Pour Marsile Ficin, les images agissent sur l’homme dans un espace médian. C’est le Monde de l’Ame, situé entre le Ciel des Idées et la Terre des Corps. Et le Monde de l’Ame contient les raisons séminales correspondantes aux idées et inductibles dans les corps. De ces raisons séminales, les artistes peuvent tirer leurs images ; et si l’adéquation entre les idées et les corps est partout tractable, elle peut être captée d’autant plus aisément qu’un réceptacle sensible aura été prévu à cet effet. Ce réceptacle sensible, c’est le symbole, et sa magie naturelle est particulièrement destinée aux intellectuels qui risquent, par leurs incessantes recherches, dont la nature les assujettit à l’influence de la planète Saturne, de sombrer dans la dépression. Pour éviter celle-ci, les jeunes intellectuels doivent se nourrir et s’entourer de figures correspondant aux planètes de Vénus et de Jupiter. Et, toujours selon Ficin, c’est au croisement de ces trois puissances planétaires que l’art peut déployer sa dimension à la fois thérapeutique et initiatique. Sentiment de la toute-puissance de la fatalité, la mélancolie risque toujours de conduire à la soumission à l’ordre des choses existant. C’est pourquoi l’innocence érotique comme le sentiment de la justice doivent s’y associer pour produire une vision à la fois tragique et dynamique de l’humanité.
Auteur:
Info: Dans "Trois essais sur Twin Peaks", pages 50-51
Avec l’interprétation de l’homme comme subjectum, Descartes crée la condition métaphysique de toute anthropologie future. Dans l’avènement des anthropologies, Descartes fête son suprême triomphe. Par l’anthropologie, la transition de la Métaphysique vers le processus de la pure et simple cessation et suspension de toute philosophie s’est mise en marche.
Auteur:
Info: Dans "L'époque des "conceptions du monde"" in Chemins qui ne mènent nulle part, page 130
Commentaires: 0
A la différence des philosophies traditionnelles, le spinozisme ne se consacre donc pas à la louange de Dieu (comme Pascal, Malebranche ou Leibniz), mais à la reconstruction de la vie humaine. Comme le disent aussi bien Pierre Mesnard (spécialiste du xvie siècle) que Henri Gouhier (spécialiste du xviie siècle), Spinoza est le véritable humaniste (à la différence de Pascal), et c' est lui qui prépare le xviiie siècle.
A notre sens, il ouvre aussi à toute la modernité, puisque le propos de sa philosophie est de construire une éthique, et non de justifier une religion.
C'est cette perspective éthique et humaniste qui permettra (comme Spinoza est le premier philosophe à le faire dans les temps modernes) de libérer la connaissance réflexive de la pression des morales religieuses de l'obéissance et de l'austérité. Non seulement Spinoza libère l'éthique par rapport à la religion, à la transcendance, et aux puissances occultes, mais il libère aussi l'éthique par rapport aux morales traditionnelles qui postulent, toutes, l'existence d'un Bien absolu, qu'il conviendrait de réaliser en se soumettant à des lois et à des décrets eux-mêmes absolus, ces lois et ces décrets exigeant le sacrifice des biens, des joies et des plaisirs concrètement poursuivis par la spontanéité. Et si l'obéissance entraîne l’austérité c'est en raison du dogme du péché originel : toute passion est un mal pour la morale, parce que toute passion exprimerait la nature peccative de l'homme, et que l'exigence morale d'austérité n'est que la conséquence de l'obéissance religieuse à des dogmes et à des pouvoirs.
C'est donc le souci d'une éthique de la joie, humaniste et libre, qui commande, chez Spinoza, le libre exercice de la raison.
(...)
Ce que Descartes avait tenté de faire dans l'ordre de la seule connaissance de la nature, Spinoza va tenter de le réaliser également pour l'homme : avec Spinoza commence dans la modernité à s'élaborer une connaissance de l'homme qui fasse appel aux mêmes principes que ceux auxquels il est fait appel dans les sciences de la nature.
Auteur:
Info: Dans "Le corps et l'esprit dans la philosophie de Spinoza ", pages 36-38
Commentaires: 0
Comme Baruch [Spinoza] est résolument un homme serviable, il est aussi là pour calmer la tempête en nous transmettant quelques précieux conseils au sujet de la vertu. Attention, être vertueux pour lui, [...]. C'est plutôt acquérir une vraie connaissance de nos passions, comprendre le dynamisme qui est en nous, être capable de définir ce qui nous plaît. C'est cette écoute du réel et de nous-mêmes qui nous permet d'atteindre la plénitude, la sérénité tant recherchée. Le sage n'est pas celui qui est raisonnable, mais celui qui accède à un savoir réel sur lui et sur les choses qui l'entourent, qui arrive à comprendre ce qui nous porte autant que ce qui nous plombe. Avoir du désir est normal, et même bénéfique, mais ce qui est essentiel, c'est d'apprendre à le reconnaître pour que l'on soit moins contrarié et donc agité, dès qu'il vient à se manifester. Être vertueux, ce n'est pas museler son conatus*, c'est en faire un familier.
Auteur:
Info: Kant tu ne sais plus quoi faire il reste la philo, Spinoza chez Ikea. *puissance propre et singulière de tout "étant" à persévérer dans cet effort pour conserver et même augmenter sa puissance d'être
Commentaires: 0
L’adversaire de la société moderne, et son fondateur ? Le réactionnaire, et le progressiste ? Le puritain qui se veut païen contre son christianisme intime ? C’est le romantique moderne dont Rousseau fut l’étonnant prototype ; théoricien de la nature et de la révolution, il avait déjà réalisé toutes nos contradictions.
Auteur:
Info: Dans "Divertir pour dominer", page 208, à propos de Jean-Jacques Rousseau
Commentaires: 0
Le "Contrat social" pour Rousseau c’est l’acte par lequel un peuple est un peuple.
[...]
L’idée c’est que tout État, toute république gouvernée par des lois, doit nécessairement reposer sur le consentement, sur la promesse, sur l’accord de tous les individus qui décident ensemble de s’associer. Pour Rousseau le contrat social c’est un acte d’association, ce n’est en aucun cas un pacte de soumission par lequel par exemple un peuple se donnerait des chefs, des maîtres ou un roi… [...]
Pour Rousseau, l’acte par lequel le peuple désigne un gouvernement n’est pas un contrat ! C’est ce qui est original dans sa position… Il n’y a qu’un seul contrat social, celui qui fonde l’État, celui par lequel des individus décident de s’associer pour fonder un état légitime. Mais le gouvernement sera le commissaire du peuple et ce qui le liera au peuple, c’est le fait de satisfaire les conditions du peuple.
Auteur:
Info: France Culture du 15.04.19, https://www.franceculture.fr/emissions/les-chemins-de-la-philosophie/le-contrat-social-de-jean-jacques-rousseau-14-doit-se-plier-a-la-volonte-generale
Commentaires: 0
Le but de Sade est de faire sauter le maillon qui attache depuis toujours le plaisir sexuel à la procréation. Cette dernière étant la meilleure arme dont nous disposions pour nous empêcher d’abuser du plaisir, il est logique que, repoussant toutes les limitations, il en fasse le procès. Je le cite donc à nouveau : "Une jolie fille ne doit s’occuper que de foutre et jamais d’engendrer." Une fois encore, par qui un tel mot d’ordre court-il le risque d’être pris longtemps à la lettre ? Par personne. Donc Sade est inoffensif. D’ailleurs, pourquoi tue-t-on ? Au fond du fond ? Parce qu’on ne peut pas lire Sade. Parce qu’on ne veut pas, ou parce qu’on ne peut pas, avouer qu’on jouit du rêve de tuer.
Auteur:
Info: Dans "Exorcismes spirituels I - Rejet de greffe", page 79
Commentaires: 0
[Selon Hegel] L’autre monde est invisible parce qu’il est précisément doublé par ce monde-ci, qui interdit de le voir. Si ce monde-ci différait un tant soit peu du monde suprasensible, ce dernier serait en quelque sorte plus tangible : on pourrait le repérer dans l’écart même qui le ferait différer du monde sensible. Mais justement, cet écart n’est pas.
Auteur:
Info: Dans "Le réel et son double", pages 73-74
Commentaires: 0
Pour Schopenhauer, le pessimisme est la croyance selon laquelle, dans le pire des mondes, la vie ne vaut pas la peine d’être vécue et approuvée. D’après cette doctrine, il faut refuser la vie, et cela signifie en même temps l’étant comme tel dans son entier. Pour Nietzsche, c’est là le "pessimisme de la faiblesse". Celui-ci ne voit partout que le noir, ne trouve partout que des raisons d’échec, et prétend savoir que tout se produira dans le sens d’un échec universel. Le pessimisme de la force, au contraire, en tant que force, ne se fait pas d’illusions non plus, mais envisage le danger, sans vouloir le dissimuler ni le retoucher. Il devine ce qu’il y a de funeste à se résigner, à guetter toujours le retour de ce qui a été jusqu’ici. Il pénètre analytiquement les phénomènes et postule la prise de conscience des forces et des conditions qui sont nécessaires pour dominer malgré tout la situation historique.
Auteur:
Info: Dans "Le mot de Nietzsche "Dieu est mort"" in Chemins qui ne mènent nulle part, pages 270-271
Commentaires: 0
L’objectif déclaré de Marx, dès ses Contributions à la critique de l’économie politique (Grundrisse…), ce n’est nullement un freinage de l’emballement productiviste/destructiviste, mais son accélération par la constante révolution des moyens technologiques entraînant eux-mêmes une constante révolution des rapports de production/destruction ; c’est-à-dire des rapports sociaux. L’horizon proclamé de cette fuite en avant c’est le retour au Paradis perdu de l’abondance gratuite et sans travail, au sein de la technosphère artificielle, en lieu et place du jardin primitif.
Auteur:
Info: Dans "Alain Badiou nous attaque", page 29
Commentaires: 0
Bergson a eu une influence considérable sur l'évolution de ma pensée, dans la mesure où toute sa philosophie est centrée sur l'expérience d'un jaillissement de l'existence, de la vie, que nous expérimentons en nous dans le vouloir et dans la durée et que nous voyons à l’œuvre dans l'élan qui produit l'évolution vivante. J'ai passé le baccalauréat de philosophie en 1939, et la dissertation avait pour sujet le commentaire de cette phrase de Bergson: "La philosophie n'est pas une construction de système, mais la résolution une fois prise de regarder naïvement en soi et autour de soi".
Auteur:
Info: Dans "La Philosophie comme manière de vivre", Entretiens avec Jeannie Carlier et Arnold I. Davidson, Paris, Éditions Albin Michel, coll. Le livre de Poche, 2001, 280 pages, p.30.
Commentaires: 0
La contre-initiation est le sujet le plus brûlant de l’œuvre de René Guénon. Dans l’un de ses derniers livres, Le Règne de la quantité et les Signes des temps, publié en 1945, cet auteur décrit les deux phases successives de la Modernité, analogue aux deux phases de la manifestation : à la pravttî-mârga correspond la phase de solidification, qui va du rationalisme au matérialise ; et à la nivrttî-mârga correspond la phase de dissolution, qui comprend toutes les formes de "spiritualité à rebours", et, plus particulièrement, la psychanalyse, le théosophisme et le spiritisme.
Auteur:
Info: Dans "Trois essais sur Twin Peaks", pages 75-76
Commentaires: 0
Heidegger pensait que l’homme était le seul étant par lequel était possible la pensée de l’être, à travers le vecteur privilégié de l’angoisse.
Auteur:
Info: Dans "Exorcismes spirituels I - Rejet de greffe", page 207
Commentaires: 0
Paul Ricoeur est un auteur qui nous apprend la patience du sens. Je l’ai découvert à 16 ans, la plupart du temps à cet âge on est avide d’avoir des propositions solennelles. Ce qui m’a passionné chez Ricoeur c’est qu’à la fois il traite de choses aiguës dans l’expérience (le mal, la souffrance) mais c’est quelqu’un qui ne cesse d’emprunter des détours. Plutôt que de conclure trop vite, il ne va pas directement là où on attend une proposition définitive. Au milieu des ruines, Paul Ricoeur cherche encore l’espérance…
Auteur:
Info: Emission France Culture du 29.03.19
Commentaires: 0
[Michel Foucault] se fendit de la même provocation universitaire chic, à la fin des Mots et des choses, en professant que l’homme s’effacerait de l’Histoire de la pensée comme problème philosophique, pour ensuite ne proposer, dans tous ses livres, qu’une anthropologie généralisée, géniale et novatrice, des pratiques discursives et des marges épistémologico-politiques.
Auteur:
Info: Dans "Après Badiou", page 168
Commentaires: 0
Pour Baudrillard, le désir, c’est la subversion, à la fois affirmée et niée par le système. Georges Bataille était une des sources principales d’inspiration de Baudrillard. Ce qu’il dénonce, et ce que les décroissants dénoncent aussi, c’est la manipulation du désir pour le transformer en besoin. Voilà sur quoi se base l’illimitation de la consommation. L’illimitation du désir est en revanche un donné. Les décroissants ne peuvent le nier. Toutes les sociétés doivent faire avec, et, généralement, elles se débrouillent pour canaliser le désir. Seule la société moderne a mis l’illimitation en son centre. Mais le désir n’y est en fait jamais reconnu dans son caractère subversif.
Auteur:
Info: https://linactuelle.fr/index.php/2019/03/21/baudrillard-serge-latouche-decroissance-castoriadis/
Commentaires: 0
La notice du Monde, en regard de sa tribune, nous présente Alain Badiou (1937-…) comme "philosophe, dramaturge et romancier, professeur émérite à l’Ecole normale supérieure". En fait, il est surtout un bourgeois et un héritier, un "fils de" - en l’occurrence de Marguerite et Raymond, déjà, tous deux, normaliens supérieurs. Le fils Badiou ne sort pas des faubourgs mais de la mairie de Toulouse, dirigée par son père entre 1944 et 1958. Entre ses sept et vingt-et-un ans. Cela crée un habitus du pouvoir et de ses pompes. Sa manie mathématique, il l’a également héritée de son père, lui-même agrégé, comme il en a hérité son adhésion au PSU et son entrée à Normale Sup. Au fond, et c’est son trait le moins répulsif, Badiou est un bon fils et un bon élève qui pense mériter son élévation – par son travail, son application, sa rigueur, sa fidélité aux préceptes reçus et assimilés. Un fanatique consciencieux, inflexible et bénin comme un frère inquisiteur ou un fonctionnaire du Parti. Il est notable qu’il n’élève pas la voix dans les débats "au sein du peuple", confiant dans la toute-puissance de l’argument, puisque son argument possède la toute-puissance de la vérité. Ses sentences d’extermination, il les réserve à "l’ennemi", de même qu’il se réserve la distinction entre l’ami et l’ennemi, en fonction de son interprétation des textes : De la contradiction (1937) et De la juste solution des contradictions au sein du peuple (1957). Gare, simplement, à ne pas glisser d’un camp à l’autre, en s’opposant par exemple à ses exégèses. S’il faut brûler des corps pour sauver des âmes, l’intellectuel aux mains blanches, aux petits yeux plissés, aux lèvres minces et serrées, au ton docte et posé, fera brûler des corps ; fidèle en cela au texte qui lui en donne le pouvoir. Au texte qui lui donne le pouvoir. Il pense sincèrement être le premier de sa promo en marxisme et il aurait trouvé affreusement injuste de ne pas gravir tous les degrés du cursus honorum, maître-assistant à la fac de Reims, professeur à l’université de Vincennes, puis à Normale Sup, etc.
Auteur:
Info: Dans "Alain Badiou nous attaque", page 38
Commentaires: 0
On pourrait croire que le mot "Dieu est mort" énonce une opinion de l’athée Nietzsche, qu’il ne s’agit par conséquent que d’une prise de position personnelle, donc partiale et aisément réfutable par le renvoi à l’exemple de nombre de personnes qui, un peu partout, vont toujours à l’église et subissent leurs diverses épreuves avec une confiance chrétienne en Dieu. Il faut bien pourtant se demander si ce mot n’est qu’une idée d’illuminé, d’un penseur on sait fort exactement qu’il a fini par devenir fou, ou bien si Nietzsche ne prononce pas plutôt la parole qui, tacitement, est dite depuis toujours dans l’histoire de l’Occident déterminée par la métaphysique.
(…)
De cette phrase, il ressort que le mot de Nietzsche sur la mort de Dieu concerne bien le Dieu chrétien. Mais il n’est pas moins certain, d’autre part, et il faut bien s’en rendre compte d’avance, que les noms de "Dieu" et de "Dieu chrétien" sont utilisés, dans la pensée nietzschéenne, pour désigner le monde suprasensible en général. "Dieu" est le nom pour le domaine des Idées et des Idéaux. Depuis Platon, et plus exactement depuis l’interprétation hellénistique et chrétienne de la philosophie platonicienne, ce monde suprasensible est considéré comme le vrai monde, le monde proprement réel. Le monde sensible, au contraire, n’est qu’un ici-bas, un monde changeant, donc purement apparent et irréel. L’ici-bas est la vallée des larmes, par opposition au mont de la félicité éternelle dans l’au-delà. Si nous appelons, comme le fait encore Kant, le monde sensible "monde physique", au sens large du mot, alors le monde suprasensible est le monde métaphysique.
Ainsi le mot "Dieu est mort" signifie : le monde suprasensible est sans pouvoir efficient. Il ne prodigue aucune vie. La métaphysique, c’est-à-dire pour Nietzsche la philosophie occidentale comprise comme platonisme, est à son terme. Quant à Nietzsche, il conçoit lui-même sa philosophie comme un mouvement anti-métaphysique, c’est-à-dire pour lui, anti-platonicien.
(…)
Si Dieu, comme Cause suprasensible et comme Fin de toute réalité, est mort, si le monde suprasensible des Idées a perdu toute force d’obligation et surtout d’éveil et d’élévation, l’homme ne sait plus à quoi s’en tenir, et il ne reste plus rien qui puisse l’orienter.
Auteur:
Info: Dans "Le mot de Nietzsche "Dieu est mort"" in Chemins qui ne mènent nulle part, pp. 257-258 & 261-262
Commentaires: 0
Le nom pour cette figure essentielle de l’humanité qui surpasse l’ancien type, c’est "le Surhomme". Par là, Nietzsche n’entend point quelque spécimen isolé du genre humain, dans lequel les capacités et visées de l’homme habituellement connu auraient été agrandies et accrues jusqu’au gigantesque. "Le Surhomme" n’est pas non plus la race d’homme qui naîtrait par une application à la vie de la philosophie de Nietzsche. Le nom de "surhomme" nomme l’essence de l’humanité qui, en tant que moderne, commence à entrer dans l’accomplissement de l’essence de son époque. "Le surhomme", c’est l’homme qui est homme à partir de la réalité déterminée par la volonté de puissance et pour cette réalité.
Auteur:
Info: Dans "Le mot de Nietzsche "Dieu est mort"" in Chemins qui ne mènent nulle part, pages 303-304
Commentaires: 0
Aristote est la source la plus riche. Il a étudié expressément et à fond les philosophes anciens et en a parlé, surtout au début de sa Métaphysique (mais ailleurs aussi), selon l’ordre historique. Il est aussi philosophe qu’érudit ; nous pouvons avoir confiance en lui. Pour la philosophie grecque, il n’y a rien de mieux à faire que connaître le premier livre de sa Métaphysique.
Auteur:
Info: Œuvres complètes, XIII, p189
Commentaires: 0
Dans mon jeune âge - ce n'est pas d'hier !-, j'ai beaucoup fréquenté le vieil Aristote, qui m'a fortement marqué par sa manière de voir le monde, de poser et de résoudre les questions universelles et essentielles, dont on ne s'occupe plus guère, aujourd'hui, et desquelles, pourtant, tout dépend, en un sens. Aristote m'a donc appris, entre autres maximes, que, pour bien comprendre les choses, il faut les voir naître et grandir. Si je veux acquérir la connaissance totale d'un insecte, il ne me suffit pas de le disséquer, car je n'ai alors sous les yeux qu'un cadavre, un mécanisme figé et devenu tout autre chose que le véritable insecte : pour le voir, pas seulement comme une machine, admirable bien qu'inerte, mais comme un être remuant, inattendu, se dirigeant lui-même et soumis à des lois autrement plus compliquées que celles de la mécanique, il me faut l'observer vivant, le regarder vivre - c'est-à-dire naître, se développer et agir. Aristote avait raison.
Auteur:
Info: L'Orient ancien et nous, Incipit
Commentaires: 0
[…] Otto Gross était l’un des hommes les plus dangereux de sa génération, une menace pour la société bourgeoise et chrétienne de l’Europe allemande. Non qu’il fût violent, bien au contraire. Mais il avait un inquiétant talent pour pousser les autres à agir gratuitement, à suivre leurs pulsions instinctives. Grand briseur de liens, émancipateur-né, adulé par une multitude de femmes qu’il avait rendues folles - fût-ce brièvement -, Gross entraîna l’une de ses amantes/patientes à se suicider, tandis qu’une autre de ses consultantes mourait un peu plus tard dans des circonstances semblables. Ses contemporains le disaient brillant, créatif, charismatique et détraqué. Ce médecin nietzschéen, psychanalyste freudien, anarchiste, grand prêtre de la libération sexuelle, organisateur d’orgies, ennemi juré du patriarcat, morphinomane et cocaïnomane forcené, était adoré et haï avec une égale passion : foyer de corruption pour les uns, agent de guérison pour les autres.
Auteur:
Info: Jung le Christ aryen, p 82
Commentaires: 0
Le pessimisme de Léopardi est un pessimisme intégral, à la fois métaphysique, moral, social. Léopardi nie tout et désespère de tout. " Notre vie, à quoi est-elle bonne ? Seulement à la mépriser. " Mais surtout Leopardi a en horreur une société qui réserve ses faveurs à la médiocrité brutale ou rusée et qui vilipende les hommes supérieurs en raison de leur mérite. Son mépris de l'humanité va jusqu'au dédain des jugements de la postérité. Leopardi exprime cette idée que l'appel à la postérité ne doit pas consoler l'homme supérieur malheureux. " Une ombre irritée fut-elle jamais apaisée par des sanglots, flattée par des discours ou par les offrandes d'une vile multitude ? Les temps se précipitent vers le pire : et l'on aurait tort de confier à nos descendants corrompus l'honneur des âmes illustres et la suprême vengeance des malheureux. " Léopardi se moque des utopies sociologiques de bonheur collectif. " La société humaine contient naturellement mille principes et mille éléments contraires et incompatibles: et quant à faire cesser ces discordes, l'intelligence et la puissance de l'homme n'y sont jamais par-venues depuis le jour où naquit notre race illustre; et de nos temps, aucune loi ne le pourra, ni aucun journal, si sages et si influents qu'ils puissent être. " Le pessimisme social de Léopardi engendre sinon l'individualisme proprement dit, du moins une disposition à fuir la société et à se réfugier dans un stoïque et farouche isolement.
Auteur:
Info:
Commentaires: 0
[...] l'éthique n'est pas seulement, chez Spinoza, une théorie de la liberté, c'est aussi et d'abord une théorie de la libération. Or Spinoza est parfaitement cohérent lorsqu'il combat les théories de la volonté et du libre-arbitre comme moyens de lutte contre les "passions". Ces théories n'introduisent en réalité [...] qu'à une catharsis illusoire appuyée sur la force d'une faculté illusoire. Spinoza ne combat d'ailleurs pas seulement le volontarisme mais encore l'intellectualisme. La seule présence de la vérité ne supprime aucune passion et ne lève aucun déterminisme naturel : Spinoza n'oublie jamais la rigueur de la nécessité.
C'est précisément dans ce contexte, que se déploie, chez Spinoza, la théorie d'une catharsis véritable, c'est-à-dire non pas d'une suppression du Désir, mais d'une transformation du sens et du contenu du Désir.
Auteur:
Info: Dans Revue de Synthèse, 3ème série n° 89/90, janvier/sept 1978, PUF
Commentaires: 0
Défendre le temporaire contre l’impitoyable éternité, c’est la moralité selon Schopenhauer.
Auteur:
Info: Dans "Critique of instrumental reason"
Commentaires: 0
Hegel est le premier à comprendre, au début du XIXe siècle, que l’humanité est en train de basculer d’une ère à une autre, que nous sommes en train de sortir de l’histoire, et qu’il est vain de tenter de maintenir tout ce qui est en train de s’effondrer. Ce qui s’achève sous les yeux de Hegel, c’est le processus de réalisation de la raison et de rationalisation de la réalité : et en effet, nous ne vivons plus dans un environnement naturel, mais dans un univers intégralement artificiel et numérique, au sein de ce que Hegel nomme une "seconde nature", qui s’est substituée à la première. Hegel lui-même y voit l’accomplissement du platonisme, l’achèvement de la métaphysique, et c’est ce qu’il oppose à Kant : la Critique de la raison pure veut montrer que la métaphysique est impossible parce que les idées de la raison ne peuvent pas trouver de vérification expérimentale dans les structures de la subjectivité finie, et tout particulièrement dans les formes de l’espace et du temps ; Hegel lui objecte que ce n’est précisément pas par les sujets finis que se fait cette vérification, mais par le biais du travail millénaire de peuples qui se sont succédés pour opérer cette rationalisation intégrale du réel, et ce dans le temps de l’histoire et dans l’espace du monde. Hegel conçoit ainsi notre époque comme synthèse de toutes les contradictions, comme identité achevée de l’idéal et du réel, adéquation parfaite du réel et du rationnel : de son point de vue, la Sagesse que recherchaient les philosophes est enfin atteinte, nous sommes entrés dans l’ère du Vrai et du Bien, et il conçoit même l’avènement de cette totalité rationnelle comme marche de Dieu sur terre. Hegel est ainsi fondamentalement le penseur de la réconciliation : c’est pourquoi il n’est pas un penseur de la crise. Il demeure en effet idéaliste et reste pris dans les structures de la métaphysique, en ce qu’il identifie la réalité à l’idéalité, le réel et le rationnel.
Auteur:
Info: http://actu-philosophia.com/Entretien-avec-Jean-Vioulac-Autour-d-Approche-de
Commentaires: 0
Spinoza essaie d’y voir clair là où les autres hommes vivent dans l’obscurité ; il tente d’introduire sa raison, la Raison, dans l’enchevêtrement insensé des choses et il est des moments où il croit y être parvenu – c’est alors l’acceptation joyeuse et libératrice de la nécessité de ce qui est, une fois dissipées les brumes illusoires de la croyance en un Dieu créateur - ; mais la joie n’est pas un état durable, c’est une éclaircie dans le noir de l’existence.
Auteur:
Info: Dans "Spinoza, le masque de la sagesse", pages 53-54
Commentaires: 0
Le nominalisme est né des débats médiévaux sur le statut à accorder à ce que l’on appelait alors les universaux – "universel" étant ici à comprendre comme ce qui s’oppose à "singulier", c’est-à-dire comme ce qui peut être dit de plusieurs objets. Par exemple, "cheval" est un universel, parce qu’on dit de plusieurs êtres qu’ils sont des chevaux. Existe-t-il quelque chose comme la "chevalité", dont les différents chevaux que nous rencontrons seraient des instances ou des exemplifications ? Les nominalistes soutiennent que non. Pour eux, seuls sont réels les choses et êtres singuliers. Les idées générales ou les concepts (catégories, espèces, genres…) ne sont que des signes, des mots, des noms (d’où le fait qu’on parle de "nominalisme"), servant à évoquer choses ou êtres singuliers réunis selon certains critères commodes.
Auteur:
Info: Dans "Leurre et malheur du transhumanisme", pages 109-110
Commentaires: 0
L’importance qu’il accorde au sens moral, sa conviction que la morale revêt pour l’humanité une signification bien supérieure à celle des sciences et des arts, tout cela fait que le déisme de Rousseau est profondément différent de celui de Voltaire. Hostile au matérialisme, Voltaire est déiste sur la foi de la raison. Le déisme de Rousseau se colore d’un élan mystique. Aussi Voltaire le jugeait-il dangereux et porteur d’intolérance.
Auteur:
Info: Dans "Croire et savoir", page 153
Commentaires: 0
Selon Freud, l’homme n’est qu’un mécanisme mis en branle par la libido avec comme principe régulateur le maintien de la libido au minimum de l’excitation. Il concevait l’homme comme un être fondamentalement égoïste, lié à ses semblables par la nécessité partagée de satisfaire des désirs instinctuels. Pour Freud, le plaisir était le relâchement de la tension et non l’expérience de la joie. L’homme était perçu comme déchiré entre son intellect et ses affects. Ce n’était pas l’homme total, mais le soi-intellect des philosophes des Lumières. L’amour fraternel était une exigence déraisonnable, contraire à la réalité, l’expérience mystique, une régression vers le narcissisme infantile.
Auteur:
Info: Dans "Bouddhisme Zen et psychanalyse", page 94
Commentaires: 0
Même si n'est pas Montaigne qui veut, j'ai tout de même retenu des Essais trois leçons qui me sont chères :
1. Que l'on peut aborder les grandes questions à partir des petites.
2. Que le doute et l'inachèvement ne sont pas des faiblesses de la pensée mais peuvent être des gages de lucidité.
3. Enfin, que les humains sont inconstants et ne se laissent pas enfermer aisément dans les filets d'une seule théorie.
En suivant les pas de Montaigne, il est possible, à partir de questions simples et déroutantes, de livrer quelques enseignements sur la nature humaine et le sens de la vie...
Auteur:
Info: Les Humains, mode d'emploi : Nouveaux regards sur la nature humaine
Commentaires: 0
Kierkegaard, qui était, comme vous le savez, un humoriste, a bien parlé de la différence du monde païen et du monde de la grâce, que le christianisme introduit. […]
Kierkegaard veut échapper à des problèmes qui sont précisément ceux de son accession à un ordre nouveau, et il rencontre le barrage de ses réminiscences, de ce qu’il croit être et de ce qu’il sait qu’il ne pourra pas devenir. Il essaie alors de faire l’expérience de la répétition. Il retourne à Berlin où, lors de son dernier séjour il a eu un infini plaisir, et il remet ses pas dans ses pas. Vous verrez ce qu’il lui arrive, à chercher son bien dans l’ombre de son plaisir. L’expérience échoue totalement. Mais à la suite de ça, il nous mène sur le chemin de notre problème, à savoir, comment et pourquoi tout ce qui est d’un progrès essentiel pour l’être humain doit passer par la voie d’une répétition obstinée.
Auteur:
Info: Dans le "Séminaire, Livre II", page 110
Commentaires: 0
Spinoza, qui apparaît comme un cas particulièrement significatif de non-enracinement dans sa tradition spirituelle, le Judaïsme, sera en opposition manifeste avec les théologiens chrétiens aussi bien qu'avec les rabbins d'Amsterdam. Excommunié par la Synagogue, en rapport avec des Mennonites qui s'inspirent de la gnose de Marcion, il s'insurge contre le dogmatisme religieux du peuple juif, dont il ne sait plus retrouver la dimension universelle et spirituelle à la manière d'un Isaac Luria ou d'un Moïse de Léon. Au dogmatisme religieux, il oppose son dogmatisme philosophique. Il est insensible à l'aspect "symbolique" des formes traditionnelles dont il ne saisit plus que les contours et les implications passionnelles, mais au nom d'une intellectualité qui est loin d'être elle-même dépouillée de tout élément "dogmatique" et passionnel. Et ce dogmatisme-là suscitera comme un légitime choc en retour la critique kantienne du "dogmatisme" philosophique.
La spéculation intellectuelle qui s'oppose à une tradition spirituelle dont elle ne comprend plus le sens profond se hasarde à voler vers Dieu de ses propres ailes. Et le philosophe nous apporte avec l'Ethique une magistrale et géniale caricature de la perspective métaphysique dans un dogmatisme rationnel qui se heurte massivement à des évidences qu'il nie parce qu'il s'avère incapable de les intégrer, à la différence du métaphysicien qui pratique tout naturellement et sur tous les plans la synthèse des contradictoires.
Le monisme massif de l'Ethique exclut la vie, la liberté du choix ou la "personne" que le non-dualisme plus subtil du métaphysicien pur parvient à intégrer dans l'universalité concrète de sa perspective.
Auteur:
Info: Dans "Perspective métaphysique", pages 78-79
Commentaires: 0
La grande découverte de Kant, c’est que l’homme n’est obligé qu’à une chose, à savoir d’agir conformément à sa volonté ; mais bien entendu à sa vraie volonté, à sa volonté législatrice universelle.
Auteur:
Info: Dans "Leçons sur Kant", page 151
Commentaires: 0
Telle est donc l’originalité fondamentale de l’éthique spinoziste : rompre avec l’idée judéo-chrétienne d’un péché originel qui nous condamne à la faute et à la misère ; montrer au contraire que notre être, en dépit de ses limites, est de part en part positivité, puissance, perfection ; et, par conséquent, ne pas concevoir nos passions comme les défauts d’une nature intrinsèquement vicieuse, mais comme des phénomènes parfaitement naturels, et naturellement parfaits, qu’il est possible de vivre non plus de manière passive et impuissante, mais de façon intelligente et active.
Auteur:
Info: Hors-Série N° 73 : Spinoza Le Maître De Liberté de L'Obs
Commentaires: 0
En fin de compte, Russell lui-même a admis qu'il a déployé ses plus grands efforts dans le domaine de la philosophie traditionnelle - en épistémologie, la recherche des fondements ultimes de notre savoir sur le monde. Comment pouvons-nous être certains que ce que nous prétendons savoir est vrai ? Où se trouve la certitude dans notre expérience du monde ? Peut-on dire que même les connaissances les plus précises - comme les mathématiques - reposent sur un fondement logique sûr ? Telles étaient les questions que Russell a cherché à répondre au cours des périodes de pensée philosophique la plus profonde. Elles sont restées les éternelles questions de la philosophie, de Platon et Aristote à Russell et Wittgenstein, en passant par Descartes, Hume et Kant.
Auteur:
Info: Bertrand Russell: Philosophy in an Hour
Commentaires: 0
La philosophie de Marx, comme presque toute la pensée existentialiste, constitue une protestation contre l’aliénation de l’homme, qui lui fait perdre son individualité et le transforme en objet. Elle s’oppose à la déshumanisation et à l’automatisation de l’homme liées au développement industriel de la société occidentale. C’est une critique impitoyable de toutes les "réponses" au problème de l’existence humaine qui tentent de présenter des solutions en niant ou en camouflant des déchirements inhérents à l’homme.
Auteur:
Info: Dans "La conception de l'homme chez Marx" page 7
Commentaires: 0
[…] il y a une part notable de vérité dans les critiques que Bergson adresse à ce qu’il appelle à tort l’"intelligence", et qui n’est en réalité que la raison, et même, plus précisément, un certain usage de la raison basé sur la conception cartésienne, car c’est en définitive de cette conception que sont sorties toutes les formes du rationalisme moderne. Du reste, il est à remarquer que les philosophes disent souvent des choses beaucoup plus justes quand ils argumentent contre d’autres philosophes que quand ils en viennent à exposer leurs propres vues, et, chacun voyant généralement assez bien les défauts des autres, ils se détruisent en quelque sorte mutuellement ; c’est ainsi que Bergson, si l’on prend la peine de rectifier ses erreurs de terminologie, montre bien les défauts du rationalisme (qui, bien loin de se confondre avec le véritable "intellectualisme", en est au contraire la négation) et les insuffisances de la raison, mais il n’en a pas moins tort à son tour quand, pour suppléer à celles-ci, il cherche dans l’"infra-rationnel" au lieu de s’élever au "supra-rationnel" (et c’est pourquoi sa philosophie est tout aussi individualiste et ignore aussi complètement l’ordre supra-individuel que celle de ses adversaires).
Auteur:
Info: Dans "Le règne de la quantité" pages 94-95
Commentaires: 0
Platon déconcerte les historiens de la philosophie parce que, au lieu de rencontrer un système, ils découvrent un sourire intelligent.
Auteur:
Info: Dans "Le réactionnaire authentique" page 118
Commentaires: 0
[…] bien que se plaçant dans la ligne des réformateurs upanishadiques (antiritualistes), Bouddha nie et refuse les résultats auxquels ceux-ci sont arrivés. La spéculation upanishadique était arrivée aux résultats suivants : le fondement de l’Univers est l’ "esprit pur", Brahman ; le véritable Soi de l’homme est l’âtman, lui aussi "esprit pur", immortel, éternel ; l’âtman est identique au Brahman et c’est en la découverte, en la réalisation de cette identité que consistent la béatitude de l’homme et son salut. Bouddha prend le contrepied de cette théorie : d’une part, il nie l’existence d’un esprit cosmique, du Brahman ; d’autre part, il nie l’existence du Soi, de l’ "âme" (âtman, purusha) humaine. […] Pour le Bouddha, l’Univers, la vie, l’ "âme" sont […] transitoires, en devenir incessant, et, comme tels, "douloureux" et "illusoires". La seule chose que Bouddha accepte sans réserve de l’héritage spirituel pan-indien, orthodoxe, c’est l’idée du karma (loi de la cause et de l’effet). […]
En même temps qu’il s’oppose au ritualisme védique (le sacrifice, que fait-il d’autre, en effet, sinon d’enfoncer l’homme encore plus profondément dans le cycle karmique des causes et des effets ?) et qu’il repousse les résultats auxquels avait abouti la spéculation upanishadique et post-upanishadique, - au sujet notamment de l’existence de Brahman et d’un Soi (âtman, purusha) qu’elle concevait indépendant de la vie psychomentale – Bouddha repousse également les excès mystiques des diverses écoles mystiques-contemplatives qui lui étaient contemporaines. […]
Le message du Bouddha s’adressait à l’homme en tant que tel, à l’homme pris dans le rets de la transmigration, à l’homme qui souffre. Pour Bouddha, de même que pour le Yoga (soit classique, soit baroque, sous toutes ses formes), le salut ne s’obtient qu’à la suite d’un effort personnel, d’une expérience. Les vérités révélées par Bouddha n’ont pour résultat le salut que si elles sont éprouvées expérimentalement, que si elles sont actualisées, réalisées.
Auteur:
Info: Dans "Techniques du yoga" pages 183 à 186
Commentaires: 0
J’ai lu les philosophes. Ce sont de curieux personnages, ni moroses ni émasculés, de vrais joueurs. Descartes, par exemple, à peine entre-t-il dans la partie qu’il fait monter les enchères : nos prédécesseurs n’ont dit que des conneries. Et d’affirmer que les mathématiques constituent l’indiscutable moyen de découvrir la vérité. Beauté de la mécanique. Puis rapplique Hume qui conteste toute approche scientifique de la connaissance. Après quoi, c’est au tour de Kierkegaard d’abattre son jeu : "J’enfonce mon doigt dans le cours de ma vie – il ne sent rien. Quel est mon avenir ?" Et enfin survient Sartre qui proclame l’absurdité de toute existence…
Auteur:
Info: Dans "Le capitaine est parti déjeuner et les marins se sont emparés du bateau", trad. Gérard Guégan, page 14
Commentaires: 0
Quoi qu’il en soit, les sources sont suffisamment riches pour que nous puissions affirmer que le projet de Socrate se situe aux antipodes des trois "ismes" qui se sont volontiers reconnus en lui : rationalisme, humanisme, existentialisme. C’est un maître de la rationalité (de la rationalité dialectique), mais il fait servir cette virtuosité à la démonstration du néant de la sophia humaine. Et s’il invite à "prendre soin de soi", de "son âme", etc. ce n’est pas dans le dessein de construire une subjectivité souveraine, mais dans celui d’accorder son âme le plus possible "au dieu". Et la recherche de cet accord passe par le retrait de la politique : ce débrayage menaçait directement la démocratie, fondée sur la participation des citoyens.
Auteur:
Info: Dans "La philosophie antique", page 118
Commentaires: 0
L’idée d’un ordre mécanique remonte à Descartes autour de 1640. Son idée est que si l’on désire comprendre le fonctionnement d’une chose, il est possible de le découvrir en la regardant telle qu’une machine. Cette chose qui nous intéresse doit être isolée du reste - le roulement d’une bille, la chute d’une pomme, la circulation du sang - puis on construit un modèle mécanique, un jouet mental obéissant à certaines règles qui en répliquera le comportement. C’est en raison de la pensée cartésienne qu’il a été possible de découvrir au sens moderne le fonctionnement des choses.
Mais le point crucial que Descartes comprenait parfaitement et que souvent nous oublions, est que ce processus n’est qu’une méthode. Cette affaire de séparer les éléments, de les morceler pour les réagencer ensuite dans un modèle de comment les choses fonctionnent ne constitue pas la réalité. Il s’agit d’un exercice mental pratique que nous appliquons à la réalité pour la comprendre.
Descartes lui même concevait son procédé comme un exercice intellectuel. C’était un religieux qui aurait été horrifié de découvrir que les Hommes du XXème ont commencés à confondre le modèle pour la réalité. Mais depuis le vivant de Descartes son idée pris de l’élan, et le monde a compris qu’il était vraiment possible de découvrir le fonctionnement de la circulation sanguine ou la naissance des étoiles en les regardants comme des machines; et après avoir utilisé ce procédé du XIIème jusqu’au XXème pour découvrir les choses dans leur aspect mécanique, un basculement vers un nouvel état d’esprit eu lieu, traitant la réalité comme si son image mécanique constituait réellement la nature des choses comme si toute chose était machine.
Auteur:
Info: Nature of order
Commentaires: 0
Pyrrhon était l’apôtre d’un scepticisme intégral. Selon lui, quel que soit le point de vue que nous envisageons, nous devons prendre soin de comprendre le point de vue opposé, afin de cerner la pertinence de chacune des perspectives en conflit – ou du moins leur pertinence apparente – et de nous tenir en retrait de toute croyance ou conviction. Le sceptique radical évite d’accorder un trop grand crédit aux idées, même en relation à un contexte donné, et préfère se ranger à la "tranquillité heureuse". Chacun se rappelle la formule latine : "In dubio abstine" ("Dans le doute, abstiens-toi"). Au lieu de nous rendre malheureux à force de chercher la vérité, résignons-nous à ne rien connaître ; et, au lieu de lutter contre les conventions établies, choisissons de nous y soumettre avec calme. […] Même le fait de s’obstiner à dire que rien n’est vrai et que nul ne peut rien connaître du monde constitue pour Pyrrhon un attachement excessif à la recherche de la vérité et trouble notre quiétude, que les Grecs qualifiaient d’ "ataraxie".
Cette démarche philosophique est exclusivement morale : elle porte sur l’attitude subjective à adopter face au monde et ne dit rien sur la nature objective du réel. Elle refuse par principe de porter un quelconque jugement de connaissance, y compris pour affirmer que l’Être paraît inconnaissable. Le seul jugement qu’elle porte est éthique : l’homme tranquille se garde de chercher la vérité.
Auteur:
Info: Dans "Manuel de sagesse païenne", éd. Le passeur, 2020, pages 43-44
Commentaires: 0
Pour être honnête, même les nazis n’ont pas réussi à délirer autant à propos de Nietzsche que Heidegger. Lisez son cours sur Nietzsche en deux volumes : tout y est faux de bout en bout. Dès le début, Heidegger explique qu’il ne va pas parler de ce que Nietzsche a écrit, mais de ce qu’il n’a pas écrit. Voilà comment il justifie cette méthodologie pour le moins curieuse : "Si notre connaissance se limitait à ce qui fut publié par Nietzsche même, nous ne pourrions jamais apprendre ce que Nietzsche savait déjà, ce qu’il préparait et ne cessait de mûrir, mais qu’il retint." Avec ces prémisses, Heidegger explique que l’éternel retour est une découverte essentielle, majeure, montrant que Nietzsche est un penseur de l’Être, de ce qui perdure et revient au-delà du défilé des événements, et qu’il serait donc heideggérien avant la lettre. Le plus curieux, c’est que les philosophes français de l’après-guerre, Derrida et Deleuze en tête, aient pris cette lecture au sérieux. Je ne sais pourquoi, dans l’université française, s’est propagé le mythe selon lequel Heidegger serait le grand philosophe du XXe siècle. C’est d’autant plus incompréhensible que ces dithyrambes sur Heidegger ont commencé juste après l’Occupation, preuve que nous ne sommes pas trop rancuniers.
La réalité, c’est que Nietzsche est le penseur le plus anti-heideggérien qui soit : pour lui, l’éphémère est plus important que l’éternel, le devenir a plus de valeur que l’Être, la surface est la véritable profondeur. Moi, j’admire Nietzsche parce qu’il a su prendre sur ses frêles épaules deux millénaires de philosophie idéaliste, et qu’il les a renversés. Je ne m’explique toujours pas comment il a eu la force de mener à bien un tel combat, alors qu’il avait une santé fragile et une trajectoire rien de moins que précaire. Mais c’est l’exploit de Nietzsche.
Auteur:
Info: Entretien
Commentaires: 0
La critique de Nietzsche se distingue de toute la psychologie sociale académique par la position à partir de laquelle elle est entreprise. Nietzsche parle au nom d’un principe de réalité fondamentalement antagonique à celui de la civilisation occidentale. La forme traditionnelle de la raison se trouve rejetée sur la base de l’expérience de l’être-comme-fin-en-soi, de l’être-plaisir (Lust) et joie. La lutte contre le temps est menée à partir de ce point de vue : la tyrannie du devenir sur l’être doit être brisée pour que l’homme devienne lui-même dans un monde qui soit vraiment le sien. […] L’homme ne devient lui-même que lorsque la transcendance a été vaincue, lorsque l’éternité est devenue présente ici-bas.
Auteur:
Info: Dans "Eros et civilisation", trad. de l'anglais par Jean-Guy Nény et Boris Fraenkel, éditions de Minuit, Paris, 1963, pages 111-112
Commentaires: 0
La Phénoménologie de l’Esprit montre la structure de la raison comme structure de la domination et comme dépassement de cette domination. La raison se développe à travers le développement de la conscience de soi de l’homme qui triomphe de la nature et du monde historique et en fait le matériau de sa propre réalisation. […]
Mais la Phénoménologie de l’Esprit ne serait pas l’auto-interprétation de la civilisation occidentale si elle n’était rien de plus que le développement de la logique de la domination. La Phénoménologie de l’Esprit conduit au dépassement de cette forme de liberté qui provient de la relation antagonique avec l’autre. Et le vrai mode de liberté n’est pas l’activité incessante de la conquête, mais la cessation de cette activité, dans la connaissance limpide et la satisfaction de l’être. […]
Tout au long de la Phénoménologie de l’Esprit, la tension entre le contenu ontologique et le contenu historique demeure : les manifestations de l’esprit sont les étapes principales de la civilisation occidentale, mais ces manifestations historiques restent entachées de négativité, l’esprit ne revient à lui que dans le savoir absolu et en tant que savoir absolu. C’est en même temps la forme vraie de la pensée et la forme vraie de l’être. L’être est dans son essence même raison. Mais la forme la plus haute de la raison est, pour Hegel, presque à l’opposé de la forme existante : elle est plénitude atteinte et conservée, unité transparente du sujet et de l’objet, de l’universel et de l’individuel, une unité dynamique plutôt que statique, dans laquelle tout devenir est une auto-extériorisation libre (Selbst-Entäusserung), une libération et une jouissance des potentialités. Le travail de l’histoire trouve sa fin dans l’histoire : l’aliénation disparaît, et avec elle la transcendance et le flux du temps. L’esprit "dépasse" sa forme temporelle ; il nie le Temps. Mais la "fin" de l’histoire se ressaisit de son contenu : la force qui accomplit la conquête du temps est la mémoire (recollection du souvenir). […]
L’être n’est plus la transcendance douloureuse vers l’avenir, mais la reconquête pacifique du passé.
Auteur:
Info: Dans "Eros et civilisation", trad. de l'anglais par Jean-Guy Nény et Boris Fraenkel, éditions de Minuit, Paris, 1963, pages 105-108, à propos d'un ouvrage de Hegel
Commentaires: 0
Il [Schiller] a diagnostiqué la maladie de la civilisation comme étant le conflit entre les deux instincts fondamentaux de l’homme (les instincts sensibles et les instincts formels), ou plutôt comme la "solution" violente de ce conflit, comme l’établissement de la tyrannie répressive de la raison sur la sensibilité. Par conséquent, la réconciliation des instincts en conflit impliquerait le renversement de cette tyrannie, c’est-à-dire la restauration de la sensibilité dans ses droits. Il faudrait chercher la liberté dans la libération de la sensibilité plutôt que dans celle de la raison, et dans la limitation des facultés "supérieures" en faveur des facultés "inférieures". En d’autres termes, le salut de la civilisation impliquerait l’abolition des contrôles répressifs que la civilisation a imposés à la sensibilité. Voilà la véritable idée qui se trouve derrière l’Education esthétique.
Auteur:
Info: Dans "Eros et civilisation", trad. de l'anglais par Jean-Guy Nény et Boris Fraenkel, éditions de Minuit, Paris, 1963, page 167
Commentaires: 0
L’auteur de La Philosophie dans le boudoir comprit également que la condamnation de la vénération de la femme devait s’accompagner d’une défense des droits sexuels de celle-ci – le droit de disposer de son propre corps, comme le diraient aujourd’hui les féministes. Si l’exercice de ce droit, dans l’utopie de Sade, se réduit au devoir de devenir l’instrument du plaisir d’autrui, ce n’est pas parce que le Divin Marquis détestait les femmes mais parce qu’il haïssait l’humanité. Il avait perçu, plus clairement que les féministes, qu’en régime capitaliste toute liberté aboutissait finalement au même point : l’obligation universelle de jouir et de se donner en jouissance. Sans violer sa propre logique, Sade pouvait ainsi tout à la fois réclamer le droit, pour les femmes, de satisfaire complètement leurs désirs, et jouir de toutes les parties de leur corps, et de déclarer catégoriquement que "toutes les femmes doivent se soumettre à notre plaisir". L’individualisme pur débouchait ainsi sur la répudiation la plus radicale de l’individualité. […] Ce n’est pas seulement dans la pensée de Sade mais dans l’histoire à venir si exactement préfigurée dans l’excès même, la folie et l’infantilisme de ses idées – que la défense de la sphère privée aboutit à sa négation la plus poussée, que la glorification de l’individu conduit à son annihilation.
Auteur:
Info: Dans "La culture du narcissisme", trad. Michel L. Landa, éd. Flammarion, Paris, 2018, page 123
Commentaires: 0
Sade, qui reste pour beaucoup de gens synonyme d’atrocité et de scandale, n’a fait finalement qu’écrire d’une manière très crue les rêves refoulés de meurtre, de jouissance par la destruction qui nous hantent sous le couvert de nos protestations humanitaires. Et seuls les imbéciles peuvent être tentés de le prendre au pied de la lettre. Ne rien comprendre à Sade, c’est croire qu’il plaide pour le meurtre alors que la preuve du contraire est sa répulsion absolue pour la peine de mort, en pleine Terreur. Rejeter Sade, c’est faire cette confusion très classique entre symbolique (les romans) et la réalité.
Auteur:
Info: Dans "Exorcismes spirituels, tome 2 : Mutins de Panurge", éd. Les Belles lettres, Paris, 1998, page 86
Commentaires: 0
Élevés dans une ère de sécurité, nous avions tous la nostalgie de l’inhabituel, des grands périls. La guerre nous avait donc saisis comme une ivresse. C’est sous une pluie de fleurs que nous étions partis, grisés de roses et de sang. Nul doute que la guerre ne nous offrît la grandeur, la force, la gravité. Elle nous apparaissait comme l’action virile : de joyeux combats de tirailleurs, dans les prés où le sang tombait en rosée sur les fleurs. Pas de plus belle mort au monde… Ah surtout, ne pas rester chez soi, être admis à cette communion !
Auteur:
Info: Orages d’acier (In Stahlgewittern), 1920, Trad. Henri Plard, Christian Bourgois éditeur, 1995
Commentaires: 0
L’aristotélisme ressortit au Samkhya, le platonisme au vedânta. Le raisonnement d’Aristote contre les Idées est le suivant. On postule l’essence pour rendre compte de la communauté de nature entre deux êtres individuels, deux hommes par exemple, qui tous deux participent de la "forme" humaine. Or, si l’essence est aussi une réalité existant en elle-même (thèse de Platon), il faudra supposer un "troisième homme" pour rendre compte de la communauté de nature entre tel homme et l’essence "Homme", et ainsi de suite. On voit que l’horizon ontologique d’Aristote est limité à l’exister individuel, et qu’il ne conçoit pas que l’essence puisse être parfaitement réelle sans pour autant exister à la manière d’un chat ou de Callias. (Métaphysique, livre II, 9, 980 b). Aristote a perçu aussi vivement que Platon la nécessité de lutter contre les Sophistes. Il a lui aussi clairement compris qu’il s’agissait d’une crise de l’intelligence analytique dévoyée par la découverte de sa propre puissance instrumentale. Mais la solution qu’il propose est significativement différente. Au lieu de découvrir dans le contenu de cette intelligence les traces du vrai et de l’être et, à partir de ces qualités immanentes, de la retourner vers son Principe, Aristote veut redresser l’intelligence analytique sur son propre plan et dans sa forme même : il invente la logique formelle, c’est-à-dire l’art de raisonner juste indépendamment de l’essence ou de la chose même (ibidem, XIII, 4, 1078 b 25), art auquel on donna justement à partir du VIe siècle, le nom d’Organon, c’est-à-dire d’instrument.
Auteur:
Info: Dans "Platon ou la restauration de l'intellectualité occidentale", n°471 de la revue "Etudes traditionnelles "
Commentaires: 0
[…] à l’origine, Socrate était un philosophe de la nature – nous avons déjà eu un spécimen du présocratique en Empédocle – jusqu’à ce qu’il ait lu un livre d’Anaxagore, qui disait que le noûs est la cause de toutes choses. Par suite, il s’attendait à ce qu’Anaxagore montre que tout était ordonné de manière raisonnable et belle. Mais Anaxagore n’a pas utilisé son principe intellectuel et, par conséquent, Socrate l’a rejeté. Dans le Parménide, Socrate nous est présenté comme un homme qui dit qu’il n’y a pas d’idée du laid. Cela est encore conforme au premier moment : l’esprit gouverne toutes choses, par conséquent, tout est bien ordonné, ordonné de manière belle. Et l’opinion qu’il soutenait sur eros convient de manière belle : eros est seulement amour du beau. De ce point de vue, la découverte qui a transformé le jeune Socrate en un autre Socrate est la découverte du laid, de ce qui résiste.
Auteur:
Info: Dans "Sur le Banquet de Platon", trad. Olivier Sedeyn, éditions de l'éclat, Paris-Tel Aviv, 2006, pages 214-215
Commentaires: 0
Commentaires: 0