Rentré victorieux de son ultime combat contre Sigier de Brabant, Thomas [d'Aquin] s’était retiré. Cette grave querelle fut l’unique circonstance où se rencontrèrent et même coïncidèrent sa vie publique et sa vie intime. Il réalisa à quel point, depuis l’enfance, il avait toujours désiré rassembler tous les alliés dans la bataille pour le Christ et qu’il n’avait compté Aristote parmi eux que beaucoup plus tard. Cet ultime cauchemar sophistique lui montra que certains de ses adversaires pouvaient vouloir que le Christ s’incline vraiment devant Aristote. Il ne se remit jamais du choc. Il gagna la bataille parce qu’il était le plus grand esprit de son temps, mais il ne put oublier cette monstrueuse inversion de toute son œuvre et de tous les efforts de sa vie. […] Car l’abîme de sophisme creusé par Sigier de Brabant et sa théorie du double entendement humain rendaient possible la disparition de toute notion de religion et même de vérité. Les quelques réflexions fragmentaires qui nous sont parvenues le montrent en proie à une sorte d’horreur de ce monde extérieur balayé par les vents de doctrines sauvages, et à la soif de ce monde intérieur auquel tout catholique peut accéder, où le saint n’est pas coupé des hommes simples. Il reprit strictement la vie conventuelle et pendant quelque temps ne dit rien à personne. Advint alors un événement (tandis qu’il célébrait la messe, dit-on) dont nul mortel ne saura jamais rien.
Son ami Réginald le priait de reprendre ses habitudes régulières de lecture, de travail, et de s’intéresser aux controverses de l’heure. Il lui répondit avec une force singulière : "Je ne puis écrire davantage". Il semble qu’il y eut un silence avant que Réginald ose revenir à la charge pour s’entendre répondre avec plus de force encore : "Je ne puis écrire davantage. J’ai vu des choses auprès desquelles mes écrits sont comme de la paille."
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Commentaires: 1
miguel
21.12.2024
épiphanie ?