Bergson a effectué une critique de toute la pensée européenne, de souche grecque et latine, en portant son analyse sur des points fondamentaux : la notion de néant absolu, la notion de désordre intégral, la notion de possible, et puis le problème du temps.
[…] Bergson a vu, avec les yeux de l’intelligence, que la création est en train de se faire. Elle n’est pas achevée. Ce n’est pas du tout fait. Ce n’est pas du fabriqué. Elle est en acte. Elle est en train d’inventer, de composer génialement le monde, comme un musicien compose une symphonie, encore inachevée. Elle est la réalité la plus profonde au fond des êtres que nous sommes. Bergson a pris contact avec l’acte créateur même de Dieu. C’est de cette intuition-là qu’il est parti. C’est elle qu’il a développée, c’est d’elle dont il a fait l’inventaire. Ce qu’il appelle le temps réel ou la durée, ce n’est pas de l’écoulement, ce n’est pas du mou. C’est au contraire l’acte créateur immanent aux êtres en train d’être formés, la durée de la création en train de se faire.
Et c’est à cause de cela qu’il a critiqué de fond en comble l’antique philosophie hellénique, et puis la philosophie européenne qui en dépend, dans la mesure où elle en dépend : parce que la pensée grecque antique a ignoré, méconnu, refoulé le fait de la création. C’est en effet un thème constant chez Parménide, chez Anaxagore, chez Empédocle : en réalité il n’y a pas de genèse, il n’y a pas de genesis ni de physis. Tout est toujours donné, de toute éternité. Ou plutôt, rien n’est donné : tout existe de toute éternité, sans don. L’Être est éternel, sans genèse, sans évolution, sans corruption, sans modification. […]
Bergson a vu, à cause de la méthode expérimentale qu’il a utilisée en philosophie, que c’est tout le contraire qui est vrai. La réalité objective tout entière […] est essentiellement et intrinsèquement en régime de genèse et de corruption. Elle dure, c’est-à-dire – là est la découverte métaphysique de Bergson – qu’elle est en régime de création continuée […] en ce sens qu’elle n’a pas fini d’inventer du nouveau. […] La création n’a pas eu lieu seulement autrefois, dans le passé, au premier commencement du monde, elle a lieu à chaque instant du temps. Chaque instant marque un commencement d’être nouveau, une création originale, une improvisation.
C’était donc une erreur de rapprocher le devenir bergsonien, ou la durée bergsonienne, du devenir d’Héraclite. Le devenir héraclitéen signifie que tout s’écoule, que tout se défait, mais que tout, aussi, revient à son point de départ, où tout est contenu et réalisé de toute éternité. Le devenir bergsonien signifie que tout est en train de se créer, ou d’être créé.
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Info: La crise moderniste, éditions du Seuil, 1979, pages 143-144
Commentaires: 4
miguel
22.12.2024
pas, ou très peu, sur FLP... alors que oui en mode édit... g donc transvasé en .txt et remis... ça a l'air OK. Dis moi si tu as tjrs ce problème... Moi pas
Coli Masson
21.12.2024
Tu ne vois pas que le format du texte est différent pour le dernier paragraphe ?
miguel
19.12.2024
Je vois pas la différence... Essplique