Car de cette demi-minute passée sous l'eau, me restait surtout l'image de ma mère, mais aussi la sensation corporelle de sa présence. Ce visage gigantesque, brillant devant mes yeux comme une visitation angélique, m'avait fait revivre cette proximité que j'avais sentie dans tant et tant de nuits froides, lorsque maman venait me border dans mon lit et caresser mes joues, en partageant avec moi la chaleur de son haleine comme une sorte d'élan vital. Et j'emploie cette expression sans aucune exagération, car pendant ces moments-là j'avais l'impression de pouvoir inhaler exactement la bouffée qu'elle venait d'inspirer et que cet air, ainsi enrichi, me protégerait pour traverser les longues incertitudes de la nuit. La sensation d'avoir un nez, et qu'il soit si près du sien, la sensation d'avoir une poitrine étroite et nouvelle, comme d'un pigeon, qu'elle emmitouflait avec soin, comme si c'était la sienne, ou même plus, comme si elle logeait dans un coin de cette minuscule cage d'os, toutes ces réminiscences de la petite enfance - cette époque où avoir une mère représentait une puissance évidente, inaliénable et éternelle - avaient été réactivées d'un coup et palpitaient aux tempes, aux oreilles et au nez, comme disant : "Anibal est toujours là, caché : cherchez-le".
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Info: Scipion
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