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étatisme

Dès qu’il s’agissait, cependant, de suivre une politique égalitaire ramenant les plus intelligents au niveau des plus incapables, chaque fois que l’on voulait, en un mot, réaliser l’égalité par en bas, chacun comprenait qu’un tel régime conduirait toute civilisation à sa perte et que la libre concurrence entre individus d’aptitudes différentes était la condition même du progrès. Comment concilier ces deux opinions extrêmes ? On y parvint le plus simplement du monde le jour où l’on s’aperçut que les droits de l’individu ne devaient point dépasser les bornes mêmes de la vie de cet individu et que le socialisme était une doctrine d’Etat ne s’appliquant point aux particuliers. Pour tout vous dire d’un seul mot, on permit à chacun de se développer librement selon ses aptitudes, de devenir riche, puissant ou misérable, suivant ses capacités et son travail. On décida que, sous certaines réserves pratiques d’application, toutes les successions sans exception reviendraient à l’Etat. La première conséquence de cette mesure fut que l’Etat dut se charger, tout en même temps, d’élever, d’éduquer et d’instruire tous les enfants dès qu’ils seraient en âge d’entrer à l’école ou que leurs parents mourraient. Elevés sur un pied d’égalité, n’héritant d’aucune fortune acquise par d’autres, tous les habitants de la France n’eurent plus qu’à s’en prendre à eux-mêmes de leur propre destinée. Dès l’école primaire, les vieilles couronnes de papier et les livres de prix d’autrefois furent remplacés par des prix en espèces constituant un pécule pour chaque enfant, lui permettant même d’amasser une véritable petite fortune s’il poursuivait ses études supérieures. Du jour où fut adopté, malgré d’incroyables protestations, ce régime d’égalité de naissance, aucune revendication sociale ne fut plus possible, et le gouvernement eut le droit de réprimer tout désordre avec une sévérité qu’ignoraient même les régimes fascistes d’autrefois.

Auteur: Pawlowski Gaston de

Info: Voyage au pays de la quatrième dimension, Flatland éditeur, 2023, pages 332-333

[ totalitarisme ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

métropolisation

Bref, on se modernisait, à part les retardataires, ceux des générations "sacrifiées" : qu’ils se cachent, ceux-là ! et qu’on les oublie… sauf, bien entendu, pour le payement des impôts. […] Payez pour les sanatoriums et les hôpitaux de Modernopolis – de toute Modernopolis -, qui, de plus en plus, aura besoin de retaper le matériel humain qu’elle abîme, les poumons qu’elle essouffle, les reins qu’elle use, les cerveaux qu’elle fatigue. […] Ne nous laissons pas arrêter par de si mesquines apparences, écoutons les prometteurs, les bâtisseurs, les artisans d’urbanisme, de modernisme – ceux qui voient grand, et vaste, et riche, et "cher" ! Recrutons de la main d’œuvre, renouvelons les villes, élevons des gratte-ciel, remplaçons les vieilles rues par deux ou trois voies superposées ; après quoi, tout sera encore plus complexe, plus coûteux, plus épuisant pour les reins, pour les cerveaux, pour les finances : mais au moins, si nous devons en crever, nous en crèverons au nom du Progrès !
[…]
Car il en avait, des projets grandioses : non seulement pour l’Urbanisme, l’Hygiène, les Sanatoriums, Préventoriums, et pour la modernisation du Travail – "tayloriser", "standardiser", "américaniser" - , mais aussi, et surtout, dans son domaine spécial de technicien, pour l’exploitation rationnelle, intégrale, de toute la Houille blanche du Dauphiné. C’était un cerveau "géométrique" et "mécanique" : l’irrégularité géographique l’exaspérait ; eh bien ! il la ramènerait à la logique et à la raison. Discipliner les chutes d’eau, étager les réservoirs avec une régularité de godets ou de monte-charge, convergeant tous vers le bassin de Grenoble, creuser et cimenter le lit de l’Isère, du Drac, de la Romanche, ménager d’immenses champs d’inondation – l’Agriculture dût-elle en crever -, supprimer les boucles qui gênent l’écoulement normal des crues… que sais-je encore ? rogner les angles, tailler des pans de montagne…

Auteur: Lote René

Info: Dans "Modernopolis. La comédie humaine et le progrès"

[ urbanisation ] [ absurde ] [ homme-nature ] [ fuite en avant ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

insomnie

De tous les plaisirs délicieux que mon corps a commencé à me refuser, le sommeil est le plus précieux, le don sacré qui me manque le plus. Le sommeil sans repos m’a laissé sa suie. Je dors par fragments, quand j’arrive à dormir. Lorsque j’envisageais la fin de ma vie, je ne m’attendais pas à passer chaque nuit dans l’obscurité de ma chambre, les paupières à demi ouverts, calée sur des coussins ratatinés, à tenir salon avec mes souvenirs.
Le sommeil seigneur de tous les dieux et de tous les hommes. Ah, être le flux et le reflux de la vaste mer. Quand j’étais plus jeune, je pouvais dormir n’importe où. Je pouvais m’étaler sur un canapé, m’y enfoncer, l’obligeant à m’accueillir en son sein, et disparaître dans les enfers somnolents. Dans un océan luxurieux je plongeais, dans ses profondeurs je m’abîmais.
Virgile appelait le sommeil frère de la mort, et Isocrate avant lui. Hypnos et Thanatos, fils de Nyx. Cette façon de minimiser la mort est peu imaginative.
"Il est tout aussi indigne, de la part d’un homme pendant, de croire que la mort est un sommeil", a écrit Pessoa. La règle de base du sommeil est que l’on s’en éveille. Le réveil est-il alors une résurrection ?
Sur un canapé, sur un lit, sur une chaise, je dormais. Les rides s’évanouissaient de mon visage. Chaque silencieux tic-tac de l’horloge me rajeunissait. Pourquoi donc est-ce à l’âge où l’on a le plus besoin des vertus curatives d’un sommeil profond qu’on y accède avec le plus de mal ? Hypnos dépérit tandis que Thanatos approche.
Quand je songeais à la fin de ma vie, je n’envisageais pas que je passerais des nuits sans sommeil à revivre mes années antérieures. Je n’avais pas imaginé que je regretterais autant la librairie.
Je me demande parfois à quel point ma vie aurait été différente si je n’avais pas été embauchée ce jour-là.

Auteur: Alameddine Rabih

Info: Les vies de papier, Page 32

[ vieillesse ]

 

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christianisme

Le scepticisme a pour effet d’affaiblir les opérations normales d’un être humain.

Dans un des plus brillant et amusant livre de Mr Sinclair Lewis (1885-1951 premier écrivain américain à recevoir le prix Nobel de littérature), il y a un passage que je citerai de mémoire, plus ou moins correctement. Il a dit que la foi catholique diffère du puritanisme actuel en ce qu’elle ne demande pas à quelqu’un d’abandonner son goût du beau, son humour ou ses petits vices agréables (par lesquels il entendait probablement le fait de fumer et de boire, qui ne sont pas du tout des vices), mais elle demande d’abandonner sa vie, son âme, son esprit et son corps, sa raison et tout le reste. Je demande au lecteur de considérer ce jugement aussi calmement et impartialement que possible, et de le comparer avec tous les autres faits concernant la fossilisation des opérations de l’esprit humain par les principaux doutes d’aujourd’hui.

Il serait bien plus vrai de dire que la foi rend aux hommes leurs corps et leurs âmes, leurs intelligences et leurs volontés, et en fin de compte toute leur vie. Il serait bien plus vrai de dire que l’homme qui l’a reçue reçoit toutes les vieilles capacités humaines, que toutes les autres philosophies sont en train de lui enlever. Il serait plus proche de la réalité de dire que le croyant sera le seul à posséder la liberté, la volonté, parce qu’il sera le seul à professer le libre-arbitre ; qu’il sera le seul à avoir une intelligence puisque le doute systématique renie l’intelligence tout comme il renie l’autorité ; qu’il sera le seul à agir véritablement puisqu’une action est toujours accomplie en vue d’une fin. Il serait donc moins improbable de dire que tout ce durcissement et ce désespoir intellectuel feront du croyant le seul citoyen capable de marcher et de parler dans une cité de paralytiques.

Auteur: Chesterton Gilbert Keith

Info: Pourquoi je suis Catholique, Versailles, Via Romana, 2017. Page 42.

[ agir moral ] [ force ]

 
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cité imaginaire

À Maurilia, le voyageur est invité à visiter la ville et, en même temps, à regarder de vieilles cartes postales qui la représentent telle qu'elle était auparavant : exactement le même endroit avec une poule à la place de la gare routière, le pupitre à la place du viaduc, deux jeunes femmes avec des parasols blancs à la place du viaduc, deux jeunes femmes avec des parasols blancs à la place de l'usine d'explosifs. Pour ne pas décevoir les habitants, il est nécessaire que le voyageur fasse l'éloge de la ville dans les cartes postales et la préfère à l'actuelle, en veillant toutefois à contenir son regret des changements dans des règles précises : Reconnaissant que la magnificence et la prospérité de Maurilia en tant que métropole, par rapport à l'ancienne Maurilia provinciale, ne compensent pas une certaine grâce perdue, qui ne peut être appréciée aujourd'hui que sur les vieilles cartes postales, alors qu'avant, avec la Maurilia provinciale en vue, on ne voyait rien de gracieux, et on le verrait encore moins aujourd'hui, si Maurilia était restée telle quelle, et que de toute façon la métropole a cet attrait supplémentaire, qu'à travers ce qu'elle est devenue on peut penser avec nostalgie à ce qu'elle était. Gardez-vous de leur dire que parfois des villes différentes se succèdent sur le même sol et sous le même nom, naissent et meurent sans s'être connues, incommunicables entre elles. Parfois même les noms des habitants restent les mêmes, et les accents de leurs voix, et même les traits de leurs visages ; mais les dieux qui habitent sous les noms et sur les lieux sont partis sans rien dire, et à leur place se sont nichés des dieux étrangers. Il est vain de se demander s'ils sont meilleurs ou pires que les anciens, puisqu'il n'y a aucun rapport entre eux, tout comme les anciennes cartes postales ne représentent pas Maurilia telle qu'elle était, mais une autre ville qui s'est appelée Maurilia comme celle-ci.

Auteur: Calvino Italo

Info: Villes invisibles

[ souvenirs ]

 

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gamins

L’enfant ne remonte pas à la plus haute Antiquité. En réalité, il est d’invention récente, guère plus de deux cent ans. L’enfance, avant, c’était le bas âge et on n’en parlait pas, on attendait que ça passe. Puis l’enfance est arrivée. Et, avec elle, l’enfant et ses sortilèges. Il fut alors convenu que l’enfant était le meilleur revers de la médaille humaine et l’enfance le stade le plus enviable de la vie. L’enfant devint l’avenir de l’homme. En se prosternant devant lui, tous ceux qui n’étaient plus des enfants commencèrent à désirer plus ou moins consciemment l’état d’innocence qu’ils lui prêtaient. Du moins appelaient-ils ainsi ce qu’un autre a nommé "principe de plaisir".

Il est à noter que ce néo-totémisme infantomaniaque n’est apparu qu’après la disparition de l’enfant comme future force de travail et assurance vieillesse : c’est depuis qu’il n’est plus indispensable à la survie matérielle de ses parents, comme aux âges farouches où ceux-ci attendaient qu’il pousse la charrue à leur place quand ils ne pourraient plus le faire eux-mêmes, qu’il est devenu vital non seulement comme fruit de la performance technique (à travers les méthodes d’engendrement artificiel et toute la sacrée gamme des acharnements procréatifs) mais surtout comme idole ou fétiche. [...]

Pour qui, même enfant, a pris l’habitude de considérer l’enfance comme une sorte d’infirmité de naissance pénible mais curable, la surprise est constante que tant d’autres y voient les éléments d’une poésie perdue à retrouver, le temps des rires et des chants dans l’île aux enfants où c’est tous les jours le printemps. D’autant que l’infanthéisme fait rage quand justement il n’y a plus d’enfants ni d’enfance. Plus d’adultes non plus, par la même occasion. La frontière entre les deux stades de la vie s’efface au profit du premier dont l’adulte infanthéiste épouse à toute allure les goûts, la façon de parler, de jouer, de croire ou de ne pas croire, de s’émouvoir, de réclamer des friandises et des divertissements mais aussi des lois qui le protègent des dangers du monde extérieur.

Auteur: Muray Philippe

Info: Dans "Exorcismes spirituels, tome 4", Les Belles Lettres, Paris, 2010, pages 1597-1597

[ fétichisation ] [ indistinction ] [ abstraction ] [ infantilisation ]

 

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céphalée

Migraine, points établis

1. Une affaire de sommation. Entre l’élément déclencheur et l’éruption des symptômes, il se passe des heures, voire des jours. On a comme la sensation qu’un obstacle est surmonté et qu’ensuite un processus se poursuit.

2. Une affaire de sommation. Même sans élément déclencheur, on a l’impression qu’il a fallu qu’un stimulus s’accumule, celui-ci étant présent au début de l’intervalle en très petite quantité, en très grande quantité vers la fin.

3. Une affaire de sommation, dans laquelle la sensibilité aux étiologies reste au niveau du stimulus déjà présent.

4. Une affaire à étiologie complexe, peut-être selon le schéma de l’étiologie en chaîne, où une cause immédiate peut être produite directement et indirectement par de nombreux facteurs, ou bien selon le schéma de l’étiologie supplétive où, à côté d’une cause spécifique, peuvent intervenir, pour la remplacer quantitativement, des causes banales.

5. Une affaire sur le modèle de la migraine menstruelle et appartenant au groupe sexuel. Preuves :

a) Très rare chez les hommes en bonne santé.

b) Limitée à l’âge sexuel de la vie, enfance et vieillesse quasiment exclues.

c) Si elle est produite par sommation, le stimulus sexuel est aussi quelque chose qui est produit par sommation.

d) L’analogie de la périodicité.

e) Fréquence chez des personnes à éconduction sexuelle perturbée (neurasthénie, coitus interruptus).

6. Production certaine de la migraine par des stimulus chimiques : toxine humaine, sirocco, fatigue, odeurs. Or le stimulus sexuel est aussi un stimulus chimique.

7. Arrêt de la migraine pendant la grossesse, où la production est probablement dirigée ailleurs.

En fonction de cela, on serait en droit de penser que la migraine constitue l’effet d’une action toxique, elle est produite par la substance stimulante sexuelle quand celle-ci ne trouve pas d’éconduction suffisante, ce à quoi se rapporte peut-être encore le fait qu’une certaine voie, qu’il faudra déterminer topiquement, se trouve dans un état de réceptivité particulière. Se demander quelle est cette voie, c’est se demander quelle est la localisation de la migraine.

Auteur: Freud Sigmund

Info: Manuscrit I dans une lettre à Wilhelm Fliess (1895), trad. Françoise Kahn et François Robert, éditions P.U.F., Paris, 2006

[ explication ] [ psychanalyse ]

 

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étiologie des névroses

On peut considérer comme connu que la neurasthénie est la conséquence fréquente d’une vie sexuelle anormale. Mais l’affirmation que j’aimerais avancer et vérifier sur des observations, c’est que la neurasthénie d’une façon générale est seulement une névrose sexuelle. [...]

La neurasthénie des hommes est acquise à l’âge de la puberté et fait son apparition entre vingt et trente ans. Sa source est la masturbation dont la fréquence est exactement parallèle à la fréquence de la neurasthénie des hommes. On peut faire l’expérience dans le cercle de ses connaissances que les personnes qui ont été précocement mises en contact avec une séduction féminine, du moins dans la population citadine, ont échappé à la neurasthénie. Là où cette nuisance a agi longtemps et de manière intense, elle transforme l’individu concerné en un neurasthénique sexuel dont la puissance a aussi subi un dommage ; à l’intensité de la cause correspond la persistance de cet état durant toute la vie. Une autre preuve de la corrélation causale réside aussi dans le fait que le neurasthénique sexuel est toujours en même temps un neurasthénique général.

[...]

La neurasthénie des femmes

Normalement la jeune fille est saine, non neurasthénique. – La jeune femme également, malgré tous les traumas sexuels de cette période [de la vie]. Dans des cas plus rares, la neurasthénie se montre sous une forme pure chez des femmes et des vieilles filles, et doit alors être considérée comme une neurasthénie apparue spontanément et de la même manière. Bien plus souvent, la neurasthénie des femmes est dérivée de celle des hommes ou produite en même temps qu’elle. Elle est presque toujours mêlée à de l’hystérie : la névrose mixte habituelle des femmes.

La névrose mixte des femmes apparaît à la suite de la neurasthénie des hommes dans tous ces cas, qui ne sont pas rares, où l’homme en tant que neurasthénique sexuel a subi une perte de sa puissance. L’adjonction de l’hystérie résulte directement du fait que l’excitation de l’acte est retenue. Plus la puissance de l’homme est mauvaise, plus l’hystérie de la femme prédomine, de sorte que le neurasthénique sexuel rend sa femme, en réalité, non pas tan neurasthénique qu’hystérique.

Auteur: Freud Sigmund

Info: Manuscrit B dans la lettre à Wilhelm Fliess du 8 février 1893, trad. Françoise Kahn et François Robert, éditions P.U.F., Paris, 2006

[ sexualité ] [ genèse de la psychanalyse ] [ impuissance ] [ hommes-femmes ]

 

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vieillesse

Clotilde a aujourd’hui quarante-huit ans, et ne paraît pas avoir moins d’un siècle. Mais elle est plus belle qu’autrefois, et ressemble à une colonne de prières, la dernière colonne d’un temple ruiné par les cataclysmes.

Ses cheveux sont devenus entièrement blancs. Ses yeux, brûlés par les larmes qui ont raviné son visage, sont presque éteints. Cependant elle n’a rien perdu de sa force.

On ne la voit presque jamais assise. Toujours en chemin d’une église à l’autre, ou d’un cimetière à un cimetière, elle ne s’arrête que pour se mettre à genoux et on dirait qu’elle ne connaît pas d’autre posture.

Coiffée seulement de la capuce d’un grand manteau noir qui va jusqu’à terre, et ses invisibles pieds nus dans des sandales, soutenue depuis dix ans par une énergie beaucoup plus qu’humaine, il n’y a ni froid ni tempête qui soit capable de lui faire peur. Son domicile est celui de la pluie qui tombe.

Elle ne demande pas l’aumône. Elle se borne à prendre avec un sourire très doux ce qu’on lui offre et le donne en secret à des malheureux.

Quand elle rencontre un enfant, elle s’agenouille devant lui, comme faisait le grand Cardinal de Bérulle, et trace avec la petite main pure un signe de croix sur son front.

Les chrétiens confortables et bien vêtus qu’incommode le Surnaturel et qui ont dit à la Sagesse : "Tu es ma sœur", la jugent dérangée d’esprit, mais on est respectueux pour elle dans le menu peuple et quelques pauvresses d’église la croient une sainte.

Silencieuse comme les espaces du ciel, elle a l’air, quand elle parle, de revenir d’un monde bienheureux situé dans un univers inconnu. Cela se sent à sa voix lointaine que l’âge a rendue plus grave sans en altérer la suavité, et cela se sent mieux encore à ses paroles mêmes.

— Tout ce qui arrive est adorable, dit-elle ordinairement, de l’air extatique d’une créature mille fois comblée qui ne trouverait que cette formule pour tous les mouvements de son cœur ou de sa pensée, fût-ce à l’occasion d’une peste universelle, fût-ce au moment d’être dévorée par des animaux féroces.

Auteur: Bloy Léon

Info: Dans "La femme Pauvre", Mercure de France, 1972, pages 390-391

[ dignité ] [ quintessence de l'âme ] [ personnage ]

 
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femmes-par-femme

Sans raison particulière, j'ai commencé à regarder de près les femmes sur le boulevard. Soudain, il m'a semblé que j'avais vécu avec une sorte de regard limité : comme si mon attention s'était portée uniquement sur nous, les filles, Ada, Gigliola, Carmela, Marisa, Pinuccia, Lila, moi, mes camarades de classe, et que je n'avais jamais vraiment prêté attention au corps de Melina, de Giuseppina Pelusi, de Nunzia Cerullo, de Maria Carracci. Le seul corps de femme que j'avais étudié, avec une appréhension toujours plus grande, était le corps boiteux de ma mère, et je m'étais sentie oppressée, menacée par cette image, craignant sans cesse qu'elle ne s'impose soudainement à la mienne. Ce jour-là, au contraire, j'ai vu clairement les mères de l'ancien quartier. Elles étaient nerveuses, elles étaient consentantes. Elles étaient silencieuses, lèvres serrées et épaules baissées, ou alors elles criaient de terribles insultes aux enfants qui les harcelaient. Extrêmement maigres, yeux et joues creuses, ou avec un large arrière-train, les chevilles gonflées, une poitrine lourde, elles traînaient sacs de courses et petits enfants qui s'accrochaient à leurs jupes et voulaient être portés. Et, bon Dieu, elles avaient dix ans, tout au plus vingt ans de plus que moi. Pourtant, elles semblaient avoir perdu ces qualités féminines si importantes pour nous, les filles, et que nous accentuions avec vêtements et maquillage. Elles avaient été dévorées par le corps des maris, des pères, des frères, auxquels elles finissaient par ressembler, à cause de leur travail ou de l'arrivée de la vieillesse, de la maladie. Quand cette transformation avait-elle commencé ? Avec les travaux ménagers ? Les grossesses ? Par les coups ? Lila serait-elle déformée comme Nunzia ? Fernando abandonnerait-elle son visage délicat, sa démarche élégante deviendrait-elle celle de Rino, jambes larges, les bras écartés par la poitrine ? Et mon corps serait-il aussi un jour ruiné par l'apparition du corps de ma mère et celui de mon père ? Et tout ce que j'apprenais à l'école se dissoudrait-il, le voisinage prévaudrait-il à nouveau, les horaires, les manières, tout serait-il confondu dans une fange noire, Anaximandre et mon père, Folgóre et Don Achille, les valeurs et les étangs, les aoristes, Hésiode, et l'insolente langue populaire des Solaras, comme, au cours des millénaires, c'était arrivé à la ville débraillée, avilie elle-même ?

Auteur: Ferrante Elena

Info: The Story of a New Name

[ vieillissement ] [ dégradation ] [ prolétaires ]

 
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