J’ai connu un homme, un simple fermier, père de cinq fils,
A leur tour pères de fils, pères de fils à leur tour.
C’était un homme d’une vigueur, d’une beauté, d’une sérénité merveilleuses,
Le profil de son visage, le jaune pâlissant de ses cheveux, des poils de sa barbe, l’infinie profondeur de ses yeux noirs, la générosité affectueuse de son commerce
Etaient les buts de ma visite en allant le voir, et puis il avait la sagesse,
Cet homme de quatre-vingt ans, haut de six pieds, que ses fils costauds, barbus, soignés, hâlés, bien faits,
Ainsi que ses filles adoraient, d’ailleurs tout le monde l’adorait,
Ne l’adorait pas par obligeance mais d’un engagement personnel,
Il ne buvait que de l’eau, le sang pigmentait d’écarlate le cuivre clair de son teint,
Maniait fréquemment le fusil, la canne à pêche, il pilotait aussi son propre bateau, splendide voilier à lui offert en cadeau par un charpentier, et d’autres amis lui avaient fait présent de ses canardières,
Quand vous le voyiez partir chasser au milieu de ses cinq fils et sa horde de petits fils c’était sans conteste lui dont on remarquait en premier la beauté et la vigueur,
Ah quel immense plaisir de pouvoir marcher longtemps à ses côtés, de pouvoir s’asseoir dans le bateau et d’être en contact physique vous avec lui !
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Info: Dans "Feuilles d'herbe", Descendance d'Adam, traduction Jacques Darras, éditions Gallimard, 2002
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