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être humain

Dans ce qui va suivre, j'utiliserai la notion de "pédagogie noire" pour désigner cette attitude hautement complexe, le contexte permettant chaque fois de comprendre quel aspect je fais passer au premier plan. Les différents aspects caractéristiques ressortent directement des citations précédentes qui nous enseignent les principes suivants :
1.que les adultes sont les maîtres (et non pas les serviteurs!) de l'enfant encore dépendant ;
2.qu'ils tranchent du bien et du mal comme des dieux ;
3.que leur colère est le produit de leurs propres conflits ;
4.qu'ils en rendent l'enfant responsable ;
5.que les parents ont toujours besoin d'être protégés ;
6.que les sentiments vifs qu'éprouve l'enfant pour son maître constituent un danger ;
7.qu'il faut le plus tôt possible "ôter à l'enfant sa volonté" ;
8.que tout cela doit se faire très tôt de manière à ce que l'enfant "ne s'aperçoivent de rien" et ne puisse pas trahir l'adulte.
***
L'une des méthodes de la "pédagogie noire" consiste également à transmettre dès le départ à l'enfant des informations et des opinions fausses. Ces dernières se transmettent depuis des générations et sont respectueusement reprises à leur compte par les enfants, alors que non seulement leur validité n'est pas prouvée, mais qu'il est prouvé qu'elles sont fausses. Entre autres opinions erronées, on peut citer par exemple les principes selon lesquels ;
1.le sentiment du devoir engendre l'amour ;
2.on peut tuer la haine par des interdits ;
3.les parent méritent a priori le respect en tant que parents ;
4.les enfants ne méritent a priori aucun respect ;
5.l'obéissance rend fort ;
6.un sentiment élevé de sa propre valeur est nuisible ;
7.un faible sentiment de sa propre valeur est nuisible ;
8.les marques de tendresse sont nocives (mièvrerie) ;
9.il ne faut pas céder aux besoins de l'enfant ;
10.la dureté et la froideur sont une bonne préparation à l'existence ;
11.une reconnaissance simulée vaut mieux qu'une sincère absence de reconnaissance ;
12.l'apparence est plus importante que l'être ;
13.les parents ni Dieu ne pourraient supporter la moindre injure ;
14.les corps est quelque chose de sale et de dégoûtant ;
15.la vivacité des sentiments est nuisible ;
16.les parents sont des êtres dénués de pulsions et exempts de toute culpabilité ;
17.les parents ont toujours raison.

Auteur: Miller Alice

Info: C'est pour ton bien, p. 77

[ dressage ]

 

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antispiritualisme

Regardez tous ces gens qui se dressent au-dessus du peuple chrétien, n'ont-ils pas altéré l'image de Dieu et sa vérité ? Ils ont la science assujettie aux sens. Quant au monde spirituel, la moitié supérieure de l'être humain, on le repousse, on le bannit allègrement, même avec haine. Le monde a proclamé la liberté [...] ; mais que représente cette liberté ! Rien que l'esclavage et le suicide ! Car le monde dit : "Tu as des besoins, assouvis-les, tu possèdes les mêmes droits que les grands, et les riches. Ne crains pas donc pas de les assouvir, accrois-les même" ; voilà ce qu'on enseigne maintenant. Telle est leur conception de la liberté. Et que résulte-t-il de ce droit à accroître les besoins ? Chez les riches, la solitude et le suicide spirituel ; chez les pauvres, l'envie et le meurtre, car on a conféré des droits, mais on a pas encore indiqué les moyens d'assouvir les besoins. On assure que le monde, en abrégeant les distances, en transmettant la pensée dans les airs, s'unira toujours davantage, que la fraternité régnera. Hélas ! Ne croyez pas à cette union des hommes. Concevant la liberté comme l'accroissement des besoins et leur prompte satisfaction, ils altèrent leur nature, car ils font naître en eux une foule de désirs insensés, d'habitudes et d'imaginations absurdes. Ils ne vivent que pour s'envier mutuellement, pour la sensualité et l'ostentation. [...] quant aux pauvres, l'inassouvissement des besoins et de l'envie sont pour le moment noyés dans l'ivresse. Mais bientôt, au lieu de vin, ils s'enivreront de sang, c'est le but vers lequel on les mène. Dites-moi si un tel homme est libre. Un "champion de l'idée" me racontait un jour qu'étant en prison on le priva de tabac et que cette privation lui fut si pénible qu'il faillit trahir son "idée" pour en obtenir. Or cet individu prétendait "lutter pour l'humanité". De quoi peut-il être capable ? Tout au plus d'un effort momentané, qu'il ne soutiendra pas longtemps. Rien d'étonnant à ce que les hommes aient rencontré la servitude au lieu de la liberté, et qu'au lieu de servir la fraternité et l'union ils soient tombés dans la désunion et la solitude [...]. Aussi le dévouement à l'humanité, de la fraternité, de la solidarité disparaît-elle graduellement dans le monde ; en réalité, on l'accueille même avec dérision, car comment se défaire de ses habitudes, où ira ce prisonnier des besoins innombrables par lui inventés ? Dans la solitude, il se soucie fort peu de la collectivité. En fin de compte, les biens matériels se sont accrus et la joie a diminué.

Auteur: Dostoïevski Fédor Mikhaïlovitch

Info: Les Frères Karamazov (1880), p. 426, trad. Henri Montgault, éd. Gallimard, coll. "Folio"

[ impasse matérialiste ]

 

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origine légendaire

Lorsque le niveau de l’eau se mit à s’élever, tous les poissons remontèrent à la surface, gonflés, déjà morts ou en train d’agoniser en se convulsant. Le peuple des rives du lac regarda son garde-manger disparaître en l’espace de quelques jours – l’inondation ne semblait pas vouloir s’arrêter. L’un des anciens de la tribu remarqua que l’eau avait pris un goût salé. Bientôt, elle vint lécher les fragiles fondations des huttes en bois : il n’y avait rien d’autre à faire que de fuir devant ce déferlement, en emportant tout ce qu’on pouvait. Des réfugiés apeurés des tribus de l’Est rapportèrent avoir entendu un épouvantable grondement. Ceux qui s’attardèrent furent noyés. En quelques semaines, le niveau de l’eau s’éleva de 120 mètres. Ceux qui firent partie de cette diaspora désespérée fuirent vers l’ouest, le long de la vallée du Danube, ou le sud-est, au pied du Caucase. D’autres traversèrent les terres sauvages, loin à l’est, pour finalement trouver refuge autour d’un lac qui se trouvait alors entre les monts Tian et le plateau tibétain. Une poignée de tribus, plus chanceuses ou plus audacieuses, franchirent les monts du Taurus pour arriver dans les plaines connues aujourd’hui sous le nom de Mésopotamie. Dans tous les lieux où les survivants finirent par s’installer, l’effroyable inondation devint un événement capital qui servit à mettre en garde et à terroriser les générations suivantes, un événement si profondément traumatique qu’on se le raconta pendant plusieurs millénaires, transmettant son souvenir à l’oral avant de l’immortaliser dans l’argile. Aujourd’hui encore, les guslars, ces rhapsodes des Balkans, continuent de le chanter. Ce fut, d’après Ryan et Pitman, le vrai Déluge, l’événement historique qui a inspiré l’épisode biblique. Le Déluge résulta de l’inondation d’un immense lac d’eau douce qui devint, en quelques semaines, la mer Noire. Elle est noire parce que, quelques mètres sous sa surface, la vie disparaît – à cause du manque d’oxygène – et que son fond est recouvert d’une vase sombre et fétide où seules les bactéries peuvent se développer. Les poissons ne prospèrent que dans la couche supérieure des eaux, au-dessus de profondeurs où ils étoufferaient en quelques secondes. La transformation de ce lac en une mer, la plus mystérieuse de toutes, a eu lieu lorsque les Dardanelles furent percées il y a plus de 7 000 ans. La Méditerranée se déversa à travers un canyon en direction des terres en contrebas lorsqu’une barrière de terre céda. C’était la conséquence de la montée du niveau de l’eau à la fin de la dernière ère glaciaire. Une catastrophe comparable à la rupture d’une digue géante, un déferlement équivalant à 400 chutes du Niagara.

Auteur: Fortey Richard

Info: Books.fr, https://www.books.fr/une-autre-histoire-du-deluge-2/

[ traumatisme ] [ catastrophe naturelle ] [ géographie ] [ genèse ]

 

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protestantisme

1525. — La révolte des paysans. Un brusque éclair déchirant les nuées d’illusion. Et Luther vit, tel qu’il était réellement, il vit, sa faux en mains, son épieu levé, l’homme du peuple misérable, inculte, grossier. Et qui n’acceptait pas, mais de toute sa force sauvage ébranlait furieusement les parois de sa cellule. Lui promettre les fruits magnifiques de la liberté chrétienne ? Dérision trop forte. Prendre part à ses peines, épouser ses revendications ? Jamais. C’était contre Dieu. Et d’ailleurs, le raisonnement que Luther oppose aux iconoclastes : "Les images sont sans vertu ? pourquoi donc s’insurger contre elles ?" — ce raisonnement s’appliquait trop bien aux princes : "Quel pouvoir possèdent-ils sur les âmes ? Aucun. Pourquoi donc se dresser contre une tyrannie qui ne mord pas sur la vraie personne ?" Non, pas de collaboration avec les mutins. Les réprimer, durement. Cogner sans scrupules sur ces museaux insolents.

À ce prix, toutes choses redeviendraient claires. Tout s’ordonnerait à nouveau, de façon satisfaisante. D’un côté, les héros. Quelques rares génies, quelques puissantes individualités, acceptant avec indifférence les contraintes extérieures, subissant sans prendre la peine de protester ou de résister, toutes les gênes et toutes les mesquineries, mais connaissant au-dedans d’eux-mêmes la véritable liberté, la joie surhumaine d’échapper aux servitudes, de tenir les lois pour nulles, de conduire contre les nécessités mécaniques la révolte du libre esprit. De l’autre côté, la masse, soumise aux contraintes, éprouvant leurs rigueurs salutaires, possédant elle aussi en théorie sa liberté intérieure, mais incapable d’en user et menant sa vie dans les cadres d’un état patriarcal agissant et prévoyant pour tous, appliquant à son cheptel humain les recettes d’un despotisme plus ou moins éclairé...

Contraste brutal d’une société luthérienne se développant dans sa médiocrité avec son moralisme pharisaïque et timoré, sa parfaite réussite dans les petites choses, sa passivité et sa lâcheté dans les grandes, et d’une foi visionnaire animant quelques génies héroïques à qui rien ni personne n’en impose, et dont l’esprit parcourt des espaces infinis : mais leur corps reste à terre, dans la boue commune. Des citoyens ? Oui, de la cité céleste. La cité terrestre, ils n’aspirent ni à la diriger ni à l’améliorer. Sujets dociles, fonctionnaires modèles, ils donnent l’exemple de la soumission parfaite aux ordres d’un Prince, qui finalement, se dressant au-dessus de toutes les têtes courbées, détient seul un pouvoir que nul ne lui conteste.

C’était toute l’histoire, toute la philosophie de l’Allemagne luthérienne qui se dessinait ainsi, au printemps de 1525, dans les rêveries sans doute, dans les exhortations en tout cas d’un Luther, troublé au fond de son cœur et d’autant plus fort criant ses certitudes.

Auteur: Febvre Lucien

Info: Un destin : Martin Luther, PUF, 1968, pages 166-167

[ éternel-temporel ] [ obéissance ] [ politique ]

 

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cruauté

Rauching était un homme rempli de toutes les vanités, bouffi d'orgueil, insolent de ses titres, traitant ses subalternes comme s'il ignorait qu'il fût homme lui-même, dépassant toutes les bornes de la méchanceté et de la folie humaines dans ses cruautés envers les siens, et commettant des maux horribles. Si un esclave tenait devant lui, pendant son repas, comme c'était l'usage, un cierge allumé, il lui faisait mettre les jambes nues, et le forçait à y tenir le cierge serré, jusqu'à ce que la lumière s'éteignît.
Quand on l'avait rallumé, il faisait recommencer jusqu'à ce que les jambes du serviteur fussent toutes brûlées. Si celui ci voulait pousser un cri, ou quitter cette place et aller ailleurs, une épée nue le menaçait à l'instant; et quand il arrivait qu'il se mît à pleurer, son maître était dans dés transports de joie. Quelques personnes ont raconté que deux de ses serviteurs, un homme et une jeune fille, se prirent d'amour l'un pour l'autre.
Cette inclination s'étant prolongée pendant deux années ou davantage, ils s'unirent, et se réfugièrent ensemble dans l'église. Rauching l'ayant appris, va trouver le prêtre du lieu, et le prie de lui rendre sur-le-champ ses deux serviteurs, auxquels il pardonne. Alors le prêtre lui dit : " Tu sais quel respect on doit avoir pour les églises de. Dieu; tu ne pourras les ravoir que si tu jures de maintenir leur union, et que si tu t'obliges aussi à les exempter de toute peine corporelle. " Rauching, après avoir longtemps réfléchi, incertain et silencieux, se tourna enfin vers le prêtre , plaça ses mains sur l'autel, et dit en prononçant un serment : " Jamais ils ne seront séparés par moi ; au contraire, je ferai en sorte qu'ils restent toujours unis. " Le prêtre crut sans défiance à la promessede cet homme rusé, et lui rendit les serviteurs ainsi pardonnes. Il les reçut en remerciant, et retourna chez lui. Aussitôt il fait arracher un arbre, et, après en avoir séparé le tronc des racines et de la tête à coups de coin, il le fait creuser; puis ayant fait ouvrir la terre à la profondeur de trois ou quatre pieds, il ordonne qu'on dépose cette caisse dans la fosse. Il y fit arranger la jeune fille comme une morte, puis jeter l'esclave sur elle, et ayant mis un couvercle par-dessus, il remplit la fosse de terre et les ensevelit tout vifs en disant : " Je n'ai pas violé mon serment qu'ils ne seraient jamais séparés. " Quand le prêtre apprit cela, il accourut en hâte, et par ses reproches obtint, non sans peine, qu'on les déterrât. Il retira le jeune homme encore vivant, mais il trouva la jeune fille étouffée.

Auteur: Grégoire de Tours

Info: Histoire ecclésiastique de France

[ barbarie ]

 

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hérésie chrétienne

Le défi que les Frères du Libre Esprit lancent à la voie chrétienne de l’intériorité [...] concerne en dernier ressort la dualité créé-Incréé, sur le plan de laquelle se situe l’exotériste pieux. Celui-ci croit se garantir contre les horreurs de ce qu’on appellera plus tard le panthéisme et les déviations morales qu’il entraîne, en posant une distinction ontologiquement radicale entre le Créateur et la créature. Mais cette garantie se révèle à l’examen moins efficace que ne le croit une théologie un peu sommaire. Car voici l’objection : si Dieu est l’être absolu et infini, comment pourra-t-il exister en dehors de Lui un autre être ? Un tel être, non-divin, constituerait en effet, pour l’Être infini, une limitation ; ce qui est contradictoire. Ne faut-il pas alors conclure, ou que la créature n’existe pas – ce qui est impossible – ou que son être est l’Être même de Dieu ? Quand cette conclusion théorique se transforme en prise de conscience effective, estime l’adepte du "libre Esprit", l’âme accède à la "gnose" libératrice de sa nature divine. Pour elle, Dieu est mort en tant qu’idole morale et conceptuelle : elle est vraiment délivrée et tout lui est permis.

La réponse qu’apporte la Theologia teutsch à ce défi radical nous paraît d’une grande profondeur et doit être écoutée attentivement. [...]

Si l’on identifie la créature au Créateur (en quoi consiste le panthéisme), ne risque-t-on pas de tomber dans l’athéisme pur et simple ? Et, si l’on nie la réalité de l’infini divin, qu’en est-il alors de la liberté de l’Esprit ? Seule subsiste la finitude du créé, de la nature et de ses lois, et la prétendue libération de toute règle se réduit à un asservissement indéfini aux déterminismes des instincts les plus aveugles. Il s’agit donc de montrer que la solution du Libre Esprit est une illusion, qu’elle conduit à la servitude, non à la liberté, mais sans renoncer à la vérité de l’Esprit, à son exigence d’unité et d’intériorité, qui nous conduit à dépasser l’interprétation exotérique de la dualité du créé et de l’Incréé. Maintenir cette dualité telle quelle, en effet, n’a que les apparences d’une fidélité à l’orthodoxie de la foi. Par cette dualité même, la transcendance de Dieu est sans doute sauvegardée, mais l’indépendance et la suffisance de la créature sont en même temps posées, comme si la créature pouvait exister en dehors de Dieu et se passer ontologiquement de Lui. Il faut donc dépasser la dualité, mais sans l’abolir, de telle sorte qu’au contraire elle soit fondée et confirmée. La créature est à la fois en Dieu et hors de Dieu. Il convient cependant d’observer que la Theologia germanica se préoccupe plus d’enseigner une voie spirituelle qui permette de réaliser cette non-dualité, que d’en exposer théoriquement la doctrine métaphysique.

Auteur: Borella Jean

Info: Dans "Lumières de la théologie mystique", éditions L'Harmattan, Paris, 2015, pages 169-170

[ problème ] [ ésotérisme ]

 
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philosophie politico-scientifique

Prix Nobel de physiologie et de médecine en 1965, professeur au Collège de France et directeur de l'Institut Pasteur, Jacques Monod, qui s'est situé à l'avant-garde de la biologie par les travaux qu'il a menés avec André Lwoff et François Jacob sur le code génétique, déborde avec ce livre le domaine scientifique et tente de dégager de la biologie moderne des implications à la fois épistémologiques, éthiques et politiques.

Jacques Monod  part d'une distinction, à ses yeux fondamentale, entre les êtres vivants et les autres structures existantes. Les vivants sont des objets doués d'un projet, propriété qu'il appelle téléonomie. En outre, contrairement aux objets fabriqués, les êtres vivants sont des machines qui se construisent elles-mêmes et qui se reproduisent elles-mêmes de façon invariante. Le projet téléonomique fondamental d'une espèce est d'assurer à la génération suivante la transmission d'un contenu spécifique d'invariance reproductive. La distinction entre téléonomie et invariance se trouve justifiée par des considérations chimiques.

Mais le principe d'objectivité de la nature, pierre angulaire de la science, qui refuse toute explication finaliste, paraît en contradiction avec la téléonomie. Selon Jacques Monod, cette contradiction se résout si l'on fait de l'invariance la propriété primitive et de la téléonomie une propriété seconde. Cette thèse est conforme à la théorie de l'évolution sélective, qui rend compte du raffinement progressif des structures téléonomiques par des perturbations survenues dans une structure possédant déjà la propriété d'invariance. Ainsi, l'évolution apparemment orientée des espèces s'explique par un mécanisme de sélection d'une série de hasards (les mutations), mécanisme qui obéit à des lois biologiques et physico-chimiques nécessaires.

Au contraire, estime Jacques Monod, les idéologies religieuses et la plupart des systèmes philosophiques nient le hasard et font appel à un principe téléonomique universel, responsable d'une évolution cosmique qui a pour but l'épanouissement humain. Cette interprétation est également présente, selon Jacques Monod, dans le progressisme scientiste du XIXe siècle et dans le matérialisme dialectique de Marx et d'Engels.

Résolument indéterministe en ce qui concerne aussi bien l'avènement de l'homme que celui de la cellule primitive, Jacques Monod estime que l'un comme l'autre disposaient, dans la loterie de l'univers, d'une chance voisine de zéro. Cette idée, à laquelle conduit la connaissance objective, est très difficilement acceptable, parce que les hommes ont toujours eu besoin, pour dissiper leur angoisse, de croire qu'ils occupent dans les plans de la nature une place nécessaire.

Jacques Monod, dans les dernières pages, les plus célèbres de son livre, appelle l'homme contemporain à abandonner les valeurs millénaires pour adopter une éthique de la connaissance. Cette éthique définit une valeur transcendante, la connaissance vraie, et propose à l'homme de la servir. Monod y voit la seule attitude rationnelle sur laquelle s'édifierait un véritable socialisme. Emergé par hasard dans l'immensité de l'univers, l'homme peut choisir de se libérer des servitudes mensongères de l'animisme.

Auteur: Favrod Charles-Henri

Info: https://www.letemps.ch/, 27 octobre 2000 - Les grands livres du XXe siècle. "Le hasard et la nécessité" de Jacques Monod

[ univers laïc ] [ post-darwinisme ] [ citation s'appliquant à ce logiciel ]

 

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totalitarisme

Il faut donc repousser toutes les légendes qui tendent à représenter le Léviathan comme un être fabuleux, doué de passions et de vices, comme un animal méchant, broyant volontairement les êtres humains et se les incorporant pour son seul plaisir.

Sans doute, dans ce corps gigantesque, les hommes ne furent plus que de simples cellules ; mais ce fut avec joie qu’ils acceptèrent cette diminution de leur propre individualité.

Dès les origines du monde moderne, Montaigne, sous la signature de La Boëtie, avait observé cette tendance qu’éprouvent tous les hommes à la servitude volontaire. Les plus grands empires sont basés sur cette joie naturelle qu’éprouvent les individus à se sentir dominés, groupés et conduits. Les révolutions mêmes, qui se sont accomplies dans l’histoire du monde, ne démentent point ces principes absolus. On peut croire, tout d’abord, que ce sont les éléments asservis d’un pays qui se révoltent contre les dirigeants, mais si l’on examine les choses d’un peu plus près, on ne tarde point à reconnaître qu’un mouvement révolutionnaire a toujours pris sa source dans les classes dirigeantes et que c’est de là que vint, comme toujours, l’ordre qui poussa les masses en avant.

Il suffit, en effet, de jouir d’une chose pour n’y plus tenir, qu’il s’agisse de la fortune ou de la vie. C’est ainsi que l’on a observé de tout temps qu’un certain degré de santé était nécessaire pour se tuer, et que les gens qui se suicident ne veulent point se faire de mal ; on se jette à l’eau en été, mais presque jamais en hiver.

En politique, il en va de même ; un bien-être relatif est nécessaire pour organiser des réformes ou des révolutions et ce sont en général les dirigeants qui sont les premiers lassés de privilèges qu’ils abandonnent volontiers.

Lorsque le Léviathan commença à se former, il trouva un appui immédiat auprès des penseurs et des artistes, auprès de tous ceux qui passaient cependant, jusque-là, pour représenter les idées individualistes. On commença à se spécialiser chaque jour davantage, la servitude volontaire aux fonctions sociales fut consentie joyeusement.

On parla bien de neurasthénie, de maladies de la volonté, il n’en fut rien : ce fut le plus consciemment du monde que l’élite se désintéressa la première des idées générales, de la direction des affaires et cantonna chacun chez soi, dans la sphère d’action où il se trouvait placé. Cent cinquante ans après la proclamation des droits de l’homme, parut la proclamation des devoirs qui asservissait l’autorité individuelle de chacun aux conditions de l’ensemble et qui reconnaissait l’indiscutable supériorité de l’organisme scientifique qui gouvernait le monde.

[...]

Ce fut par des mouvements sourds, par des idées générales inexplicables, que se révéla, pour la première fois, l’existence de l’être nouveau. Lorsque, petit à petit, tous les hommes comprirent que ce n’était point pour eux-mêmes, pour leur propre bonheur, qu’ils travaillaient, mais pour un sombre et mystérieux inconnu, lorsque la distinction s’accentua, toujours davantage, entre leur propre bonheur et le bonheur social auquel ils coopéraient, il y eut alors comme de sourdes révoltes individuelles, comme un désespoir effrayant qui s’empara de l’humanité tout entière. Mais à ce moment-là, la spécialisation et l’organisation scientifiques avaient déjà fait leur œuvre. En dehors des fonctions sociales et de l’organisme économique, la vie ne semblait plus possible à ces hommes spécialisés ; et, lentement, en désespérés, sans but possible, désolés, ils poursuivirent leur besogne obscure, comme des mineurs au fond d’une mine, comme des globules fonctionnant automatiquement, se nourrissant, se défendant ou succombant à l’intérieur du sang, pour un être qu’ils ne connaissaient point, qu’ils ne comprendraient jamais et qui les ignorait lui-même comme l’homme ignore le travail de la chair dont il vit.

Auteur: Pawlowski Gaston de

Info: Voyage au pays de la quatrième dimension, Flatland éditeur, 2023, pages 79-84

[ indifférenciation ]

 

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spiritualité

Le contexte des Dialogues avec l'ange est le suivant : en 1943, en Hongrie, quatre amis (Hanna, Joseph, Lili et Gitta) se réunissent régulièrement pour des discussions sur le sens de leurs vies. Au cours d'une de ces discussions, Hanna déclare soudainement : "Attention ! Ce n'est plus moi qui parle." Hanna deviendra le relais des paroles d'une entité mystérieuse qu'ils appelleront l'Ange. Gitta fera la transcription de ces dialogues. Seule survivante des tueries nazies de cette époque, c'est aussi elle qui fera le travail de diffusion de ces entretiens avec l'Ange qui dureront jusqu'à la fin de l'année 1944. Plus rien après la mort de Hanna, le "petit serviteur".

La beauté et l'horreur se répondent en arrière-plan de ces dialogues. Leur intensification suit le déploiement et l'extension de la fureur nazie. Dans les premiers dialogues, l'Ange prend le temps de s'adresser individuellement à ses interlocuteurs à qui il attribue un symbole comme une mission de vie à laquelle il faut se vouer et comme une voie parmi tant d'autres permettant de rejoindre Dieu. L'Ange des premiers dialogues peut sembler tempétueux, lunatique et direct, comme le Yahvé de l'Ancien testament. Un Ange qui, d'inconscient, deviendra de plus en plus conscient ?

Mais les conditions politiques à l'extérieur deviennent de plus en plus menaçantes. "Les juifs sont entassés dans un quartier de Budapest transformé en ghetto, et dont les entrées sont surveillées. Nous ne savons pas à quel moment Joseph et Hanna seront touchés aussi." Les dialogues avec l'Ange permettent de nourrir un espace mental hors du temps même si les paroles de l'Ange semblent répondre indirectement - symboliquement - aux périls du moment. "Grâce au dernier entretien, nous sommes capables d'affronter cette menace avec un calme relatif. La situation extérieure ne s'est pas améliorée, bien au contraire, mais nous, nous avons changé. C'est pourquoi le message d'aujourd'hui est un chant de joie." le ton change. L'Ange ne s'adresse plus individuellement à chacun. Au-delà des singularités et des voies apparemment dissemblables, l'expression devient poétique mais occulte et se lit comme un texte dont il nous faut acquérir la clé de compréhension. Dans l'urgence des derniers mois de l'année 1944, alors que les nazis hongrois menacent l'atelier de couture que dirige Gitta et dans lequel se cachent et travaillent une quasi centaine de femmes juives, l'Ange se manifeste brutalement, en-dehors du cadre régulateur des séances du vendredi, affirmant avec une volonté constante de précision quelle est la place de l'homme dans l'univers.

L'Ange est-il réellement ange ? "Tout le monde peut parler avec son ange", affirmait Gitta Mallasz dans une de ses dernières interviews dans les années 90 – même si cela n'arrive pas à beaucoup d'entre nous.

L'Ange est-il l'inconscient personnel de Hanna ? L'évolution du discours semble trop complexe pour pouvoir n'être qu'une émanation immédiate d'un arrière-plan psychique individuel. Tout au long des deux années d'entretiens, le discours (sur la souffrance, sur l'individualisme, sur le nouveau) évolue et s'adapte à la capacité de compréhension de ses interlocuteurs pour s'offrir en fracas dans le dernier dialogue. On ne peut que penser à une offrande verbale soigneusement préparée, mais peut-être s'agit-il aussi du mouvement naturel de la croissance des pensées.

L'Ange est-il transcription de pensées sauvages attendant leur propriétaire dans le vaste espace de l'univers ? Hanna aurait alors développé une fonction médiumnique permettant de penser des pensées encore non accessibles à la plupart d'entre nous. Que ne pouvons-nous encore penser, ne disposant pas de la capacité mentale nécessaire à métaboliser des aliments psychiques encore trop riches pour nous ? Ces dialogues avec l'Ange pourraient-ils nous en donner un aperçu ?

Toutes ces hypothèses ne sont bien sûr que pure spéculation et manière de m'aider à rêver les Dialogues avec l'ange. Car, comme le dit l'Ange :

"Faites attention ! Si l'adulte grandit encore,

c'est la tumeur ou la graisse et ce n'est pas beau.

Vous êtes devenus adultes.

Vous avez à mettre au monde le Nouveau, l'Enfant.

Déjà, ce n'est plus vous-même

que vous avez à faire grandir."

Auteur: Arcé Alexandra

Info: Sur Babelio, 21 nov. 2019

[ critique littéraire ] [ questions ]

 

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pression industrielle

Ainsi, depuis un an ou deux, je me pose des questions. Je ne les pose pas seulement à moi-même. Je les pose aussi à des collègues et, tout particulièrement depuis plusieurs mois, six mois peut-être, je profite de toutes les occasions pour rencontrer des scientifiques, que ce soit dans les discussions publiques comme celle-ci ou en privé, pour soulever ces questions. En particulier : "Pourquoi faisons-nous de la recherche scientifique ?" Une question qui est pratiquement la même peut-être, à longue échéance du moins, que la question : "Allons-nous continuer la recherche scientifique ?"

La chose extraordinaire est de voir à quel point mes collègues sont incapables de répondre à cette question. En fait, pour la plupart d’entre eux, cette question est simplement si étrange, si extraordinaire, qu’ils se refusent même de l’envisager. En tout cas, ils hésitent énormément à donner une réponse quelle qu’elle soit. Lorsqu’on parvient à arracher une réponse dans les discussions publiques ou privées, ce qu’on entend généralement c’est, par ordre de fréquence des réponses : "La recherche scientifique ? J’en fais parce que ça me fait bien plaisir, parce que j’y trouve certaines satisfactions intellectuelles." Parfois, les gens disent : "Je fais de la recherche scientifique parce qu’il faut bien vivre, parce que je suis payé pour cela."

Mais tout ceci, finalement ne répond pas à la question : "A quoi sert socialement la recherche scientifique ?" Parce que, si elle n’avait comme but que de procurer du plaisir, disons à une poignée de mathématiciens ou d’autres scientifiques, sans doute la société hésiterait à y investir des fonds considérables – en mathématiques ils ne sont pas très considérables, mais dans les autres sciences, ils peuvent l’être. La société hésiterait aussi sans doute à payer tribut à ce type d’activité ; tandis qu’elle est assez muette sur des activités qui demandent peut-être autant d’efforts, mais d’un autre type, comme de jouer aux billes ou des choses de ce goût-là. On peut développer à l’extrême certaines facilités, certaines facultés techniques, qu’elles soient intellectuelles, manuelles ou autres, mais pourquoi y a-t-il cette valorisation de la recherche scientifique ? C’est une question qui mérite d’être posée.

En parlant avec beaucoup de mes collègues, je me suis aperçu au cours de l’année dernière qu’en fait cette satisfaction que les scientifiques sont censés retirer de l’exercice de leur profession chérie, c’est un plaisir… qui n’est pas un plaisir pour tout le monde ! Je me suis aperçu avec stupéfaction que pour la plupart des scientifiques, la recherche scientifique était ressentie comme une contrainte, comme une servitude. Faire de la recherche scientifique, c’est une question de vie ou de mort en tant que membre considéré de la communauté scientifique. La recherche scientifique est un impératif pour obtenir un emploi, lorsqu’on s’est engagé dans cette voie sans savoir d’ailleurs très bien à quoi elle correspondait. Une fois qu’on a son boulot, c’est un impératif pour arriver à monter en grade. Une fois qu’on est monté en grade, à supposer même qu’on soit arrivé au grade supérieur, c’est un impératif pour être considéré comme étant dans la course. On s’attend à ce que vous produisiez. Mais pourquoi y a-t-il cette valorisation de la recherche scientifique ? C’est une question qui mérite d’être posée.

[...]

Un autre aspect de ce problème qui dépasse les limites de la communauté scientifique, de l’ensemble des scientifiques, c’est le fait que ces hautes voltiges de la pensée humaine se font aux dépens de l’ensemble de la population qui est dépossédée de tout savoir. En ce sens que, dans l’idéologie dominante de notre société, le seul savoir véritable est le savoir scientifique, la connaissance scientifique, qui est l’apanage sur la planète de quelques millions de personnes, peut-être une personne sur mille. Tous les autres sont censés "ne pas connaître" et, en fait, quand on parle avec eux, ils ont bien l’impression de "ne pas connaître". Ceux qui connaissent sont ceux qui sont là-haut, dans les hautes sciences : les mathématiciens, les scientifiques, les très calés, etc. Donc, je pense qu’il y a pas mal de commentaires critiques à faire sur ce plaisir que nous retourne la science et sur ses à-côtés. Ce plaisir est une sorte de justification idéologique d’un certain cours que la société humaine est en train de prendre et, à ce titre, je pense même que la science la plus désintéressée qui se fait dans le contexte actuel, et même la plus éloignée de l’application pratique, a un impact extrêmement négatif.

Auteur: Grothendieck Alexandre

Info: Allons-nous continuer la recherche ? 27 janvier 1972

[ éthique ] [ intérêts financiers ] [ discours dominant ] [ déshumanisante ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson