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mental aveugle

Aphantasie - Hors de la vue, hors de l'esprit.

Fermez les yeux et imaginez que vous regardez la maison de votre enfance depuis la rue. Si vous pouvez en voir une représentation visuelle avec une certaine fidélité d'esprit, vous faites partie des 98 % de personnes qui peuvent visualiser. Si, comme moi, vous ne voyez que du noir, vous faites partie des 2 % de gens atteints d'une maladie appelée Aphantasie.

Quand je ferme les yeux, il n'y a pas d'images, de formes, de couleurs, de taches, de flous, de bouts. Rien. Je n'ai jamais vu un seul mouton sauter par-dessus une clôture. Toute ma vie, j'ai pensé que lorsque les gens disaient qu'ils pouvaient penser en images et visualiser des images, c'était métaphorique.

En tant que designer, c'est une révélation. Personnellement, ça change vraiment la donne.

Plutôt que de penser que je n'en avais pas la capacité, j'ai toujours supposé que personne ne voyait vraiment les moutons, ils pensaient juste à eux comme moi. Je me rappelle combien il était ridicule d'essayer de compter les moutons que je ne voyais pas.

L'apprentissage de l'aphantasie (un nouveau "machin" qui n'a pas encore d'entrée dans le dictionnaire) m'a obligé à me demander quels sont mes processus internes et comment je peux obtenir à peu près les mêmes résultats que quelqu'un qui peut visualiser. Tant de choses ont un sens maintenant, mais il y en a encore tant à comprendre. Avant d'entrer dans les détails, voici quelques symptômes de ce syndrome : 

-  Il n'y a aucun souvenir visuel pour quoi que ce soit, que ce soit un visage, un mot, l'endroit où j'ai laissé mes clés, un beau moment, l'enfance.

- Tout comme le passé ne peut être rappelé, je ne peux pas visualiser les événements futurs. Toutes ces techniques de visualisation du développement personnel que j'ai essayées au fil des ans et que je croyais inutiles...

- Il n'y a pas d'endroit agréable où aller. Quand on souffre, c'est un peu comme dans la scène de Chemical Burn du Fight Club, il faut juste rester avec la douleur. 

- Je rêve en images mais jamais avec une quelconque clarté. Même quand je me souviens des rêves, je ne peux pas me les remémorer. Je ne sais pas si la fidélité de mes rêves correspond à celle de quelqu'un qui n'a pas ma condition.

- Quand je rêve le jour, j'imagine des scénarios dans des détails abstraits et des nuages de pensées, ce qui est très difficile à comprendre et encore moins à expliquer.

- Les histoires fictives sont inutiles et n'ont aucun lien viscéral. Même enfant, je n'ai jamais pu me plonger dans des aventures de fiction. Je n'aurais pas été bon à l'école du dimanche.

- C'est une bénédiction de ne pas avoir de flashbacks d'événements traumatisants, mais ;

- C'est une malédiction de ne pas pouvoir évoquer des images d'êtres chers disparus. 

Il y a une myriade d'exemples qui peuvent être ajoutés à cette liste, mais vous avez compris. Mes paupières se ferment et le monde devient noir, ce qui m'a toujours semblé logique - c'est à cela que servent les paupières. Voir des images lorsque les yeux sont fermés ressemble à un super pouvoir qui devrait être pour une minorité exceptionnelle, et non l'inverse.

La voix de l'esprit

Depuis cette découverte, j'ai pu mettre certains points sur les i. Il y a quelques années, je me suis intéressé à la programmation neuro-linguistique (PNL), dont une partie consiste à comprendre les modalités sensorielles. Lorsque je me suis appliqué à moi-même ces techniques, le résultat fut que j'étais auditif. Bien sûr, étant donné que toute ma vie professionnelle avait été en tant que designer, je m'attendais à être visuel.

Alors comment une personne atteinte d'aphantasie peut-elle traiter des données et anticiper les résultats ? Pour moi, j'ai découvert que j'entends les résultats, mais que je ne les vois pas

Par exemple, j'ai eu un combat de boxe professionnelle il y a quelques années. J'ai toujours été en faveur du développement personnel et j'avais lu et entendu si souvent qu'il faut visualiser un résultat réussi que l'on veut atteindre. En l'occurrence, me voir victorieux avec les mains levées et sortir du ring en vainqueur. Rétrospectivement, je n'ai jamais rien vu, mais j'ai tout entendu.

En visualisant le combat, j'écoutais vraiment la foule, j'entendais mes entraîneurs me dire à quel point je m'en sortais bien entre les rounds, et surtout j'écoutais mes propres commentaires et affirmations internes pendant que je jouais mentalement l'événement. Lorsque je visualisais la victoire, je ne voyais rien, mais j'entendais ma propre voix mentale célébrer la victoire.

Oreilles visuelles

La mémoire et la capacité à se souvenir d'un moment, d'un événement ou d'une action sont cruciales. Lorsque quelqu'un d'autre a égaré ses clés, il peut voir où il les a laissées comme un souvenir à rappeler. Pour ce faire, je me souviens de ma voix mentale qui disait à l'époque " tes clés sont sur le bureau " lorsque je les y pose. Et quand j'ai besoin de les retrouver, je reviens à la dernière phrase de mes clés. Les fragments de langage sont un moyen de cloisonner les actions que j'ai prises et celles que je dois prendre.

Si j'assiste à un magnifique coucher de soleil, je ne puis en capturer un instantané mental, c'est plutôt comme un extrait sonore, et c'est surtout mon bavardage interne qui essaie d'enregistrer le moment et de le verbaliser via les détails. Je suis à la limite de l'obsession des couchers de soleil, ce qui frustre tous ceux avec qui je suis si l'un d'entre eux se trouve à proximité, car je dois me rendre à un point d'observation. "On les a tous vus..." mais comme je ne m'en souviens pas, j'ai besoin de les voir encore et encore.

Je suis un fervent iPhoneographe, ce qui n'est pas unique, mais pour moi, c'est une façon de gérer mon incapacité à capturer des images mentales. Lorsque je pars en voyage avec un partenaire, c'est inévitablement frustrant pour lui, car je dois m'arrêter si souvent pour saisir les moments. "Pourquoi ne pouvez-vous pas simplement profiter de l'instant présent ?", ce que je fais, mais si je ne le capture pas, je ne pourrai généralement plus jamais revoir cet endroit. Si je conduis et qu'une scène qui vaut la peine d'être capturée apparaît, ce ne sont pas mes yeux qui m'encouragent à m'arrêter, j'entends "Ce serait une super photo", alors j'ai appris à faire confiance à ma voix au-dessus de mes yeux, même pour les choses visuelles, et j'ai une vision de 20/20.

Le dilemme du designer

Je suis un designer qui est intrinsèquement visuel. J'ai commencé dans le design visuel et j'ai évolué vers le design de l'expérience utilisateur qui, je crois maintenant, est un artefact d'Aphantasia. Lorsque je parle à mes collègues designers, je n'arrive pas à croire qu'ils voient dans leur esprit à l'avance ce qu'ils exécutent ensuite dans Photoshop. Ils disposent d'un canevas mental sur lequel ils peuvent appliquer leurs visualisations. Cela va dans le sens de l'hyperphantasie.

Un collègue peut voir 20 versions du même graphique et être capable de les filtrer dans sa tête pour créer les 5 versions qu'il fera physiquement comme options de révision. Un autre collègue peut évoquer une seule instance d'un graphique mais être capable d'animer et de déplacer les éléments jusqu'à ce qu'il se arrête  la version qu'il va concevoir.

Mais la question est, que fait un Aphantasique ?.

Lorsque j'essaie de résoudre un problème d' expérience-design, je pense que c'est la réalité. Ce n'est pas une bonne description car il n'y a pas de vraie bonne manière d'articuler ce processus. Mais je le verbalise aussi en interne, et cela se fait en grande partie en jouant le rôle de l'utilisateur et en écoutant ce qu'il entendrait de son propre bavardage interne s'il faisait l'expérience du voyage que j'essaie de résoudre pour lui. Par exemple, s'ils rencontrent un problème pendant que je joue leur expérience de la conception, je les entends dire "ça ne marche pas" mais je ne vois pas comment, je dois le traduire de mon point de vue de concepteur puis le manifester à l'écran, sur papier ou autre.

J'ai toujours été un bon collaborateur dans le domaine du design, parce que j'ai eu besoin de l'être. Très souvent, les solutions aux problèmes viennent de moi, qui en parle et qui peint une image mentale d'un problème de ce que je "vois" pendant qu'un collègue crée cette image mentale et qu'ensemble, cela devient une solution. Une véritable conception collaborative, où le partage des connaissances conduit à une compréhension collective et à la résolution des problèmes.

Imagine que

On m'a interrogé sur mon imagination ? Je suis un vrai rêveur, mais une fois "hors fèeries", je ne suis pas vraiment sûr de ce qui se passe. C'est la chose la plus difficile à expliquer parce que je ne peux pas encore vraiment expliquer ce qui se passe quand je suis "loin". La meilleure description est que je sens les choses se passer dans ma tête. Les événements se déroulent et je ne suis pas mentalement vide, mais visuellement noir. Tout cela est assez étrange. Je ressens toujours les rêves comme des images, il semble donc que le conscient ait un filtre sur ce que l'inconscient peut faire passer en douce pendant le sommeil.

Bénédiction ou malédiction

L'un des aspects les plus troublants est de ne pas pouvoir voir ses proches. Mon frère a récemment quitté ce monde et malgré tous mes efforts, je ne puis voir son visage. Je ne peux même pas visualiser une photo de son visage, ou une représentation floue. Depuis, j'en ai parlé à ma mère, qui se couche tous les soirs avec une ou plusieurs photos de lui et peut s'en servir pour se souvenir de lui.

Je peux avoir un sentiment pour une personne et je peux décrire mon frère à quelqu'un. La façon dont il marchait par exemple, je peux la reproduire, mais c'est de mémoire. Parfois, je me sense dissonant au plan émotionnel, comme en vivant un  événement traumatisant comme une rupture. J'ai l'impression d'avancer rapidement et je me demande maintenant si c'est un cas de "loin des yeux, loin du cœur". Cette citation aide à résumer beaucoup de choses pour moi et mon expérience du monde.

Un avantage, cependant, est que les expériences négatives ne peuvent pas être revécues. Des images visuelles horribles, comme un récent accident de moto, ne reviennent jamais nous hanter. Une fois la chose vue, elle est automatiquement invisible.

Voir, c'est croire

Il existe de nombreux exemples de personnes dont un sens est diminué ou inexistant, ce qui encourage d'autres à se renforcer. Le savant qui pense aux nombres comme à des images et qui peut résoudre des équations mathématiques par l'image. Je n'ai pas encore appris exactement comment traiter et traduire l'information, mais je suis maintenant sur cette voie pour comprendre comment je fonctionne et pour développer cette capacité, tout en travaillant à supprimer le filtre et à ouvrir un tout nouveau monde à l'œil de l'esprit.

Auteur: Kappler Benny

Info: 9 janvier 2017. https://medium.com/@bennykappler/aphantasia-out-of-sight-out-of-mind-f2b1b4e5cc23. Trad Mg

[ imagination non-voyante ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

annales

Les régimes institutionnels de la mémoire

On pourrait distinguer la reproduction biologique (un individu se reproduit en individus de la même espèce), l’élevage (on sélectionne par la reproduction un profil génétique donné), la domestication (les êtres humains éduquent des animaux, transmettant par le dressage pratiques et comportements) et enfin l’éducation où des individus d’une espèce enseignent à leurs progénitures leurs propres acquis. La domestication n’est pas l’éducation car ce ne sont pas les animaux qui dressent leurs petits, mais leurs maîtres.

La culture commence quand, au delà du patrimoine génétique, des contenus, pratiques et savoir faire sont transmis d’une génération à une autre. Autrement dit, quand il s’agit de passer de l’élevage à l’éducation, de la répétition des capacités propres à l’espèce à la transmission des contenus acquis.

Cela implique d’une part la prise de conscience d’un déjà-là constitué et d’autre part la mise en place d’outils et procédures pour l’entretenir et donc le transmettre. Il s’agit d’avoir des institutions du sens qui régissent, au niveau d’une société ou d’un collectif, les pratiques culturelles et les modalités de leur transmission.

À travers la notion d’institution, nous visons trois caractéristiques principales : la tradition qui sanctionne l’existence d’un déjà-là ("c’est ainsi que l’on a toujours fait"), une normalisation, qui ajuste et régule ses modalités d’expression selon certains critères ("c’est ainsi qu’il convient de faire"), une transmission qui assure une pérennisation de la tradition, de cet héritage reçu et donc à léguer ("c’est ce qu’il faut continuer de faire"). Les institutions du sens sont donc toujours traditionnelles et normatives, garantes de la culture comme acquis constitué et à transmettre. On retrouve ainsi les institutions scolaires, patrimoniales, culturelles, etc. De la langue qu’on apprend à maîtriser même quand elle est sa langue maternelle pour qu’elle devienne sa langue de culture et de réflexion [Judet & Wisman 2004], aux pratiques traditionnelles (cuisines, artisanat) en passant par les pratiques savantes, la culture est un déjà-là qui s’autonomise en tradition normée pour pouvoir être transmise. C’est le rôle et la mission des institutions du sens que d’accompagner la constitution de la tradition normée et d’en assurer la transmission.

La tension propre à ces institutions sera le conflit permanent entre d’une part la normalisation des contenus et d’autre part une transmission autorisant leur appropriation et transformation. Comment transformer sans trahir, comment transmettre sans figer, est la question que doit traiter toute institution du sens. Si la norme donne les conditions de la répétition et de la conservation du déjà-là, l’invention et l’appropriation seront les conditions pour que ce déjà-là reste accessible, signifiant, exploitable voire utile dans l’environnement contemporain. Une norme formelle et dogmatique rend le déjà-là sans intérêt, une appropriation dérégulée revient à une perte de mémoire et de sens.

Si les institutions du sens reposent en leur possibilité sur la constitution d’un déjà-là et sa reconnaissance comme tel, il en ressort qu’on en passe nécessairement par une institutionnalisation de la mémoire qui a pour fonction de fixer le périmètre du déjà-là, de définir les règles de son accroissement et de son enrichissement, et de proposer des modalités de sa consultation, partage et transmission. Les institutions de la mémoire seront donc des instances nécessaires à la reconnaissance d’un déjà-là constitué et à sa pérennisation.

Il y a plusieurs manières de mettre en place de telles institutions et d’en fixer les missions et les contours. Notre civilisation, au cours de son histoire longue, en distingue selon nous quatre modalités principales [Bachimont 2017] : la mémoire de la preuve (les archives), celle de l’œuvre (les bibliothèques et les musées), celle de l’information (les centres de documentation et de ressources) et enfin l’identité culturelle (le patrimoine).

Aussi anciennes que l’écriture elle-même, les archives [Delsalle 1998] sont avant tout une mémoire de l’événement, une trace de ce qui s’est passé, la permanence de cette dernière permettant de pallier l’évanescence de l’événement. L’archive possède une relation organique à ce dont elle est archive : causée par l’événement dont elle consigne la mémoire, l’archive est le signe, par son existence même, de l’événement et du fait qu’il a bien eu lieu. À travers une telle relation organique, on veut insister sur le fait que, même si l’archive est un document produit par des collectifs culturels, elle est néanmoins provoquée, produite quasi naturellement par l’événement qu’elle relate. Autrement dit, elle n’est pas altérée par un processus interprétatif qui viendrait se mettre en l’événement et sa trace. Pour reprendre la belle image de Marie-Anne Chabin [2000], "Les archives procèdent de l’activité de leur auteur comme les alluvions découlent du fleuve", comme si elles consistaient en un processus naturel.

Ainsi, plus tekmerion que semeion, indice que symbole ou icône *, même si en pratique, il faut bien en passer par l’interprétation et les conventions qui lui sont inhérentes, l’archive peut être la preuve que recherchent l’historien, le juge ou l’enquêteur. Mais, puisque l’événement produit le document, ce dernier ne peut être une preuve pleine et entière que si le seul moyen de produire le document qui deviendra l’archive est que l’événement se soit produit. Par exemple, l’acte notarié est ainsi conçu que la seule manière d’avoir un acte est que l’événement associé (une transaction par exemple) ait eu lieu. Sinon, c’est un faux, c’est-à-dire un document établi pour faire croire que l’événement a eu lieu. L’archive officielle est donc une preuve déductive (si on dispose de l’archive, alors l’événement a eu lieu), les autres ont plutôt une valeur abductive plutôt que déductive (si on dispose de l’archive, la cause la plus probable ou la plus simple est que l’événement ait eu lieu mais on en reste à une présomption). C’est la raison pour laquelle l’authenticité, au sens où le document est bien ce qu’il prétend être, est si fondamentale pour les archives. C’est en effet cette dernière qui permet de retracer le schéma causal qui a produit le document à rebours, en remontant à l’événement.

La seconde modalité ou institution de mémoire mobilise les traces du génie humain, autrement dit ce qui reflète les productions de l’esprit et de la culture. Il ne s’agit pas tant d’avoir des preuves de l’événement que de disposer des traces de ce qui a été pensé ou de ce qui fut créé. L’enjeu n’est pas de savoir ce qui s’est passé, mais de connaître comment cela a été pensé. Du monde comme événement (le fait relaté par un témoignage), on remonte à la culture comme monument (le témoignage comme fait). L’authenticité n’est plus ici gagée par le lien organique entre l’événement et le document, mais entre ce dernier et son auteur. L’authenticité reposera sur l’attribution de son auteur et la détermination du contexte de création pour pouvoir en déduire le sens qu’on peut lui conférer. Les institutions en charge des œuvres sont les bibliothèques, les musées, les conservatoires. L’enjeu n’est pas tant de connaître le passé pour lui-même, mais de se reposer sur les œuvres du passé pour appréhender une part des possibilités du génie humain, une province du sens et de l’être. Les œuvres du passé n’appartiennent pas à un passé révolu, mais au présent, un présent permanent et continuel car les œuvres, sitôt produites, restent un témoignage vivant qu’il est toujours temps et opportun de recevoir. Cela ne veut pas dire qu’il n’est pas important de prendre en compte leur historicité ni leur contexte originel, mais qu’en tant que créations humaines, il est toujours actuel et pertinent pour les êtres humains de les recevoir, accueillir et interpréter.

La troisième institution de la mémoire est celle du savoir, de la connaissance et de l’information. Ni preuve ni œuvre, l’information est le savoir anonyme, sans auteur, apportant la connaissance d’un fait, d’un procédé ou d’un raisonnement possibles. Information de personne, mais information pour tous, l’information prend sa valeur à partir de l’institution qui la produit, ou le processus qui la constitue. De l’information savante gagée par la publication scientifique et son système de relecture par les pairs, à l’information journalistique fondée sur une régulation spécifique, en passant par l’institution scolaire et ses programmes, l’information doit être produite par une institution qui lui sert de caution pour être reçue comme telle et valoir comme connaissance. On comprend qu’une telle notion d’information est le cœur même des activités relevant de ce qu’on a appelé par la suite "l’information scientifique et technique", et qu’elle se formalisa lors de la révolution industrielle [Briet 1951]. Une dimension spécifique de l’information, et faisant rupture avec les figures plus anciennes de l’archive et de la bibliothèque (les preuves et les œuvres), est l’indépendance ou plutôt l’indifférence au support. Peu importe que le document soit un article ou un livre, un journal ou une encyclopédie, numérique ou matériel, il n’importe que par l’information qu’il détient. Derrière cette indifférence se cache un présupposé selon lequel le contenant n’influe pas sur le contenu, que le support matériel ne conditionne pas l’intelligibilité de l’inscription consignée sur le support. Présupposé qu’il est facile de réfuter, aucun changement de support ne pouvant être neutre quant à l’intelligibilité du contenu [Bachimont 2010]. Mais on peut voir derrière ce présupposé, non une erreur quant à la réalité de la dépendance du contenu au contenant, mais l’intérêt exclusif pour un invariant sémantique commun aux différentes expressions rencontrées sur différents supports, où l’on s’intéresse au fait, par exemple, que l’eau bout à 100°, indépendamment de l’expression qui nous a permis d’en prendre connaissance.

Cette conception abstraite du support de l’information entraîne un intérêt exclusif à l’inscription comme expression, à sa grammaire et à son lexique. Privilégiant la forme sur la matière, l’information a un tropisme naturel vers la formalisation et la circulation : formalisation car il s’agit de contrôler l’information uniquement à partir de sa forme, indépendamment de son support ; circulation parce que cette indifférence au support permet en principe la migration d’un support à un autre sans altération de l’information. Cela aboutit fort logiquement aux initiatives comme le Web des données (ou Web sémantique) où le formalisme de l’expression assure les conditions de son interprétation et de sa circulation.

Enfin, le dernier régime est celui de l’identité culturelle ou celui du patrimoine. Ce régime est le plus indéterminé des quatre considérés ici dans la mesure où il mobilise le rapport fondamental à la mémoire et à la culture : il concerne tout objet permettant à un collectif d’accéder à une mémoire, à la mémoire de son identité collective. Le patrimoine est donc, pour utiliser le vocabulaire de Gilbert Simondon [2005], ce qui permet l’individuation d’une identité collective et la constitution d’objets comme vecteurs de cette dernière. Le patrimoine est donc un jeu triple entre des objets, des individus, et un collectif tissant ces derniers ensemble. Aussi tout objet peut-il, en principe, devenir patrimonial, les règles de l’individuation n’étant pas fixées a priori. On ne peut que constater a posteriori que tels ou tels objets "font patrimoine".

L’identité collective est un déjà-là revendiqué et assumé par le collectif. Il s’agit d’une mémoire reconnue comme étant la sienne et associée à un objet qui l’incarne et la porte. Mais la seule caractéristique de cet objet est qu’il est distingué dans sa capacité de porter un souvenir, d’incarner une mémoire, de véhiculer un sens partagé. En ce sens, l’objet patrimonial est un mnémophore, un porteur de mémoire, en plagiant le néologisme naguère proposé par Krzystof Pomian, le sémiophore [1996].

L’objet patrimonial, le mnémophore, ne s’oppose pas aux autres régimes de mémoire que nous avons distingués, mais les intègre comme des modalités possibles de sa déclinaison. En effet, les preuves, œuvres et informations sont porteuses de mémoire et permettent par leur entremise un rapport au passé.

Auteur: Bachimont Bruno

Info: https://journals.openedition.org/signata/2980. *CS Peirce (1978) Écrits sur le signe. Paris, Seuil.

[ conservatisme ] [ pré-mémétique ] [ damnatio memoriae ] [ diachronie ] [ sciences ] [ humaines tiercités ] [ citation s'appliquant à ce logiciel ]

 

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covid 1984

Dans un récent entretien avec Vice, le dénonciateur de la NSA, Edward Snowden, a exprimé ses inquiétudes concernant le programme de surveillance à venir, l’appelant "l’architecture de l’oppression". Nous avons demandé à Lucien Cerise son analyse du nouveau contrôle social à venir.



R/ L’état d’urgence sanitaire est-il pour vous un bon moyen pour les gouvernements mondiaux de poursuivre la réduction de nos libertés collectives et individuelles ? Pour vous, le confinement est-il un instrument d’ingénierie sociale ?



- Cet état d’urgence sanitaire est le prétexte idéal pour tenter de fabriquer le consentement des populations à une transformation du lien social sur une base transhumaniste, c’est-à-dire fondée sur un encadrement scientifique général, présentant un fort caractère carcéral et concentrationnaire, et allant dans le sens de l’artificialisation et de la réification du vivant, sa chosification, sa réduction à un objet. On peut reprendre à Michel Foucault et Giorgio Agamben la notion de biopouvoir pour décrire un pouvoir politique qui étudie la biologie, la médecine et les sciences de la vie autant que le droit ou l’économie. Le biopouvoir, qui n’est qu’une mise à jour de la notion d’eugénisme, se caractérise donc par une intrusion toujours croissante dans l’intimité physique des gens pour la modifier et surtout la contrôler.



En effet, ce qui dérange le biopouvoir, c’est la prolifération de la vie et de l’organique, impossible à contrôler totalement. Le transhumanisme est une tentative d’enfermement de l’organique dans une forme prétendument augmentée, mais surtout aseptisée, standardisée et sous contrôle, tentative de meurtre du vivant et de son aspect toujours imprévisible et débordant. Les gens normaux se refusent donc naturellement au transhumanisme. Pour parvenir à les emprisonner là-dedans malgré tout, il faut les séduire ou leur faire peur, afin de les soumettre volontairement par des manœuvres d’ingénierie sociale du type "pompier pyromane" et triangle de Karpman, consistant à exploiter les projections psycho-émotionnelles de la trilogie bourreau/victime/sauveur.



Cela commence par le déclenchement d’une crise, suivi d’une opération d’hameçonnage (phishing), c’est-à-dire un piratage de l’esprit par usurpation d’identité et abus de confiance, où le responsable de la crise, en position de "bourreau", se présente comme le "sauveur" qui va protéger les "victimes" de la crise. Quand le piratage est accompli, que le bourreau a gagné la confiance de la population victime et qu’elle s’ouvre à lui en abaissant ses défenses parce qu’elle le perçoit comme un sauveur, alors le pirate-bourreau peut passer à la deuxième phase sans rencontrer de résistance, c’est-à-dire la réécriture de l’architecture sociale selon un nouveau plan présenté comme une solution de sortie de crise. Cette restructuration du lien social consiste à prendre le contrôle des relations que les gens entretiennent librement pour les recomposer à leur place. Comment ? Cela se fait toujours en jouant sur les relations de confiance et de méfiance, afin de prendre le contrôle des relations de proximité et de distance. Avec cette crise du coronavirus, la relation à autrui et au monde est réécrite pour être fondée sur la méfiance et la paranoïa, selon une sorte de conflit triangulé généralisé, où chacun est potentiellement bourreau de chacun. Je dois apprendre à me méfier d’autrui et de la nature, avec le maintien d’une distance entre moi, autrui et le monde, et cette distance m’est dictée par le biopouvoir auquel, en revanche, je suis tenu d’accorder une confiance aveugle, au risque d’être accusé de "conspirationnisme" et d’encourir des représailles judiciaires. En résumé : pour le biopouvoir, cette crise du Covid-19 doit couper l’Histoire en deux et faire entrer l’humanité dans une nouvelle ère où l’auto-organisation du vivant sera progressivement abolie pour être entièrement subordonnée et rationalisée par un pouvoir scientifique eugéniste.



R/ La surveillance numérique de masse passe par les fameuses applications d’Apple ou de Google de contrôle sanitaire. Comment les États et les grandes multinationales de la Silicon Valley se partagent les informations et les rôles dans cette opération ?



Les États et les grandes multinationales sont toujours en fait dirigés directement ou indirectement par ce que l’on appelle le complexe militaro-industriel, qui n’est pas exclusivement américain, chaque pays possède le sien, mais celui des USA est le plus agressif. L’avant-garde de la recherche scientifique est toujours sponsorisée, surveillée et récupérée en premier lieu par les unités de "recherche et développement" militaires. Au niveau géopolitique international, tout est militarisé (weaponized, comme disent les anglophones), tout est rapport de forces, tout est volonté de puissance et relations dominant/dominé. Les applications de géolocalisation et de surveillance numérique de masse sont des outils de contrôle social, c’est-à-dire en fait de militarisation des comportements.



Nous sommes dans une guerre hybride mondiale. Par exemple, la Chine, qui est sous attaque permanente des USA et des réseaux de George Soros, a besoin de militariser et discipliner sa population par un encadrement informatique global. Afin de conserver sa souveraineté numérique et le contrôle de sa population, la Chine doit aussi prévenir et limiter les risques de piratages informatiques de l’étranger, d’où la campagne lancée par Pékin pour débarrasser totalement son parc informatique des systèmes d’exploitation étrangers, dont le plus connu est Windows de Microsoft, et développer de nouveaux systèmes d’exploitation et outils informatiques de conception chinoise et fabriqués en Chine, et qui seront dépourvus des backdoors et autres logiciels espions de la NSA.



À terme, la Chine va donc devenir un trou noir pour les services de renseignement anglophones, les Five Eyes de l’accord UKUSA et du système Echelon, et leurs associés israéliens et autres. Dans quelques années, il sera pratiquement impossible de pirater, espionner et attaquer le parc informatique chinois, qui sera beaucoup mieux sécurisé qu’aujourd’hui. Cet exemple chinois aura une forte capacité d’entraînement à l’internationale et fera des émules par effet domino en Asie et partout dans le monde. On comprend que cette émancipation chinoise de l’hégémonie numérique occidentale provoque un vent de panique de la Silicon Valley à Washington en passant par Tel-Aviv : c’est la fin du projet néoconservateur de domination mondiale. Ce qui ne veut pas dire que le gouvernement chinois va instaurer le paradis sur Terre, mais qu’il pourra certainement relâcher la surveillance de sa population quand les risques de déstabilisation de la Chine par des attaques extérieures et intérieures de cinquièmes colonnes pro-occidentales auront été jugulés.



R/ Les Français auront-ils le choix de refuser le traçage numérique ?



Pour le biopouvoir, il n’est pas prévu que nous ayons le choix. Comme beaucoup de gens, je vois les pièces du puzzle s’assembler depuis un certain temps, mais c’est l’affaire de Tarnac en 2008 qui a joué pour moi un rôle de catalyseur et m’a poussé à rédiger un texte que j’ai publié sous anonymat, Gouverner par le chaos – Ingénierie sociale et mondialisation.



J’exposais dans cet opuscule comment certaines forces politiques et économiques cherchaient à implémenter une dictature numérique au moyen d’une stratégie du choc qui pouvait être une épidémie, et je citais à l’appui de cette prospective un texte manifeste de 2004, le Livre Bleu, rédigé par le lobby du numérique en France, le GIXEL (devenu ACSIEL en 2013), dans lequel étaient exposés certains stratagèmes pour faire accepter dans l’opinion publique le développement de l’identité numérique. Dans le cadre de sa fondation ID-2020, Bill Gates élabore aussi un système d’identification numérique pour le monde entier et cherche à le vendre ainsi : à cause du coronavirus, il faut vacciner toute la planète, et nous devons tous recevoir un certificat numérique de vaccination. Plusieurs technologies de certificat numérique plus ou moins invasives sont à l’étude : dans votre Smartphone ; dans un bracelet électronique ; sur la peau sous forme de tatouage à points quantiques ; sous la peau sous forme de puces électroniques. Si finalement nous pouvons avoir le choix et échapper à ce sort, c’est parce que nous aurons remporté le rapport de forces pour dire "Non !" Tout est axé autour de la formule confinement/distanciation sociale/vaccination/surveillance électronique, dont il faut attaquer chaque point.



R/ Que nous réserve la suite des événements, selon vous ?



En fait, il faut se poser la question : comment vais-je peser sur la suite des événements ? Il faut sortir du rôle de spectateur ou d’analyste des événements, il faut créer les événements. Le biopouvoir mondialiste a de gros moyens financiers pour créer des événements au niveau international, impacter le réel et écrire l’Histoire. Il possède des millions, donc, en face, nous devons être des millions.



Nous n’avons pas le capital économique, mais nous avons le capital humain. Pour créer l’événement, impacter le réel et écrire l’Histoire contre le biopouvoir, pour faire dérailler son programme, il faut se poser deux questions concrètes : comment gagner la bataille de l’opinion publique et comment organiser les masses politiquement ?



La bataille de l’opinion publique se gagne en se formant aux méthodes de communication stratégique et d’ingénierie sociale, rhétorique et retournement de l’opinion (spin), dans le réel ou sur les réseaux sociaux, du moins tant que c’est possible, car la prochaine crise devrait être cyber et toucher Internet, comme l’a annoncé Alain Bauer. Cette grande crise cybernétique et numérique, d’ampleur géopolitique et déclenchée par un virus informatique qui provoquerait le "bug du siècle", permettra au pouvoir de couper Internet au moins partiellement, et surtout de mettre fin à la réinformation indépendante avec un bon prétexte. C’est le programme du Grand Confinement, par l’addition du confinement physique et du confinement mental – cognitif et informationnel.



Le but ultime est d’abolir toute auto-organisation du peuple, donc toute autonomie dans l’organisation horizontale de la société. Pour cela, il faut d’abord couper les gens physiquement les uns des autres dans le réel, par le confinement physique, la distanciation sociale, le télétravail, et tenter de pérenniser ce nouvel ordre social en annonçant que "plus rien ne sera comme avant", comme on nous le martèle depuis des semaines. Puis, dans un deuxième temps, au prétexte d’une crise numérique globale, le pouvoir coupera les gens les uns des autres dans le virtuel aussi, avec un Internet en mode dégradé, limité au télétravail et à quelques messageries et portails inoffensifs, usages qui seront malgré tout conservés, ce qui sera présenté comme une victoire. Il faut essayer d’imaginer l’enfer que serait un confinement physique sans Internet, c’est-à-dire sans aucun accès à la réinformation, sans aucune possibilité de comprendre ce qui se passe car nous serions enfermés physiquement à domicile, ou dans un périmètre limité, et enfermés mentalement dans la narration exclusive du pouvoir, dans une seule version des événements. Dans d’autres publications, j’ai baptisé cette fabrique de l’aliénation mentale "reality-building", car elle repose sur le principe de l’hypnose : la parole de l’hypnotiseur devient la réalité de l’hypnotisé. 



Comment cela est-il possible ? Parce que l’hypnotisé, qui n’est pas forcément endormi, n’a pas d’autre source d’information que la parole de l’hypnotiseur. Avant d’en arriver là, avant qu’il ne soit trop tard, il y a urgence à gagner le combat politique, ce qui signifie prendre le pouvoir, et ne pas se contenter des contre-pouvoirs, dans la rue ou sur Internet, qui risquent fort de devenir impraticables de toute façon. Prendre le pouvoir signifie être en capacité de se faire obéir par les forces de l’ordre. L’activité métapolitique n’est donc pas suffisante, il faut investir aussi le champ politique du pouvoir légal. Les forces de l’ordre, qui ont une capacité de contrainte sur votre corps et votre esprit, n’obéissent pas à la métapolitique mais au gouvernement et à ses représentants locaux, c’est-à-dire à l’État. Il faut donc reprendre le contrôle de l’État si nous voulons sortir de l’impuissance à laquelle la métapolitique nous limite. Ceci suppose d’organiser les masses de manière structurée dans une perspective de conquête du pouvoir, ce qui suppose à son tour, et inévitablement, de jouer le jeu quelque peu ingrat de la politique politicienne et des organisations politiques de masse.

Auteur: Cerise Lucien

Info: Sur rebellion-sre.fr, 6 mai 2020

[ géopolitique ] [ anti-mondialisme ] [ manipulation des masses ]

 
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littérature

Les 19 lois du bon polar, selon Borges.

Le grand écrivain argentin s'était amusé à codifier la narration policière. En partenariat avec le magazine BoOks.

Dans son article "Lois de la narration policière" (1), de 1933, Jorge Luis Borges propose quelques règles élémentaires, ou "commandements", pour le récit policier classique. Ces conventions, comme il le remarque avec esprit, "ne visent pas à éluder les difficultés, mais plutôt à les imposer". Borges énonce explicitement les six règles suivantes:

1 : Une limite facultative de ses personnages

Les personnages doivent être peu nombreux et bien définis, de façon que lecteur puisse les connaître et les distinguer. "La téméraire infraction à cette loi est responsable de la confusion et de l'ennui fastidieux de tous les films policiers."

2 : Exposition de toutes les données du problème

On doit mettre toutes les cartes sur la table, sans as sortis de la manche à la dernière minute. À partir d'un certain point, le lecteur devra disposer de toutes les pistes nécessaires pour trouver lui-même la solution. "L'infraction répétée de cette deuxième loi est le défaut préféré de Conan Doyle. Il s'agit parfois de quelques imperceptibles particules de cendre, ramassées dans le dos du lecteur par ce privilégié d'Holmes. Parfois l'escamotage est plus grave. Il s'agit du coupable, terriblement démasqué au dernier moment, qui s'avère être un inconnu : une insipide et maladroite interpolation."

3 : Avare économie de moyens

Qu'un personnage se dédouble, on peut l'admettre, dit Borges. Mais que deux individus en contrefassent un troisième pour lui conférer un don d'ubiquité "court le risque incontestable de paraître une surcharge". La solution doit être la plus claire et nette possible, sans lourdeurs techniques, artifices improbables ou déploiements accablants de mouvements et de détails. La solution doit aussi pouvoir se déduire des ressources déjà mises en jeu, comme réorganisation des éléments connus.

4 : Primauté du comment sur le qui

Le véritable mystère d'un bon whodunit(2) n'est pas le nom de celui qui a commis le crime, mais ce que sera le nouvel ordre logique, plus subtil, la vérité souterraine qui éclaire le récit d'un nouveau jour.

5 : Pudeur de la mort

À la différence des thrillers du cinéma contemporain, où l'imagination cherche à concevoir des crimes de plus en plus sanglants et des cadavres de plus en plus choquants, dans le récit policier classique, la mort est comme une ouverture au jeu d'échecs et n'a pas en soi beaucoup d'importance. "Les pompes de la mort n'ont pas leur place dans la narration policière dont les muses glaciales sont l'hygiène, l'imposture et l'ordre", écrit Borges.

On trouve une transgression exemplaire de cette loi dans "le Noël d'Hercule Poirot"(3), d'Agatha Christie. Ce roman, comme on le comprend dans la dédicace, est conçu comme un défi, son beau-frère lui ayant reproché d'éviter le sang dans ses crimes. "Vous y déploriez que mes meurtres deviennent trop épurés - exsangues, pour parler net. Vous y réclamiez un de ces bons vieux meurtres bien saignants. Un meurtre qui, sans l'ombre d'un doute, en soit bien un." Le plus remarquable est peut-être que, dans ce crime esthétiquement opposé aux précédents, Agatha Christie reste elle-même: le cri terrifiant, la scène brutale du meurtre, le sang abondamment répandu sont des clés de l'élucidation finale.

6 : Nécessité et merveilleux dans la solution

"La première implique que le problème soit un problème précis susceptible d'une seule réponse, l'autre requiert que cette réponse puisse émerveiller le lecteur." Cette sensation de merveilleux, précise Borges, ne doit pas faire appel au surnaturel. La solution d'une énigme policière doit être comme la démonstration d'un théorème complexe: difficile à imaginer à partir des prémisses, mais dont la nécessité s'impose par la rigueur d'une explication parfaitement logique. En plus de ces six axiomes déclarés, Borges en postule indirectement certains autres dans son article: Le véritable récit policier repousse - ai-je besoin de le préciser - avec le même dédain les risques physiques et la justice distributive. Il fait abstraction, avec sérénité, des cachots, des escaliers secrets, des remords, de la voltige, des barbes postiches, de l'escrime, des chauves-souris, de Charles Baudelaire et même du hasard. Il découle de ce passage trois règles supplémentaires :

7 : Dédain des risques physiques

Dans ce dédain des risques physiques réside l'une des principales différences avec le roman noir ou le thriller cinématographique. Borges observe que, dans les premiers exemples du genre, "l'histoire se limite à la discussion et à la résolution abstraite d'un crime, parfois à cent lieues de l'événement ou bien éloignée dans le temps". Isidro Parodi, le détective qu'il imagina avec Bioy Casares, résout les énigmes alors qu'il est enfermé dans une prison. Dans les aventures de Sherlock Holmes comme dans celles d'Hercule Poirot, la vie du détective est parfois en danger imminent, mais ces risques sont éphémères et ne constituent jamais la matière narrative principale, sauf peut-être dans leurs dernières enquêtes. C. Auguste Dupin, la vieille Miss Marple, le père Brown et Perry Mason(4) sont tous des exemples de détectives à l'abri des risques physiques.

8 : Renoncement aux considérations ou jugements moraux

Sur la question de la "justice distributive", "la Huella del crimen" de Raúl Waleis, premier roman policier argentin (il date de 1877 et a été récemment réédité - (5)), avait l'intention déclarée de favoriser une nouvelle législation, à travers l'exposé d'une affaire mettant en évidence une faille dans la justice: "Le droit est la source où je puiserai mes arguments. Les mauvaises lois doivent être dénoncées pour les effets que produit leur application. Je crée le drame auquel j'applique la loi en vigueur. Ses conséquences fatales prouveront la nécessité de la réformer. " Les enquêtes de Perry Mason et les récits de Chesterton témoignaient peut-être d'un certain attachement aux canons de la justice et aux considérations morales sur les innocents et les coupables.

9 : Rejet du hasard

À cet égard, citons les intéressantes réflexions de Patricia Highsmith, qui ne craint pas de mettre à l'épreuve la crédulité du lecteur: " J'aime beaucoup qu'il y ait dans l'intrigue des coïncidences et des situations presque (mais pas entièrement) incroyables comme par exemple le plan audacieux qu'un homme propose à un autre qu'il connaît depuis deux heures à peine dans "L'Inconnu du Nord-Express". [...] L'idéal est que les événements prennent une tournure inattendue, en gardant une certaine consonance avec le caractère des personnages. La crédulité du lecteur, son sens de la logique - qui est très élastique -, peut être étirée au maximum, mais il ne faut pas la rompre " ("L'Art du suspense" (6), chap. 5). Le hasard peut survenir dans la narration comme ellipse, tout comme, dans les comédies, on accepte qu'une porte s'ouvre pour laisser sortir un personnage et qu'un autre apparaisse aussitôt. Ou comme le catalyseur d'une circonstance propice à l'accomplissement d'un crime quand le mobile n'est pas très affirmé. C'est ce qui arrive, par exemple, avec l'apparition d'un parent éloigné, dans "Paiement différé" (7) de Cecil Scott Forester. En revanche, le hasard ne devrait pas jouer un rôle décisif dans l'explication finale. À noter que, dans la nouvelle de Borges "la Mort et la Boussole", c'est un accident fortuit, une mort inattendue, qui donne à l'assassin l'idée de la série de meurtres qu'il va commettre. D'autres règles peuvent encore être tirées de l'article de Borges :

10 : Méfiance ou rejet des procédures de l'investigation policière

"Les démarches quotidiennes des investigations policières - empreintes digitales, torture et délation - sembleraient ici des solécismes." L'enquête policière appartient à l'ordre prosaïque des faits et du bon sens. C'est ce qui établit la différence entre le plan de l'enquête officielle de la justice et l'enquête parallèle, de l'ordre de la fiction - à l'écart des critères et des paramètres usuels -, que mène le détective. Dans "la Mort et la Boussole", ironiquement, le policier et le détective ont tous deux raison, mais chacun à sa manière.

11 : L'assassin doit appartenir à la distribution initiale des personnages

"Dans les récits honnêtes, écrit Borges, le criminel est l'une des personnes qui figurent dès le début."

12 : La solution doit éviter le recours au surnaturel, qui ne peut être invoqué que comme une conjecture transitoire à écarter

La réponse doit émerveiller le lecteur "sans faire appel bien sûr au surnaturel, dont l'usage dans ce genre de fiction est un alanguissement et une félonie. Chesterton réalise toujours le tour de force de proposer une explication surnaturelle et de la remplacer ensuite, sans perdre au change, par une autre, toute naturelle."

13 : La solution ne peut comporter des éléments inconnus du lecteur

"Sont également prohibés [...] les élixirs d'origine inconnue." Voici donc les règles énoncées par Borges dans son article. Nous pourrions en rajouter quelques autres :

14 : Omission de la vie privée du détective et de ses aventures sentimentales ou sexuelles

Règle enfreinte dans tous les films policiers, où immanquablement l'enquêteur divorce, mène une existence malheureuse et a une liaison avec l'actrice principale.

15 : Dans le cas d'un double ou triple dénouement, il doit y avoir une progression, chaque fin surpassant la précédente en ingéniosité et en rigueur

Comme dans la règle des trois adjectifs que mentionne Proust à propos des salons de la bonne société française, le troisième est tenu de surpasser les deux premiers.

16 : Le meurtrier ne peut être le majordome (à moins d'être dans un congrès de majordomes)

L'assassin ne peut être un personnage trop secondaire, maintenu en permanence caché, comme une carte que l'on garde pour la fin.

17 : L'assassin ne peut être l'immigré ou le fanatique religieux ou le suspect d'extrémisme politique

Règle toujours soigneusement respectée par Agatha Christie. Les mobiles du meurtre doivent être intimes et le meurtrier doit appartenir au noyau dur de l'histoire. Cette règle est négligée de manière particulièrement décevante dans "Meurtriers sans visage", de Henning Mankell.

18 : L'assassin ne doit pas être le narrateur

Règle admirablement transgressée par Agatha Christie dans "le Meurtre de Roger Ackroyd" et, de manière plus prévisible, par Tchekhov dans "la Confession".

19 : L'assassin ne doit pas être l'enquêteur

Règle non respectée par Agatha Christie dans "le Noël d'Hercule Poirot" et par Juan José Saer dans "l'Enquête". Pourrait-on encore allonger cette liste ? Assurément. Mais cela créerait peut-être une fausse illusion, l'illusion que le genre peut être circonscrit et réduit à un formalisme d'axiomes, à une liste de règles et de procédés. Une illusion symétrique et tout aussi erronée - bien que prisée dans les tables rondes, car elle permet la pose iconoclaste et les métaphores guerrières - veut que le genre doit être dynamité, qu'il faut faire voler en éclats toutes les règles, que les lois sont faites pour être violées. Quiconque s'y est essayé sait en tout cas qu'il est difficile, sinon impossible, de se défaire de toutes à la fois, et qu'il y a dans le genre policier une tension extraordinaire entre ce qui a déjà été dit, entre la rhétorique accumulée dans des milliers de romans, et ce qui reste encore à dire, à la limite des règles. Les lois sont, en ce sens, comme une barrière que l'astuce et la créativité doivent franchir. Dans une des très rares occasions où Borges conçoit un projet de roman (dans l'article "è vero, ma non troppo", paru en 1938 dans la revue "El Hogar") ce n'est pas un hasard s'il choisit, entre tous les genres littéraires, le roman policier. Le sien serait, dit-il, "un peu hétérodoxe". Et il souligne que c'est là un point important, car "le genre policier, comme tous les genres, vit de l'incessante et délicate infraction à ses lois". Oui, la délicate infraction à ses lois.

Auteur: Martinez Guillermo

Info: Texte paru dans le quotidien argentin La Nación, le 15 août 2009, traduit de l'espagnol par François Gaudry

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affrontement racial

J'ai juste eu le temps de percevoir un rai brutal de lumière, un bruit de rires bizarres, une espèce d'exclamation rauque. Je suis devant la vitre, médusé. Des rideaux dissimulent tout l'intérieur, mais laissent passer une lueur assez forte. Je distingue contre la porte, à droite, un écriteau de bois : "A la ville d'Oran, café-hôtel. Chambres au mois et à la journée." Un bouge à sidis. Elle est là-dedans. Je suis interdit, épouvanté. Mais ma main est déjà sur la poignée. Ce qui m'a poussé (je crois pouvoir le dire, maintenant, après coup) c'est un dernier sentiment d'incrédulité, le refus d'admettre qu'une telle chose soit possible. J'ouvre la porte avec décision. Je fais deux pas. C'est bien un bistrot à sidis, pareil du reste à tous les bistrots de faubourg, assez exigu, éclairé très crûment. Mes yeux vont aussitôt à la petite. Elle est bien là, elle se tourne vers moi. Tout le monde me regarde. Ce sont des Bicots. Je vois des gueules bistrées, des tignasses crépues, des nez en bec d'aigle. Ils sont presque tous debout, autour du zinc qui reluit, ils doivent être sept ou huit. J'en repère deux, trois, à chapeaux mous, complets prétentieux ; un autre, en noir, de mine assez noble, peut-être. Au bout du groupe, il y a un gros type assis d'une trentaine d'années, frisottant, le mieux habillé, en bleu marine. J'aperçois un képi de sous-officier de tirailleurs, et dessous une tête maigre de Sarrasin, belle, ma foi ! Je vois aussi une seconde fille, près du type en bleu, un peu plus grande que l'autre, vingt-quatre ou vingt-cinq ans, mince, bien faite, semble t-il, mise avec simplicité, sans mauvais goût. C'est sur elle peut-être que mon regard s'arrête avec le plus de stupeur. Elle est d'une décence de silhouette invraisemblable dans un tel lieu. Et avec cela, des mèches de cheveux désordonnées, les pupilles agrandies et égarées, sa blouse claire dépoitraillée sur le creux de deux seins palpitants.

- Qu'y c'qu'y c'est ?

Un affreux asticot, debout, derrière le zinc, m'interpelle aigrement. Le tenancier sans doute.

J'articule d'une voix aussi naturelle que possible :

- Je désirerais boire un verre.

J'ai les yeux vissés sur la petite. C'est pourtant bien elle, son chapeau, ses boucles, sa petite jupe plissée, ses yeux clairs et rieurs. Je distingue vaguement une autre salle, au fond, plus grande, avec des festons de bois découpés à la morisque.

L'asticot a demandé je ne sais quoi, en arabe, à un des macaques. Il aboie, à mon adresse :

- Pas di verr. Ci fermé ici.

Je vois sur moi les yeux féroces et perçants de tous ces coquins. Je suis sans armes, dans ce coupe-gorge. Je me tourne d'instinct vers l'individu en bleu, le plus civilisé, apparemment, de la bande. C'est un Levantin de je ne sais quel Levant, déjà empâté, très infatué. Ce pourrait être un de ces "étudiants" qu'on voit au quartier autour des restaurants orientaux. Etudiant, barbeau, trafiquant de je ne sais quoi, le tout à la fois, sans doute. Il y a des raies rosâtres, trop larges, sur son complet bien coupé. Il s'est levé nonchalamment, il me toise avec une mine supérieure. Il laisse tomber trois ou quatre mots d'arabe qui font éclater tous les macaques d'un rire énorme. je vois ces gueules de pirates fendues, leurs grandes dents jaunes. Ils se foutent de moi devant la petite. Je dois pâlir brusquement : la colère, en même temps que la peur, mais la colère plus forte que la peur. Je les dévisage, j'arrête mon regard sur les deux filles :

- Il me semble que ce n'est pas fermé pour tout le monde...

Un hurlement de toute la bicaillerie. Je suis en un instant encerclé. La figure du sous-off est à trois pouces de la mienne. J'enregistre machinalement qu'il a quatre rubans à sa tunique.

Il me saisit le bras :

- Allez, dehors !

La petite lève la main :

- Non ! c'est un amoureux. Il me suit depuis le boulevard des Belges.

- Suivi ? Mouche ! Poulice ! Kha Poulice...

Ils glapissent à plein gosier. Je suis happé par dix pattes terribles : "mais non de Dieu ! écoutez-moi !" J'essaie d'atteindre mon portefeuille pour brandir ma carte d'étudiant. Une main lève une bouteille, un couteau jaillit. Ils ont dû croire que j'allais sortir un feu. Ce sont eux qui m'arrachent le portefeuille. J'ai les poignets immobilisés, je m'accroche où je peux avec les ongles. Ils me traînent jusqu'à la porte, j'encaisse trois ou quatre coups de poings. Je suis précipité dans les ténèbres extérieures, mes papiers lancés sur le sol, à demi déshabillé, ma chemise déchirée. Je tremble de la tête aux pieds. Les salauds m'ont attient à la mâchoire, derrière l'oreille. Une grande bordée de leur affreux rire. La porte se referme brusquement derrière moi.

Je fais une quarantaine de mètres en flageolant. Je reprends haleine, je me rajuste et me remets un peu. Je suis encore tout tremblotant de rage et de trouille : "Je vais chercher les flics !" Je voudrais me ruer avec une troupe en armes à l'assaut de cet effroyable repaire... Mais depuis quand ai-je recours aux flics ? D'ailleurs, que leur dirais-je ? Je m'en tire en somme à bon compte. Tout seul parmi parmi ces sauvages, aux poches pleines de rasoirs, de surins, de revolvers. Ma carte les aura rassurés ! Ils m'ont évacué par mépris. Toute récidive de ma part serait folle. Au reste, du coin de la place où je me suis embusqué, je vois l'asticot ouvrir la porte, accrocher un volet de bois, rentrer par-dessous. Le bouge est bouclée, barricadé. Je n'ai plus rien à faire ici.

Mais la petite est derrière cette porte, derrière ces fenêtres. Il y a cinq fenêtres au moins qui sont éclairées, aux deux étages plus voilées que celles du bas, tout à fait louches. Quinze ans. Cette petite perfection. Et elle traverse tout Lyon pour venir se faire mettre, pour venir se faire bitter dans cet immonde claque... Le petit ange aux cils innocents... La petite gaupe, oui ! ... Gaupette : voilà son nom.

Ses parents sont sortis, pour toute la nuit, peut-être. Elle a couru chez elle pour s'en assurer, se donner l'alibi de les embrasser. Ah ! sur le chapitre de la rouerie... Et puis elle s'envole ; ça la tient. Et moi qui l'imaginais déjà en tournée de charité ! Toujours conjecturer le vice plutôt que la vertu. Mais à ce point-là ! Quel roman noir, quel tréfonds ! mais comment expliquer le début ? Dans quelles pattes a-t-elle pu tomber ? Y revenir toute seule ! Une entremise de cette autre fille ?... Celle-là aussi, quelle apparition ! Ce tailleur de chaste et modeste petite bourgeoise. Et ces seins affolés ! Elle venait déjà de se faire branler en attendant l'autre ? Sa moule toute ouverte, pendant qu'elle me regardait, du jus plein le poil, jusqu'aux cuisses...

Mais elles sont là-dedans toutes les deux. Comment parvenir à penser ça ? Lequel de ces singes, avec Gaupette ? L'espèce d'étudiant ? Mais c'était lui, quand je suis entré, qui avait l'air de tenir l'autre fille.

La bagarre m'a fait débander un moment. Mais mes images, mes convoitises ont été trop violentes, à la fin de cette poursuite, dans ces rues noires. Je suis repris par cette excitation furibonde. Je ne peux plus m'en aller. L'autre fille a amené Gaupette. Elle l'a sans doute branlée, gougnottée avant. Le gros métèque se les farcit toutes les deux. Il a déjà du déculotter Gaupette. Ses pattes sur la petite jupe plissée, la petite culotte blanche, chaude, les deux cuisses roses, déjà femelles, le petit derrière. Le petit con doré. Le métèque l'enfile, pendant que l'autre fille s'astique, ou qu'un des sidis la tronche, le rempilé peut-être sur Gaupette. Ce n'est pas une invention répugnante de ma cervelle, c'est la vérité exacte. Ces bougres en rut perpétuel, montés comme des ânes. Son con de petite fille avec ces manches-là dedans ! C'est horrible, c'est ignoble. Et pourtant plus c'est ignoble et plus ça me chauffe, m'incendie. On comprend que dans de telles passes, s'il n'y avait pas les mécanismes et les habitudes de la civilisation, on se mettrait à bramer, à hurler au con. Je suis un moment sur le point de me taper un rassis, dans le noir, contre le mur d'une des baraques aveugles.

... Je suis là depuis plus d'une heure, sur cette espèce de carrefour d'assassinat, totalement sourd et désert, dans cette nuit crapuleuse. La petite Gaupette est en train de forniquer, de s'en faire mettre plein le vagin. Elle est sous zob !

Mais je peux l'avoir, moi aussi, je peux me l'envoyer. Elle ne demande que ça ! Elle ne pensait qu'à ça, pendant toute ma chasse, dans le tramway. Et je n'osais pas lui murmurer un "bonsoir"! Elle pensait que j'allais être de la partouze. Elle m'y emmenait. Ça lui allait bien ! elle n'a probablement jamais fait ça de sa vie avec un garçon européen, ça devait l'exciter. Elle a essayé de me tirer du pétrin. Si elle n'avait pas fait cette gaffe : "Il me suit depuis les Brotteaux! " Elle aurait seulement dit "je le connais, c'est un camarade !", je restais. Elle avait envie de moi. En ce moment, je la baiserais, je me frotterais à son ventre, à son poil, à ses fesses, j'aurais ma queue entre ses cuisses.

La porte s'ouvre derrière le volet de bois. Un couple sort, en se baissant. J'aperçois une grosse garce en cheveux, avec un grand bougre. Je m'approche, je ne sais pourquoi, comme si je pouvais leur demander de me réintroduire. Je vois les traits de l'homme, aussi barbares que ceux des sidis. Mais celui-là paraît avoir l'accent espagnol. La femme, elle, est Lyonnaise. Je suis à quatre ou cinq pas d'eux. L'"Espagnol" se retourne, me voit, i la l'air encore plus féroce que les Bics. Je ralentis, je les laisse filer. A la lueur de l'unique bec de gaz du coin, je devine le monumental pétard sur lequel chaloupe la pouffiasse, un gros cul qui vient de s'évaser, de s'enfoutrer, pendant que derrière la cloison, Gaupette...

Oh ! je la veux moi aussi ! Pourquoi les Bics m'ont-ils chassé ? Je ne leur voulais aucun mal. Je suis un salopard, comme eux. Si j'essayais d'entrer de nouveau, de leur expliquer ? Je vais frapper au volet, quelques petits coups, puis plus fort. Il semble que le bistrot soit vide. On ne répond pas, ça ne bouge pas. Je n’ose pas appeler.

Je commence à avoir froid. Mais je n’arrive pas à quitter la place. Gaupette ne couchera tout de même pas là. Si les deux filles sortent seules, je les aborde au coin de la rue. J’attendrai leur sortie, le temps qu’il faut.

Mais personne ne sort plus de ce borgnard. Tout est éteint en bas ; aux étages, il n’y a plus que deux fenêtres vaguement éclairées. Je n’y comprends plus rien. Je m’avise enfin, en contournant les bicoques voisines, d’aller jeter un coup d’œil cinq ou six mètres de la bâtisses, fermant sans doute une sorte de cour. Il y a une porte dans ce mur. En face, une ruelle, toute droite, bordée d’entrepôts noirs, conduit à une espèce de boulevard mieux éclairé que le reste de ce lugubre quartier. Elles ont pu s’en aller par là. Ce doit être la sortie des initiés. A moins qu’elles ne couchent ici. Serait-ce plus incroyable que le reste.

Je suis là depuis près de trois heures, et il en est bientôt onze. Je suis transi, écœuré, furieux. Je n’ai plus qu’à rentrer chez moi. Mais je me perds dans ces "chemins", ces rues inconnues, cet effrayant faubourg où il semble que je sois seul vivant. J’aperçois enfin un taxi. Tant pis pour la dépense.

Auteur: Rebatet Lucien

Info: les deux étendards (1952, 1312 p., Gallimard) p. 722-727

[ vulgarité ] [ laideur ] [ hostilité étrangère ] [ agressivité allogène ] [ fantasme ] [ sexe ] [ baston ] [ tabassage ]

 
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homme-machine

Un pas de géant pour une machine à jouer aux échecs

Le succès stupéfiant d’AlphaZero, un algorithme d’apprentissage profond, annonce une nouvelle ère de la compréhension – une ère qui, en ce qui concerne les humains, qui pourrait ne pas durer longtemps. Début décembre, des chercheurs de DeepMind, la société d’intelligence artificielle appartenant à la société mère de Google, Alphabet Inc. ont diffusé une dépêche depuis les zones avancées du monde des échecs.

Un an plus tôt, le 5 décembre 2017, l’équipe avait stupéfié ce monde des échecs en annonçant AlphaZero, un algorithme d’apprentissage machine qui maîtrisait non seulement les échecs mais aussi le shogi, ou échecs japonais, et le Go. L’algorithme a commencé sans aucune connaissance des jeux hormis leurs règles de base. Il a ensuite joué contre lui-même des millions de fois et a appris par essais et erreurs. Il a suffi de quelques heures pour que l’algorithme devienne le meilleur joueur, humain ou ordinateur, que le monde ait jamais vu.

Les détails des capacités d’AlphaZero et de son fonctionnement interne ont maintenant été officiellement examinés par des pairs et publiés dans la revue Science ce mois-ci. Le nouvel article aborde plusieurs critiques graves à l’égard de l’allégation initiale (entre autres choses, il était difficile de dire si AlphaZero jouait l’adversaire qu’il s’était choisi, une entité computationnelle nommée Stockfish, en toute équité). Considérez que ces soucis sont maintenant dissipés. AlphaZero ne s’est pas amélioré davantage au cours des douze derniers mois, mais la preuve de sa supériorité s’est bien renforcée. Il fait clairement montre d’un type d’intellect que les humains n’ont jamais vue auparavant, et que nous allons avoir à méditer encore longtemps.

Les échecs par ordinateur ont fait beaucoup de chemin au cours des vingt dernières années. En 1997, le programme de jeu d’échecs d’I.B.M., Deep Blue, a réussi à battre le champion du monde humain en titre, Garry Kasparov, dans un match en six parties. Rétrospectivement, il y avait peu de mystère dans cette réalisation. Deep Blue pouvait évaluer 200 millions de positions par seconde. Il ne s’est jamais senti fatigué, n’a jamais fait d’erreur de calcul et n’a jamais oublié ce qu’il pensait un instant auparavant.

Pour le meilleur et pour le pire, il a joué comme une machine, brutalement et matériellement. Il pouvait dépasser M. Kasparov par le calcul, mais il ne pouvait pas le dépasser sur le plan de la pensée elle-même. Dans la première partie de leur match, Deep Blue a accepté avec avidité le sacrifice d’une tour par M. Kasparov pour un fou, mais a perdu la partie 16 coups plus tard. La génération actuelle des programmes d’échecs les plus forts du monde, tels que Stockfish et Komodo, joue toujours dans ce style inhumain. Ils aiment à capturer les pièces de l’adversaire. Ils ont une défense d’acier. Mais bien qu’ils soient beaucoup plus forts que n’importe quel joueur humain, ces "moteurs" d’échecs n’ont aucune réelle compréhension du jeu. Ils doivent être instruits explicitement pour ce qui touche aux principes de base des échecs. Ces principes, qui ont été raffinés au fil de décennies d’expérience de grands maîtres humains, sont programmés dans les moteurs comme des fonctions d’év

aluation complexes qui indiquent ce qu’il faut rechercher dans une position et ce qu’il faut éviter : comment évaluer le degré de sécurité du roi, l’activité des pièces, la structure dessinée par les pions, le contrôle du centre de l’échiquier, et plus encore, comment trouver le meilleur compromis entre tous ces facteurs. Les moteurs d’échecs d’aujourd’hui, inconscients de façon innée de ces principes, apparaissent comme des brutes : extrêmement rapides et forts, mais sans aucune perspicacité.

Tout cela a changé avec l’essor du machine-learning. En jouant contre lui-même et en mettant à jour son réseau neuronal au fil de son apprentissage, AlphaZero a découvert les principes des échecs par lui-même et est rapidement devenu le meilleur joueur connu. Non seulement il aurait pu facilement vaincre tous les maîtres humains les plus forts – il n’a même pas pris la peine d’essayer – mais il a écrasé Stockfish, le champion du monde d’échecs en titre par ordinateur. Dans un match de cent parties contre un moteur véritablement impressionnant, AlphaZero a remporté vingt-huit victoires et fait soixante-douze matchs nuls. Il n’a pas perdu une seule partie.

Le plus troublant, c’est qu’AlphaZero semblait être perspicace. Il a joué comme aucun ordinateur ne l’a jamais fait, intuitivement et magnifiquement, avec un style romantique et offensif. Il acceptait de sacrifier des pions et prenait des risques. Dans certaines parties, cela paralysait Stockfish et il s’est joué de lui. Lors de son attaque dans la partie n°10, AlphaZero a replacé sa reine dans le coin du plateau de jeu de son propre côté, loin du roi de Stockfish, pas là où une reine à l’offensive devrait normalement être placée.

Et cependant, cette retraite inattendue s’avéra venimeuse : peu importe comment Stockfish y répondait, ses tentatives étaient vouées à l’échec. C’était presque comme si AlphaZero attendait que Stockfish se rende compte, après des milliards de calculs intensifs bruts, à quel point sa position était vraiment désespérée, pour que la bête abandonne toute résistance et expire paisiblement, comme un taureau vaincu devant un matador. Les grands maîtres n’avaient jamais rien vu de tel. AlphaZero avait la finesse d’un virtuose et la puissance d’une machine. Il s’agissait du premier regard posé par l’humanité sur un nouveau type prodigieux d’intelligence.

Lorsque AlphaZero fut dévoilé pour la première fois, certains observateurs se sont plaints que Stockfish avait été lobotomisé en ne lui donnant pas accès à son livre des ouvertures mémorisées. Cette fois-ci, même avec son livre, il a encore été écrasé. Et quand AlphaZero s’est handicapé en donnant dix fois plus de temps à Stockfish qu’à lui pour réfléchir, il a quand même démoli la bête.

Ce qui est révélateur, c’est qu’AlphaZero a gagné en pensant plus intelligemment, pas plus vite ; il n’a examiné que 60 000 positions par seconde, contre 60 millions pour Stockfish. Il était plus avisé, sachant ce à quoi on devait penser et ce qu’on pouvait ignorer. En découvrant les principes des échecs par lui-même, AlphaZero a développé un style de jeu qui "reflète la vérité profonde" du jeu plutôt que "les priorités et les préjugés des programmeurs", a expliqué M. Kasparov dans un commentaire qui accompagne et introduit l’article dans Science.

La question est maintenant de savoir si l’apprentissage automatique peut aider les humains à découvrir des vérités similaires sur les choses qui nous tiennent vraiment à coeur : les grands problèmes non résolus de la science et de la médecine, comme le cancer et la conscience ; les énigmes du système immunitaire, les mystères du génome.

Les premiers signes sont encourageants. En août dernier, deux articles parus dans Nature Medicine ont exploré comment l’apprentissage automatique pouvait être appliqué au diagnostic médical. Dans l’un d’entre eux, des chercheurs de DeepMind se sont associés à des cliniciens du Moorfields Eye Hospital de Londres pour mettre au point un algorithme d’apprentissage profond qui pourrait classer un large éventail de pathologies de la rétine aussi précisément que le font les experts humains (l’ophtalmologie souffre en effet d’une grave pénurie d’experts à même d’interpréter les millions de scans ophtalmologiques effectués chaque année en vue d’un diagnostic ; des assistants numériques intelligents pourraient apporter une aide énorme).

L’autre article concernait un algorithme d’apprentissage machine qui décide si un tomodensitogramme (CT scan) d’un patient admis en urgence montre des signes d’un accident vasculaire cérébral (AVC), ou d’une hémorragie intracrânienne ou encore d’un autre événement neurologique critique. Pour les victimes d’AVC, chaque minute compte ; plus le traitement tarde, plus le résultat clinique se dégrade. (Les neurologistes ont ce sombre dicton: "time is brain"). Le nouvel algorithme a étiqueté ces diagnostics et d’autres diagnostics critiques avec une précision comparable à celle des experts humains – mais il l’a fait 150 fois plus rapidement. Un diagnostic plus rapide pourrait permettre aux cas les plus urgents d’être aiguillés plus tôt, avec une vérification par un radiologiste humain.

Ce qui est frustrant à propos de l’apprentissage machine, cependant, c’est que les algorithmes ne peuvent pas exprimer ce qu’ils pensent. Nous ne savons pas pourquoi ils marchent, donc nous ne savons pas si on peut leur faire confiance. AlphaZero donne l’impression d’avoir découvert quelques principes importants sur les échecs, mais il ne peut pas partager cette compréhension avec nous. Pas encore, en tout cas. En tant qu’êtres humains, nous voulons plus que des réponses. Nous voulons de la perspicacité. Voilà qui va créer à partir de maintenant une source de tension dans nos interactions avec ces ordinateurs.

De fait, en mathématiques, c’est une chose qui s’est déjà produite depuis des années. Considérez le problème mathématique du "théorème des quatre couleurs", qui défie de longue date les cerveaux des mathématiciens. Il énonce que, sous certaines contraintes raisonnables, toute carte de pays contigus puisse toujours être coloriée avec seulement quatre couleurs, en n’ayant jamais deux fois la même couleur pour des pays adjacents.

Bien que le théorème des quatre couleurs ait été prouvé en 1977 avec l’aide d’un ordinateur, aucun humain ne pouvait vérifier toutes les étapes de la démonstration. Depuis lors, la preuve a été validée et simplifiée, mais il y a encore des parties qui impliquent un calcul de force brute, du genre de celui employé par les ancêtres informatiques d’AlphaZero qui jouent aux échecs. Ce développement a gêné de nombreux mathématiciens. Ils n’avaient pas besoin d’être rassurés que le théorème des quatre couleurs était vrai ; ils le croyaient déjà. Ils voulaient comprendre pourquoi c’était vrai, et cette démonstration ne les y a pas aidés.

Mais imaginez un jour, peut-être dans un avenir pas si lointain, où AlphaZero aura évolué vers un algorithme de résolution de problèmes plus général ; appelez-le AlphaInfinity. Comme son ancêtre, il aurait une perspicacité suprême : il pourrait trouver de belles démonstrations, aussi élégantes que les parties d’échecs qu’AlphaZero jouait contre Stockfish. Et chaque démonstration révélerait pourquoi un théorème était vrai ; l’AlphaInfinity ne vous l’enfoncerait pas juste dans la tête avec une démonstration moche et ardue.

Pour les mathématiciens et les scientifiques humains, ce jour marquerait l’aube d’une nouvelle ère de perspicacité. Mais ça ne durera peut-être pas. Alors que les machines deviennent de plus en plus rapides et que les humains restent en place avec leurs neurones fonctionnant à des échelles de temps de quelques millisecondes, un autre jour viendra où nous ne pourrons plus suivre. L’aube de la perspicacité humaine peut rapidement se transformer en crépuscule.

Supposons qu’il existe des régularités ou des modèles plus profonds à découvrir – dans la façon dont les gènes sont régulés ou dont le cancer progresse ; dans l’orchestration du système immunitaire ; dans la danse des particules subatomiques. Et supposons que ces schémas puissent être prédits, mais seulement par une intelligence bien supérieure à la nôtre. Si AlphaInfinity pouvait les identifier et les comprendre, cela nous semblerait être un oracle.

Nous nous assiérions à ses pieds et écouterions attentivement. Nous ne comprendrions pas pourquoi l’oracle a toujours raison, mais nous pourrions vérifier ses calculs et ses prédictions par rapport aux expériences et aux observations, et confirmer ses révélations. La science, cette entreprise de l’homme qui le caractérise par-dessus tout, aurait réduit notre rôle à celui de spectateurs, bouches bées dans l’émerveillement et la confusion.

Peut-être qu’un jour, notre manque de perspicacité ne nous dérangerait plus. Après tout, AlphaInfinity pourrait guérir toutes nos maladies, résoudre tous nos problèmes scientifiques et faire arriver tous nos autres trains intellectuels à l’heure avec succès. Nous nous sommes assez bien débrouillés sans trop de perspicacité pendant les quelque 300.000 premières années de notre existence en tant qu’Homo sapiens. Et nous ne manquerons pas de mémoire : nous nous souviendrons avec fierté de l’âge d’or de la perspicacité humaine, cet intermède glorieux, long de quelques milliers d’années, entre un passé où nous ne pouvions rien appréhender et un avenir où nous ne pourrons rien comprendre.

Auteur: Strogatz Steven

Info: Infinite Powers : How Calculus Reveals the Secrets of the Universe, dont cet essai est adapté sur le blog de Jorion

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addiction

Elle étudie la façon dont la toxicomanie interfère avec l'apprentissage dans le cerveau

Erin Calipari cherche à comprendre comment des drogues comme les opioïdes et la cocaïne modifient les circuits d'apprentissage et la neurochimie dans l'un des épicentres nationaux des troubles liés à la consommation de substances psychoactives et de la toxicomanie.

(Photo : La dopamine est mieux comprise comme une molécule " d’apprentissage " que comme une molécule de " plaisir ", déclare Erin. "Tout le monde doit avoir un neuromodulateur préféré dans le cerveau, et pour moi c'est la dopamine.")

À quoi ressemble l’apprentissage dans le cerveau et comment les drogues interfèrent-elles avec cela ?

Notre cerveau est programmé pour nous aider à voir les choses qui sont importantes et à y réagir. Cela détermine si nous devons refaire quelque chose ou non. Devons-nous déménager ou rester ? Est-ce bon ou mauvais? Est-ce quelque chose auquel je dois faire attention ?

Les drogues convainquent notre cerveau : " Oui, c’est important. C’est quelque chose que nous devons refaire. Les drogues déterminent non seulement les décisions concernant la drogue elle-même, mais également les décisions concernant les stimuli non médicamenteux présents dans notre environnement. Elles modifient la façon dont nous apprenons.

Comment ça marche au niveau moléculaire ?

Les médicaments comme les opioïdes agissent sur la dopamine. La plupart des gens considèrent la dopamine comme une " molécule du plaisir ", mais ce n’est pas tout. Oui, la dopamine est libérée par des stimuli enrichissants comme le chocolat ou le sucre. Mais Elle est également libérée par des stimuli aversifs comme le stress ou la douleur. Elle se déclenche lorsque les choses sont nouvelles ou différentes, qu'elles soient bonnes ou mauvaises. Et de cette façon, la dopamine est essentielle pour vous aider à apprendre.

Les drogues continuent essentiellement à stimuler la dopamine même lorsque les choses ne sont plus nouvelles ou différentes. Le cerveau continue de penser que quelque chose est important, vous signalant ainsi de continuer à y prêter attention. Mais si les drogues augmentent la dopamine sur le moment, leur consommation à long terme la diminue. Ainsi, avec la consommation croissante de drogues, il y a de moins en moins de dopamine dans le cerveau, ce qui signifie que vous avez du mal à apprendre quelque chose de nouveau.

La dopamine doit-elle être redéfinie comme une molécule " d’apprentissage " plutôt que comme une molécule de " plaisir " ?

Oui. Comprendre la dopamine en tant que molécule qui détermine l’efficacité de notre apprentissage est beaucoup plus précis.

Comment étudiez-vous ce système compliqué ?

Dans mon laboratoire, nous utilisons différentes stratégies pour enregistrer et manipuler différentes cellules du cerveau afin d’essayer de déterminer quelles cellules et quels circuits nous aident à prendre des décisions adaptatives. Et puis, une fois que nous avons identifié ces circuits, nous y allons et disons : Comment l'exposition aux drogues change-t-elle le fonctionnement du système ? Nous effectuons ce travail au niveau physiologique et épigénétique. L’objectif est de comprendre la biologie fondamentale – comment les médicaments détournent les circuits – et ensuite de déterminer si nous pouvons inverser le processus. Nous pouvons utiliser les outils CRISPR*, par exemple, pour inverser une partie de la plasticité de cellules cérébrales spécifiques.

Comprendre le fonctionnement de la dopamine peut-il éventuellement nous aider à développer des traitements contre la dépendance ?

Comprendre ce que fait la dopamine pour aider le cerveau à apprendre est vraiment important. Mais ce sera très difficile à cibler. Vous ne pouvez pas simplement bloquer la dopamine : si vous le faites, les gens ne pourront plus bouger, ils ne pourront plus prêter attention à quoi que ce soit. De nombreux travaux sont en cours sur différentes manières d'affiner le système dopaminergique au lieu de simplement l'activer ou le désactiver. Je pense que c'est ce que nous allons devoir faire.

Qu'est-ce que ça fait de travailler en tant que chercheur en toxicomanie dans l'un des épicentres de la toxicomanie ?

Nashville est mauvais. Au plus fort de l’épidémie d’opioïdes, le Tennessee avait l’un des taux de prescriptions d’opioïdes les plus élevés. Ces dernières années, ce chiffre a diminué, mais pas le problème des opioïdes. Et il ne s’agit pas uniquement d’opioïdes pour nous ; la méthamphétamine est également un problème important. Vanderbilt se trouve donc dans cet espace unique en tant que l’un des plus grands hôpitaux de recherche de la région, au cœur des troubles liés à l’usage de ces substances.

Parfois, il est épuisant de ne pas pouvoir résoudre sa dépendance. C'est écrasant dans un sens pas sympa. Parfois, c'est triste de parler à des personnes qui souffrent de troubles liés à l'usage de substances, et je ne sais pas comment les aider. Elles me posent des questions, mais si je suis experte des changements neurobiologiques spécifiques qui se produisent il m’est difficile de comprendre l’impact de ce trouble sur la vie quotidienne d’un individu puisque je ne l’ai pas vécu personnellement.

Sommes-nous sur le point de comprendre et, à terme, de trouver un remède à la dépendance ?

Guérir de la dépendance est difficile car la dépendance n’est pas une maladie uniforme. Certaines personnes souffrant de dépendance souffrent de troubles comorbides comme l’anxiété et la dépression. Certaines personnes prennent des drogues pour éviter la douleur. Certaines personnes ont un comportement compulsif, d’autres non.

Il sera essentiel de comprendre ce qui est similaire et différent dans le cerveau des individus présentant chacun de ces symptômes uniques pour comprendre comment aborder le traitement en premier lieu. Dans mon laboratoire, par exemple, nous étudions les différences entre les hommes et les femmes.

Qu'avez-vous découvert ?

Lorsque l’on examine les raisons pour lesquelles les gens consomment de la drogue, les femmes sont plus susceptibles de déclarer qu’elles en prennent pour éviter ou échapper à des conséquences négatives, comme le stress et l’anxiété. Les hommes sont plus susceptibles de consommer des drogues de manière impulsive, de planer et de sortir avec des amis. Les deux sexes consomment des drogues et un certain pourcentage d’entre eux développeront un trouble lié à l’usage de substances. Mais ils le font pour différentes raisons.

Les hormones ont beaucoup à voir avec cela. Nous avons découvert que l'estradiol, une hormone ovarienne qui circule avec le cycle menstruel, modifie la façon dont la nicotine agit dans le cerveau en modifiant les fonctions de ses récepteurs.

Nous avons également constaté que si l’on donne aux animaux un accès illimité aux drogues, les mâles et les femelles consomment la même quantité de drogues et leur comportement semble identique. Mais lorsque nous avons examiné les modifications apportées aux protéines de leur cerveau, les hommes et les femmes étaient totalement différents. Beaucoup de ces protéines ont des fonctions cellulaires similaires. Nous pensons que ce médicament augmente la dopamine chez les hommes et les femmes et détermine le comportement de la même manière, mais les voies moléculaires utilisées par chaque sexe sont très différentes.

Pourquoi les cerveaux de sexes différents emprunteraient-ils des chemins différents pour arriver au même point ?

Si vous aviez un système dans lequel vous avez besoin d’un neurone pour coder une information, ce système serait susceptible de tomber en panne. Tout devrait fonctionner parfaitement à chaque fois pour que vous puissiez naviguer dans l'environnement. Mais le cerveau comporte de nombreuses redondances, ce qui signifie que vous n’avez pas besoin que tout fonctionne parfaitement. Il existe de nombreuses façons d’arriver au même but. La raison pour laquelle les mâles et les femelles ont des manières différentes de coder leurs comportements est probablement basée sur l'évolution et la survie de notre espèce.

Cela doit être un domaine difficile dans lequel travailler. Qu'est-ce qui vous motive ?

Ce qui me préoccupe chaque jour, c’est que ce sont des questions importantes. Apprendre la prochaine chose et résoudre des problèmes difficiles est en soi très satisfaisant. Ensuite, lorsque vous respirez, prenez du recul et réalisez que les problèmes difficiles que vous résolvez ont vraiment un impact sur les gens, cela rend le tout encore plus significatif. Mais ma véritable motivation réside dans le mentorat de la prochaine génération. Lorsque je me suis lancé dans la recherche, mon objectif était d’influencer le plus de personnes possible. Je pensais y parvenir en découvrant quelque chose d'important et en changeant la société, ce qui est évidemment le but ultime. Mais ensuite, quand je suis arrivée ici et que j'ai installé mon laboratoire, j'ai réalisé que ce qu'on fait, c'est apprendre aux étudiants qu'ils peuvent faire ce travail. Leur permettre de découvrir ce pour quoi ils sont bons et ce qu'ils aiment me permet de continuer, même lorsque la science ne va pas toujours comme je le souhaite.

Vous êtes un peu comme l'entraîneur de votre propre équipe.

Lorsque vous finissez par diriger un laboratoire, vous réalisez qu’il s’agit d’une grande partie de la science, mais aussi d’une grande partie de la non-science. Il s'agit d'amener les gens à travailler ensemble et de créer l'environnement approprié pour chaque individu, ce qui peut s'avérer difficile. C'est comme constituer une équipe. S'ils travaillent ensemble, c'est moins difficile pour chacun. Et si vous le faites correctement, alors tout le monde y gagne.

Vous défendez également les femmes scientifiques. D’où vient cette motivation ?

Personne dans ma famille n’avait de diplôme d’études supérieures avant moi. Parce que mon père est sportif, l'accent n'était pas mis sur les études. Ensuite, je me suis retrouvé dans un espace dans lequel – je ne veux pas dire que je n’avais rien à faire, mais j’étais entouré d’un groupe de personnes qui, à mon avis, étaient plus intelligentes que moi. Ils savaient ce qu'ils faisaient. Ils savaient quel chemin ils étaient censés emprunter.  Heureusement j’ai eu des mentors extraordinaires qui m’ont aidé à rester sur un chemin que je ne connaissais pas. Et puis, en vieillissant, j’ai commencé à réaliser que ma place était ici. J'étais aussi intelligente que les gens autour de moi. Cela seul m’a fait réaliser à quel point il est important que les gens se sentent à leur place.

Au lieu de demander aux femmes d'agir comme des hommes pour s'intégrer dans un système construit pour les hommes, peut-être devrions-nous changer le système pour renforcer les éléments qui nous manquent, c'est-à-dire les éléments que les femmes apportent à la table : la façon dont elles naviguent dans le monde, comment elles perçoivent les choses, comment elles accompagnent les étudiants. Nous bénéficions énormément de la création d’un espace pour les femmes.

Vous avez fait du sport toute votre vie, y compris le basket-ball à l'université. Pensez-vous que cela a eu une influence sur votre carrière aujourd’hui ? 

Les choses les plus importantes que l’on apprend dans le sport sont comment se dépasser pour s’améliorer chaque jour, comment se remettre d’un échec et comment compter sur ses coéquipiers. Quand j'étais plus jeune, ces expériences m'ont appris à venir travailler après qu'une expérience n'ait pas fonctionné et à demander de l'aide lorsque j'en avais besoin.

Durant mon entraînement, j’étais l’athlète qui jouait à un jeu. Cependant, lorsque je suis devenu professeur, je suis tout d’un coup devenu entraîneur. Mon travail est différent maintenant. Il se concentre sur la façon dont je peux amener mon équipe à s’améliorer. Je dois identifier les points forts de chacun et les mettre en mesure de réussir. Je suis également là pour les aider à combler les lacunes avec d’excellents coéquipiers qui sont bons dans des domaines pour lesquels ils ne sont peut-être pas bons. Le sport m'a donné les compétences nécessaires pour me concentrer sur le travail acharné et la motivation, et m'a donné un cadre pour créer une équipe efficace et la motiver à donner le meilleur d'elle-même.

Votre père, John Calipari , est un entraîneur de basket-ball professionnel. Était-il un mentor pour vous ?

Il était un mentor extraordinaire, mais plus par les choses qu'il faisait que par les choses qu'il disait. Quand j'étais au collège, il a été viré. Le regarder se faire virer, puis revenir et dire : " Vous savez quoi, tout va bien ; Je vais me lever et recommencer " – c'était vraiment important pour moi de réaliser que même lorsque les choses semblent être d'énormes échecs, c'est parfois le début de quelque chose de nouveau.

Auteur: Internet

Info: Quanta Magazine, Yasemin Saplakoglu, 7 décembre 2023 *système simple, rapide et efficace pour couper l'ADN à un endroit précis du génome, dans n'importe quelle cellule.

[ accoutumance ] [ femmes-hommes ] [ éducation ] [ dépaysement ] [ ajustement ]

 

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épistémologie

Le premier chapitre de l’ouvrage montre que la période grecque est déterminante pour les développements ultérieurs de la connaissance, elle a posé certains principes fondamentaux qui seront discutés jusqu’à nos jours. En synthétisant les apports de penseurs grecs d’Héraclite et Parménide, de Socrate à Platon, Aristote et Épicure, Martine Bocquet pointe qu’à cette époque le signe (séméïon) est secondaire, il est considéré comme un signe de la nature que l’on peut interpréter (symptôme de maladies, foudre, etc.). Il s’oppose au mot qui, lui, repose sur une relation conventionnelle. Martine Bocquet montre qu’Aristote est important pour la sémiotique, de Deely en particulier. Réaffirmant l’importance du rapport sensible au monde, face à Platon, il a placé le séméïon au fondement de la connaissance et orienté ses recherches vers la relation comme catégorie discursive (pp. 33-45), notion qui sera au cœur des discussions des scoliastes.

Le chapitre deux montre l’évolution importante des notions de signe et de relation à la période latine médiévale et scolastique. Suivant l’étude de Deely, Martine Bocquet souligne le rôle d’Augustin d’Hippone. En traduisant le séméïon grec en signum, il a proposé la première formulation générale du signe qui subsume l’opposition entre nature et culture entre lesquelles il fonctionne comme une interface (p. 65, 68). Bien qu’elle demeure imparfaite, l’approche d’Augustin pose d’une part les fondements d’une théorie relationnelle de la connaissance ; d’autre part, en maintenant une distinction entre signe naturel (signum naturale, séméïon) et signe conventionnel (signum datum), elle ouvre sur une conception de la communication, tout à fait intéressante, engageant tous les êtres vivants (animaux, plantes) (p. 67, 69). D’une autre façon, la problématisation de la relation apparaît tout aussi importante à cette période. En distinguant, chez Aristote, la relatio secundum dici (relation transcendantale) — relation exprimée par le discours — et la relatio secundum esse (relation ontologique) — relation en tant qu’entité particulière (p. 70) — Boèce permet de concevoir l’existence de relations ontologiques, indépendantes de la pensée (p. 73) — fondamentales chez Poinsot, Peirce et Deely. Cette distinction aura son incidence puisqu’elle posera les termes de la querelle des universaux, tournant épistémologique majeur de l’histoire des connaissances.

Initiée par Pierre Abélard, la "querelle des universaux" est abordée par Martine Bocquet au chapitre trois et apparaît comme le point pivot de l’ouvrage (pp. 107-112) dans la mesure où elle aura une incidence sur le rapport au monde et à la connaissance. La dispute, qui porte sur la nature de l’objectivité et du statut de réalité des entités dépendantes ou non de la pensée, par le biais de la catégorie aristotélicienne de relation, et, par extension, de celle de signe, oppose les réalistes aux nominalistes.

Les penseurs dits "réalistes", parmi lesquels Thomas d’Aquin, Roger Bacon, Duns Scot, considèrent que le signe est constitué d’une relation indépendante de la pensée, dite ontologique, à la nature. Le traitement de Martine Bocquet montre clairement que Deely se retrouve dans la pensée de ces auteurs, dont il a avant tout souligné la contribution à la sémiotique de Peirce : (i) le signe subsume l’activité cognitive (pp. 80-81) (ii) la relation de signe est dans tous les cas triadique (p. 82), (iii) les signes se constituent de manière dynamique, ce qui leur permet d’agir (sémiosis) et de jouer un rôle dans l’expérience et la connaissance (pp. 83-86).

Martine Bocquet met particulièrement en évidence la pensée de Jean Poinsot (Jean de St-Thomas), en soulignant son influence sur Deely. L’originalité de ce dernier est d’avoir considéré Poinsot comme le précurseur d’une sémiotique voisine de celle de Peirce, plus ontologique encore. Pour le résumer en quelques points, Poinsot défend avant tout que la nature et la réalité du signe sont ontologiques (secundum esse), c’est-à-dire que le signe est une relation dont le véhicule est indifférent à ce qu’il communique (p. 102). Ce point est essentiel car il permet de doter le signe d’une nature proprement relationnelle : (i) il pointe vers autre chose (une autre réalité physique ou psychique), (ii) il permet d’articuler la subjectivité et l’intersubjectivité et (iii) opère la médiation entre les choses (indépendantes de la pensée) et les objets (dépendants de la pensée) (pp. 105-106) ; ce que la représentation, où l’objet pointe vers lui-même, n’autorise pas. Le point de vue de Poinsot est déterminant, car les nombreux retours vers sa pensée réalisés tout au long de l’ouvrage, montrent que c’est au prisme de ces principes que Deely réévaluait les pensées modernes.

De l’autre côté, les "nominalistes" comme Guillaume d’Ockham considèrent que la réalité est extra mentale, que seules les causes externes sont réelles, et qu’en conséquence, les relations intersubjectives n’existent que dans la pensée. Malgré l’intervention des successeurs d’Ockham qui, contrairement à celui-ci, admettront le signe, divisé en deux entités — signes instrumentaux (physiques, accessibles aux sens) et signes formels (concepts) — à partir de 1400 environ, les concepts (signes formels) seront considérés comme des représentations (p. 91). Martine Bocquet montre bien que le principe nominaliste, souvent simplifié, sera largement adopté par les sciences empiriques qu’il permettra de développer, mais cela, et c’est l’enjeu de la démarche de Deely, au détriment du rapport entre le monde et les sens.

Dans le quatrième chapitre consacré à la modernité, Martine Bocquet montre comment Deely a pointé les problèmes et les limites posés par l’héritage du nominalisme, en mettant notamment en perspective les travaux des empiristes (John Locke, David Hume), puis ceux de Kant, avec les propositions de Poinsot. Elle montre d’emblée que le rationalisme de Descartes, où la raison est indépendante et supérieure à la perception, conduira à renégocier la place de la perception dans la connaissance. En concevant les qualités des sens comme des images mentales, les modernes renversent l’ordre de la perception sensorielle reconnu par les scoliastes, les qualités sensorielles (couleurs, odeurs, sons) autrefois premières sont reléguées au second plan (p. 117). Les empiristes (John Locke, George Berkeley, David Hume) contribueront à considérer l’ensemble des sensations comme des images mentales, ils ne seront alors plus capables de s’extraire de la subjectivité (p. 121-124). À ce titre, Martine Bocquet porte à notre attention que Deely avait bien montré que l’empirisme et le rationalisme éludaient la description du phénomène de cognition.

L’approche de Kant apparaît dans l’ouvrage comme point culminant, ou synthèse, de la pensée moderne. En suivant les pas de Deely, Martine Bocquet prend le soin de mettre son travail en perspective avec la pensée de Poinsot, ce qui permet de réaffirmer sa pertinence dans le projet sémiotique de Deely. Kant a eu le mérite d’envisager des relations objectives. Toutefois, en limitant la cognition aux représentations, il la sépare de la signification, c’est-à-dire du supplément de sens contenu dans l’objectivité (au sens de Poinsot), et se coupe de l’expérience de l’environnement sensible qui permet à l’homme de connaître et de constituer le monde (pp. 130-131). Martine Bocquet insiste sur le fait que, selon Deely, la pensée kantienne est lourde de conséquences puisqu’en inversant les concepts d’objectivité et de subjectivité, elle enferme l’individu dans sa propre pensée (p. 134), reléguant la communication au rang d’illusion.

Le dernier chapitre de l’ouvrage est consacré aux chercheurs post-modernes, qui ont marqué la fin du modernisme et opéré un retour vers le signe. On y trouve notamment les apports d’Hegel et de Darwin, entre autres, qui ont permis d’affirmer le rôle concret de la relation ontologique dans la cognition, et la prise des facultés cognitives avec l’environnement physique. Martine Bocquet consacre une grande partie du chapitre à la sémiotique en tant que discipline, ce qui lui permet de réaffirmer l’ancrage de Deely dans l’héritage peircien qui est ici clairement distingué des modèles de Saussure et Eco.

Martine Bocquet rappelle d’abord que la pensée de Peirce s’inspire des réalistes (d’Aquin, Duns Scot) et considère donc que les produits de la pensée sont bien réels, et non de simples constructions des sens. La sémiotique qu’il développe appréhende la signification comme un parcours de pensée dynamique entre expérience et cognition. Dans son modèle ternaire, présenté en détail, la relation de tiercité caractérise le fonctionnement de la cognition humaine depuis la perception d’indices jusqu’à la constitution d’un système de signification ; elle est propre à l’homme qui peut se référer à la réalité mais aussi évoquer des choses imaginées (p. 146). L’intérêt de ce modèle est de permettre d’envisager que les non-humains utilisent aussi des signes, possibilité envisagée par Peirce dans sa « grande vision », doctrine qui selon Bocquet fascine Deely. Ce projet consistait à étendre la sémiotique au vivant, considérant que l’action des signes est enracinée dans toutes les choses du monde. Il ouvre sur un vaste champ de recherche abordé en conclusion, sur lequel nous reviendrons.

Contrairement à la sémiotique peircienne, Bocquet montre que John Deely considère que la sémiologie de Saussure, reposant sur le signe linguistique, est limitée car elle ne s’occupe que des signes conventionnels, culturels. De ce fait, elle se montre non seulement incapable d’approcher le signe naturel mais elle court aussi le risque de faire de la réalité une construction de l’esprit (idéalisme). En dépit d’un substrat peircien partagé, la même critique sera adressée à la théorie des codes d’Eco puis, plus loin dans la conclusion de Martine Bocquet (pp. 171-172), au structuralisme (Greimas, Lévi-Strauss). En somme, ces sémiotiques sont très efficaces pour étudier les systèmes de signes spécifiquement humains, mais, enfermées dans le langage et la culture, elles sont incapables de traiter les signes naturels, toute tentative révèle leur idéalisme. À cet endroit, l’auteure met bien en évidence l’opposition irréductible entre, d’un côté, ces théories qui ne rendent compte ni du signe naturel ni de la reconnaissance des phénomènes de la nature, et de l’autre, la posture de Deely qui défend l’idée que les données des sens ne sont jamais déconnectées et que la perception comprend une structure d’objectivité car les relations sont réelles (p. 165). Finalement, au travers de l’ouvrage, Bocquet montre que Deely prônait un retour à l’universalité du signe.

La conclusion du livre indique que Deely plaçait le signe et la sémiotique au cœur d’une pensée postmoderne capable de rétablir le dialogue entre les sciences dures et les sciences de la communication. Ce dialogue répondrait à la nécessité de comprendre l’action des signes autant dans la nature que dans la culture. Pour concrétiser cela, Deely propose un retour au réalisme oublié des scoliastes latins pour réviser les théories des modernes afin de renouer le lien avec la nature, en tenant compte des entités dépendantes et indépendantes de la pensée (p. 168).

Cette posture s’inscrirait, selon Martine Bocquet, dans un projet sémioéthique au sein duquel l’homme prendrait conscience de ses responsabilités vis-à-vis de la nature. Finalement, la solution à adopter correspond à la "grande vision" de Peirce, introduite en amont, c’est-à-dire une doctrine des signes qui, d’une part, intègre l’ensemble de la connaissance humaine du sensoriel aux interactions sociales et à la culture et, d’autre part, étend la sémiotique à l’ensemble du monde vivant, considéré comme un réseau de significations entre humains et non-humains, et noué sur une relation ontologique présente dans toute chose (pp. 169-170). Mis en application dans les années 1960, ce projet a donné lieu à un ensemble de sémiotiques spécifiques étudiant aussi bien le vivant, comme la physiosémiotique, la phytosémiotique, la zoosémiotique, la biosémiotique, que l’homme avec l’anthroposémiotique. Nous soulignons que certaines de ces disciplines sont aujourd’hui émergentes pour répondre aux questions environnementales actuelles en termes de climat, de cohabitation entre espèces et d’habitabilité du monde.

La restitution des travaux de Deely par Martine Bocquet semble tout à fait pertinente pour les sciences de la communication. Tout d’abord, parce que la démarche historique de Deely invitant à réévaluer nos acquis au prisme de modèles plus anciens, parfois moins connus, est tout à fait d’actualité et nécessaire dans notre réseau de recherche pluridisciplinaire. Ensuite, du fait de la structure détaillée du livre de Martine Bocquet qui permettra autant aux étudiants qu’aux chercheurs de trouver une formulation des concepts et des problèmes qui sous-tendent encore le domaine de la communication.

D’autre part, le grand intérêt de l’ouvrage réside dans le parti pris épistémologique de la sémiotique de Deely. En adoptant la relation ontologique de Poinsot, présente en creux chez Peirce, Deely ouvre des perspectives importantes pour le champ des sciences de la communication puisqu’il attire notre attention sur un concept universel de signe capable de réaffirmer la place du sensible dans la communication et de problématiser les interactions entre humains et non-humains. À ce titre, la pensée de Deely rapportée par Martine Bocquet est tout à fait en phase avec la recherche de ces quinze dernières années où différentes disciplines ont cherché à étudier la signification au-delà des particularités entre humains mais aussi entre êtres vivants, soit en adoptant un point de vue ontologique soit en intégrant les sciences physiques ou cognitives. Citons par exemple la biosémiotique, la zoosémiotique mais aussi l’anthropologie de la nature de Philippe Descola, "l’anthropologie au-delà de l’humain" d’Eduardo Kohn, la sémiophysique de René Thom et Jean Petitot ou encore la sémiotique cognitive.

Auteur: Chatenet Ludovic

Info: résumé critique de : Martine Bocquet, Sur les traces du signe avec John Deely : une histoire de la sémiotique Limoges, Éditions Lambert Lucas, 2019, 200 p.

[ panorama sémiologique ] [ anthropocentrisme ] [ xénolinguistique ] [ philologie ]

 

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homme-machine

La théorie des jeux peut rendre l'IA plus correcte et plus efficace

Les chercheurs s’appuient sur des idées issues de la théorie des jeux pour améliorer les grands modèles de langage et les rendre plus cohérents.

Imaginez que vous ayez un ami qui donne des réponses différentes à la même question, selon la façon dont vous la posez. " Quelle est la capitale du Pérou ? "  btiendrait une réponse : " Lima est-elle la capitale du Pérou ? " en obtiendrait un autre. Vous seriez probablement un peu inquiet au sujet des facultés mentales de votre ami et vous auriez certainement du mal à faire confiance à ses réponses.

C'est exactement ce qui se passe avec de nombreux grands modèles de langage (LLM), les outils d'apprentissage automatique ultra-puissants qui alimentent ChatGPT et d'autres merveilles de l'intelligence artificielle. Une question générative, ouverte, donne une réponse, et une question discriminante, qui implique de devoir choisir entre des options, en donne souvent une différente. "Il y a un décalage lorsque la même question est formulée différemment", a déclaré Athul Paul Jacob , doctorant au Massachusetts Institute of Technology.

Pour rendre les réponses d'un modèle de langage plus cohérentes - et rendre le modèle globalement plus fiable - Jacob et ses collègues ont conçu un jeu dans lequel les deux modes du modèle sont amenés à trouver une réponse sur laquelle ils peuvent s'entendre. Surnommée le jeu du consensus , cette procédure simple oppose un LLM à lui-même, en utilisant les outils de la théorie des jeux pour améliorer la précision et la cohérence interne du modèle.

"Les recherches explorant l'autocohérence au sein de ces modèles ont été très limitées", a déclaré Shayegan Omidshafiei , directeur scientifique de la société de robotique Field AI. "Cet article est l'un des premiers à aborder ce problème, de manière intelligente et systématique, en créant un jeu permettant au modèle de langage de jouer avec lui-même."

"C'est un travail vraiment passionnant", a ajouté Ahmad Beirami, chercheur scientifique chez Google Research. Pendant des décennies, a-t-il déclaré, les modèles linguistiques ont généré des réponses aux invites de la même manière. "Avec leur idée novatrice consistant à intégrer un jeu dans ce processus, les chercheurs du MIT ont introduit un paradigme totalement différent, qui peut potentiellement conduire à une multitude de nouvelles applications."

Mettre le jeu au travail

Ce nouveau travail, qui utilise les jeux pour améliorer l'IA, contraste avec les approches précédentes, qui mesuraient le succès d'un programme d'IA via sa maîtrise des jeux. En 1997, par exemple, l'ordinateur Deep Blue d'IBM a battu le grand maître d'échecs Garry Kasparov – une étape importante pour les machines dites pensantes. Dix-neuf ans plus tard, un programme de Google DeepMind nommé AlphaGo a remporté quatre matchs sur cinq contre l'ancien champion de Go Lee Sedol, révélant ainsi une autre arène dans laquelle les humains ne régnaient plus en maître. Les machines ont également surpassé les humains dans les jeux de dames, le poker à deux joueurs et d’autres jeux à somme nulle, dans lesquels la victoire d’un joueur condamne invariablement l’autre.

Le jeu de la diplomatie, un jeu favori de politiciens comme John F. Kennedy et Henry Kissinger, posait un défi bien plus grand aux chercheurs en IA. Au lieu de seulement deux adversaires, le jeu met en scène sept joueurs dont les motivations peuvent être difficiles à lire. Pour gagner, un joueur doit négocier et conclure des accords de coopération que n'importe qui peut rompre à tout moment. La diplomatie est tellement complexe qu'un groupe de Meta s'est félicité qu'en 2022, son programme d'IA Cicero ait développé un « jeu de niveau humain » sur une période de 40 parties. Bien qu'il n'ait pas vaincu le champion du monde, Cicero s'est suffisamment bien comporté pour se classer dans les 10 % les plus performants face à des participants humains.

Au cours du projet, Jacob — membre de l'équipe Meta — a été frappé par le fait que Cicéron s'appuyait sur un modèle de langage pour générer son dialogue avec les autres joueurs. Il a senti un potentiel inexploité. L'objectif de l'équipe, a-t-il déclaré, " était de créer le meilleur modèle de langage possible pour jouer à ce jeu ". Mais qu'en serait-il s’ils se concentraient plutôt sur la création du meilleur jeu possible pour améliorer les performances des grands modèles de langage ?

Interactions consensuelles

En 2023, Jacob a commencé à approfondir cette question au MIT, en travaillant avec Yikang Shen, Gabriele Farina et son conseiller Jacob Andreas sur ce qui allait devenir le jeu du consensus. L'idée centrale est venue d'imaginer une conversation entre deux personnes comme un jeu coopératif, où le succès se concrétise lorsqu'un auditeur comprend ce que l'orateur essaie de transmettre. En particulier, le jeu de consensus est conçu pour aligner les deux systèmes du modèle linguistique : le générateur, qui gère les questions génératives, et le discriminateur, qui gère les questions discriminatives.

Après quelques mois d’arrêts et de redémarrages, l’équipe a transposé ce principe dans un jeu complet. Tout d'abord, le générateur reçoit une question. Cela peut provenir d’un humain, ou d’une liste préexistante. Par exemple, " Où est né Barack Obama ? " Le générateur obtient ensuite des réponses de candidats, disons Honolulu, Chicago et Nairobi. Encore une fois, ces options peuvent provenir d'un humain, d'une liste ou d'une recherche effectuée par le modèle de langage lui-même.

Mais avant de répondre, il est également indiqué au générateur s'il doit répondre correctement ou incorrectement à la question, en fonction des résultats d'un pile ou face équitable.

Si c'est face, alors la machine tente de répondre correctement. Le générateur envoie la question initiale, accompagnée de la réponse choisie, au discriminateur. Si le discriminateur détermine que le générateur a intentionnellement envoyé la bonne réponse, chacun obtient un point, en guise d'incitation.

Si la pièce tombe sur pile, le générateur envoie ce qu’il pense être la mauvaise réponse. Si le discriminateur décide qu’on lui a délibérément donné la mauvaise réponse, ils marquent à nouveau tous les deux un point. L’idée ici est d’encourager l’accord. " C'est comme apprendre un tour à un chien ", a expliqué Jacob. " On lui donne une friandise lorsqu'ils fait la bonne chose. "

Le générateur et le discriminateur commencent également doté chacun de  quelques " croyances " initiales. Credo sous forme d'une distribution de probabilité liée aux différents choix. Par exemple, le générateur peut croire, sur la base des informations qu'il a glanées sur Internet, qu'il y a 80 % de chances qu'Obama soit né à Honolulu, 10 % de chances qu'il soit né à Chicago, 5 % de chances qu'il soit né à Nairobi et 5 % de chances qu'il soit ailleurs. Le discriminateur peut commencer avec une distribution différente. Si les deux " acteurs " sont toujours récompensés après être parvenus à un accord, ils se voient également retirer des points s'ils s'écartent trop de leurs convictions initiales. Cet arrangement encourage les joueurs à intégrer leur connaissance du monde – toujours tirée d'Internet – dans leurs réponses, ce qui devrait rendre le modèle plus précis. Sans ce prérequis ils pourraient s’entendre sur une réponse totalement fausse comme celle de Delhi, mais accumuler quand même des points.

Pour chaque question, les deux systèmes jouent environ 1 000 parties l'un contre l'autre. Au cours de ces nombreuses itérations, chaque camp apprend les croyances de l'autre et modifie ses stratégies en conséquence.

Finalement, le générateur et le discriminateur commencent à être davantage d’accord à mesure qu’ils s’installent dans ce qu’on appelle l’équilibre de Nash. C’est sans doute le concept central de la théorie des jeux. Cela représente une sorte d’équilibre dans un jeu – le point auquel aucun joueur ne peut améliorer ses résultats personnels en changeant de stratégie. Au jeu du chifoumi, par exemple, les joueurs obtiennent de meilleurs résultats lorsqu'ils choisissent chacune des trois options exactement un tiers du temps, et ils obtiendront invariablement de moins bons résultats avec toute autre tactique.

Dans le jeu du consensus, cela peut se jouer de plusieurs manières. Le discriminateur pourrait observer qu'il marque un point lorsqu'il dit " correct " chaque fois que le générateur envoie le mot " Honolulu " pour le lieu de naissance d'Obama. Le générateur et le discriminateur apprendront, après avoir joué plusieurs fois, qu'ils seront récompensés s'ils continuent de le faire, et qu'aucun d'eux n'aura aucune motivation pour faire autre chose... consensus qui représente l'un des nombreux exemples possibles d'équilibre de Nash pour cette question. Le groupe du MIT s'est également appuyé sur une forme modifiée d'équilibre de Nash qui intègre les croyances antérieures des joueurs, ce qui permet de maintenir leurs réponses ancrées dans la réalité.

L'effet net, ont observé les chercheurs, est de rendre le modèle linguistique jouant ce jeu plus précis et plus susceptible de donner la même réponse, quelle que soit la façon dont la question est posée. Pour tester les effets du jeu du consensus, l'équipe a essayé une série de questions standard sur divers modèles de langage de taille modérée comportant de 7 milliards à 13 milliards de paramètres. Ces modèles ont systématiquement obtenu un pourcentage plus élevé de réponses correctes que les modèles qui n'avaient pas joué, même ceux de taille beaucoup plus importante, comportant jusqu'à 540 milliards de paramètres. La participation au jeu a également amélioré la cohérence interne d'un modèle.

En principe, n'importe quel LLM pourrait gagner à jouer contre lui-même, et 1 000 tours ne prendraient que quelques millisecondes sur un ordinateur portable standard. "Un avantage appréciable de l'approche globale", a déclaré Omidshafiei, "est qu'elle est très légère sur le plan informatique, n'impliquant aucune formation ni modification du modèle de langage de base."

Jouer à des jeux avec le langage

Après ce premier succès, Jacob étudie désormais d’autres moyens d’intégrer la théorie des jeux dans la recherche LLM. Les résultats préliminaires ont montré qu’un LLM déjà solide peut encore s’améliorer en jouant à un jeu différent – ​​provisoirement appelé jeu d’ensemble – avec un nombre arbitraire de modèles plus petits. Le LLM principal aurait au moins un modèle plus petit servant d’allié et au moins un modèle plus petit jouant un rôle antagoniste. Si l'on demande au LLM primaire de nommer le président des États-Unis, il obtient un point chaque fois qu'il choisit la même réponse que son allié, et il obtient également un point lorsqu'il choisit une réponse différente de celle de son adversaire. Ces interactions avec des modèles beaucoup plus petits peuvent non seulement améliorer les performances d'un LLM, suggèrent les tests, mais peuvent le faire sans formation supplémentaire ni modification des paramètres.

Et ce n'est que le début. Étant donné qu'une variété de situations peuvent être considérées comme des jeux, les outils de la théorie des jeux peuvent être mis en œuvre dans divers contextes du monde réel, a déclaré Ian Gemp , chercheur scientifique chez Google DeepMind. Dans un article de février 2024 , lui et ses collègues se sont concentrés sur des scénarios de négociation qui nécessitent des échanges plus élaborés que de simples questions et réponses. "L'objectif principal de ce projet est de rendre les modèles linguistiques plus stratégiques", a-t-il déclaré.

Un exemple dont il a parlé lors d'une conférence universitaire est le processus d'examen des articles en vue de leur acceptation par une revue ou une conférence, en particulier après que la soumission initiale ait reçu une évaluation sévère. Étant donné que les modèles linguistiques attribuent des probabilités à différentes réponses, les chercheurs peuvent construire des arbres de jeu similaires à ceux conçus pour les jeux de poker, qui tracent les choix disponibles et leurs conséquences possibles. "Une fois que vous avez fait cela, vous pouvez commencer à calculer les équilibres de Nash, puis classer un certain nombre de réfutations", a déclaré Gemp. Le modèle vous dit essentiellement : c'est ce que nous pensons que vous devriez répondre.

Grâce aux connaissances de la théorie des jeux, les modèles de langage seront capables de gérer des interactions encore plus sophistiquées, plutôt que de se limiter à des problèmes de type questions-réponses. "Le gros gain à venir réside dans les conversations plus longues", a déclaré Andreas. "La prochaine étape consiste à faire interagir une IA avec une personne, et pas seulement avec un autre modèle de langage."

Jacob considère le travail de DeepMind comme complémentaire aux jeux de consensus et d'ensemble. " À un niveau élevé, ces deux méthodes combinent des modèles de langage et la théorie des jeux ", a-t-il déclaré, même si les objectifs sont quelque peu différents. Alors que le groupe Gemp transforme des situations courantes dans un format de jeu pour aider à la prise de décision stratégique, Jacob a déclaré : " nous utilisons ce que nous savons de la théorie des jeux pour améliorer les modèles de langage dans les tâches générales. "

À l’heure actuelle, ces efforts représentent " deux branches du même arbre ", a déclaré Jacob : deux manières différentes d’améliorer le fonctionnement des modèles de langage. " Je pense personnellement  que dans un an ou deux, ces deux branches convergeront. " 

Auteur: Internet

Info: https://www.quantamagazine.org/ - Steve Nadis, 9 mai 2024

[ maïeutique machine-machine ] [ discussion IA - FLP ]

 
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oligarchie terrestre

Pourquoi les globalistes sont si obsédés par l'intelligence artificielle.
Il est presque impossible aujourd'hui de parcourir les nouvelles du Web ou les médias populaires sans être assailli par de vastes quantités de propagande sur l'intelligence artificielle (IA). C'est peut-être pour mettre fin à toutes les modes, car elle est censée englober presque tous les aspects de l'existence humaine, de l'économie et la sécurité à la philosophie et à l'art. Selon les affirmations courantes, l'IA peut faire presque tout et le faire mieux que n'importe quel être humain. Et, les choses que l'IA ne peut pas faire, elle sera capable de les faire un jour ou l'autre.

Chaque fois que l'establishment tente de saturer les médias avec un récit particulier, c'est habituellement pour manipuler la perception du public afin de produire une prophétie qui s'accomplit. En d'autres termes, ils espèrent façonner la réalité en racontant un mensonge particulier si souvent qu'au fil du temps il est accepté par les masses comme un fait. Ils le font avec l'idée que la mondialisation est inévitable, que la science du changement climatique est "indéniable" et que l'IA est une nécessité technologique.

Les mondialistes ont longtemps considéré l'IA comme une sorte de Saint-Graal dans la technologie de centralisation. Les Nations Unies ont adopté de nombreuses positions et même des sommets sur la question, dont le sommet "AI For Good" à Genève. L'ONU insinue que son intérêt premier dans l'IA est la réglementation ou l'observation de la façon dont elle est exploitée, mais l'ONU a aussi des objectifs clairs pour utiliser l'IA à son avantage. L'utilisation de l'IA comme moyen de surveiller les données de masse pour mieux instituer le " développement durable " est clairement inscrite à l'ordre du jour de l'ONU.

Le FMI est également au courant de la tendance de l'IA, en tenant des discussions mondiales sur l'utilisation de l'IA en économie ainsi que sur les effets des algorithmes sur l'analyse économique.

La principale source de développement de l'IA est depuis longtemps le DARPA. Le groupe de réflexion militaire et mondialiste injecte des milliards de dollars dans la technologie, ce qui fait de l'IA l'objectif sous-jacent de la plupart des travaux du DARPA. Elle n'est pas seulement à l'ordre du jour des mondialistes ; elle est essentiellement le fer de lance de la création et de la promotion de l'intelligence artificielle.

Cependant ce désir mondialiste pour la technologie n'est pas aussi simple que certains pourraient le supposer. Ils i a des raisons stratégiques, mais aussi religieuses pour placer l'IA sur un piédestal idéologique. Mais d'abord il faut s'attaquer à l'évidence.

Dans la plupart des livres blancs rédigés par des institutions mondialistes sur l'IA, l'accent est mis sur la collecte de données de masse et la surveillance. Les élites prennent soin de toujours affirmer que leurs intérêts sont axés sur le bien public. C'est pourquoi l'ONU et d'autres organismes soutiennent qu'ils devraient être les chefs de file en matière de surveillance de la collecte massive de données. C'est-à-dire qu'ils veulent nous faire croire qu'ils sont suffisamment objectifs et dignes de confiance pour gérer les règles de surveillance des données ou pour gérer les données elles-mêmes.

Pour la sécurité du public, les mondialistes veulent une gestion centralisée de toutes les collectes de données, ostensiblement pour nous sauver de ces mauvaises entreprises et de leur invasion de la confidentialité des données. Bien sûr, la plupart de ces entreprises sont également dirigées par des mondialistes qui remplissent les livres d'or d'événements comme le Forum économique mondial pour discuter des progrès et des avantages de l'IA. Le WEF s'est donné pour mandat de promouvoir largement l'IA et de convaincre le monde des affaires et le grand public des avantages de l'IA. Il faut prévenir les préjugés contre les IA....

Il s'agit donc d'un autre faux paradigme par lequel les institutions mondialistes s'opposent aux corporations pour ce qui est de l'utilisation de l'intelligence artificielle. Pourtant, les entreprises et les institutions mondialistes développent tous l''AI et un sentiment pro AI. Le public, avec sa méfiance innée à l'égard de la boussole morale des multinationales, est censé être convaincu pour soutenir les réformes réglementaires de l'ONU comme contrepoids. Mais en réalité, les entreprises n'ont pas l'intention de lutter contre le contrôle de l'ONU, elles finissent par s'en réjouir.

C'était le but depuis le début.

L'efficacité réelle de l'IA en tant que moyen d'aider l'humanité est discutable. L'intelligence artificielle concerne principalement les "algorithmes d'apprentissage", c'est-à-dire les machines programmées pour apprendre par l'expérience. Le problème est qu'un algorithme d'apprentissage n'est aussi efficace que les êtres humains qui le programment. Autrement dit, l'apprentissage n'est pas toujours un processus de cause à effet. Parfois, l'apprentissage est une révélation spontanée. L'apprentissage est créatif. Et, dans certains cas, l'apprentissage est inné.

Lorsqu'une machine est dressée contre un humain dans un système construit sur des règles très simples et concrètes, les machines ont tendance à prévaloir. Une partie d'échecs, par exemple, est conçue autour de règles strictes qui ne changent jamais. Un pion est toujours un pion et se déplace toujours comme un pion ; un chevalier se déplace toujours comme un chevalier. Tandis qu'il peut y avoir des moments de créativité dans les échecs (c'est pourquoi les humains sont encore capables à l'occasion de battre les ordinateurs au jeu), l'existence de règles rend l'IA plus intelligente qu'elle ne l'est.

Les systèmes humains et les systèmes naturels sont infiniment plus compliqués que les échecs, et les règles ont tendance à changer, parfois sans avertissement. Comme la physique quantique le découvre souvent, la seule chose prévisible quand on observe l'univers et la nature est que tout est imprévisible. Comment un algorithme ferait-il dans une partie d'échecs où un pion pourrait soudainement évoluer pour se déplacer comme un chevalier, sans aucun schéma prévisible spécifique ? Pas très bien, on dirait.
Et c'est là que nous entrons dans le cœur de la façon dont l'image de l'IA est gonflée en une sorte de dieu électronique à demi-crétin ; une fausse prophétie.

L'IA est insérée non seulement dans les échecs, mais dans tout. La surveillance de masse est impossible à gérer par les humains seuls ; la quantité de données est écrasante. Ainsi, l'un des objectifs fondamentaux de l'IA pour les mondialistes devient clair - l'IA est destinée à rationaliser la surveillance de masse et à l'automatiser. L'IA a pour but de parcourir les médias sociaux ou le courrier électronique à la recherche de "mots clés" pour identifier les mécréants et les opposants potentiels. Elle vise également à surveiller l'opinion du public à l'égard de questions ou de gouvernements particuliers. L'objectif est de mesurer et éventuellement "prédire" le comportement du public.

Cela devient plus difficile lorsqu'on commence à parler d'individus. Bien que les groupes soient plus faciles à observer et à cartographier dans leur comportement, les individus peuvent être abrupts, volatils et imprévisibles. La cartographie des habitudes personnelles par l'IA est également importante aujourd'hui. Elle est plus visible dans le monde de l'entreprise où le marketing est adapté aux habitudes et aux intérêts des consommateurs individuels. Cela dit, les gouvernements sont aussi très intéressés à suivre les habitudes individuelles au point de créer des profils psychologiques pour chaque personne sur la planète si possible.

Tout cela se résume à l'idée qu'un jour, l'IA sera capable d'identifier les criminels avant même qu'ils ne commettent un crime réel. En d'autres termes, l'intelligence artificielle est censée devenir un machin "qui voit tout" qui non seulement surveille notre comportement, mais aussi qui lit dans nos esprits comme une force d'identification pré-crime.

La question n'est pas de savoir si AI peut réellement nous dire qui est un futur criminel. L'IA est manifestement incapable de prédire avec précision le comportement d'une personne à un tel degré. La question est de savoir si l'OMS est en train d'établir les normes que l'IA recherche lorsqu'il s'agit d'identifier des "criminels" potentiels ? Qui fixe les règles du jeu d'échecs ? Si un algorithme est programmé par un globaliste, alors l'IA qualifiera les antimondialistes de criminels futurs ou actuels. L'AI ne pense pas vraiment. Elle n'exerce pas le pouvoir de choisir dans ses décisions. L'IA fait ce qu'elle est programmée pour faire.

L'obsession mondialiste pour l'IA, cependant, va bien au-delà de la centralisation et du contrôle des populations. Comme nous l'avons déjà mentionné, il y a un facteur religieux.

Dans mon récent article 'Luciferianism : A Secular Look At A Destructive Belief System', j'ai esquissé la philosophie fondamentale derrière le culte mondialiste. Le premier principe du luciférianisme est l'idée (ou l'illusion) que certaines personnes spéciales ont la capacité de devenir des "dieux". Mais, il y a certaines conséquences de cette croyance que je n'ai pas explorées dans cet article.

Premièrement, pour devenir un dieu, il faudrait avoir un pouvoir d'observation total. Ce qui veut dire qu'il faudrait être capable de tout voir et de tout savoir. Un tel but est insensé, car tout observer ne signifie pas nécessairement qu'une personne sait tout. L'observation totale exigerait une objectivité totale. La partialité aveugle les gens à la vérité devant leurs yeux tout le temps, et les mondialistes sont parmi les gens les plus partiaux et les plus élitistes de la planète.

L'observation totalement objective est impossible, du moins pour les humains et les algorithmes qu'ils programment. De la physique à la psychologie, l'observateur affecte toujours l'observé et vice versa. Ceci dit, je pense que les mondialistes ne se soucient pas vraiment de cette réalité. Il leur suffit de se faire passer pour des dieux par la surveillance de masse. Ils ne sont pas réellement intéressés à atteindre l'illumination ou l'objectivité divine.

Deuxièmement, pour devenir un dieu, dans un sens mythologique ou biblique, il faudrait créer une vie intelligente à partir de rien. Je crois que dans l'esprit des lucifériens, la création de l'IA est la création d'une forme de vie intelligente, plutôt qu'un logiciel. Bien sûr, les lucifériens ont une notion trouble de ce qui constitue une "vie intelligente".

Comme je l'ai examiné dans mon article qui décompose et démystifie l'idéologie luciférienne, l'existence d'archétypes psychologiques inhérents constitue la base de la capacité humaine pour choisir ou être créatif dans ses choix. L'existence d'une compréhension inhérente du bien et du mal établit le fondement de la conscience humaine et de la boussole morale - l'"âme" si vous voulez. Les lucifériens argumentent en dépit de nombreuses preuves que rien de tout cela n'existe réellement. Ils soutiennent que les humains sont des ardoises vierges - des machines qui sont programmées par leur environnement.

Pour comprendre cette idéologie ou ce culte fondé sur la théorie de l'ardoise blanche, il faut tenir compte du fait que les mondialistes présentent souvent les traits des sociopathes narcissiques. Les sociopathes narcissiques à part entière représentent moins de 1% de la population humaine totale ; ce sont des personnes qui n'ont aucune empathie inhérente ou qui n'ont pas les outils de personnalité normaux que nous associerions à l'humanité. Il ne sera pas exagéré de dire que ces personnes ressemblent plus à des robots qu'à des personnes.

J'ai également théorisé que le luciférianisme est une religion conçue par des sociopathes narcissiques pour des sociopathes narcissiques. C'est une sorte d'outil de liaison ou d'organisation pour rassembler les sociopathes en un groupe efficace pour un bénéfice mutuel - un club de parasites. Si cette théorie est vraie, alors elle représente quelque chose qui est rarement ou jamais traité dans l'observation psychologique ou anthropologique dominante ; l'existence d'une cabale de sociopathes narcissiques conspirant ensemble pour cacher leur identité et pour devenir des prédateurs plus efficaces.

En résumé, le luciférianisme est le système de croyances parfait pour les sociopathes narcissiques. Ils sont, d'une certaine façon, inhumains. Ce sont des ardoises vierges dépourvues d'humanité, et ils adoptent donc une religion qui traite cette notion comme "normale".

Il est donc logique qu'ils considèrent une chose aussi simple et vide que l'IA comme une vie intelligente. Tant qu'elle peut être programmée pour agir "de manière autonome" (ce qu'ils semblent considérer comme de la sensibilité), leur définition de la vie intelligente est exaucée. Il n'y a rien d'intelligent dans l'intelligence artificielle lorsqu'il s'agit d'actions morales ou créatives, mais les sociopathes narcissiques n'en ont de toute façon aucune idée.

Je laisse aux lecteurs le soin de réfléchir à cette question ; l'année dernière, un programme d'IA s'est vu confier la tâche de créer ses propres œuvres d'art. Les résultats ont fait l'objet d'une grande publicité et une partie de cette œuvre a été vendue pour plus de 400 000 $. Je vous invite à regarder cette oeuvre d'art si vous ne l'avez pas déjà vue.

D'après ce que j'ai vu, devant cet "art" les gens reculent d'horreur. Cela ressemble à une étrange parodie d'éléments humains sans âme. Intuitivement, nous comprenons que l'IA n'est pas la vie ; mais pour les mondialistes, c'est la définition même de la vie, probablement parce que l'absence d'âme dans la création reflète l'absence d'âme des créateurs. Tout comme les chrétiens croient que l'humanité a été faite à l'image de Dieu, les lucifériens, dans leur quête de la divinité, ont créé une "forme de vie" qui est peut-être, ironiquement, comme eux.

Auteur: Smith Brandon

Info: http://www.alt-market.com, 1 mars 2019

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