Mais la foi, le salut personnel n’ont rien à voir avec la bienséance, et ne sont pas de l’ordre des mérites. Et c’est pourquoi il est écrit : "Ne jugez pas !" J’avoue que je comprends mal, ou plutôt que je réprouve, ces discussions sur la croyance ou non d’un homme connu, multipliées et prolongées après sa mort, dans notre siècle. Elles ne sont ni chrétiennes ni simplement honnêtes. "Le Seigneur seul connaît les siens", dit l’Écriture : si l’on est chrétien, qu’on croie cela, laissant aux incroyants le droit de mieux savoir. Et qu’est-ce que cela peut bien nous faire ? Sinon nous servir d’argument et nous rassurer curieusement dans notre foi ou dans notre incroyance, — parce qu’un de plus vient renforcer notre parti, et qu’il n’est pas le premier venu. C’est usurper la place du Juge, ou mêler vanités et salut.
Si Gide a refusé totalement quelque chose, c’est justement le totalitarisme, qui est l’esprit de parti logiquement développé. Et d’abord dans la religion. Le vrai croyant demain, ne sera-t-il pas celui qui osera dire : "Je ne crois pas !" quand l’État contre l’homme invoquera les Nécessités de l’Histoire ? Il n’est pas de vraie foi sans vrai doute, plus qu’il n’est de lumière sans ombre. Et je n’entends pas dire que Gide fut un croyant, mais il reste un douteur exemplaire.
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Info: fin de "Un complot de protestants", portrait de Gide publié dans le numéro de novembre 1951 de la NRF
Commentaires: 8
miguel
13.03.2021
oui... la foi individuelle ancrée vs celle du pouvoir en place. D'où une plus grande proximité entre protestants et juifs
Benslama
13.03.2021
l'athéisme, pour Gide, oui (avec, donc, la part de doute, essentielle) - pour Rougemont, je ne crois pas - s'il rejette les dogmes, il me semble que c'est pour préserver, absolument, la foi...
Coli Masson
11.03.2021
Selon Lacan, la logique de la "vraie religion", c'est-à-dire la romaine, ne peut conduire en dernière issue qu'à l'athéisme. ça me semble suggéré ici.