Nous avons fait remarquer incidemment, il y a quelque temps, que le monde occidental n’avait à sa disposition aucune langue sacrée autre que l’hébreu ; il y a là, à vrai dire, un fait assez étrange et qui appelle quelques observations ; même si l’on ne prétend pas résoudre les diverses questions qui se posent à ce sujet, la chose n’est pas sans intérêt. Il est évident que, si l’hébreu peut jouer ce rôle en Occident, c’est en raison de la filiation directe qui existe entre les traditions judaïque et chrétienne et de l’incorporation des Écritures hébraïques aux Livres sacrés du Christianisme lui-même ; mais on peut se demander comment il se fait que celui-ci n’ait pas une langue sacrée qui lui appartienne en propre, en quoi son cas, parmi les différentes traditions, apparaît comme véritablement exceptionnel.
À cet égard, il importe avant tout de ne pas confondre les langues sacrées avec les langues simplement liturgiques : pour qu’une langue puisse remplir ce dernier rôle, il suffit en somme qu’elle soit "fixée", exempte des variations continuelles que subissent forcément les langues qui sont parlées communément ; mais les langues sacrées sont exclusivement celles en lesquelles sont formulées les écritures des différentes traditions. Il va de soi que toute langue sacrée est aussi en même temps, et à plus forte raison, la langue liturgique ou rituelle de la tradition à laquelle elle appartient, mais l’inverse n’est pas vrai ; ainsi, le grec et le latin peuvent parfaitement, de même que quelques autres langues anciennes, jouer le rôle de langues liturgiques pour le Christianisme, mais ils ne sont aucunement des langues sacrées ; même si l’on supposait qu’ils ont pu avoir autrefois un tel caractère, ce serait en tout cas dans des traditions disparues et avec lesquelles le Christianisme n’a évidemment aucun rapport de filiation.
L’absence de langue sacrée dans le Christianisme devient encore plus frappante lorsqu’on remarque que, même pour ce qui est des Écritures hébraïques, dont le texte primitif existe cependant, il ne se sert "officiellement" que de traductions grecque et latine. Quant au Nouveau Testament, on sait que le texte n’en est connu qu’en grec, et que c’est sur celui-ci qu’ont été faites toutes les versions en d’autres langues, même en hébreu et en syriaque ; or, tout au moins pour les Évangiles, il est assurément impossible d’admettre que ce soit là leur véritable langue, nous voulons dire celle dans laquelle les paroles mêmes du Christ ont été prononcées. Il se peut cependant qu’ils n’aient jamais été écrits effectivement qu’en grec, ayant été précédemment transmis oralement dans leur langue originelle ; mais on peut alors se demander pourquoi la fixation par l’écriture, lorsqu’elle a eu lieu, ne s’est pas faite tout aussi bien dans cette langue même, et c’est là une question à laquelle il serait bien difficile de répondre. Quoi qu’il en soit, tout cela n’est pas sans présenter certains inconvénients à divers égards, car une langue sacrée peut seule assurer l’invariabilité rigoureuse du texte des Écritures ; les traductions varient nécessairement d’une langue à une autre, et, de plus, elles ne peuvent jamais être qu’approximatives, chaque langue ayant ses modes d’expression propres qui ne correspondent pas exactement à ceux des autres […].
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Info: Aperçus sur l'ésotérisme chrétien, Omnia Veritas, 2017, pages 22 à 25
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