentifrices, qui n’existaient pas vraiment avant les années 20, vont prendre leur essor non pas du fait de la demande, mais bien du fait de l’offensive publicitaire, qui s’est attaquée aux angoisses inconscientes des contemporains. Plus encore que des ingénieurs de la demande, ces acteurs ont été des fabricants de comportements, de moeurs…

L’histoire de l’exploitation de notre attention souligne qu’elle est sans fin, que "les industries qui l’exploitent, contrairement aux organismes, n’ont pas de limite à leur propre croissance". Nous disposons de très peu de modalités pour limiter l’extension et la croissance de la manipulation attentionnelle. Ce n’est pas pour autant que les usagers ne se sont pas régulièrement révoltés, contre leur exploitation. "La seule dynamique récurrente qui a façonné la course des industries de l’attention a été la révolte". De l’opposition aux premiers panneaux publicitaires déposés en pleine ville au rejet de services web qui capturent trop nos données ou exploitent trop notre attention, la révolte des utilisateurs semble avoir toujours réussi à imposer des formes de régulations. Mais l’industrie de l’exploitation attentionnelle a toujours répondu à ces révoltes, s’adaptant, évoluant au gré des rejets pour proposer toujours de nouvelles formes de contenus et d’exploitation. Parmi les outils dont nous nous sommes dotés pour réguler le développement de l’économie de l’attention, Wu évoque trop rapidement le travail des associations de consommateurs (via par exemple le test de produits ou les plaintes collectives…) ou celui des régulateurs définissant des limites au discours publicitaire (à l’image de la création de la Commission fédérale du commerce américaine et notamment du bureau de la protection des consommateurs, créée pour réguler les excès des annonceurs, que ce soit en améliorant l’étiquetage des produits ou en interdisant les publicités mensongères comme celles, nombreuses, ventant des produits capables de guérir des maladies). Quant à la concentration et aux monopoles, ils ont également toujours été surveillés et régulés, que ce soit par la création de services publics ou en forçant les empires des médias à la fragmentation.

L’attention, un phénomène d’assimilation commercial et culturel L’invention du prime time à la radio puis à la télé a été à la fois une invention commerciale et culturelle, fusionnant le contenu au contenant, l’information/divertissement et la publicité en inventant un rituel d’attention collective massive. Il n’a pas servi qu’à générer une exposition publicitaire inédite, il a créé un phénomène social, une conscience et une identité partagée, tout en rendant la question de l’exposition publicitaire normale et sociale.

Dans la succession des techniques qu’ont inventés les médias de masse pour mobiliser et orienter les foules que décrit Tim Wu, on constate qu’une sorte de cycle semble se reproduire. Les nouvelles technologies et les nouveaux formats rencontrent des succès très rapides. Puis, le succès rencontre des résistances et les audiences se délitent vers de nouvelles techniques ou de nouveaux formats proposés par des concurrents. On a l’impression d’être dans une course poursuite où chaque décennie pourrait être représentée par le succès d’un support phare à l’image des 28 courts chapitres qui scandent le livre. L’essor de la télévision par exemple est fulgurant : entre 1950 et 1956 on passe de 9% à 72% des maisons équipées et à la fin des années 50, on l’a regarde déjà 5 heures par jour en moyenne. Les effets de concentration semblent très rapides… et dès que la fatigue culturelle pointe, que la nouveauté s’émousse, une nouvelle vague de propositions se développe à la fois par de nouveaux formats, de nouvelles modalités de contrôle et de nouveaux objets attentionnels qui poussent plus loin l’exploitation commerciale des publics. Patiemment, Wu rappelle la très longue histoire des nouveaux formats de contenus : la naissance des jeux, des journaux télé, des soirées spéciales, du sport, des feuilletons et séries, de la télé-réalité aux réseaux sociaux… Chacun ayant généré une nouvelle intrication avec la publicité, comme l’invention des coupures publicitaires à la radio et à la télé, qui nécessitaient de réinventer les contenus, notamment en faisant monter l’intrigue pour que les gens restent accrochés. Face aux outils de révolte, comme l’invention de la télécommande ou du magnétoscope, outils de reprise du contrôle par le consommateur, les industries vont répondre par la télévision par abonnement, sans publicité. Elles vont aussi inventer un montage plus rapide qui ne va cesser de s’accélérer avec le temps.

Pour Wu, toute rébellion attentionnelle est sans cesse assimilée. Même la révolte contre la communication de masse, d’intellectuels comme Timothy Leary ou Herbert Marcuse, sera finalement récupérée.

De l’audience au ciblage

La mesure de l’audience a toujours été un enjeu industriel des marchands d’attention. Notamment avec l’invention des premiers outils de mesure de l’audimat permettant d’agréger l’audience en volumes. Wu prend le temps d’évoquer le développement de la personnalisation publicitaire, avec la socio-géo-démographie mise au point par la firme Claritas à la fin des années 70. Claritas Prizm, premier outil de segmentation de la clientèle, va permettre d’identifier différents profils de population pour leur adresser des messages ciblés. Utilisée avec succès pour l’introduction du Diet Coke en 1982, la segmentation publicitaire a montré que la nation américaine était une mosaïque de goûts et de sensibilités qu’il fallait adresser différemment. Elle apporte à l’industrie de la publicité un nouvel horizon de consommateurs, préfigurant un ciblage de plus en plus fin, que la personnalisation de la publicité en ligne va prolonger toujours plus avant. La découverte des segments va aller de pair avec la différenciation des audiences et la naissance, dans les années 80, des chaînes câblées qui cherchent à exploiter des populations différentes (MTV pour la musique, ESPN pour le sport, les chaînes d’info en continu…). L’industrie du divertissement et de la publicité va s’engouffrer dans l’exploitation de la fragmentation de l’audience que le web tentera de pousser encore plus loin.

Wu rappelle que la technologie s’adapte à ses époques : "La technologie incarne toujours l’idéologie, et l’idéologie en question était celle de la différence, de la reconnaissance et de l’individualité". D’un coup le spectateur devait avoir plus de choix, plus de souveraineté… Le visionnage lui-même changeait, plus inattentif et dispersé. La profusion de chaînes et le développement de la télécommande se sont accompagnés d’autres modalités de choix comme les outils d’enregistrements. La publicité devenait réellement évitable. D’où le fait qu’elle ait donc changé, devenant plus engageante, cherchant à devenir quelque chose que les gens voudraient regarder. Mais dans le même temps, la télécommande était aussi un moyen d’être plus branché sur la manière dont nous n’agissons pas rationnellement, d’être plus distraitement attentif encore, à des choses toujours plus simples. "Les technologies conçues pour accroître notre contrôle sur notre attention ont parfois un effet opposé", prévient Wu. "Elles nous ouvrent à un flux de sélections instinctives et de petites récompenses"… En fait, malgré les plaintes du monde de la publicité contre la possibilité de zapper, l’état d’errance distrait des spectateurs n’était pas vraiment mauvais pour les marchands d’attention. Dans l’abondance de choix, dans un système de choix sans friction, nous avons peut-être plus perdu d’attention qu’autre chose.

L’internet a démultiplié encore, par de nouvelles pratiques et de nouveaux médiums, ces questions attentionnelles. L’e-mail et sa consultation sont rapidement devenus une nouvelle habitude, un rituel attentionnel aussi important que le prime time. Le jeu vidéo dès ses débuts a capturé toujours plus avant les esprits.

"En fin de compte, cela suggère aussi à quel point la conquête de l’attention humaine a été incomplète entre les années 1910 et les années 60, même après l’entrée de la télévision à la maison. En effet, même s’il avait enfreint la sphère privée, le domaine de l’interpersonnel demeurait inviolable. Rétrospectivement, c’était un territoire vierge pour les marchands d’attention, même si avant l’introduction de l’ordinateur domestique, on ne pouvait pas concevoir comment cette attention pourrait être commercialisée. Certes, personne n’avait jamais envisagé la possibilité de faire de la publicité par téléphone avant même de passer un appel – non pas que le téléphone ait besoin d’un modèle commercial. Ainsi, comme AOL qui a finalement opté pour la revente de l’attention de ses abonnés, le modèle commercial du marchand d’attention a été remplacé par l’un des derniers espaces considérés comme sacrés : nos relations personnelles." Le grand fournisseur d’accès des débuts de l’internet, AOL, a développé l’accès aux données de ses utilisateurs et a permis de développer des techniques de publicité dans les emails par exemple, vendant également les mails de ses utilisateurs à des entreprises et leurs téléphones à des entreprises de télémarketing. Tout en présentant cela comme des "avantages" réservés à ses abonnés ! FB n’a rien inventé ! "

La particularité de la modernité repose sur l’idée de construire une industrie basée sur la demande à ressentir une certaine communion". Les célébrités sont à leur tour devenues des marchands d’attention, revendant les audiences qu’elles attiraient, à l’image d’Oprah Winfrey… tout en transformant la consommation des produits qu’elle proposait en méthode d’auto-récompense pour les consommateurs.

L’infomercial a toujours été là, souligne Wu. La frontière entre divertissement, information et publicité a toujours été floue. La télé-réalité, la dernière grande invention de format (qui va bientôt avoir 30 ans !) promettant justement l’attention ultime : celle de devenir soi-même star.

Le constat de Wu est amer. "Le web, en 2015, a été complètement envahi par la malbouffe commerciale, dont une grande partie visait les pulsions humaines les plus fondamentales du voyeurisme et de l’excitation." L’automatisation de la publicité est le Graal : celui d’emplacements parfaitement adaptés aux besoins, comme un valet de chambre prévenant. "Tout en promettant d’être utile ou réfléchi, ce qui a été livré relevait plutôt de l’intrusif et pire encore." La télévision – la boîte stupide -, qui nous semblait si attentionnellement accablante, paraît presque aujourd’hui vertueuse par rapport aux boucles attentionnelles sans fin que produisent le web et le mobile.

Dans cette histoire, Wu montre que nous n’avons cessé de nous adapter à cette capture attentionnelle, même si elle n’a cessé de se faire à notre détriment. Les révoltes sont régulières et nécessaires. Elles permettent de limiter et réguler l’activité commerciale autour de nos capacités cognitives. Mais saurons-nous délimiter des frontières claires pour préserver ce que nous estimons comme sacré, notre autonomie cognitive ? La montée de l’internet des objets et des wearables, ces objets qui se portent, laisse supposer que cette immixtion ira toujours plus loin, que la régulation est une lutte sans fin face à des techniques toujours plus invasives. La difficulté étant que désormais nous sommes confrontés à des techniques cognitives qui reposent sur des fonctionnalités qui ne dépendent pas du temps passé, de l’espace ou de l’emplacement… À l’image des rythmes de montage ou des modalités de conception des interfaces du web. Wu conclut en souhaitant que nous récupérions "la propriété de l’expérience même de la vie". Reste à savoir comment…

Comment répondre aux monopoles attentionnels ?

Tim Wu – qui vient de publier un nouveau livre The Curse of Bigness : antitrust in the new Gilded age (La malédiction de la grandeur, non traduit) – prône, comme d’autres, un renforcement des lois antitrusts américaines. Il y invite à briser les grands monopoles que construisent les Gafam, renouvelant par là la politique américaine qui a souvent cherché à limiter l’emprise des monopoles comme dans le cas des télécommunications (AT&T), de la radio ou de la télévision par exemple ou de la production de pétrole (Standard Oil), pour favoriser une concurrence plus saine au bénéfice de l’innovation. À croire finalement que pour lutter contre les processus de capture attentionnels, il faut peut-être passer par d’autres leviers que de chercher à réguler les processus attentionnels eux-mêmes ! Limiter le temps d’écran finalement est peut-être moins important que limiter la surpuissance de quelques empires sur notre attention !

La règle actuelle pour limiter le développement de monopoles, rappelle Wu dans une longue interview pour The Verge, est qu’il faut démontrer qu’un rachat ou une fusion entraînera une augmentation des prix pour le consommateur. Outre, le fait que c’est une démonstration difficile, car spéculative, "il est pratiquement impossible d’augmenter les prix à la consommation lorsque les principaux services Internet tels que Google et Facebook sont gratuits". Pour plaider pour la fragmentation de ces entreprises, il faudrait faire preuve que leur concentration produit de nouveaux préjudices, comme des pratiques anticoncurrentielles quand des entreprises absorbent finalement leurs concurrents. Aux États-Unis, le mouvement New Brandeis (qui fait référence au juge Louis Brandeis acteur majeur de la lutte contre les trusts) propose que la régulation favorise la compétition.

Pour Wu par exemple, la concurrence dans les réseaux sociaux s’est effondrée avec le rachat par Facebook d’Instagram et de WhatsApp. Et au final, la concurrence dans le marché de l’attention a diminué. Pour Wu, il est temps de défaire les courtiers de l’attention, comme il l’explique dans un article de recherche qui tente d’esquisser des solutions concrètes. Il propose par exemple de créer une version attentionnelle du test du monopoleur hypothétique, utilisé pour mesurer les abus de position dominante, en testant l’influence de la publicité sur les pratiques. Pour Tim Wu, il est nécessaire de trouver des modalités à l’analyse réglementaire des marchés attentionnels.

Dans cet article, Wu s’intéresse également à la protection des audiences captives, à l’image des écrans publicitaires des pompes à essence qui vous délivrent des messages sans pouvoir les éviter où ceux des écrans de passagers dans les avions… Pour Wu, ces nouvelles formes de coercition attentionnelle sont plus qu’un ennui, puisqu’elles nous privent de la liberté de penser et qu’on ne peut les éviter. Pour lui, il faudrait les caractériser comme un "vol attentionnel". Certes, toutes les publicités ne peuvent pas être caractérisées comme telles, mais les régulateurs devraient réaffirmer la question du consentement souligne-t-il, notamment quand l’utilisateur est captif ou que la capture cognitive exploite nos biais attentionnels sans qu’on puisse lutter contre. Et de rappeler que les consommateurs doivent pouvoir dépenser ou allouer leur attention comme ils le souhaitent. Que les régulateurs doivent chercher à les protéger de situations non consensuelles et sans compensation, notamment dans les situations d’attention captive ainsi que contre les intrusions inévitables (celles qui sont augmentées par un volume sonore élevé, des lumières clignotantes, etc.). Ainsi, les publicités de pompe à essence ne devraient être autorisées qu’en cas de compensation pour le public (par exemple en proposant une remise sur le prix de l’essence)…

Wu indique encore que les réglementations sur le bruit qu’ont initié bien des villes peuvent être prises pour base pour construire des réglementations de protection attentionnelle, tout comme l’affichage sur les autoroutes, également très réglementé. Pour Tim Wu, tout cela peut sembler peut-être peu sérieux à certain, mais nous avons pourtant imposé par exemple l’interdiction de fumer dans les avions sans que plus personne aujourd’hui n’y trouve à redire. Il est peut-être temps de prendre le bombardement attentionnel au sérieux. En tout cas, ces défis sont devant nous, et nous devrons trouver des modalités pour y répondre, conclut-il.

Auteur: Guillaud Hubert

Info: 27 décembre 2018, http://internetactu.blog.lemonde.fr

[ culture de l'epic fail ] [ propagande ] [ captage de l'attention ]

 

Commentaires: 0

Ajouté à la BD par miguel

parapsychologie

Le pays des aveugles de Koestler (I) 

Ainsi, après plusieurs détours, nous voilà de retour à notre point de départ. Ce "sentiment océanique" mystique se situe certainement à un étage supérieur de cette spirale que celui de l'enfant nouveau-né. L'enfant n'a pas encore d'identité personnelle, le mystique et le medium l'ont eux transcendée. Cette spirale a beaucoup de cercles, mais à chaque tour nous sommes confrontés à la même polarité et au même genre de monade, dont une face dit que je suis le centre du monde, et l'autre que je suis une petite partie en quête de la totalité. Nous pouvons considérer les phénomènes de parapsychologie comme les fruits de cette recherche - qu'ils se soient produits spontanément ou en laboratoire. La perception extra sensorielle apparait alors comme la plus haute manifestation du potentiel d'intégration de la matière vivante - qui, chez les humains, s'accompagne généralement d'un type d'auto-transcendance de l'émotion.

Alors que tout au long de notre excursion dans la biologie et la physique nous étions sur un terrain scientifique solide, nous voilà en pleine étape spéculative. Je ne prétends pas que ce soit un plus. Mais c'est la science moderne elle-même, avec ses vues paradoxales, qui nous y incite. Nous ne nous arrêterons pas à la "classique" télépathie-ESP ni à la prévision à court terme - pour lesquelles des explications physiques peuvent encore être trouvée. Car exclure clairvoyance, psychokinésie et coïncidences de séries ou de synchronicités, serait arbitraire, tout en laissant les choses telles qu'elles étaient avant. D'autre part, si on prend la "Tendance Intégrative" comme un principe universel comprenant des phénomènes causals, l'image devient grandement simplifiée, même si elle est encore hors de portée de notre compréhension. Au lieu de plusieurs mystères, nous voilà aujourd'hui confrontés à une seule tendance évolutive irréductible, issue de la constitution d'ensembles plus complexes venant de pièces diversifiées. La doctrine hippocratique de la "sympathie de toutes choses" en est un paradigme précoce. L'évolution des connaissances, avec ses maillages en branches spécialisées et leur confluence vers un delta unifié, en est un autre.

On pourrait en effet le substituer à la maladresse de termes comme "sérialité" et "Synchronicité" - qui mettent l'accent sur le temps seul, avec pour résultat une non-incarcération grâce à des expressions comme "évènements confluentiels". Les évènements confluentiels seraient-ils causals de manifestations d'une tendance à l'intégration. L'apparition du scarabée de Jung serait alors un évènement confluentiel. Ainsi les effets de la psychokinésie comme le lancer de dés et autres phénomènes paranormaux seraient aussi causals de ces phénomènes. Si on leur prête une signification, c'est qu'ils donnent l'impression d'avoir un lien de causalité, même si ils ne sont manifestement pas de cette sorte de pseudo-causalité. Le scarabée semble être attiré à la fenêtre de Jung par le patient qui raconte son rêve, les dés semblent être manipulés par la volonté de l'expérimentateur, le clairvoyant semble voir les cartes cachées. Les potentiels intégratifs de la vie semblent inclure la capacité de produire des effets pseudo-causals - qui provoquent un évènement confluentiel sans se soucier, pour ainsi dire, de l'emploi d'agents physiques. Il est donc très difficile de tracer une ligne de démarcation nette séparant causalité et non-causalité des évènements. Les animaux aveugles peuvent sentir leur chemin par des usages physiques plus grossiers comme le toucher ou l'odorat. Les chauves-souris utilisent une sorte de radar - ce qui il n'y a pas si longtemps aurait été vu par les naturalistes comme une hypothèse bien saugrenue. Des animaux équipés pour réagir aux photons - particules avec une masse nulle au repos qui peuvent également se comporter comme des ondes dans un milieu et, partant, semblent défier la causalité. Des hommes sans yeux comme les citoyens des pays des aveugles, rejetteraient surement l'affirmation qu'on peut percevoir des objets éloignés sans contact par toucher comme un non-sens occulte - ou bien déclareraient qu'une telle faculté, si elle existe vraiment, est certainement au-delà du domaine de la causalité physique, et devrait être appelé perception extra-sensorielle.

Un des neurophysiologistes les plus respectés de Grande-Bretagne, le Dr W. Walter Grey, a réalisé ces dernières années une série d'expériences remarquables. Il s'est fabriqué une machine électrique, qui par un effort de volonté, peut influer sur les évènements externes sans mouvement ni action manifeste via les impalpables pics électriques du cerveau. Cet effort nécessite un état particulier de concentration, composé paradoxal de détachement et d'excitation. La procédure expérimentale de Grey Walter peut être décrite de manière simplifiée comme suit. Des électrodes fixées sur le cuir chevelu et le cortex frontal du sujet transmettent les vagues électriques des activités cervicales vers un amplificateur d'ondes via une machine. En face de l'objet il y a un bouton : si on le presse une "scène intéressante" apparait sur un écran de télévision. Mais, environ une seconde avant qu'on appuie sur le bouton, une surtension électrique d'une vingtaine de microvolts se produit dans une grande partie du cortex du sujet, on la nomme "vague de préparation". Mais les circuits de l'appareil peuvent être réglés de telle sorte que la "vague de préparation" amplifiée soit suffisante pour déclencher l'interrupteur et faire ainsi apparaitre la scène de télévision une fraction de seconde avant que le sujet ait effectivement appuyé sur le bouton. C'est ce qu'on appelle un "démarrage automatique". Un sujet intelligent se rend vite compte que son action a le résultat escompté avant qu'il n'ait effectivement déplacé son doigt, et donc il cesse généralement d'appuyer sur le bouton: les images apparaissent comme et quand il les veut... Mais, pour que cet effet soit durable, il est essentiel que le sujet "veuille" vraiment que l'évènement se produise, et donc il doit se concentrer sur l'évocation de cet évènement précis. Lorsque l'attention du sujet se détache à cause d'une présentation monotone, ou qu'il "se concentre sur la concentration", le potentiel du cerveau ne parvient pas à déclencher la vague. Ce démarrage automatique peut être combiné avec un auto-stop afin que le sujet puisse acquérir une image en voulant son apparition sur l'écran du téléviseur, puis l'effacer dès qu'il a terminé son inspection de celle-ci.

Du point de vue du sujet, c'est une expérience très particulière, parfois accompagnée de signes d'excitation contenue; une diurèse [évacuation d'urine] a été très marquée pour deux des expérimentateurs. Examinant ces expériences Renee Haynes rédacteur en chef du Journal de la SPR a déclaré: En principe, bien sûr, ce n'est pas plus remarquable que ce qui arrive quand un enfant regarde avec étonnement, quand, avec sa main, il prouve la puissance de sa volonté en décidant de lever le petit doigt ou en le déplaçant. En pratique, c'est étonnant parce que ce mode pour exercer une influence sur le monde extérieur est fort peu familier à l'homme, même s'il est probablement banal pour une anguille électrique. Il est aussi très intéressant en ce qu'il a amené le Dr Grey Walter a utiliser avec un certain embarras, un mot tel que "pouvoir de la volonté". Cela, on s'en souvient, fut aussi l'attitude de Sir John Eccles quand il considérait que l'action de "volonté mentale" du "cerveau physique", comme le mystère de base, et la psychokinésie simplement comme une extension de celui-ci. On pourrait décrire l'expérience Grey Walter comme de la "pseudo-télékinésie" car il y a des fils qui relient les électrodes et crâne du sujet avec l'appareil TV. Mais on pourrait tout aussi bien décrire l'action de l'esprit du sujet sur son propre cerveau comme une pseudo-causalité. Ou nous pourrions dire que le sujet a découvert une façon plus élégante de produire un "évènement confluentiel" sans prendre la peine d'employer des agents physiques. Dans ce contexte il nous faut maintenant parler du rapport hypnotique.

Jusqu'au milieu du siècle dernier, l'hypnose a été traitée comme une fantaisie occulte par la science occidentale (bien que dans d'autres cultures, elle ait été prise comme une acquis). Aujourd'hui elle est devenue si respectable et banale que nous avons tendance à oublier que nous n'avons pas d'explication la concernant. On a démontré qu'un sujet approprié peut être temporairement sourd, muet, aveugle, anesthésié, amené à avoir des hallucinations ou revivre des scènes de son passé. Il peut être amené à oublier ou à se rappeler ce qui s'est passé pendant la transe avec un claquement de doigts. On peut lui enjoindre une suggestion post-hypnotique qui lui fera exécuter le lendemain, à 5 heures précises, une action stupide comme le déliement de ses lacets - et aussi trouver une certaine rationalité à cet acte. Les utilisations de l'hypnose médicale sur des patients appropriés en dentisterie, obstétrique et en dermatologie sont bien connues. Moins connues, cependant, sont les expériences de A. Mason et S. Black sur la suppression des réactions cutanées allergiques par l'hypnose. On injecta à des patients des extraits de pollen, auxquels ils étaient très allergiques, et après le traitement hypnotique, ils cessèrent de montrer la moindre réaction. Avec l'hypnose, d'autres patients n'ont pas eu de réaction allergique contre le bacille de la tuberculose. Comment les suggestions hypnotiques peuvent-elles modifier la réactivité chimique des tissus au niveau microscopique reste donc une conjecture. Après la guérison remarquable de Mason par hypnose d'un garçon de seize ans souffrant d'ichtyose (la maladie de peau de poisson, une affection congénitale que l'on croyait incurable) un évaluateur du British Medical Journal a fait remarquer que ce cas unique suffirait pour exiger "une révision des concepts courants sur la relation entre l'esprit et le corps ". Cette révision des concepts actuels est attendue depuis longtemps. Nous ne savons pas si Eddington avait raison quand il a dit que le monde est fait de matière-esprit, et qu'il n'est certainement pas fait de l'étoffe des petites boules de billards du physicien du dix-neuvième siècle qui volaient dans tous les sens jusqu'à ce que le hasard les fasse s'agréger en une amibe.

Dans son adresse de 1969 à l'American Society for Psychical Research, que j'ai cité précédemment, le professeur Henry Margenau a dit ceci : Un artefact parfois invoqué pour expliquer la précognition est de prendre en compte un temps multidimensionnel. Ce qui permet un véritable passage vers l'arrière du temps, ce qui pourrait permettre à certains intervalles, positifs dans un sens du temps, de devenir négatifs ("effet avant la cause") dans un autre. En principe, ça représente un schéma valable, et je ne connais pas la critique qui pourra l'exclure en tant que démarche scientifique. Si elle est acceptable, cependant, une mesure entièrement nouvelle de l'espace-temps doit être développée. J'ai sondé quelques suggestions que la physique pourrait offrir comme solution à ce genre de problème que vous rencontrez. Les résultats positifs, je le crains, sont maigres et décevants, mais peut-être que cela vaut-il quand même une vraie étude. Mais pourquoi, voudrai-je maintenant demander, est-il nécessaire d'importer vers une nouvelle discipline tous les concepts approuvés d'une ancienne science à son stade actuel de développement? La physique n'adhère pas servilement aux formulations grecques rationalistes qui l'ont précédé, il a bien fallu créer nos propres constructions spécifiques.

Le parapsychologue, je pense ... doit voler de ses propres ailes et probablement de manière plus audacieuse que ce que les conditions que la physique d'aujourd'hui suggèrent - et aussi tolérer sans trop de souci les voix stridentes et critiques des scientifiques "hard-boiled", pragmatiques et satisfaits, et ainsi continuer sa propre recherche minutieuse vers une meilleure compréhension via de nouvelle sortes d'expériences, peut-être aussi avec des concepts qui apparaissent étranges. Nous sommes entourés de phénomènes que l'existence nous fait soigneusement ignorer, ou, s'ils ne peuvent pas être ignorés, nous les rejetons comme des superstitions. L'homme du XIIIe siècle ne se rendait pas compte qu'il était entouré de forces magnétiques. Nous n'avons donc pas la conscience sensorielle directe de beaucoup de manifestations, ni des douches de neutrinos qui nous traversent, ni d'autres "influences" inconnues. Donc, nous pourrions tout aussi bien écouter les conseils de Margenau et créer nos propres constructions "spécifiques", supposant que nous vivons plongés dans une sorte de "psycho-champ magnétique" qui produit des évènements confluentiels... tout ceci par des moyens qui dépassent les concepts classiques de la physique. Des buts et leur conception qui nous sont inconnus certes, mais nous estimons qu'il doivent être en quelque sorte liés à un effort vers une forme supérieure de l'ordre et de l'unité dans toute cette diversité que nous observons au travers de notre appréciation de l'évolution de l'univers dans son ensemble, de la vie sur terre, de la conscience humaine et, enfin, de la science et de l'art.

Un mystère "plus haut d'un cran" est plus facile à accepter qu'une litière de puzzles indépendants. Cela n'explique pas pourquoi le scarabée est apparu à la fenêtre, mais au moins on pourra l'adapter aux évènements confluentiels et autres phénomènes paranormaux d'une conception unifiée. Il ya, cependant, un aspect profondément troublant à ces phénomènes. Les évènements paranormaux sont rares, imprévisible et capricieux. C'est comme nous l'avons vu, la principale raison pour laquelle les sceptiques se sentent en droit de rejeter les résultats des cartes devinées et autres expériences de psychokinésie, en dépit de preuves statistiques qui, dans tout autre domaine de la recherche, suffiraient à prouver cette hypothèse. Une des raisons du caractère erratique de l'ESP a déjà été mentionnée : notre incapacité à contrôler les processus inconscients sous-jacents. Les expériences de Grey Walter n'étaient pas concernées par l'ESP, mais il a bien dû se rendre compte que la "vague de préparation" ne pouvait atteindre le seuil suffisant que si le sujet était dans un état décrit comme "un composé paradoxal de détachement et d'excitation".

Les expériences paranormales spontanées sont toujours liées à un certain type d'auto-transcendance de l'émotion, comme dans les rêves télépathiques ou lors de transe médiumnique. Même dans le laboratoire, où là aussi le rapport affectif entre l'expérimentateur et le sujet est d'une importance décisive. L'intérêt du sujet dans le mystère de l'ESP en lui-même évoque une émotion auto-transcendante. Lorsque que son intérêt baisse à la fin d'une longue séance ESP, il mpntre un déclin caractéristique du nombre de "hits" sur la feuille de score. Cet "effet de déclin" peut être considéré comme une preuve supplémentaire de la réalité de l'ESP. Il y a aussi une diminution globale de la performance de la plupart des sujets après une longue série de séances. Ils s'ennuient. Les compétences les plus normales s'améliorent avec la pratique. Avec l'ESP c'est le contraire.

Un autre argument relatif à la rareté apparente des phénomènes paranormaux a été présentée par le regretté professeur Broad dans un article de philosophie: "Si la cognition paranormale et la causalité sont des faits paranormaux, il est alors fort probable que cela ne se limite pas à ces très rares occasions pendant lesquelles elles se manifestent sporadiquement, ou de façon spectaculaire, ou dans des conditions très particulières pendant lesquelles leur présence peut être expérimentalement établie. Ces phénomènes pourraient très bien être en fonction continue en arrière-plan de nos vies normales. Notre compréhension et nos malentendus avec nos semblables, notre humeur, l'émotionnel général en certaines occasions, les idées qui surgissent soudainement dans nos esprits sans aucune cause évidente introspectable; nos réactions émotionnelles inexplicables immédiates vis à vis de certaines personnes... et ainsi de suite, tout cela pourrait être en partie déterminé par une meilleure connaissance du paranormal et autres influences causales paranormales."

Collègue du professeur Broad à Oxford, le professeur Price a ajouté cette suggestion intéressante en ce qui concerne le caprice apparent des ESP: "Il semble que les impressions reçues par télépathie ont quelques difficultés à franchir un seuil pour se manifester à la conscience. Il semble qu'il y ait une barrière ou un mécanisme répressif qui tende à les exclure de la conscience, une barrière qui est assez difficile à passer, même si on fait usage de toutes sortes d'appareils pour la surmonter. Parfois, en ayant recours aux mécanismes musculaires du corps, ou en les faisant émerger sous forme de parole ou d'écriture automatique. Parfois, ces phénomènes apparaissent sous forme de rêves, parfois d'hallucinations visuelles ou auditives. Et souvent, ils peuvent émerger sous un aspect déformé et symbolique (comme d'autres contenus mentaux inconscients le font). Il est plausible que beaucoup de nos pensées quotidiennes et d'émotions soient télépathes, ou en partie d'origine télépathique, mais elles ne sont pas reconnues comme telles car elles sont trop déformées et mélangées avec d'autres contenus mentaux en franchissant le seuil de la conscience.

Adrian Dobbs, commentant ce passage, a soulevé un point important dans un texte très intéressant et suggestif. Il évoque l'image de l'âme ou du cerveau comme contenants un assemblage de filtres sélectifs, conçus pour couper les signaux indésirables à des fréquences voisines, dont certaines parviendraient sous une forme déformée, exactement comme dans une réception radio ordinaire. La "théorie du filtre", comme on pourrait l'appeler, remonte en fait à Henri Bergson. Elle a été reprise par divers auteurs sur la perception extra-sensorielle. Il s'agit en fait simplement d'une extrapolation de ce que nous savons au sujet de la perception sensorielle ordinaire. Nos principaux organes des sens sont comme des fentes qui admettent seulement une gamme de fréquence très étroite d'ondes électromagnétiques et sonores. Mais même la quantité d'infos qui entrent par ces fentes étroites, c'est déjà trop. La vie serait impossible si nous devions prêter attention aux millions de stimuli qui bombardent nos sens - ce que William James a appelé "l'épanouissement de la multitude du bourdonnement des sensations". Ainsi, le système nerveux, et surtout le cerveau, fonctionnent comme une hiérarchie de filtrages et de classifications de dispositifs qui éliminent une grande partie de nos entrées sensorielles sous forme de " bruits" non pertinents", pour traiter les bonnes informations sous forme gérable avant qu'elles ne soient présentées à la conscience.

Un exemple souvent cité de ce processus de filtrage est le "phénomène cocktail" qui nous permet d'isoler une seule voix dans le bourdonnement général. Par analogie, un mécanisme de filtrage similaire peut être supposé nous protéger de la floraison et de la multitude de bourdonnement des images, des messages, des impressions et des événements confluentiels du "psycho-champ magnétique" qui nous entoure. Comme il s'agit d'un point de grande importance pour essayer de comprendre pourquoi les phénomènes paranormaux se présentent dans ces formes inexplicables et arbitraire, je vais livrer quelques citations plus pertinentes sur ce sujet. Ainsi le psychiatre James S. Hayes, écrivant dans The Scientist, spécule: Je pense depuis longtemps que les questions classiques posées sur la télépathie ("Cela se passe-t'il" et si oui, "comment?") sont moins susceptibles d'être fructueuses que cette question: "Si la télépathie existe, qu'est-ce qui l'empêche de se produire plus ? Comment l'esprit (ou le cerveau) se protègent-ils contre l'afflux potentiel de l'expérience des autres? "

Et Sir Cyril Burt, à nouveau: La conception naturelle qu'a l'homme de l'univers, ou plutôt de la partie étroite à laquelle il a accès, est celle d'un monde d'objets tangibles de taille moyenne, se déplaçant à des vitesses modérées de manière visible en trois dimensions, réagissant à l'impact de forces de contact (le push et pull de simples interactions mécaniques), le tout en conformité avec des lois relativement simples. Jusqu'à tout récemment la conception de l'univers adoptée par le chercheur, son critère de la réalité, était celui de l'Incrédulité de saint Thomas : "ce qui peut être vu ou touché". Pourtant, supputer que sur une telle base que nous pourrions construire une image complète et comprise de l'univers c'est comme supposer que le plan d'une rue de Rome nous dirait ce à quoi la Ville Eternelle ressemblerait.

La nature semble avoir travaillé sur un principe identique. Nos organes des sens et notre cerveau fonctionnent comme une sorte de filtre complexe qui limite et dirige les pouvoirs de clairvoyance de l'esprit, de sorte que dans des conditions normales notre attention soit concentrée seulement sur des objets ou des situations qui sont d'une importance biologique pour la survie de l'organisme et de l'espèce.

En règle générale, il semblerait que l'esprit rejette les idées venant d'un autre esprit comme le corps rejette les greffes provenant d'un autre corps. Burt résume son point de vue, en nous rappelant que la physique contemporaine reconnaît quatre types d'interactions (forte, faible, électromagnétique et gravitationnelle), dont chacune obéit à ses propres lois, et, jusqu'à présent en tout cas, ce modèle a vaincu toutes les tentatives de le réduire à autre chose. Cela étant, il ne peut y avoir aucun antécédent improbable qui nous interdise de postuler un autre système et/ou un autre type d'interaction, en attendant une enquête plus intensive. Un univers psychique composé d'événements ou d'entités liées par des interactions psychiques, obéissant à des lois qui leur sont propres et qui interpénètrent l' univers physique et le chevauchent partiellement, tout comme les diverses interactions déjà découvertes et reconnues se chevauchent les unes les autres. (2e partie)

Auteur: Koestler Arthur

Info: Internet et Roots of coïncidence

[ Holon ] [ corps-esprit ] [ intégratif ] [ spectre continu ] [ dépaysement moteur ]

 

Commentaires: 0