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générations

Car Vincent et Walter n’étaient pas les premiers, hé non, mais avant eux il y avait Vincent et un autre dont j’oublie le nom, et avant eux il y avait cet autre dont j’oublie le nom et un autre dont j’oublie le nom aussi, et avant eux il y avait cet autre dont j’oublie le nom aussi, et un autre dont je n’ai jamais su le nom, et avant eux il y avait cet autre dont je n’ai jamais su le nom et un autre dont Walter ne se rappelait pas le nom, et avant eux il y avait cet autre dont Walter ne se rappelait pas le nom et un autre dont Walter ne se rappelait pas le nom non plus, et avant eux il y avait cet autre dont Walter ne se rappelait pas le nom non plus et un autre dont Walter n’a jamais su le nom, et avant eux il y avait cet autre dont Walter n’a jamais su le nom et un autre dont même Vincent ne pouvait se remémorer le nom, et avant eux il y avait cet autre dont même Vincent ne pouvait se remémorer le nom et un autre dont même Vincent ne pouvait se remémorer le nom non plus, et avant eux il y avait cet autre dont même Vincent ne pouvait se remémorer le nom non plus et un autre dont même Vincent n’a jamais su le nom, et ainsi de suite, jusqu’à ce que toute trace se soit perdue, en raison de la brièveté de la mémoire humaine, l’un évinçant toujours l’autre, si l’on peut parler d’évincer, tout comme vous vous m’avez évincé moi, et Erskine Walter, et moi Vincent, et Walter cet autre dont j’oublie le nom, et Vincent cet autre dont j’oublie le nom aussi, et cet autre dont j’oublie le nom, cet autre dont je n’ai jamais su le nom, et cet autre dont j’oublie le nom aussi, cet autre dont Walter ne se rappelait pas le nom, et cet autre dont je n’ai jamais su le nom, cet autre dont Walter ne se rappelait pas le nom, cet autre dont Walter n’a jamais su le nom, et cet autre dont Walter ne se rappelait pas le nom non plus, cet autre dont même Vincent ne pouvait se remémorer le nom, et cet autre dont Walter n’a jamais su le nom, cet autre dont même Vincent ne pouvait se remémorer le nom non plus, et cet autre dont même Vincent ne pouvait se remémorer le nom, cet autre dont même Vincent n’a jamais su le nom, et ainsi de suite, jusqu’à ce que toute trace se soit perdue, à cause de la vanité des espérances humaines.

Auteur: Beckett Samuel

Info: Watt, Les éditions de minuit, Paris, 1968, pages 60-61

[ absurdité ]

 

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alimentation

L’être normal mange, puis se repose un certain temps, puis mange de nouveau, puis se repose de nouveau, puis mange de nouveau, puis se repose de nouveau, puis mange de nouveau, puis se repose de nouveau, puis mange de nouveau, puis se repose de nouveau, puis mange de nouveau, puis se repose de nouveau, et de cette façon, tantôt mangeant et tantôt s’en reposant, résout le difficile problème de la faim, et j’ose ajouter de la soif, au mieux de ses moyens et selon l’état de sa fortune.

Auteur: Beckett Samuel

Info: Watt, Les éditions de minuit, Paris, 1968, page 53

[ condition humaine ] [ répétition ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

année

Un immondice. Les crocus et le mélèze qui reverdit une semaine avant les autres et les pâturages rouges de succulents placentas de brebis et les longs jours d’été et le foin fauché de frais et le ramier le matin et le coucou l’après-midi et le râle des blés le soir et les guêpes dans la confiture et l’odeur des ajoncs et la vue des ajoncs et les pommes qui tombent et les enfants qui marchent dans les feuilles mortes et le mélèze qui rejaunit une semaine avant les autres et les châtaignes qui tombent et le hurlement du vent et la mer qui se brise par-dessus la jetée et les premiers feux et les sabots sur la route et le facteur poitrinaire qui siffle Roses de Picardie et la lampe à pétrole en haut de son lampadaire et naturellement la neige et bien sûr la grêle et vous pensez bien la gadoue et tous les quatre ans la débâcle de février et les crocus et puis tout le foutu trafic qui repart de plus belle. Un étron. Et si je pouvais tout recommencer, sachant ce que je sais maintenant, le résultat serait le même.

Auteur: Beckett Samuel

Info: Watt, Les éditions de minuit, Paris, 1968, page 47

[ saisons ] [ répétition ] [ dégoût ]

 
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Ajouté à la BD par Coli Masson

hommage posthume

Nous ne pouvons pas, Mesdames et Messieurs, accompagner à sa dernière demeure celui qui fut pour la plupart d’entre nous un maître très sage et un ami véritable, sans lui dire tout haut les sentiments de reconnaissance et d’affection qui jaillissent silencieusement de nos cœurs.

Pendant de longues années – trop courtes, hélas ! – nous avons eu sa parole affectueuse, et la bonhomie charmante sous laquelle son humilité cachait des trésors de science et des dons admirables. Pendant des années, il nous écouta patiemment, oubliant ses propres inquiétudes, pour se pencher sur nos chagrins ; pendant des années, il ne différa jamais de secourir quiconque venait à lui ; aucune ingratitude, aucun échec ne purent jamais ralentir l’élan de sa triple charité, matérielle, intellectuelle et morale.

Dans le domaine de l’Idée, il fut un novateur et un révélateur ; son génie vigoureux sut infuser une vie neuve aux vieilles traditions momifiées des sagesses mystérieuses, et l’œuvre énorme qu’il laisse derrière lui, pas assez connue encore, sera pour les positivistes de l’avenir une mine inépuisable de théories et d’hypothèses fécondes.

Dans le domaine de l’Action, son œuvre est multiple ; sa force propagandiste à répandu sur toute la terre des semences d’idéalisme, et organisé des Centres où la lumière du Verbe est présentée avec une prévoyante sollicitude, selon les facultés réceptives de ceux que rebutent le matérialisme et le formalisme.

Mais c’est dans le domaine moral surtout que Papus, à mon avis, sut accomplir son Grand-Œuvre : tâche d’autant plus féconde que les fatigues en restent inconnues. Vers les ténèbres les plus épaisses, la Lumière aime surtout à descendre. Et le labeur le plus fertile est celui qui s’effectue dans le silence et le secret. Tous ceux-là qui venaient vers Papus : les malades de corps, les martyrs de l’intelligence, les victimes de la méchanceté générale, qui s’en retournaient soulagés toujours, et bien souvent guéris, combien se doutent qu’ils ne furent allégés que parce que ce mystique médecin avait pris à l’avance sur ses épaules, par le moyen d’un ascétisme intérieur constant, une partie de leur fardeau ?

Je trahis peut-être ici les secrets d’une amitié dont je m’honore infiniment ; mais il me semble juste qu’au couronnement de cette carrière si remplie, une voix dise tout haut ce que tant de reconnaissances murmurent tout bas. L’érudit, le philosophe aux splendides intuitions, le propagandiste puissant, le conférencier applaudi, le voyant, le thérapeute habile ; tous ces aspects admirables s’unissaient en la personne de cet homme de bien, dont la dépouille, dès maintenant vénérable, est confiée aujourd’hui à Notre Mère commune.

Des larmes montent à nos yeux, sans doute, mais nos cœurs savent qu’il n’y a pas de mort. Celui-là que nous saluons avec une grave tendresse, nous a appris que de ce côté du voile sont seulement les fumées passagères. De l’autre côté, se déploient les splendeurs du Réel. Des larmes respectables et touchantes tombent sur cette sépulture entr’ouverte. Mais nous savons que, pour les serviteurs du Ciel, la mort est une invisible apothéose.

Imitons cet initiateur qui voulut n’être qu’un ami pour nous et qui fut assez fort pour cacher ses douleurs et ses misères sous un perpétuel sourire. Séchons nos larmes ; elles le retiendraient dans les ombres ; et réjouissons-nous, comme lui-même se réjouit depuis trois jours de revoir enfin face à face le tout-puissant Thérapeute, l’authentique Pasteur des Ames, l’Ami éternel et Bien Aimé dont il fut le fidèle servant.

Disons ensemble à Gérard Encausse un Au Revoir vaillant ; et donnons-lui, par nos bonnes volontés désormais indéfectibles, la seule récompense digne des si longues fatigues qu’il a endurées pour nous.

Auteur: Sédir Paul Yvon Le Loup

Info: Dans Papus, sa vie, son œuvre, Editions Pythagore, 1932

[ portrait ] [ éloge ] [ œuvre ]

 

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mythologie

La distinction essentielle des deux APHRODITE est celle-ci :

– que l’une ne participe en rien de la femme, qu’elle n’a pas de mère, qu’elle est née de la projection de la pluie sur la terre [mer] engendrée par la castration d’OURANOS. C’est de cette castration primordiale d’OURANOS par CHRONOS, c’est de là que naît la VÉNUS Ouranienne qui ne doit rien à la duplicité des sexes.

– L’autre APHRODITE, est née peu après de l’union de ZEUS avec DIONÉ [Diane] qui est une Titanesse. Toute l’histoire de l’avènement de celui qui gouverne le monde présent, de ZEUS, est liée - je vous renvoie pour cela à HÉSIODE - à ses rapports avec les TITANS, eux qui sont ses ennemis. DIONÉ est une Titanesse [181c]. Je n’insiste pas. Cette APHRODITE est née de l’homme et de la femme ἄρρενος [arrenos]. Celle-là est une APHRODITE qui ne s’appelle pas Ouranienne, mais Pandémienne.

L’accent dépréciatif et de mépris est expressément formulé dans le discours de PAUSANIAS [dans Le Banquet de Platon] : c’est la VÉNUS populaire. Elle est tout entière du peuple : elle est de ceux qui mêlent tous les amours, qui les cherchent à des niveaux qui leur sont inférieurs, qui ne font pas de l’amour un élément de domination élevé qui est celui qu’apporte la VÉNUS Ouranienne, l’APHRODITE Ouranienne.


Auteur: Lacan Jacques

Info: 7 décembre 1960

[ origine ] [ génération ] [ valeur ]

 

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éros

[…] j’essaie de vous diriger vers la formule métaphore-substitution de l’ἐραστής [erastès] à ἐρώμενος [erômenos]. C’est cette métaphore qui engendre cette signification de l’amour.

J’ai le droit pour introduire ceci, pour le matérialiser devant vous, de compléter son image, d’en faire vraiment un mythe. Et cette main qui se tend, vers le fruit, vers la rose, vers la bûche qui soudain flambe, j’ai le droit d’abord de vous dire que son geste d’atteindre, d’attirer, d’attiser, est étroitement solidaire de la maturation du fruit, de la beauté de la fleur, du flamboiement de la bûche, mais que, quand dans ce mouvement d’atteindre, d’attirer, d’attiser, la main a été vers l’objet assez loin, si du fruit, de la fleur, de la bûche, une main sort qui se tend à la rencontre de la main qui est la vôtre, et qu’à ce moment-là c’est votre main qui se fige dans la plénitude fermée du fruit, ouverte de la fleur, dans l’explosion d’une main qui flambe, ce qui se produit là alors c’est l’amour !

Encore convient–il bien, de ne même pas s’arrêter là et de dire que c’est l’amour en face, je veux dire que c’est le vôtre quand c’est vous qui étiez d’abord l’ἐρώμενος [erômenos], l’objet aimé, et que soudain vous devenez l’ἐραστής [erastès], celui qui désire. Voyez ce que par ce mythe j’entends accentuer : tout mythe se rapporte à l’inexplicable du Réel, il est toujours inexplicable que quoi que ce soit réponde au désir. La structure dont il s’agit, ce n’est pas cette symétrie et ce retour.

Aussi bien cette symétrie n’en est pas une, en tant que quand la main se tend, c’est vers un objet. De la main qui apparaît de l’autre côté est le miracle, mais nous ne sommes pas là pour organiser les miracles, nous sommes là pour tout le contraire : pour savoir. Et ce qu’il s’agit d’accentuer, ce n’est pas ce qui se passe "de là à au–delà", c’est ce qui se passe "là", c’est-à-dire la substitution de l’ἐραστής [erastès : amant] à l’ἐρώμενος [erômenos] ou à l’ἐρώμενον [erômenon].

Auteur: Lacan Jacques

Info: 7 décembre 1960

[ couple ] [ réponse ]

 
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désert

Nous sommes dans le Nullarbor. Ce n’est pas une région d’Australie, c'est l’Australie elle-même, la véritable Australie que connaissent les Aborigènes, les trimardeurs endurcis, les bouviers et les pauvres abandonnés comme nous. Pour ceux qui arrivent en voiture sur les routes, pour les hommes politiques qui ne s'enfoncent à l’intérieur des terres qu'à la fraîcheur hivernale, l’Australie se déguise. Vous et moi, nous la voyons sans masque, nous la voyons telle qu’elle est réellement. Vous avez de quoi être vraiment heureux.

Allons, levez les pieds. Voilà qui est mieux. Vous finirez par aimer l’Australie, comme moi. Pour ça, il faut se mettre à plat ventre, enfouir le visage dans le sable et les cailloux brûlants, respirer l’odeur de ce pays, sentir dans votre estomac vide à quel point il est proche de vous, le courtiser avec une voix empâtée par le manque de salive. Et alors, Clifford, comme c’est arrivé à beaucoup d’autres avant vous, cette Australie belle et nue deviendra le grand amour de votre vie.

Auteur: Upfield Arthur

Info: L'Homme des deux tribus

[ nature ] [ attachement ]

 

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amour

Il [Achille] suit PATROCLE dans la mort.

Comprendre ce que veut dire pour un ancien cette interprétation de ce qu’on peut appeler le geste d’ACHILLE, c’est aussi quelque chose qui mériterait beaucoup de commentaires, car enfin c’est tout de même beaucoup moins clair que pour ALCESTE. Nous sommes forcés de recourir à des textes homériques d’où il résulte qu’en somme ACHILLE aurait eu le choix. Sa mère THÉTHIS lui a dit :

"si tu ne tues pas Hector - il s’agit de tuer HECTOR uniquement pour venger la mort de PATROCLE - tu rentreras chez toi bien tranquille et tu auras une vieillesse heureuse et peinarde, mais si tu tues Hector ton sort est scellé, c’est la mort qui t’attend".

Et ACHILLE en a si peu douté que nous avons un autre passage où il se fait cette réflexion à lui-même en aparté : "je pourrais rentrer tranquille". Et puis ceci est quand même impensable, et il dit, pour telle ou telle raison. Ce choix est à lui seul considéré comme étant aussi décisif que le sacrifice d’ALCESTE : le choix de la μοίρα [moïra], le choix du destin a la même valeur que cette substitution d’être à être. […] dans la suite ACHILLE se tue, paraît-il, sur le tombeau de PATROCLE.

[…] Mais pour rester, pour nous tenir au discours de PHÈDRE [dans Le Banquet de Platon], l’important est ceci : PHÈDRE se livre à une considération longuement développée concernant la fonction réciproque dans leur lien érotique de PATROCLE et d’ACHILLE. Il nous détrompe sur un point qui est celui-ci : ne vous imaginez point que PATROCLE - comme on le croyait généralement - fût l’aimé.

Il ressort d’un examen attentif des caractéristiques des personnages, nous dit PHÈDRE en ces termes, que l’aimé ne pouvait être qu’ACHILLE beaucoup plus jeune et imberbe. Je l’écris parce que cette histoire revient sans cesse, de savoir à quel moment il faut les aimer : si c’est avant la barbe ou après la barbe. On ne parle que de cela, cette histoire de barbe on la rencontre partout. On peut remercier les romains de nous avoir débarrassés de cette histoire. Cela doit avoir sa raison. Enfin ACHILLE n’avait pas de barbe. Donc en tout cas c’est lui l’aimé. Mais PATROCLE, semble-t-il, avait quelque dix ans de plus. Par un examen des textes c’est lui l’amant. Ce qui nous intéresse ce n’est pas cela.

[…] c’est que - quoi qu’il en soit - ce que les dieux trouvent de sublime, de plus merveilleux que tout, c’est quand l’aimé se comporte en somme comme on attendait que se comportât l’amant.

Auteur: Lacan Jacques

Info: 30 novembre 1960

[ mythologie ]

 

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christianisme

[…] pour beaucoup de monde encore - et justement dans la tradition chrétienne par exemple – parler de l’amour c’est parler de théologie.

Auteur: Lacan Jacques

Info: 30 novembre 1960

[ trinité ] [ métaphore ]

 

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sécularisation

Ce qui caractérise le catholicisme, à certains égards, c’est qu’il engage le fidèle dans une tension permanente de l’âme, dans un appel à la sainteté, dans une aventure spirituelle si haute qu’elle ne peut d’abord que nous démontrer notre faiblesse et notre impuissance : nous devons mériter le Ciel et cependant "à l’homme cela est impossible" (Mt 19, 26). Ensuite, il plonge le fidèle dans une société ecclésiale complexe et hiérarchisée où il entre en relation avec de multiples instances et personnes, et où l’on doit, par exemple, distinguer entre la hiérarchie d’ordre et la hiérarchie de juridiction, entre la Tradition, l’Ecriture, le Magistère, la formulation dogmatique et la recherche théologique, etc. Enfin le chrétien est invité à vivre dans un univers rituel et sacré richement diversifié, où le septénaire sacramentel se différencie de la multitude des sacramentaux, où la prière liturgique et le culte sacrificiel s’entourent et se prolongent d’une foule de dévotions et de pratiques. L’adhésion à ce Corps immense exige, chaque fois, nuance, discrimination, foi multipliée et modulée selon la nature de son objet. La religion luthérienne, au contraire, est "raisonnable" parce qu’elle supprime toute notion de mérite (Dieu nous sauve sans nous) ; elle réduit la société ecclésiale à la collectivité des individualités croyantes (abolition du sacerdoce et du pouvoir de juridiction) ; enfin, elle nie toute présence du surnaturel dans l’ordre naturel (d’où dérivait la multiplicité de ses degrés) ou du moins le réduit au strict minimum : la foi présente dans l’âme chrétienne et le Christ présent dans le pain et le vin du "mémorial". Quoi de plus raisonnable, de plus "acceptable" que cette conception ? Elle fait droit à la "folie de la croix" et aux aspirations mystiques, concentrées dans un unique acte de foi […] en même temps qu’elle rejette tout le reste et donc prévient radicalement toutes les occasions de refus dont profite le rationalisme moderne. Sans doute Luther est-il l’adversaire farouche de la philosophie et de la raison […]. Mais ce qu’il réprouve si violemment, c’est l’usage de la raison dans l’ordre de la foi, c’est-à-dire en théologie, où l’on ne doit parler que le langage de l’Ecriture. Dans l’ordre naturel, il n’en va pas ainsi, et lui-même se flatte d’être aussi bon dialecticien que personne.

Il résulte de ce fait que la religion protestante est moins un nouveau christianisme qu’un catholicisme réformé, "débarrassé de tout ce qui l’encombrait inutilement" et ramené à une certaine (et prétendue) simplicité originelle, ce qui signifie, objectivement, un catholicisme diminué. […] mis à part la personnalité de son fondateur, rien de bizarre ou de fondamentalement scandaleux (pour la raison moderne) dans le protestantisme, dès lors qu’on admet le fait de la croyance en Dieu, en Jésus-Christ et dans son Evangile.

Et c’est pourquoi Kant nous paraît un bon luthérien lorsqu’il décrit une "religion dans les limites de la simple raison" (et non de la raison critique) [raison raisonnable et non raison raisonnante]. En faisant servir la raison au travail théologique, saint Thomas la soumet à la foi et la surnaturalise. En excluant la raison du seul domaine de la foi, Luther lui donne la liberté de régner en maîtresse dans toute le reste et, en particulier, dans tout ce qui, de la religion, ne relève pas de la foi purement subjective.

Auteur: Borella Jean

Info: Le sens du surnaturel, L'Harmattan, 1997, pages 50 à 53

[ différences ] [ caractéristiques ] [ rationalité ] [ réforme ]

 
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