Pour Bergson, l’ordre que nous constatons dans le monde et dans la nature, par exemple dans la constitution d’un œil, ce n’est pas du positif, c’est du négatif, parce que c’est simplement le résultat de la résistance de la matérialité à l’acte créateur qui s’est interrompu. Il n’y a donc pas lieu de s’étonner. Sur ce point, Bergson pense donc comme Spinoza.
Mais ce qui est grave, c’est que Bergson assimile l’ordre qui résulte de ce que ma main s’est arrêtée en s’enfonçant dans un tas de sable – l’ordre d’une multitude de grains les uns par rapport aux autres – et l’autre ordre, l’ordre biologique et biochimique, histologique, celui des cellules multiples qui constituent l’œil vivant.
Car ces deux ordres n’ont aucun rapport.
L’ordre des grains de sable, lorsque ma main s’est retirée, est l’ordre d’éléments physiques, les grains de sable, qui restent étrangers les uns aux autres, partes extra partes. C’est l’ordre d’un tas. […]
Mais l’œil, l’œil vivant, bien entendu, lui, n’est pas un tas. Sa composition ne résulte pas d’un voisinage de grains. Ce qui le constitue œil vivant, c’est une information qui va jusqu’au niveau moléculaire. Entre l’ordre qui règne dans le tas de sable après le départ de ma main et l’ordre qui existe dans un œil vivant, il n’y a que très peu de ressemblances. Le même terme, ordre, est employé dans les deux cas d’une manière qui n’est pas univoque.
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Info: La crise moderniste, éditions du Seuil, 1979, pages 151-152
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