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déprime

quand on est au plus mal, il n’y a rien à

faire, à part en rire, enfiler ses vêtements

une fois de plus, sortir, voir des visages, des machines,

des rues, des immeubles, le déploiement du

monde.



j’esquisse des gestes, échange des sommes d’argent, réponds

à des questions, en pose quelques-unes, tandis que les heures s’enlisent,

dans mon sillage, elles ne sont pas toujours continuellement

horribles – par moments je suis traversé par une joie

sauvage et je ris, en sachant à peine

pourquoi.

c’est peut-être le pire tour que j’aie appris :

endurer ; je dois apprendre à lâcher prise, ça n’est pas un

truc suspect.



on est bien trop sérieux, on doit apprendre à jongler

avec nos enfers et nos paradis – la vie s’amuse avec

nous, on doit lui renvoyer la balle.



nos chaussures battent le pavé, en nous

traînant derrière elles.



quand on est au plus mal, il faudrait ne rien

faire.



l’exactitude est la liberté : une centaine

de milliers de murs ou toujours

plus de néant, tes os en savent plus que ta

raison.

Auteur: Bukowski Charles

Info: Dans "Tempête pour les morts et les vivants", au diable vauvert, trad. Romain Monnery, 2019, " être là"

[ remède ] [ action méditative ] [ s'en foutre ]

 
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Ajouté à la BD par Coli Masson

déclaration d'amour

Ton petit jeu de mains baladeuses m'a plu, ça m'a rendu chaud comme la braise... Tout ce que tu fais me rend chaud comme la braise... Quand tu jettes de l'argile au plafond... Toi la chienne, toi la mégère rouge et brûlante, toi la ravissante, ravissante femme... Tu as fait naître de nouveaux poèmes, de nouveaux espoirs, une joie nouvelle et de nouveaux tours chez un vieux chien, je t'aime, j'aime les poils de ta chatte que j'ai senti avec mes doigts, l'intérieur de ta chatte, mouillé, chaud, que j'ai senti avec mes doigts ; toi, debout contre le réfrigérateur - ton réfrigérateur est si merveilleux - tes cheveux lâchés, toi, là, sauvage, l'oiseau sauvage, la chose sauvage qu'il y a chez toi, brûlante, obscène, miraculeuse... Te tordre le cou, essayer d'attraper ta langue avec ma bouche, avec ma langue...
Nous étions à Burbank et j'étais amoureux, d'un amour d'outremer, ma bon dieu de maudite déesse, mon allumeuse, ma chienne, mon mon mon mon con de Paradis entouré de poils, battant, respirant, je t'aime... Et j'aime ton réfrigérateur - et quand on s'attrapait et qu'on luttait corps à corps, cette tête sculptée qui nous regardait avec son petit sourire lyrique, cynique, amoureux, ardent...
Je te veux,
Je te veux,
Je te veux TOI,
TOI TOI TOI TOI TOI TOI !

Auteur: Bukowski Charles

Info: lettre de 1972 à Linda King

[ sexe ] [ obsédé ] [ sincérité ]

 

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inventaire

hôpitaux et prisons
c’est ce qu’il y a de pire
asiles de fous
c’est ce qu’il y a de pire
maisons closes
c’est ce qu’il y a de pire
allées boueuses des taudis
c’est ce qu’il y a de pire
lectures de poèmes
concerts de rock
galas en faveur des invalides
c’est ce qu’il y a de pire
obsèques
mariages
c’est ce qu’il y a de pire
défilés
patinoires
partouzes
c’est ce qu’il y a de pire
minuit
trois heures du matin
six heures moins le quart dans l’après-midi
c’est ce qu’il y a de pire
flotter dans le ciel
ouvrir le feu sur les patrouilles de police
c’est ce qu’il y a de meilleur

songer à l’Inde
tomber sur un distributeur de pop corns
regarder le taureau foncer sur le toréador
c’est ce qu’il y a de meilleur

voir trente-six chandelles
un vieux chien se grattant
des cacahuètes dans un sachet de papier
cristal c’est ce qu’il y a de meilleur

atomiser des cafards
enfiler des chaussettes propres
chier sans suppositoire
c’est ce qu’il y a de meilleur

se retrouver attaché à un poteau d’exécution
jeter du pain aux mouettes
couper des tomates en tranches
c’est ce qu’il y a de meilleur

mes mains mortes
mon cœur mort
silence
c’est l’adagio des rochers
et le monde qui s’enflamme
c’est ce qu’il y a de meilleur
pour moi.

Auteur: Bukowski Charles

Info: Dans "L'amour est un chien de l'enfer", pages 135-136, "le pire et le meilleur"

[ situations ] [ contraste ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

déception

J’ai continué à écrire non parce que je me trouvais bon mais parce que les autres me paraissaient si mauvais, y compris Shakespeare, tous ces gars. Le formalisme guindé, comme l’impression de mâcher du carton. J’étais un peu paumé quand j’avais 16, 17, 18 ans, alors je suis allé à la bibliothèque et il n’y avait rien à lire. J’ai parcouru tous les rayons, tous les livres. Ensuite je suis retourné dans la rue et j’ai vu le premier visage, les immeubles, les bagnoles, tout ce qui avait été dit dans les livres n’avait rien à voir avec ce qui se trouvait sous mes yeux, c’était une imitation, une farce. Personne pour me venir en aide. Hegel, Kant… Un branleur du nom d’André Gide… Des noms, des noms, et des baudruches. Keats, quel sac à merde. Rien à sauver. J’ai commencé à voir quelque chose en Sherwood Anderson. Il a failli me montrer la voie, il était stupide et maladroit, mais il te laissait combler les vides. Impardonnable. Faulkner était aussi bidon qu’un tas de cire. Hemingway a démarré très fort, puis il a commencé à se tripoter la nouille et s’est transformé en cette grosse machine qui te pétait à la gueule. Céline a écrit un livre immortel qui m’a fait rire pendant des jours et des nuits (Voyage), ensuite il a viré vieille mémère en colère.

Auteur: Bukowski Charles

Info: Dans "Sur l'écriture", lettre à David Evanier, fin 1972

[ vacheries ] [ littérature ] [ fiction-réalité ] [ écrivains ] [ éloges ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

choc littéraire

Bref, il m'a donné un exemplaire du livre de Céline — Comment ça s'appelle ? – Voyage au bout de la nuit. maintenant écoutez, la plupart des écrivains me rendent malade. Leurs mots ne touchent même pas le papier. Mais Céline, il m'a donné honte du pauvre écrivain que je suis, j'ai eu envie de tout jeter par la fenêtre. Un foutu maître chuchotant dans ma tête. dieu, l'impression d'être redevenu un petit garçon. Tout ouïe. Entre Céline et Dostoïevski il n'y a rien, si ce n'est Henry Miller. Enfin, passé le vertige qui m'a saisi en découvrant combien j'étais insignifiant, j'ai repris la lecture, et je me suis laissé mener par la main, volontiers. Céline était un philosophe qui savait que la philosophie était vaine ; un queutard qui savait que la baise était du vent ; Céline était un ange, il a craché dans les yeux des anges et puis il est descendu dans la rue. Céline savait tout ; je veux dire il en savait autant qu'il y a à savoir quand on a deux bras, deux pieds, une bite, quelques années à vivre ou moins que ça, mais avant toute chose. bien sûr, il avait une bite. vous saviez ça, il n'écrivait pas comme [Jean] Genet, qui écrit très très bien, qui écrit trop bien, qui écrit si bien qu'il vous fait piquer du nez. [...]

Auteur: Bukowski Charles

Info: À Henry Miller 16 août 1965

[ éloge ] [ admiration ] [ inspiration ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

baise

"Méchant méchant méchant homme ! Vous êtes venu pour me violer !"
"Ecoutez la daronne, laissez-moi passer."
"LE MAL EST ECRIT PARTOUT SUR VOTRE FIGURE !"
"Vous croyez que je ne le sais pas ? Allez, laissez-moi sortir d'ici !"
D'une main j'ai tenté de l'écarter. Elle m'a griffé tout un côté de la figure, et pas qu'un peu. J'ai lâché la sacoche, ma casquette est tombée, et comme j'épongeais le sang avec mon mouchoir elle s'est amenée et m'a ratissé l'autre côté.
"SALE CONNASSE ! NON MAIS CA VA PAS, LA TETE?"
"Vous voyez ? Vous voyez ? Vous êtes mauvais !"
Elle était tout contre moi. Je l'ai empoignée par le cul et j'ai mis ma bouche contre la sienne. Ses seins étaient tout contre moi, tout son corps était collé contre moi. Elle a écarté la tête en me repoussant.
"Violeur ! Violeur ! Sale violeur !"
Je lui ai happé un nichon avec ma bouche, puis je suis passé à l'autre.
"Au viol ! Au viol ! On me viole !"
Elle disait vrai. Je lui ai baissé sa culotte, j'ai ouvert ma braguette, la lui ai mise, et je l'ai fait reculer jusqu'au divan. On s'est écroulés dessus.
Elle levait les jambes haut.
"AU VIOL !" qu'elle beuglait.
Je l'ai finie, j'ai refermée ma braguette, empoigné ma sacoche et je suis sorti en la laissant contempler le plafond, calmée...

Auteur: Bukowski Charles

Info: Dans "Le facteur"

[ hystérique ] [ remettre les pendules à l'heure ] [ apaisement nerveux ]

 
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Ajouté à la BD par Coli Masson

rancoeurs

ll y a assez de traîtrise, de haine, de violence,

d'absurdité dans l’être humain moyen

Pour approvisionner à tout moment n’importe quelle armée

Et les plus doués pour le meurtre sont ceux qui prêchent contre

Et les plus doués pour la haine sont ceux qui prêchent l’amour

Et les plus doués pour la guerre – finalement – sont ceux qui prêchent la paix.

Méfiez-vous

De l’homme moyen

De la femme moyenne

Méfiez-vous de leur amour.

Leur amour est moyen, recherche la médiocrité

Mais il y a du génie dans leur haine

Il y a assez de génie dans leur haine pour vous tuer, pour tuer n’importe qui.

Ne voulant pas de la solitude

Ne comprenant pas la solitude

Ils essaient de détruire

Tout

Ce qui diffère d’eux.

Etant incapables

De créer de l’art

Ils ne comprennent pas l’art.

Ils ne voient dans leur échec

En tant que créateurs

Qu’un échec du monde.

Etant incapables d’aimer pleinement

Ils croient votre amour

Incomplet

Du coup, ils vous détestent.

Et leur haine est parfaite

Comme un diamant qui brille

Comme un couteau

Comme une montagne

Comme un tigre

Comme la ciguë

Leur plus grand art.

Auteur: Bukowski Charles

Info: Le Génie de la foule 1966

[ incompréhension ] [ aigreurs ] [ rapports humains ]

 
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Ajouté à la BD par miguel

beaux-arts

Le style est la réponse à tout.

L’approche neuve d’une chose terne et dangereuse.

Mieux vaut faire une chose terne avec du style qu’une chose dangereuse sans style.

Faire une chose dangereuse avec style, c’est ça l’art.



La tauromachie peut être un art.

La boxe peut être un art.

Faire l’amour peut être un art.

Ouvrir une boîte de sardines peut être un art.



Rares sont ceux qui ont du style.

Rares sont ceux qui peuvent le garder.

J’ai vu des chiens avoir plus de style que les hommes.

Bien que peu de chiens aient du style.

Les chats en ont à profusion.



Hemingway se faisant gicler la cervelle contre le mur au calibre 12, ça c’est du style.

Quelquefois les gens vous donnent du style.

Jeanne d’Arc avait du style.

Jean-Baptiste,

Jésus,

Socrate,

César,

Garcia Lorca.



J’ai connu en prison des gens qui avaient du style.

J’en ai connus plus en prison que hors de prison.

Le style, c’est une différence. Une façon de faire, une façon d’être.

Six hérons juchés sur leurs pattes dans un étang…

ou vous, qui sortez nu des chiottes, sans me voir.

Auteur: Bukowski Charles

Info: Mockingbird, Wish Me Luck (Oiseau moqueur, souhaite-moi bonne chance) (1972) Traduction ? merci aux contributeurs si jamais

[ manière ] [ homme-animal ] [ poème ]

 
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Ajouté à la BD par Le sous-projectionniste

émotion médiatique

-Vous avez vu pour ces cinquante petites filles brûlées vives dans cet orphelinat de Boston ?
-Oui.
-Horrible hein ?
-Je suppose que oui.
-Vous supposez ?
-Oui.
-Vous n’êtes pas sûr ?
-Si j’avais été là, je pense que j’en aurais eu des cauchemars pour le restant de ma vie. Mais quand on lit ça dans le journal, ce n’est pas pareil.
-ça vous fait pas de la peine ces cinquante petites filles brûlées vives ? Elles étaient aux fenêtres et elles hurlaient.
-Je suppose que c’était horrible. Mais vous comprenez, c’était juste le titre d’un journal, une histoire de journal. Ça ne m’a pas frappé. J’ai tourné la page.
-Vous voulez dire que ça ne vous fait rien ?
-Pas grand-chose.
Il est demeuré un moment sans rien dire et a bu une gorgée de bière. Puis il a hurlé :
-HÉ ! Y A UN MEC QUI DIT QUE CA LUI FAIT RIEN QUAND ON PARLE DE CES CINQUANTE PETITES ORPHELINES BRÛLÉES VIVES A BOSTON !
Tout le monde m’a regardé. J’ai contemplé le bout de ma cigarette. Il y a eu un long silence. Puis la femme à la perruque rousse a dit :
-Si j’étais un homme, je lui ferais remonter la rue à coups de pompe dans le cul.
-ET IL CROIT PAS EN DIEU NON PLUS, a repris le type à côté de moi. IL DÉTESTE LE BASE-BALL. IL ADORE LA CORRIDA, ET IL AIME VOIR DES PETITES ORPHELINES PÉRIR DANS LES FLAMMES !

Auteur: Bukowski Charles

Info: "Une bière au bar du coin" dans "Je t'aime Albert" pages 235-236

[ lynchage public ] [ faits divers ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

misanthrope

Quant à ma vie, elle était toujours aussi lamentable qu'au jour de ma naissance. Une seule chose avait changé : maintenant, et ce n'était jamais assez souvent, je pouvais boire de temps en temps. Boire était la seule chose qui permettait de ne pas se sentir à jamais perdu et inutile. Tout le reste n'était qu'ennuis qui ne cessaient de vous démolir petit à petit. Sans compter qu'il n'y avait rien, mais alors ce qui s'appelle rien d'intéressant dans l'existence. Les gens vivaient en deçà d'eux-mêmes, les gens étaient prudents, les gens étaient tous pareils. "Et dire qu'il va falloir continuer à vivre avec tous ces connards jusqu'au bout", pensai-je. "Nom de Dieu !" Et en plus, ils avaient tous des trous du cul et des organes sexuels ! Et des bouches ! Et des aisselles ! Et tout ça chiait et bavardait et était aussi mortellement ennuyeux que de la merde d'âne. Les filles ? Elles étaient belles de loin, lorsque le soleil jouait dans leurs cheveux ou brillait au travers de leurs robes. Mais à s'approcher d'elles et à les écouter couler de la cervelle par la bouche, on n'avait plus envie que d'aller s'enterrer sous une colline ou se cacher avec un fusil mitrailleur pour s'en protéger. Il était évident que je ne serais jamais capable d'être heureux, de me marier et d'avoir des enfants. Et pourquoi l'aurait-il fallu alors que je n'étais même pas foutu de me trouver un boulot de plongeur dans un restaurant ?

Auteur: Bukowski Charles

Info: Souvenirs d'un pas grand-chose, p 354 en Livre de Poche

[ déprime ]

 

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