Aristote définit l’âme comme "la forme du corps" ou plus exactement comme "la forme achevée (entélékhéia) d’un corps naturel organisé ayant la vie puissance" [De l’âme, II, 1, 412, a2]. "Forme" ne signifie pas uniquement "figure" ou "enveloppe spatiale" mais plus généralement "ce qui informe", c’est-à-dire ce qui donne, à une "matière", une organisation spécifique. […] La forme pure d’Apollon, pour Aristote, n’existe pas toute seule, à l’état séparé, comme l’Idée chez Platon. Elle n’est réelle qu’en se réalisant dans une matière, laquelle n’a d’ailleurs pas un sens exclusivement "matérialiste", et n’existe pas non plus à l’état séparé.
Parler de l’âme comme forme du corps signifie donc qu’elle est le principe et la cause de tout ce qui, dans le corps, est organisation, structure, ordre et activité. […]
Le corps et l’âme étant inséparables, le problème de leur union ne se pose pas : ils sont deux aspects, distingués par abstraction bien fondée, d’une même réalité. Mais il s’ensuit que l’étude de l’âme fait alors partie de la physique, au sens d’Aristote, c’est-à-dire comme l’étude de tout ce qui fait partie de la nature (physis). […] Est-ce vrai de toute l’âme ? Non, répond Aristote, "car toute l’âme n’est pas nature". Il y a là une difficulté, ou une obscurité, liée à ce que nous avons appelé "le mystère de l’intellect". […]
Les diverses fonctions de l’âme conduisent Aristote à distinguer plusieurs "âmes" dans l’unique âme humaine, et, par là, à retrouver une sorte de tripartition anthropologique. Il identifiera l’âme végétative ou nutritive, commune à tous les vivants – plantes, animaux, hommes -, l’âme animale ou sensitive, commune aux animaux et aux hommes, enfin l’âme pensante ou intellective – ou noétique – propre à l’homme. Une telle tripartition, Aristote l’affirme, ne remet pas en cause l’unité de l’âme humaine. Cependant, ce qui fait difficulté, quant à l’unité, c’est l’existence de l’intellect […].
Qu’en est-il donc de cet intellect ? Sans être identiques au corps, l’âme nutritive et l’âme sensitive sont cependant "quelque chose du corps" ; elles constituent vraiment l’âme naturelle et correspondent à ce que nous appelons l’anima-corpus. Cette âme est si bien la forme du corps qu’il disparaît avec elle […]. Mais l’intellect, lui, est "une âme d’un autre genre" [De l’âme, II, 2, 413, b24] car "il n’est pas raisonnable d’admettre que l’intellect soit mêlé au corps" [III, 4, 429, a24]. […] En conséquence, l’âme humaine n’est pas, chez Aristote, uniquement et exclusivement "forme du corps" car "c’est une fois séparé que l’intellect n’est plus que ce qu’il est essentiellement, et cela seul est immortel et éternel" [III, 5, 430, a23]. Au demeurant, l’origine de l’intellect, nous dit Aristote, vient "du dehors", littéralement "par la porte", thurathen. […] à quelques égards, la doctrine d’Aristote rend plus problématique encore que celle de Platon l’unité de l’être humain, contrairement à une opinion théologique assez répandue qui voit, dans la conception de l’âme forme du corps, le principe assuré de cette unité. […] Saint Thomas [d'Aquin] mobilisera toute la puissance de sa dialectique pour montrer, contre les averroïstes et principalement Siger de Brabant, que ce n’est pas l’intellect qui pense, mais l’homme par son intellect et que c’est là la vraie doctrine d’Aristote.
Auteur:
Info: Amour et vérité, L’Harmattan, 2011, Paris, pages 154 à 156
Commentaires: 1
miguel
05.08.2024
rigolo, ça m'a fait penser aux champs morphiques de Sheldrake. C'est aussi très proche des Dialogue avec l'ange et le septénaire réversible minéral végétal animal humain ange archange dieu