morale individuelle

Mais la foi, le salut personnel n’ont rien à voir avec la bienséance, et ne sont pas de l’ordre des mérites. Et c’est pourquoi il est écrit : "Ne jugez pas !" J’avoue que je comprends mal, ou plutôt que je réprouve, ces discussions sur la croyance ou non d’un homme connu, multipliées et prolongées après sa mort, dans notre siècle. Elles ne sont ni chrétiennes ni simplement honnêtes. "Le Seigneur seul connaît les siens", dit l’Écriture : si l’on est chrétien, qu’on croie cela, laissant aux incroyants le droit de mieux savoir. Et qu’est-ce que cela peut bien nous faire ? Sinon nous servir d’argument et nous rassurer curieusement dans notre foi ou dans notre incroyance, — parce qu’un de plus vient renforcer notre parti, et qu’il n’est pas le premier venu. C’est usurper la place du Juge, ou mêler vanités et salut.

Si Gide a refusé totalement quelque chose, c’est justement le totalitarisme, qui est l’esprit de parti logiquement développé. Et d’abord dans la religion. Le vrai croyant demain, ne sera-t-il pas celui qui osera dire : "Je ne crois pas !" quand l’État contre l’homme invoquera les Nécessités de l’Histoire ? Il n’est pas de vraie foi sans vrai doute, plus qu’il n’est de lumière sans ombre. Et je n’entends pas dire que Gide fut un croyant, mais il reste un douteur exemplaire.

Auteur: Rougemont Denis de

Info: fin de "Un complot de protestants", portrait de Gide publié dans le numéro de novembre 1951 de la NRF

[ indiscrétion ] [ références bibliques ] [ perplexité ] [ rejet des dogmes ]

 

Commentaires: 8

Ajouté à la BD par Benslama

Commentaires

Benslama, karim.benslama@orange.fr
2021-03-11 12:46
j'avoue que je suis un peu perplexe, quant aux mots-clés - en particulier, j'ai repris "perplexité", que Rougemont utilise, au début de l'article, pour définir la position de Gide par rapport à la religion - mais là, je ne suis pas sûr qu'il soit très parlant -
"morale individuelle", non plus, ne me satisfait pas entièrement...
Benslama, karim.benslama@orange.fr
2021-03-11 13:15
hm, il me semble que ce ne sont pas les Ecritures qui sont mises en cause (Rougemont était, je pense, un croyant) - plutôt, en tant que protestant, il adopterait une attitude d'humilité, et de rejet de toute certitude, quant à ce qui est du ressort de la divinité...
miguel, filsdelapensee@bluewin.ch
2021-03-11 16:07
bcp d'esprit protestant là-dedans, comme par hasard ;-) j'y vois une idée genre "dogmes sans issues"
Benslama, karim.benslama@orange.fr
2021-03-11 16:18
oui, en fait, la question du dogmatisme est bien là -
"rejet des dogmes" ?

pour les guillemets, vous voulez dire qu'il ne faut pas utiliser de doubles guillemets, du type "..." ? - ou bien, est-ce uniquement ceux en forme de chevrons qu'il faut éviter ? (je n'ai pas fait attention, pour cette citation, car j'ai fait un copier-coller depuis le site des oeuvres complètes de Rougemont)
miguel, filsdelapensee@bluewin.ch
2021-03-11 16:35
c'est ceux en chevrons qu'il faut éviter rejet des dogmes, c'est parti
Coli Masson, colimasson@live.fr
2021-03-11 16:45
Selon Lacan, la logique de la "vraie religion", c'est-à-dire la romaine, ne peut conduire en dernière issue qu'à l'athéisme.
ça me semble suggéré ici.
Benslama, karim.benslama@orange.fr
2021-03-13 02:43
l'athéisme, pour Gide, oui (avec, donc, la part de doute, essentielle) -
pour Rougemont, je ne crois pas - s'il rejette les dogmes, il me semble que c'est pour préserver, absolument, la foi...
miguel, filsdelapensee@bluewin.ch
2021-03-13 06:16
oui... la foi individuelle ancrée vs celle du pouvoir en place. D'où une plus grande proximité entre protestants et juifs