La Dissertatio de arte combinatoria est une des premières œuvres de Leibniz ; elle a été écrite avant son séjour à Paris (1672-1676), au cours duquel il perfectionna ses études mathématiques, en apprenant de Huygens et d’autres les derniers progrès dans le domaine des hautes mathématiques. C’est à partir de cet ouvrage qu’il devait faire ses propres progrès et c’est à cette histoire que se rattache la naissance du calcul infinitésimal auquel Leibniz aboutit tout à fait indépendamment, semble-t-il, d’Isaac Newton qui travaillait dans une direction semblable au même moment. […]
Comme on le sait, Leibniz élabora un projet connu sous le nom de characteristica. Il s’agissait de dresser des listes de toutes les notions essentielles et il fallait attribuer à ces notions des symboles ou "caractères". Un tel schéma subit manifestement l’influence de l’ancienne pratique, née avec Simonide, qui cherchait à trouver des "images pour les choses". Leibniz était au courant des aspirations, si largement répandues à son époque, en faveur de la formation d’un langage universel par signes ou symboles – les schémas de Bisterfield et d’autres – mais, comme je l’ai déjà dit, ces schémas subissaient eux-mêmes l’influence de la mnémonique. Et la characteristica de Leibniz devait être plus qu’un langage universel ; elle devait être un "calculus". Les "caractères" devaient être utilisés dans des combinaisons logiques, de façon à former un art universel, un calcul permettant d’obtenir la solution de tous les problèmes. En pleine maturité, Leibniz, mathématicien et logicien suprême, continue manifestement en plein la Renaissance et les efforts qu’elle faisait pour réaliser la synthèse entre le lullisme et l’art classique de la mémoire, en utilisant les images de l’art classique sur les roues combinatoires de Lulle.
Dans l’esprit de Leibniz, la "characteristica" ou calcul était liée au projet d’une encyclopédie qui devait rassembler tous les arts et toutes les sciences connues de l’homme. Il s’agissait d’abord de systématiser toute la connaissance dans l’encyclopédie, puis d’attribuer des "caractères" à toutes les notions ; on pouvait alors, finalement, établir le calcul universel pour trouver la solution de tous les problèmes.
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Info: L'art de la mémoire, de l’anglais par Daniel Arasse, éditions Gallimard, 2022, pages 529-530
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