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biographie

La raison qui m’incite à m’étendre sur le personnage de Frédéric II, si représentatif de son temps par sa culture et sa violence, sur son goût pour la philosophie et ses querelles avec l’Eglise, ne tient pas seulement à ces traits. Elle tient surtout à ce qu’il fut le premier protagoniste de la scène par où débute la vie personnelle de Thomas d’Aquin. Scène qui fut marquée par la première action, ou mieux, par la première inaction obstinée du saint. Scène qui illustre l’extraordinaire réseau d’intérêts où vivait la famille du comte d’Aquin, à la fois si proche de l’Eglise et violemment opposée à elle. Frédéric, au cours de ces remarquables manœuvres militaires et politiques, qui s’étendaient de la combustion des hérétiques à l’alliance avec les Sarrazins, fit, tel un aigle (et l’aigle impérial était sans pitié), un véritable piqué sur un monastère très florissant et très vénérable : l’abbaye bénédictine du Mont Cassin. Elle fut proprement mise à sac.

A quelques lieues du Mont Cassin se trouve une sorte de promontoire ou de pic rocheux, contrefort des Apennins. Il se couronnait alors d’un château appelé la Roche-Sèche. C’était l’aire où les aiglons de la gens impériale, branche d’Aquin, essayaient leurs ailes. Elle appartenait au compte Landolphe d’Aquin, père de Thomas et de sept autres garçons. En matière militaire, ce digne chef de famille commandait certainement à la manière féodale. Apparemment, il ne fut pas étranger à la destruction du Mont Cassin. Mais, et c’est bien dans l’esprit du temps, le comte Landolphe pensa sans doute faire preuve de délicatesse et de doigté en faisant nommer abbé du monastère ravagé, son fils Thomas. Cela devait être une façon gracieuse de présenter ses excuses et résolvait aussi, semble-t-il, une difficulté familiale. Car il devenait chaque jour plus difficile au comte de se dissimuler que son septième fils ne serait jamais bon à rien d’autre qu’à faire un abbé ou quelque chose de ce genre. Depuis sa naissance, en 1226, ce garçon manifestait pour la fonction d’oiseau de proie la plus inexplicable aversion, qu’il étendait à la chasse aux tournois, bref à tous les passe-temps normaux d’un gentilhomme. Ce jouvenceau pesant et paisible avait une prodigieuse faculté de silence. Ouvrait-il la bouche, c’était pour demander tout à trac à ses maîtres interloqués : "Qu’est-ce que Dieu ?" […] Tout ce qu’on pouvait faire d’un garçon pareil, c’était un homme d’Eglise, et même un moine. Jusque-là, il n’y avait pas de difficultés majeures. Un homme occupant le rang du comte d’Aquin pouvait assez facilement s’arranger avec un monastère où l’on donnerait à Thomas un poste digne de sa famille. Tout donc s’organisait au mieux pour que ce septième garçon fût moine, ce qu’il semblait désirer, et tôt ou tard, abbé du Mont Cassin. C’est alors que les choses se gâtèrent.

Autant qu’on puisse suivre les événements, à travers des récits confus et discordants, il semble que le jeune Thomas se rendit un beau matin au château paternel pour informer les siens de sa récente entrée chez les frères mendiants, ordre nouvellement fondé par l’Espagnol Dominique, à peu près comme le fils aîné d’un bourgeois rassis viendrait informer son père, d’un air dégagé, qu’il vient d’épouser une bohémienne ou comme l’héritier d’un duc conservateur bon teint affirmerait sa résolution de marcher en tête d’un défilé de grévistes organisé par les communistes. Rien ne montre mieux la profondeur de l’abîme qui séparait l’ancien monachisme du nouveau et la gravité de la révolution opérée par François et Dominique. Thomas veut être moine ? Les portes s’ouvrent toutes grandes, sans un bruit, et le long des allées couvertes du monastère, un superbe tapis se déroule qui le conduira au siège d’abbé mitré. Thomas veut être frère prêcheur ? Toute sa famille fond sur lui comme sur une bête féroce ; ses frères le traquent le long des routes, lui arrachent sa robe, et le cadenassent dans une tour comme un fou dangereux.

Auteur: Chesterton Gilbert Keith

Info: Saint Thomas du Créateur, Dominique Martin Morin, 2016, pages 50-51

[ religion-politique ] [ marginalité ] [ réputation ]

 

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perdu

Je n'ai à t'offrir que mes yeux ouverts dans la nuit.


Auteur: Yuan Zhen

Info:

[ confession ] [ égaré ]

 

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fanfaronnade

Une montagne en mal d’enfant

Jetait une clameur si haute,

Que chacun, au bruit accourant,

Crut qu’elle accoucherait sans faute

D’une cité plus grosse que Paris :

Elle accoucha d’une souris.

Quand je songe à cette fable,

Dont le récit est menteur

Et le sens est véritable,

Je me figure un auteur

Qui dit : " Je chanterai la guerre

Que firent les Titans au Maître du tonnerre. "

C’est promettre beaucoup : mais qu’en sort-il souvent ?

Du vent.


Auteur: La Fontaine Jean de

Info: Les fables, La Montagne qui accouche

[ poème ] [ promesse non tenue ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

contemplation

Je me penche sur la lumière rouge

des coquelicots,

elle m'éclaire un instant

sur le bord du chemin,



je la laisse où elle est

parmi d'autres mystères

qui n'ont pas eu le temps d'éclore,



je ne veux rien déranger,

rien arracher,



je crois en la beauté fragile

qui se fane

sitôt qu'on voudrait la cueillir

et la garder pour soi.


Auteur: Ribeyre Jean-Christophe

Info: Des oiseaux plein la voix

[ poème ] [ murphique ]

 

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présence mutique

Je voudrais être là,

simplement,

sans jeter d'images.

Sans avoir à frapper

aux portes du langage.

Simplement m'éprendre.

Ne froisser,

à aucun prix,

la robe des choses tues.


Auteur: Ribeyre Jean-Christophe

Info:

[ poème ]

 

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psychanalyse

Ne vous eussé-je rien enseigné ici autre chose que cette méthode implacable de commentaire des signifiants, qu’il vous en resterait quelque chose, du moins je l’espère, et j’espère même qu’il ne vous en restera rien d’autre, à savoir que, si tant est que ce que j’enseigne ait la valeur d’un enseignement, je n’y laisserai après moi aucune de ces prises qui vous permettent d’y ajouter le suffixe "isme". En d’autres termes, que d’aucun des termes que j’aurai successivement poussés devant vous, mais dont heureusement votre embarras me montre qu’aucun d’entre eux n’a pu encore suffire à vous paraître l’essentiel... qu’il s’agisse du symbolique, du signifiant ou du désir ...qu’aucun de ces termes, en fin de compte, ne pourra jamais, de mon fait, servir à quiconque de gri-gri intellectuel.

Auteur: Lacan Jacques

Info: 25 mai 1960

[ récupération ] [ anti discours universitaire ]

 
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Ajouté à la BD par Coli Masson

vocabulaire

Je vous parlais tout à l’heure d’émoi, et ici j’en profite pour vous arrêter, et proprement sur l’usage intempestif qui est fait de ce mot dans la traduction courante, en français, de Triebregung, d’émoi pulsionnel. Pourquoi avoir choisi si mal ce mot ? Pourquoi ne pas s’être souvenu qu’émoi n’a rien à voir, à faire avec l’émotion, ni l’émouvoir ?

L’émoi est un mot français qui est lié à un très vieux verbe émoyer ou esmayer qui veut proprement dire faire perdre à quelqu’un, j’allais dire ses moyens si en français ce n’était pas un jeu de mot, mais c’est bien de la puissance qu’il s’agit, car "esmayer" se rattache au vieux gothique "magnan", mögen en allemand moderne. Un émoi, comme chacun sait, est quelque chose qui s’inscrit dans l’ordre de vos rapports de puissances et nommément ce qui vous les fait perdre.

Auteur: Lacan Jacques

Info: 25 mai 1960

[ étymologie ] [ différence ] [ signification ]

 

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catharsis

C’est du côté de cet attrait que nous devons chercher le vrai sens, le vrai mystère, la vraie portée de la tragédie. C’est dans le côté d’émoi qu’il comporte, du côté des passions sans doute, mais d’une passion singulière où la crainte et la pitié sont bien "δι᾽ἐλέου καὶ ϕόβου"*. Par l’intermédiaire de la pitié et de la crainte, nous sommes purgés, purifiés de tout ce qui est de cet ordre, de cet ordre-là que nous pouvons d’emblée, d’ores et déjà, reconnaître : c’est la série de l’imaginaire à proprement parler.

Et si nous en sommes purgés par l’intermédiaire d’une image entre autres, c’est bien là où nous devons nous poser la question, quelle est alors la place occupée par cette image autour de laquelle toutes les autres semblent tout d’un coup s’évanouir, se déplier, se rabattre en quelque sorte ? N’est-ce pas parce que cette image centrale d’Antigone, de sa beauté... ceci je ne l’invente pas, car je vous montrerai le passage du chant du Chœur où elle est évoquée comme telle, et je vous montrerai que c’est le passage pivot ...ne nous éclaire pas, par l’articulation de l’action tragique, sur ce qui fait son pouvoir dissipant par rapport à toutes les autres images ?

À savoir la place qu’elle occupe, sa place dans l’entre-deux de deux champs symboliquement différenciés. C’est sans doute de tirer tout son éclat de cette place, cet éclat que tous ceux qui ont parlé dignement de la beauté n’ont jamais pu éliminer de leur définition. C’est cette place, vous le savez, que nous cherchons à définir et que nous avons déjà, dans nos leçons précédentes, approchée, tenté de saisir la première fois par la voie de "cette seconde mort" imaginée par les héros de SADE, la mort pour autant qu’elle est appelée comme le point où s’annihile le cycle même des transformations naturelles.

[…]

Et pour vous suggérer que cette dimension n’est pas une particularité d’Antigone, je peux facilement vous proposer de regarder dès lors de-ci, de-là, où vous pouvez en retrouver les correspondants. Vous n’aurez pas besoin de chercher bien loin pour vous apercevoir de la fonction singulière, dans l’effet de la tragédie, de la zone ainsi définie.

C’est ici, dans la traversée de cette zone, de ce milieu, que le rayon du désir se réfléchit et se réfracte à la fois, aboutissant en somme à nous donner l’idée de cet effet si singulier, et qui est l’effet le plus profond, que nous appelons l’effet du beau sur le désir, c’est à savoir ce quelque chose qui semble singulièrement le dédoubler là où il poursuit sa route. Car on ne peut dire que le désir soit complètement éteint par l’appréhension de la beauté, il continue sa course, mais il a là, plus qu’ailleurs, le sentiment du leurre, en quelque sorte, manifesté par la zone d’éclat et de splendeur où il se laisse entraîner. D’autre part, non réfracté mais réfléchi, repoussé, son émoi, il le sait bien le plus réel. Mais là il n’y a plus d’objet du tout.

D’où les deux faces de cette sorte d’extinction ou de tempérament du désir par l’effet de la beauté, sur lequel insistent certains penseurs, Saint THOMAS que je vous citai la dernière fois, et de l’autre côté, cette disruption de tout objet sur laquelle l’analyse de KANT, dans la Critique du Jugement, insiste.

Auteur: Lacan Jacques

Info: 25 mai 1960 *"par la pitié et la crainte"., provient de la définition de la tragédie donnée par Aristote dans sa Poétique (chapitre 6). Dans ce contexte, Aristote décrit la manière dont la tragédie agit sur les spectateurs.

[ réel-symbolique-imaginaire ]

 

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christianisme

[Maurice] Blondel […] a insisté sur le fait que l’intelligence humaine ne travaille pas seule, et que dans le secret Dieu la guide, que l’intelligence humaine ne fait pas bande à part, que la liberté joue un rôle dans son exercice, et que finalement on ne parvient à la Vérité subsistante que par la sainteté. Il n’y a pas de connaissance de Dieu, finalement, hors de la sainteté qui nous rend déiformes, comme dit Jean de la Croix. Blondel a lutté contre ce qu’il a appelé la pratique de la philosophie séparée. Autrement dit, il a milité contre les tendances nestoriennes en ce qui concerne le problème des rapports entre l’intelligence humaine créée et l’ordre de la grâce.

Auteur: Tresmontant Claude

Info: La crise moderniste, éditions du Seuil, 1979, page 136

[ théorie ] [ résumé ] [ intelligence-foi ] [ naturel-surnaturel ]

 

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christianisme

La nature divine du Christ et sa nature humaine ne constituent pas deux êtres associés d’une manière seulement morale et juridique : c’est l’erreur de Nestorios patriarche de Constantinople. Les deux natures, nous dit Cyrille d’Alexandrie, sont unies d’une manière substantielle, kat’ hypostasin. Mais elles ne sont pas non plus mélangées ni confondues. De leur union ne résulte pas une seule nature : c’est l’erreur monophysite.

Auteur: Tresmontant Claude

Info: La crise moderniste, éditions du Seuil, 1979, page 135

[ hérésies ] [ définition ] [ nestorianisme ] [ monophysisme ] [ doctrine ]

 

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