Je me suis parfois interrogée sur le goût irraisonné, presque physique, qui m'a toujours fait préférer les vaincus aux vainqueurs.
Avec une sollicitude infatigable j'ai toujours consolé ceux qu'on venait d'humilier ou de frapper. Je les ai exhortés à prendre une revanche que je prédisais éclatante. Je leur proposais mon aide indéfectible.
Longtemps j'ai aimé croire que mon élan vers les opprimés, les victimes était inspiré par une générosité dont je me félicitais. Devenant moins encline à m'attribuer tant de vertus, je m'étonnais parfois de cet esprit de charité qui me faisait perdre tant de temps. Il me sembla, peu à peu, qu'un altruisme si facile, si empressé, n'était pas très méritoire. Dans le doute, je l'inscrivis encore à mon compte.
Mais, ces encouragements à la révolte, bien qu'ils fussent toujours couronnés de succès, mirent parfois en péril ceux à qui je les dispensais. Cela m'inquiéta.
Je dus admettre enfin, tout en acceptant les remerciements de brebis qui avaient, grâce à moi, quelque peu appris à mordre, que mes stratégies, mes sermons, n'étaient pas le fruit d'admirables qualités de justicière.
A travers ces faiblesses que j'avais confortées, ces volontés que j'avais aiguisées, c'était ma propre revanche que je poursuivais.
C'était toi, l'homme fort, l'homme qui gagne et dépense de l'argent, l'homme qui dit "je veux", l'homme qui dit " pars " que je poursuivais pour le réduire.
Contre toi, j'ai gagné, par procuration, bien des batailles.
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Info: Péché mortel. Chapitre Jours de colère, pp 32-33
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