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allégorie

[...] une des fonctions générales du symbolisme est effectivement de suggérer l’inexprimable, de le faire pressentir, ou mieux "assentir", par les transpositions qu’il permet d’effectuer d’un ordre à un autre, de l’inférieur au supérieur, de ce qui est le plus immédiatement saisissable à ce qui ne l’est que beaucoup plus difficilement ; et telle est précisément la destination première des mythes. C’est d’ailleurs ainsi que, même à l’époque "classique", Platon a encore recours à l’emploi des mythes lorsqu’il veut exposer des conceptions qui dépassent la portée de ses moyens dialectiques habituels ; et ces mythes, que certainement il n’a point "inventés", mais seulement "adaptés", car ils portent la marque incontestable d’un enseignement traditionnel (comme la portent aussi certains procédés dont il fait usage pour l’interprétation des mots, et qui sont comparables à ceux du nirukta dans la tradition hindoue), ces mythes, disons-nous, sont bien loin de n’être que les ornements littéraires plus ou moins négligeables qu’y voient trop souvent les commentateurs et les "critiques" modernes, pour qui il est assurément beaucoup plus commode de les écarter ainsi sans autre examen que d’en donner une explication même approximative ; ils répondent, tout au contraire, à ce qu’il y a de plus profond dans la pensée de Platon, de plus dégagé des contingences individuelles, et qu’il ne peut, à cause de cette profondeur même, exprimer que symboliquement ; la dialectique contient souvent chez lui une certaine part de "jeu", ce qui est très conforme à la mentalité grecque, mais, quand il l’abandonne pour le mythe, on peut être sûr que le jeu a cessé et qu’il s’agit de choses ayant en quelque façon un caractère "sacré".

Auteur: Guénon René

Info: Dans "Aperçus sur l'initiation", Éditions Traditionnelles, 1964, page 124

[ ineffable ] [ philosophie antique ] [ archétypes ] [ romantisme sémiotique ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

art pictural

Velasquez, après cinquante ans, ne peignait plus jamais une chose définie. Il errait autour des objets avec l’air et le crépuscule, il surprenait dans l’ombre et la transparence des fonds les palpitations colorées dont il faisait le centre invisible de sa symphonie silencieuse. Il ne saisissait plus dans le monde que les échanges mystérieux, qui font pénétrer les uns dans les autres les formes et les tons, par un progrès secret et continu dont aucun bruit, aucun sursaut ne dénonce ni n’interrompt la marche.
L'espace règne. C'est comme une onde aérienne qui glisse sur les surfaces, s'imprègne de leurs émanations visibles pour les définir et les modeler, et emporter partout ailleurs comme un parfum, comme un écho d'elles qu'elle disperse sur toute l'étendue environnante en poussière impondérable.

Le monde où il vivait était triste. Un roi dégénéré, des infants malades, des idiots, des nains, des infirmes, quelques pitres monstrueux vêtus en princes qui avaient pour fonction de rire d'eux-mêmes et d'en faire rire des êtres hors la loi vivante, étreints par l'étiquette, le complot, le mensonge, liés par la confession et le remords. Aux portes, l'Autodafé, le silence..

Un esprit nostalgique flotte, mais on ne voit ni la laideur, ni la tristesse, ni le sens funèbre et cruel de cette enfance écrasée.

Velázquez est le peintre des soirs, de l'étendue et du silence. Même quand il peint en plein jour, même quand il peint dans une pièce close, même quand la guerre ou la chasse hurlent autour de lui. Comme ils ne sortaient guère aux heures de la journée où l'air est brûlant, où le soleil éteint tout, les peintres espagnols communiaient avec les soirées.

Auteur: Faure Elie

Info: L’histoire de l’Art, L’art Moderne, pp. 128-132. Extrait lu par Belmondo dans Pierrot le fou de Godard

[ maturité ]

 
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Ajouté à la BD par miguel

monde amniotique

Le murmure de l’océan monte dans la nuit fraîche, comme une caresse, une promesse, un souvenir doux. Les étoiles se reflètent à la surface, des milliers d’étoiles qui palpitent et dansent dans le courant, frêles éclats de ciel tombés du firmament. Les vagues s’enroulent autour de ses chevilles. Un souffle effleure son visage, ses épaules…

Elle frissonne, et plonge.

Les friselis de l’eau sur sa peau lui disent qu’elle est vivante. Les échos qui vibrent dans la matière liquide lui rappellent qu’elle n’est pas seule. Non loin, le parfum âpre d’une présence l’invite à la suivre. Elle se met en mouvement. Sans effort, elle glisse. Ses muscles puissants ondulent et roulent sur ses côtes. L’air qu’elle a puisé dehors embrase ses cellules. Elle n’est entravée par aucune chaîne, aucune chair ne la retient. Elle est libre, libre ! Ivre, elle jaillit, sous le regard sévère des colosses pétrifiés. Impatiente, elle file, elle vole à travers les nappes d’eau mélangées, celles qui montent, tièdes et vives, celles qui tombent, lourdes et lentes. Joueuse, elle flâne, elle flaire, elle frôle, puis dans un sursaut, elle évite les rôdeurs, ces géants saisis par le froid qui dérivent dans la nuit.

Soudain, elle se fige.

La mer a un goût de sel, presque piquant. L’éclat argenté d’un poisson perce l’obscurité. Elle l’effleure, le suit et s’arrête à nouveau. Devant elle s’ouvre un corridor étroit entre deux falaises. Le ciel renversé se drape de transparences turquoise. Au-delà, c’est l’inconnu.

Elle s’avance, change de position.

Viens ! entend-elle.

Les sons se diluent dans le silence, échos lointains, incertains.

Sur le qui-vive, elle écoute encore.

Viens ! l’appelle-t-on.

Auteur: Querbalec Émilie

Info: Les chants de Nüying - Prélude

[ appartenance ]

 

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prose poétique

Quand le bac traversait la rivière, sur les berges les joncs se mettaient à bouger ; peut-être un animal s’y cachait-il, se préparant à plonger et à prendre part à la course. En ce cas, il ne restait au voyageur aucune chance de lui échapper, d’autant plus que le bac glissait lentement, remorqué par un filin accroché sur l’autre rive, filin que le passeur saisissait à pleines mains et tirait.

Des marais s’étendaient aux alentours, troublés ainsi périodiquement par un investissement hypothétique et mystérieux. Le bac n’avait pas de rebord et le moindre clapotis provoquait une montée d’eau ; malgré sa largeur, il se prêtait facilement au jeu du naufrage et du rétablissement, repliant ou déroulant les algues au passage. Mais cela ne dérangeait pas les pressions tranquilles et constituées. Mieux encore : en quittant une rive pour l’autre, on était pénétré par le sentiment d’une durée immobile, d’un glissement devenu peu à peu imperceptible. Alternance ou substitution des mobiles, les surfaces indiquaient surtout l’unicité d’un instant et de son miroir.

En débarquant, les voyageurs avaient tendance à s’attarder parmi les limpidités et les nonchalances vaporeuses du matin qui plus tard s’en allaient, laissant l’air indemne. À vrai dire, les voyageurs ne se sentaient pas à l’aise, soupçonnant la présence de l’être embusqué dans les joncs, dont l’intelligence s’identifiait par moment à l’espace pur, sans escalade. Ils finissaient par apprendre que le rejeton du passeur avait là son champ d’action. Lors de la montée des eaux il allait se mettre debout, se débusquant, certes, mais aussi s’enfonçant davantage dans le marais ; comme son père, il garderait le filin et il tirerait pour ramener les choses à leur expression insensible et effacée.

Auteur: Fardoulis-Lagrange Michel

Info:

[ embarcation ] [ allégorie ] [ instants évanescents ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

langage

Nous ne voyons pas les choses mêmes ; nous nous bornons, le plus souvent, à lire des étiquettes collées sur elles. Cette tendance, issue du besoin, s’est encore accentuée sous l’influence du langage. Car les mots (à l’exception des noms propres) désignent des genres. Le mot, qui ne note de la chose que sa fonction la plus commune et son aspect banal, s’insinue entre elle et nous, et en masquerait la forme à nos yeux si cette forme ne se dissimulait déjà derrière les besoins qui ont créé le mot lui-même. Et ce ne sont pas seulement les objets extérieurs, ce sont aussi nos propres états d’âme qui se dérobent à nous dans ce qu’ils ont d’intime, de personnel, d’originalement vécu. Quand nous éprouvons de l’amour ou de la haine, quand nous nous sentons joyeux ou tristes, est-ce bien notre sentiment lui-même qui arrive à notre conscience avec les mille nuances fugitives et les mille résonances profondes qui en font quelque chose d’absolument nôtre ? Nous serions alors tous romanciers, tous poètes, tous musiciens. Mais, le plus souvent, nous n’apercevons de notre état d’âme que son déploiement extérieur. Nous ne saisissons de nos sentiments que leur aspect impersonnel, celui que le langage a pu noter une fois pour toutes parce qu’il est à peu près le même dans les mêmes conditions, pour tous les hommes. Ainsi, jusque dans notre propre individu, l’individualité nous échappe. Nous nous mouvons parmi des généralités et des symboles, comme en un champ clos où notre force se mesure utilement avec d’autres forces ; et, fascinés par l’action, attirés par elle, pour notre plus grand bien, sur le terrain qu’elle s’est choisi, nous vivons dans une zone mitoyenne entre les choses et nous, extérieurement aux choses, extérieurement aussi à nous-mêmes.

Auteur: Bergson Henri

Info: Le rire

[ aveuglant ] [ signifiants consensus ] [ tiercités limitantes ]

 

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ordre discursif

Sa gerbe n'était point avare, ni haineuse - Victor Hugo. Voilà une métaphore. […] Il n'y a pas comparaison, mais identification. [...]

La métaphore suppose qu’une signification est la donnée qui domine, et qu’elle infléchit, commande l’usage du signifiant, si bien que toute espèce de connexion préétablie, je dirais lexicale, se trouve dénouée. [...] il est clair que l’usage de la langue n’est susceptible de signification qu’à partir du moment où on peut dire Sa gerbe n’était point avare, ni haineuse, c’est-à-dire où la signification arrache le signifiant à ses connexions lexicales.

C’est là l’ambiguïté du signifiant et du signifié. Sans la structure signifiante, c’est-à-dire sans l'articulation prédicative, sans la distance maintenue entre le sujet et ses attributs, on ne pourrait qualifier la gerbe d'avare et de haineuse. C'est parce qu'il y a une syntaxe, un ordre primordial de signifiant, que le sujet est maintenu séparé, comme différent de ses qualités.

[…] Cette phase du symbolisme qui s'exprime dans la métaphore suppose la similarité, laquelle est manifestée uniquement par la position. C'est par le fait que la gerbe est le sujet de avare et de haineuse, qu'elle peut être identifiée à Booz dans son manque d'avarice et sa générosité. C’est par la similarité de position que la gerbe est littéralement identique au sujet Booz. Sa dimension de similarité est assurément ce qu’il y a de plus saisissant dans l’usage significatif du langage, qui domine tellement l’appréhension du jeu du symbolisme que cela nous masque l’existence de l’autre dimension, la syntaxique. Pourtant, cette phrase perdrait toute espèce de sens si nous brouillions les mots dans leur ordre.

Voilà ce qu’on néglige quand on parle de symbolisme – la dimension liée à l’existence du signifiant, l’organisation du signifiant.

Auteur: Lacan Jacques

Info: Dans le "Séminaire, Livre III", "Les psychoses", éditions du Seuil, 1981, pages 345 à 347

[ grammaire ] [ alignement ] [ équivalence ] [ agencement des mots ]

 

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parlêtre

L’existence de tout organisme vivant a pour corrélat dans le monde un ensemble singulier d’objets présentant un certain style. Mais s’agissant de l’homme, cet ensemble est d’une diversité surabondante, luxuriante. De plus, l’objet humain, le monde des objets humains, reste insaisissable comme objet biologique. Or, ce fait se trouve dans cette conjoncture devoir être étroitement, voire indissolublement, mis en relation avec la soumission, la subduction de l’être humain par le phénomène du langage.

[...] ce qui est saisissable au niveau du discours concret, se présente toujours, par rapport à l’engendrement du sens, dans une position d’ambiguïté, étant donné que le langage est tourné vers des objets qui incluent déjà en eux-mêmes quelque chose de la création qu’ils ont reçue du langage même. C’est ce qui a pu faire l’objet de toute une tradition, voire de toute une rhétorique philosophique, celle de la critique dans le sens le plus général, qui pose la question – que vaut ce langage ? Que représentent ces connexions par rapport à celles auxquelles elles paraissent aboutir, qu’elles se posent même pour refléter, et qui sont les connexions du réel ?

C’est en effet la question à quoi aboutit une tradition philosophique dont nous pouvons définir la pointe et le sommet par la critique kantienne, qui peut s’interpréter comme la plus profonde mise en cause de toute espèce de réel, pour autant que celui-ci est soumis aux catégories a priori non seulement de l’esthétique, mais aussi de la logique. C’est là un point-pivot, d’où la méditation humaine est repartie pour retrouver ce qui n’était point aperçu dans cette façon de poser la question au niveau du discours logique et d’interroger la correspondance entre le réel et une certaine syntaxe du cercle intentionnel en tant qu’il se ferme dans toute phrase.

Auteur: Lacan Jacques

Info: Dans le "Séminaire, Livre V", "Les formations de l'inconscient (1957-1958)", éditions du Seuil, 1998, page 50

[ circularité ] [ recherche d'une sortie ] [ idiomes interfaces ] [ signes transcodés ]

 

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création

Ne venez surtout pas me parler de dons naturels, de talents innés ! On peut citer dans tous les domaines de grands hommes qui étaient peu doués. Mais la grandeur leur est venue, ils se sont faits "génies" (comme on dit), grâce à certaines qualités dont personne n’aime à trahir l’absence quand il en est conscient ; ils possédaient tous cette solide conscience artisanale qui commence par apprendre à parfaire les parties avant de se risquer à un grand travail d’ensemble ; ils prenaient leur temps parce qu’ils trouvaient plus de plaisir à la bonne facture du détail, de l’accessoire, qu’à l’effet produit par un tout éblouissant. Il est facile, par exemple, d’indiquer à quelqu’un la recette pour devenir bon nouvelliste, mais l’exécution en suppose des qualités sur lesquelles on passe en général en disant : "je n’ai pas assez de talent". Que l’on fasse donc cent projets de nouvelles et davantage, aucun ne dépassant deux pages, mais d’une précision telle que chaque mot y soit nécessaire ; que l’on note chaque jour quelques anecdotes jusqu’à savoir en trouver la forme la plus saisissante, la plus efficace, que l’on ne se lasse pas de collectionner et de brosser des caractères et des types d’humanité, que l’on ne manque surtout pas la moindre occasion de raconter et d’écouter raconter, l’oeil et l’oreille attentifs à l’effet produit sur les autres, que l’on voyage comme un paysagiste, comme un dessinateur de costumes, que l’on extraie d’une science après l’autre tout ce qui, bien exposé, produit un effet d’art, que l’on réfléchisse enfin aux motifs des actions humaines, ne dédaigne aucune indication qui puisse en instruire, et soit jour et nuit à collectionner les choses de ce genre. On laissera passer une bonne dizaine d’années en multipliant ces exercices, et ce que l’on créera alors en atelier pourra se montrer aussi au grand jour de la rue. 

Auteur: Nietzsche Friedrich

Info: Humain, trop humain. Aphorisme 163

[ labeur ] [ souffle ] [ abnégation ] [ prédation ]

 
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insistance

L’inconscient, c’est-à-dire le "refoulé", n’oppose aux efforts de la cure [psychanalytique] aucune espèce de résistance ; en fait il ne tend même à rien d’autre qu’à vaincre la pression qui pèse sur lui pour se frayer un chemin vers la conscience ou vers la décharge par l’action réelle. La résistance dans la cure provient des mêmes couches et systèmes supérieurs de la vie psychique qui avaient produit le refoulement en son temps. [...] Nous échapperons à l’obscurité en opposant non pas le conscient et l’inconscient mais le moi, avec sa cohésion, et le refoulé. Il est certain qu’une grande part du moi est elle-même inconsciente, précisément ce que l’on peut nommer le noyau du moi ; le terme de préconscient ne recouvre qu’une petite partie du moi. [...] la résistance de l’analysé provient de son moi et nous saisissons du coup que la compulsion de répétition doit être attribuée au refoulé inconscient. [...]

Il n’est pas douteux que la résistance du moi conscient et préconscient est au service du principe de plaisir ; elle veut éviter le déplaisir que provoquerait la libération du refoulé tandis que nos efforts tendent à obtenir que ce déplaisir soit admis, en faisant appel au principe de réalité. Mais la compulsion de répétition, cette manifestation de force du refoulé, quel est donc son rapport au principe de plaisir ? Il est clair que la majeure partie des expériences que la compulsion de répétition fait revivre ne peut qu’apporter du déplaisir au moi puisque cette compulsion fait se manifester et s’actualiser des motions pulsionnelles refoulées ; mais il s’agit d’un déplaisir qui, nous l’avons déjà montré, ne contredit pas le principe de plaisir, déplaisir pour un système et en même temps satisfaction pour l’autre. Mais le fait nouveau et remarquable qu’il nous faut maintenant décrire tient en ceci : la compulsion de répétition ramène aussi des expériences du passé qui ne comportent aucune possibilité de plaisir et qui même en leur temps n’ont pu apporter satisfaction, pas même aux motions pulsionnelles ultérieurement refoulées.

Auteur: Freud Sigmund

Info: Dans "Au-delà du principe de plaisir" (1920), trad. de l'allemand par Jean Laplanche et J.-B. Pontalis, éditions Payot, Paris, 2010, pages 61 à 64

[ essai d'instanciation symbolique ] [ problèmes ]

 
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première fois

Il la saisit à bras le corps, rageusement, comme affamé d’elle ; et il parcourait de baisers rapides, de baisers mordants, de baisers fous, toute sa face et le haut de sa gorge, l’étourdissant de caresses. Elle avait ouvert les mains et restait inerte sous ses efforts, ne sachant plus ce qu’elle faisait, ce qu’il faisait, dans un trouble de pensée qui ne lui laissait rien comprendre. Mais une souffrance aiguë la déchira soudain ; et elle se mit à gémir, tordue dans ses bras, pendant qu’il la possédait violemment.

Que se passa-t-il ensuite ? Elle n’en eut guère le souvenir, car elle avait perdu la tête ; il lui sembla seulement qu’il lui jetait sur les lèvres une grêle de petits baisers reconnaissants.

Puis il dut lui parler et elle dut lui répondre. Puis il fit d’autres tentatives qu’elle repoussa avec épouvante ; et comme elle se débattait, elle rencontra sur sa poitrine ce poil épais qu’elle avait déjà senti sur sa jambe et elle se recula de saisissement.

Las enfin de la solliciter sans succès, il demeura immobile sur le dos.

Alors elle songea ; elle se dit, désespérée jusqu’au fond de son âme, dans la désillusion d’une ivresse rêvée si différente, d’une chère attente détruite, d’une félicité crevée : "Voilà donc ce qu’il appelle être sa femme ; c’est cela ! c’est cela !"

Et elle resta longtemps ainsi, désolée, l’œil errant sur les tapisseries du mur, sur la vieille légende d’amour qui enveloppait sa chambre.

Mais, comme Julien ne parlait plus, ne remuait plus, elle tourna lentement son regard vers lui, et elle s’aperçut qu’il dormait ! Il dormait, la bouche entr’ouverte, le visage calme ! Il dormait !

Elle ne le pouvait croire, se sentant indignée, plus outragée par ce sommeil que par sa brutalité, traitée comme la première venue. Pouvait-il dormir une nuit pareille ? Ce qui s’était passé entre eux n’avait donc pour lui rien de surprenant ? Oh ! elle eût mieux aimé être frappée, violentée encore, meurtrie de caresses odieuses jusqu’à perdre connaissance.

Auteur: Maupassant Guy de

Info: Dans "Une vie", éditions Gallimard, 1974, pages 97-98

[ point de vue féminin ] [ baise ] [ relation sexuelle ] [ déception ]

 

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