En effet, le Saint Graal est la coupe qui contient le précieux sang du Christ, et qui le contient même deux fois, puisqu’elle servit d’abord à la Cène, et qu’ensuite Joseph d’Arimathie y recueillit le sang et l’eau qui s’échappaient de la blessure ouverte par la lance du centurion au flanc du Rédempteur. Cette coupe se substitue donc en quelque sorte au Cœur du Christ comme réceptacle de son sang, elle en prend pour ainsi dire la place et en devient comme un équivalent symbolique ; et n’est-il pas encore plus remarquable, dans ces conditions, que le vase ait été déjà anciennement un emblème du cœur ? D’ailleurs, la coupe, sous une forme ou sous une autre, joue, aussi bien que le cœur lui-même, un rôle fort important dans beaucoup de traditions antiques ; et sans doute en était-il ainsi notamment chez les Celtes, puisque c’est de ceux-ci qu’est venu ce qui constitua le fond même ou tout au moins la trame de la légende du Saint Graal. […]
Mais revenons à la légende sous la forme où elle nous est parvenue ; ce qu’elle dit de l’origine même du Graal est fort digne d’attention : cette coupe aurait été taillée par les anges dans une émeraude tombée du front de Lucifer lors de sa chute. Cette émeraude rappelle d’une façon frappante l’urnâ, la perle frontale qui, dans l’iconographie hindoue, tient souvent la place du troisième œil de Shiva, représentant ce qu’on peut appeler le "sens de l’éternité". Ce rapprochement nous semble plus propre que tout autre à éclairer parfaitement le symbolisme du Graal ; et l’on peut même y saisir une relation de plus avec le cœur, qui est, pour la tradition hindoue comme pour bien d’autres, mais peut-être plus nettement encore, le centre de l’être intégral, et auquel, par conséquent, ce "sens de l’éternité" doit être directement rattaché.
Il est dit ensuite que le Graal fut confié à Adam dans le Paradis terrestre, mais que, lors de sa chute, Adam le perdit à son tour, car il ne put l’emporter avec lui lorsqu’il fut chassé de l’Éden ; et cela encore devient fort clair avec le sens que nous venons d’indiquer. L’homme, écarté de son centre originel par sa propre faute, se trouvait désormais enfermé dans la sphère temporelle ; il ne pouvait plus rejoindre le point unique d’où toutes choses sont contemplées sous l’aspect de l’éternité. Le Paradis terrestre, en effet, était véritablement le "Centre du Monde", partout assimilé symboliquement au Cœur divin ; et ne peut-on dire qu’Adam, tant qu’il fut dans l’Éden, vivait vraiment dans le Cœur de Dieu ?
Ce qui suit est plus énigmatique : Seth obtint de rentrer dans le Paradis terrestre et put ainsi recouvrer le précieux vase ; or, Seth est une des figures du Rédempteur, d’autant plus que son nom même exprime les idées de fondement, de stabilité, et annonce en quelque façon la restauration de l’ordre primordial détruit par la chute de l’homme. Il y avait donc dès lors tout au moins une restauration partielle, en ce sens que Seth et ceux qui après lui possédèrent le Graal pouvaient par là même établir, quelque part sur la terre, un centre spirituel qui était comme une image du Paradis perdu. La légende, d’ailleurs, ne dit pas où ni par qui le Graal fut conservé jusqu’à l’époque du Christ, ni comment fut assurée sa transmission ; mais l’origine celtique qu’on lui reconnaît doit probablement laisser entendre que les Druides y eurent une part et doivent être comptés parmi les conservateurs réguliers de la tradition primordiale. […]
Après la mort du Christ, le Saint Graal fut, d’après la légende, transporté en Grande-Bretagne par Joseph d’Arimathie et Nicodème ; alors commence à se dérouler l’histoire des Chevaliers de la Table Ronde et de leurs exploits, que nous n’entendons pas suivre ici. La Table Ronde était destinée à recevoir le Graal lorsqu’un des Chevaliers serait parvenu à le conquérir et l’aurait apporté de Grande-Bretagne en Armorique ; et cette table est aussi un symbole vraisemblablement très ancien, un de ceux qui furent associés à l’idée de ces centres spirituels auxquels nous venons de faire allusion. La forme circulaire de la table est d’ailleurs liée au "cycle zodiacal" (encore un symbole qui mériterait d’être étudié plus spécialement) par la présence autour d’elle de douze personnages principaux, particularité qui se retrouve dans la constitution de tous les centres dont il s’agit. Cela étant, ne peut-on voir dans le nombre des douze Apôtres une marque, parmi une multitude d’autres, de la parfaite conformité du Christianisme avec la tradition primordiale, à laquelle le nom de "préchristianisme" conviendrait si exactement ? […]
[...] nous mentionnerons encore, en ce qui concerne la légende du Saint Graal, une étrange complication dont nous n’avons pas tenu compte jusqu’ici : par une de ces assimilations verbales qui jouent souvent dans le symbolisme un rôle non négligeable, et qui d’ailleurs ont peut-être des raisons plus profondes qu’on ne se l’imaginerait à première vue, le Graal est à la fois un vase (grasale) et un livre (gradale ou graduale). Dans certaines versions, les deux sens se trouvent même étroitement rapprochés, car le livre devient alors une inscription tracée par le Christ ou par un ange sur la coupe elle-même.
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Info: Aperçus sur l'ésotérisme chrétien, Omnia Veritas, 2017, pages 181 à 187
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