A l’encontre, la philosophie de saint Thomas [d'Aquin] prend pour point de départ la conviction communément répandue qu’un œuf est un œuf. Un hégélien dira que l’œuf est une poule, parce qu’il n’est qu’un moment du devenir. Un berkeleyen soutiendra que les œufs à la coque n’existent qu’autant que le rêve existe car l’on peut aussi bien prendre le rêve comme cause de l’œuf que l’œuf comme cause du rêve. Un pragmatiste croira que le meilleur parti qu’on puisse tirer d’œufs frits est d’oublier qu’ils ont été œufs au profit de la friture. Le disciple de saint Thomas ne sent pas le besoin de se brouiller la cervelle afin de mieux brouiller ses œufs, ni de mirer les œufs de travers pour découvrir une nouvelle façon de les réduire à merci. Sous la chaude lumière du soleil, le thomiste constate avec tous ses frères humains, que l’œuf n’est pas une poule ni un rêve ni une idée pure, mais une chose attestée par l’autorité des sens qui vient de Dieu.
Même ceux qui goûtent par ailleurs la profondeur métaphysique du thomisme manifestent leur surprise de découvrir qu’il n’accorde aucune place à la question métaphysique par excellence aux yeux de nos contemporains : est-il possible de prouver la réalité de l’acte primordial par lequel nous percevons le réel ? Saint Thomas admet aussitôt ce que, non sans mal, les sceptiques modernes commencent à soupçonner. Il faut répondre affirmativement à cette question ou ne plus jamais répondre à aucune question, ni jamais plus poser aucune question, ni même exister intellectuellement pour questionner ou répondre.
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Info: Saint Thomas du Créateur, Dominique Martin Morin, 2016, pages 125-126
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