La spéculation psychanalytique prend pour point de départ cette impression qu’elle retire de l’investigation des processus inconscients : la conscience ne serait pas le caractère le plus général des processus psychiques, mais seulement une fonction particulière de ceux-ci. [...] Ce que la conscience nous livre consiste essentiellement en perceptions d’excitations venant du monde extérieur et en sensations de plaisir et de déplaisir qui ne peuvent provenir que de l’intérieur de l’appareil psychique ; de ce fait, on peut attribuer au système Pc [préconscient]-Cs [conscient] une situation spatiale. [...]
La conscience n’est pas la seule propriété qui spécifie les processus de ce système. En nous appuyant sur les impressions tirées de notre expérience psychanalytique, nous admettons que tous les processus d’excitation qui se produisent dans les autres systèmes y laissent des traces durables qui constituent le fondement de la mémoire, donc des restes mnésiques qui n’ont rien à faire avec le fait de devenir conscient. Souvent leur force et leur ténacité sont plus grandes si le processus qui les a laissées derrière lui n’est jamais venu à la conscience. Mais il ne nous est vraiment pas facile de croire que de telles traces durables de l’excitation apparaissent aussi dans le système Pc-Cs. Si elles restaient toujours conscientes, elles limiteraient très vite la capacité du système à recevoir de nouvelles excitations, mais si, à l’inverse, elles devenaient inconscientes, elles nous mettraient dans l’obligation d’expliquer l’existence de processus inconscients dans un système dont le fonctionnement s’accompagne, d’autre part, du phénomène de la conscience. [...] Même si nos considérations ne sont pas absolument décisives, elles peuvent cependant nous pousser à supposer qu’il y a incompatibilité au sein d’un même système entre le fait de devenir conscient et le fait de laisser derrière soi une trace mnésique. Ainsi pourrions-nous dire que dans le système Cs le processus d’excitation devient conscient mais ne laisse derrière lui aucune trace durable ; toutes les traces de ce processus, sur lesquelles se fonde la mémoire, se déposeraient dans les systèmes internes voisins lorsque l’excitation s’y propage. [...] la conscience apparaît à la place de la trace mnésique [...].
Le système Cs se spécifierait donc en ceci qu’en lui, à la différence de ce qui se passe dans tous les autres systèmes psychiques, le processus d’excitation ne laisse pas derrière lui une modification durable des éléments du système mais se dissipe pour ainsi dire dans le phénomène de devenir conscient.
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Info: Dans "Au-delà du principe de plaisir" (1920), trad. de l'allemand par Jean Laplanche et J.-B. Pontalis, éditions Payot, Paris, 2010, pages 71 à 74
Commentaires: 10
Coli Masson
13.01.2022
Oui, on va pas commencer à inventer n'importe quoi sur la mémoire, si tu as envie de faire une spéculation à ce sujet libre à toi mais ça serait dénaturer le texte de Freud, qui ne parle pas du tout d'akashique ou d'inconscient collectif au sens ésotérisant du terme. Dire que la mémoire est un support, c'est un peu métonymique.
miguel
12.01.2022
Pas sûr de te suivre... Il n'est pas question de l'endroit "où" se situe la mémoire dans le corps mais si elle se situe dedans ou dehors... Donc tu demandais "La mémorisation peut-elle être autre chose que biologique, et si oui, quoi ?" eh ben "akashique" par exemple ou autre. Sans vouloir paraître Méta-chieur il est question ici de la mémoire liée à l'individu, humain, de chair, incarné... donc bio. Mais c'est bien vrai, à y réfléchir, que le terme bio-mémoire ou mémoire bio ressemble plutôt au long et complexe corpus phylogénétique qui fait émerger de temporaires et fragiles émergences individuelles. Donc mémoire individuelle sera plus adéquat/précis je pense.
Coli Masson
12.01.2022
Effectivement, nous ne savons pas après tout si la mémoire dépend bien exclusivement de la région cérébrale. Dans le doute, restons généralistes plutôt que spéculatifs.