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écriture

Je voudrais dire ce que c’est qu’un style. C’est la propriété de ceux dont on dit d’habitude "ils n’ont pas de style... ".
Ce n’est pas une structure signifiante, ni une organisation réfléchie, ni une inspiration spontanée ni une orchestration, ni une petite musique. C’est un agencement, un agencement d’énonciation.

Un style, c’est arriver à bégayer dans sa propre langue. C’est difficile parce qu’il faut qu’il y ait nécessité d’un tel bégaiement. Non pas être bègue dans sa parole, mais être bègue du langage lui-même. Etre comme un étranger dans sa propre langue. Faire une ligne de fuite. Les exemples les plus frappants pour moi: Kafka, Beckett, Gherasim Luca, Godard.

Gherasim Luca est un grand poète parmi les plus grands: il a inventé un prodigieux bégaiement, le sien. Il lui est arrivé de faire des lectures publiques de ses poèmes; deux cents personnes, et pourtant c’était un événement, c’est un événement qui passera par ces deux cents, n’appartenant à aucune école ou mouvement. Jamais les choses ne se passent là où on croit, ni par les chemins qu’on croit.

On peut toujours objecter que nous prenons des exemples favorables, Kafka juif tchèque écrivant en allemand, Beckett irlandais écrivant anglais et français, Luca d’origine roumaine, et même Godard Suisse. Et alors? Ce n’est le problème pour aucun d’eux.

Nous devons être bilingue même en une seule langue, nous devons avoir une langue mineure à l’intérieur de notre langue, nous devons faire de notre propre langue un usage mineur. Le multilinguisme n’est pas seulement la possession de plusieurs systèmes dont chacun serait homogène en lui-même; c’est d’abord la ligne de fuite ou de variation qui affecte chaque système en l’empêchant d’être homogène. Non pas parler comme un Irlandais ou un Roumain dans une autre langue que la sienne, mais au contraire parler dans sa langue à soi comme un étranger.

Proust dit: "Les beaux livres sont écrits dans une sorte de langue étrangère. Sous chaque mot chacun de nous met son sens ou du moins son image qui est souvent un contresens. Mais dans les beaux livres tous les contresens qu’on fait sont beaux."

C’est la bonne manière de lire: tous les contresens sont bons, à condition toutefois qu’ils ne consistent pas en interprétations, mais qu’ils concernent l’usage du livre, qu’ils en multiplient l’usage, qu’ils fassent encore une langue à l’intérieur de sa langue. " Les beaux livres sont écrits dans une sorte de langue étrangère..."

C’est la définition du style. Là aussi c’est une question de devenir. Les gens pensent toujours à un avenir majoritaire (quand je serai grand, quand j’aurai le pouvoir...).

Alors que le problème est celui d’un devenir-minoritaire: non pas faire semblant, non pas faire ou imiter l’enfant, le fou, la femme, l’animal, le bègue ou l’étranger, mais devenir tout cela, pour inventer de nouvelles forces ou de nouvelles armes.

Auteur: Deleuze Gilles

Info: Dialogues avec Claire Parnet (Flammarion, 1977)

[ singularité ] [ indivuduation ] [ manière ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

nœud borroméen

[à partir du schéma du bouquet renversé à deux miroirs ]

En effet, le sujet virtuel, reflet de l’œil mythique, c’est-à-dire l’autre que nous sommes, est là où nous avons d’abord vu notre ego – hors de nous, dans la forme humaine. cette forme est hors de nous, non pas en tant qu’elle est faite pour capter un comportement sexuel, mais en tant qu’elle est fondamentalement liée à l’impuissance primitive de l’être humain. L’être humain ne voit sa forme réalisée, totale, le mirage de lui-même, que hors de lui-même. [...]

Ce que le sujet qui, lui, existe, voit dans le miroir est une image, nette ou bien fragmentée, inconsistante, décomplétée. Cela dépend de sa position par rapport à l’image réelle. [...]

De l’inclinaison du miroir dépend donc que vous voyiez plus ou moins parfaitement l’image. Quant au spectateur virtuel, celui que vous vous substituez par la fiction du miroir pour voir l’image réelle, il suffit que le miroir plan soit incliné d’une certaine façon pour qu’il soit dans le champ où on voit très mal. De ce seul fait, vous aussi vous voyez très mal l’image dans le miroir. Disons que cela représente la difficile accommodation de l’imaginaire chez l’homme.

Nous pouvons supposer maintenant que l’inclinaison du miroir plan est commandée par la voix de l’autre. Cela n’existe pas au niveau du stade du miroir, mais c’est ensuite réalisé par notre relation avec autrui dans son ensemble – la relation symbolique. Vous pouvez saisir dès lors que la régulation de l’imaginaire dépend de quelque chose qui est situé de façon transcendante [...] – le transcendant dans l’occasion n’étant ici rien d’autre que la liaison symbolique entre les êtres humains.

Qu’est-ce que c’est que la liaison symbolique ? C’est [...] que, socialement, nous nous définissons par l’intermédiaire de la loi. C’est de l’échange des symboles que nous situons les uns par rapport aux autres nos différents moi – vous êtes, vous, Mannoni, et moi, Jacques Lacan, et nous sommes dans un certain rapport symbolique qui est complexe, selon les différents plans où nous nous plaçons, selon que nous sommes ensemble chez le commissaire de police, ensemble dans cette salle, ensemble en voyage.

En d’autres termes, c’est la relation symbolique qui définit la position du sujet comme voyant. C’est la parole, la fonction symbolique qui définit le plus ou moins grand degré de perfection, de complétude, d’approximation, de l’imaginaire. [...]

Un tel schéma vous montre que l’imaginaire et le réel jouent au même niveau. Pour le comprendre, il suffit de faire un petit perfectionnement de plus à cet appareil. Pensez que ce miroir est une vitre. Vous vous voyez dans la vitre et vous voyez les objets au-delà. Il s’agit justement de cela – d’une coïncidence entre certaines images et le réel.

Auteur: Lacan Jacques

Info: Dans le "Séminaire, Livre I", "Les écrits techniques de Freud (1953-1954)", éditions du Seuil, 1975, pages 221 à 223

[ genèse du concept ] [ constitution de la structure psychologique ]

 

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dernières paroles

Ma Chère Mélinée, ma petite orpheline bien-aimée,
Dans quelques heures, je ne serai plus de ce monde. Nous allons être fusillés cet après-midi à 15 heures. Cela m'arrive comme un accident dans ma vie, je n'y crois pas mais pourtant je sais que je ne te verrai plus jamais. Que puis-je t'écrire ? Tout est confus en moi et bien clair en même temps.
Je m'étais engagé dans l'Armée de Libération en soldat volontaire et je meurs à deux doigts de la Victoire et du but. Bonheur à ceux qui vont nous survivre et goûter la douceur de la Liberté et de la Paix de demain. Je suis sûr que le peuple français et tous les combattants de la Liberté sauront honorer notre mémoire dignement. Au moment de mourir, je proclame que je n'ai aucune haine contre le peuple allemand et contre qui que ce soit, chacun aura ce qu'il méritera comme châtiment et comme récompense. Le peuple allemand et tous les autres peuples vivront en paix et en fraternité après la guerre qui ne durera plus longtemps. Bonheur à tous... J'ai un regret profond de ne t'avoir pas rendue heureuse, j'aurais bien voulu avoir un enfant de toi, comme tu le voulais toujours. Je te prie donc de te marier après la guerre, sans faute, et d'avoir un enfant pour mon bonheur, et pour accomplir ma dernière volonté, marie-toi avec quelqu'un qui puisse te rendre heureuse. Tous mes biens et toutes mes affaires je les lègue à toi à ta soeur et à mes neveux. Après la guerre tu pourras faire valoir ton droit de pension de guerre en tant que ma femme, car je meurs en soldat régulier de l'armée française de la libération.
Avec l'aide des amis qui voudront bien m'honorer, tu feras éditer mes poèmes et mes écrits qui valent d'être lus. Tu apporteras mes souvenirs si possible à mes parents en Arménie. Je mourrai avec mes 23 camarades tout à l'heure avec le courage et la sérénité d'un homme qui a la conscience bien tranquille, car personnellement, je n'ai fait de mal à personne et si je l'ai fait, je l'ai fait sans haine. Aujourd'hui, il y a du soleil. C'est en regardant le soleil et la belle nature que j'ai tant aimée que je dirai adieu à la vie et à vous tous, ma bien chère femme et mes bien chers amis. Je pardonne à tous ceux qui m'ont fait du mal ou qui ont voulu me faire du mal sauf à celui qui nous a trahis pour racheter sa peau et ceux qui nous ont vendus. Je t'embrasse bien fort ainsi que ta soeur et tous les amis qui me connaissent de loin ou de près, je vous serre tous sur mon coeur.
Adieu. Ton ami, ton camarade, ton mari. Manouchian Michel
P.S. J'ai quinze mille francs dans la valise de la rue de Plaisance. Si tu peux les prendre, rends mes dettes et donne le reste à Armène. M. M.

Auteur: Manouchian Missak

Info: Mont-Valérien, 19 février 1944

[ exécution ]

 

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être humain

Études de l'ADN : la séparation humain-chimpanzé est un peu brouillée
En analysant environ 800 fois plus d'ADN que les études précédentes sur la séparation humain-chimpanzé, les chercheurs du MIT à Harvard ont été capable non seulement de se renseigner quand mais aussi sur la façon dont ces espèces soeurs ont surgi.
"Pour la première fois nous avons pu voir les détails écrits dans l'ADN," dit Eric Lander, directeur fondateur du Broad Institute. Ce que ça indique : au moins que la spéciation humaine - chimpanzé fut très particulière."
Les chercheurs spéculent que les espèces ancestrales de singes se sont séparées en deux populations isolées il y a environ 10 millions d'années, puis sont revenues ensemble plus tard. À ce moment-là les deux groupes, bien que légèrement génétiquement différents, se seraient accouplés pour former une troisième race hybride. Et cette nouvelle population se serait croisée avec une - ou toutes les deux - de ses population parente. Puis, il y a 6.3 millions d'années, deux lignes distinctes ont surgi.
Quelques experts en matière d'évolution humaine sont sceptiques sur ce scénario précis, mais néanmoins impressionnés par cette étude.
"Cette analyse est extrêmement intelligente" dit Daniel Lieberman, professeur d'anthropologie biologique à Harvard." Mon problème est d'imaginer un bipède hominidé voyant un chimpanzé comme compagnons appropriés, ou inversément, pour ne pas le mettre trop crûment."
Les anciennes études qui ont comparé l'ADN humain et chimpanzé pouvaient seulement offrir une évaluation sur quand les deux espèces se sont dédoublées, faisant la moyenne de la quantité de divergence dans leurs gènes. Généralement, ces études fournissent une figure pour il y a d'environ 7 millions d'années.
Mais depuis qu'on a complété le génome du chimpanzé en septembre il est possible de regarder comment les sections spécifiques du code génétique ont évolué. La grande étude du Broad Institute, qui sera éditée dans une future issue du journal, Nature est une de la première à faire cela. "iI y a beaucoup de surprises ici," dit Lander.
D'abord les nouvelles données suggèrent que la séparation humain-chimpanzé est beaucoup plus proche du présent que les 7 millions d'années donnés par les fossiles et les études précédentes - certainement pas plus tôt que 6.3 millions et de plus probablement dans le voisinage de 5.4 millions.
Les données prouvent également que le dédoublement humain-chimpanzé a probablement pris des millions d'années. Ceci parce que dans certaines parties de la séquence ADN la différence génétique entre les humains et les chimpanzés est si grande que ces gènes doivent avoir été isolés les uns des autres il y a 10 millions d'années. Mais dans d'autres endroits les lignes des humain et des chimpanzés sont si proches qu'elles semblent avoir encore échangé du matériel génétique au moins jusqu'il y a à 6.3 millions d'années. Un des secteurs intriguant est celui du chromosome X. "Les gènes qui sont une barrière pour une spéciation tendent à être sur le chromosome X" dit David Reich, auteur principal de l'étude.

Auteur: Internet

Info: Fortean times 17 mai 2006

[ primate ] [ chaînon manquant ]

 

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prospective

On ne se lasse pas, chez FLP, de découvrir, décrypter, traduire et analyser tous types d'écrits dont les extraits considérés comme intéressants et/ou significatifs sont ensuite intégrés dans la base de données. Les langages humains, centrés/rassemblés ici en français, sont d'une immense diversité.

Nous constatons en parallèle que le langage est, pour ce que nous pouvons constater, une émergence assez miraculeuse et étonnante puisqu'elle constitue un importante particularité de l'humain en tant qu'espèce. On constate aussi que les signes écrits sont une apparition très très tardive au regard de l'évolution terrestre et même de celle des mammifères hominidés. 

Ce développement récent, cette ouverture sémantique, est très probablement propice aux outrecuidances ; L'homme se met au centre de l'univers, développe des religions et voilà qu'arrivent ceux qui, avec force contorsions linguistiques, viennent nous expliquer l'être, le non-être, l'infini... toutes choses ma foi fort intéressantes en termes de développement des idiomes et des approches syntaxiques, mais qui semblent de bien pâles et simplistes explications si on veut bien comparer ces développement onomasiologiques et sémasiologiques avec l'incroyable et semble-t'il infini développement que le vivant (où est la frontière avec le non vivant ?) présente devant nos yeux ébahis.

FLP, outil lexicographique d'une certaines complexité, voudrait sans cesse remettre cette idée sur le tapis : les langages humains actuels, de par leurs  simplicités conceptuelles et donc les limites qu'elles imposent, sont porteurs d'extraordinaires développements futurs, développements potentiels qu'il faut stimuler sans se refuser, comme ici, à l'utilisation de la technologie informatique. Ainsi sera-t'il peut-être possible de se libérer de carcans idiomatiques tels que le binarisme, un certain mécanisme grammatical ou autres manies analogiques. 

Avec "Les Fils de La Pensée" nous voulons aussi nous positionner sur une voie pragmatique, en prolongement des fondements sémiotiques logiques apportés par C.S. Peirce, c'est à dire en tentant de rester en contact avec un réel dit scientifique, à l'image, par exemple, des développements de l'épigénétique. Avec cette phrase de Bruce H. Lipton au passage : "Il faut que les gens réalisent que leurs pensées sont plus primaires que leurs gènes, car l'environnement, qui est influencé par nos pensées, contrôle les gènes." Voilà probablement une piste pour éviter le langage pulsionnel simpliste et ses effets, par comparaison avec une sagesse de la matière vivante, progressivement développée dans le temps via d'itératives résonances que nous commençons à découvrir..

Le langage n'est que consensus grégaire provisoire pour communiquer, conserver et développer le savoir. Nous croyons donc que ce consensus s'appuiera de manière plus heureuse sur le réél (priméité) tel que délivré par nos sens et les outils mis à leur disposition, qu'en prenant pour acquis on ne sait quels raisonnements métaphysiques abstraits ou religieux qui, avec l'inertie et les routines du temps, ont pris des positions sémantiques bien trop importantes au regard de leurs réalités démontrées. Les mondes astraux, la télépathie ou les Ovnis, si on veut s'amuser avec d'autres concepts ésotériques et/ou proches de la simple croyance religieuse, ne semblent pas avoir moins de consistance que les diverses traditions spirituelles humaines, en termes de témoignages rapportés en tous les cas.

Auteur: Mg

Info: 30 août 2020

[ citation s'appliquant à ce logiciel ]

 
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écriture

Bien que Gould s'efforce de donner l'impression d'être un tire-au-flanc philosophe, il a abattu un travail énorme au cours de sa carrière de bohème. Tous les jours, même lorsqu'il a une épouvantable gueule de bois ou que la faim le laisse épuisé et affaibli, il passe au moins deux ou trois heures à travailler sur un livre sans forme passablement mystérieux qu'il intitule "Une histoire orale de notre temps". Il a commencé ce livre il y a de cela vingt-six ans et il est loin d'être fini. Cette préoccupation semble pour l'essentiel être à l'origine de son mode de vie ; tout emploi stable empiéterait sur sa réflexion.

Selon le temps, il écrit dans les parcs, sous les porches, dans les halls d'hôtel, dans les cafétérias, sur les bancs des quais du métro aérien, dans les rames ou dans les bibliothèques municipales. Quand il se sent d'humeur, il écrit jusqu'à l'épuisement et cette humeur lui vient dans des moments particuliers. Il décrit comment, un soir, il a passé six ou sept heures dans un bar grill-room de 3rd Avenue à écouter une vieille Hongroise éméchée, ancienne tenancière de bordel, ancienne revendeuse de drogues et désormais aide-cuisinière dans un hôpital de la ville, lui raconter l'histoire de sa vie. Trois jours plus tard, aux alentours de quatre heures du matin, sur un lit de camp de l'hôtel Defender, au 300, Bowery, il a été réveillé par les cornes de brume des remorqueurs de l'East River et n'a pas réussi à se rendormir car, en cet instant précis, il se sentait exactement d'humeur à intégrer la biographie de la vieille aide-cuisinière à son récit. Il a une mémoire phénoménale ; s'il a été marqué par une conversation, même interminable et dénuée de sens, il est capable de s'en souvenir plusieurs jours d'affilée, et ce, en grande partie mot pour mot. (...)

Il a écrit dans le hall de quatre heures et quart à midi. Puis il a quitté le Defender, a pris un café dans un bistrot de Bowery et s'est rendu à la bibliothèque municipale. Il a bûché à une table de la salle de généalogie, où il se réfugie souvent les jours de pluie (...) , jusqu'à ce qu'elle ferme, à six heures. Puis il est allé s'installer dans la grande salle, où il est resté, en levant à peine le nez de ses écrits, jusqu'à la clôture de la bibliothèque, à dix heures du soir. Il a avalé deux sandwichs aux oeufs et sa dose de ketchup dans une cafétéria de Times Square. Sur ce, trop fauché pour s'offrir un hôtel et trop absorbé dans ses pensées pour chercher refuge au Village, il a foncé dans le métro de West Side pour passer le reste de la nuit à voyager en griffonnant inlassablement, tandis que sa rame parcourait trois fois la boucle, de la station New Lots Avenue, à Brooklyn, à celle de Van Cortland, dans le Bronx, un des trajets les plus longs du réseau new-yorkais. Il a posé la serviette sur ses genoux et s'en est servi comme d'une écritoire. Il a l'endurance des possédés.

Auteur: Mitchell Joseph

Info: Le secret de Joe Gould, pages 18-19

[ passion ] [ thérapie ] [ refuge ]

 

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vision romantique

Mais cette haine de la parole s’exprime finalement dans un dernier courant : non seulement il faut démolir le langage construit et signifiant, mais encore, le mieux, c’est non pas ce travail qui est œuvre d’individus raisonnants, au contraire, il faut prendre la vraie référence chez celui qui spontanément parle ce langage sans raison, sans contenu, sans enchaînement, sans clarté, mais avec une signification latente autre, totalement autre que celle des mots prononcés, à savoir le "fou". [...] Et l’on assiste alors à une étrange magie : le fou détruit la communication, le sens, la continuité et l’on admire, l’on s’extasie sur une si grande originalité ! Mais qu’est-ce que cela a encore à faire avec le langage ? On a beau l’intituler glorieusement le langage de la rupture, c’est précisément dire qu’il n’y a plus de langage ! [...] Le fou a bien entendu un langage. Mais peut-il être modèle ? Peut-il être une libération d’un sens plus authentique au-delà des affreux rationalismes et de la rationalité ? Il y a magie, fascination de l’inframonde, le fou a toujours exercé cette fascination sur ceux qui cherchaient une autre vérité que celle simplement humaine, le fou "chevauché" par un dieu, "possédé" par un démon, en communication avec un au-delà, porteur d’une illumination, d’une connaissance directe, ne passant pas par le cerveau conscient... Recherche d’un supra-langage dans sa déstructuration par le fou... [...] il faudrait peut-être se demander : pour qui cette folie a-t-elle un sens ? Et comment s’exprime la signification d’une si profonde déstructuration ? Eh bien uniquement pour celui qui a une profonde habileté herméneutique, donc un très habile herméneute, et uniquement par la grâce du langage le plus rigoureux et le plus expressif ! [...] C’est donc par le meilleur langage porteur de sens et de communication que ces explosions verbales inaudibles prennent une quelconque valeur ! [...] Quand on prétend que le fou parlant exprime son refus des conventions sociales, je veux bien que ce soit l’interprétation que l’herméneute m’en donne mais simplement je me demande : s’il n’y a pas de sens dans ce qu’ils disent, pourquoi en chercher un ? Si les mots et les structures langagières sont totalement dévalués, comment y trouver un message ? Je suis tout à fait d’accord pour considérer d’une part que ces discours du fou doivent être étudiés comme moyen de diagnostic de qui est celui qui parle ainsi, d’autre part que ces textes peuvent avoir dans leur non-sens une grande puissance d’évocation poétique, et que l’on peut y trouver des poèmes authentiques [...], mais encore une fois c’est seulement le sujet parlant le langage cohérent de la « raison » qui comprend, qui éprouve et qui traduit... ! Quant à s’enchanter de ce que ces écrits ridiculisent le "discours institué" et qu’ils nous "font sortir du langage", cette joie repose sur la conviction simpliste qu’il y a un discours institué, et que c’est un progrès de "sortir du langage" mais s’il en est ainsi, on se demande pourquoi ces auteurs continuent à écrire des phrases parfaitement compréhensibles dans un souci de communication ! Ridiculiser la parole, ce dont on se gargarise tant, c’est contribuer à la victoire de la puissance des foules, des ombres, des meurtres et les délires sociaux ne sont jamais innocents !

Auteur: Ellul Jacques

Info: Dans "La parole humiliée", éditions de la Table Ronde, Paris, 2014, pages 279 à 282

[ instrumentalisation politique ] [ déconstruction ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

ontologie linguistique

En 1867, Charles Sanders Peirce, alors âgé de vingt-huit ans, publie On a New List of Categories (1.545-1.559). Dans ce texte étonnant, il esquisse le fondement métaphysique d'une philosophique séméiotique et il entreprend l'élaboration d'une définition et d'une classification scientifique des signes. Le texte commence par une étude de la substance et de l'être et Peirce y formule l'hypothèse de l'existence des trois catégories fondamentales de l'être, qu'il nommera ultérieurement Priméité, Secondéité et Tiercéité, et grâce auxquelles il définit le representamen.

Un representamen est une relation triadique dans laquelle un fondement est relié à un objet par le biais d'un interprétant. La définition peircéenne du representamen est intentionnellement formelle et générale. Peirce prétendait alors que la sémiotique était une science de base et qu'elle constituait le fondement de la logique, de la psychologie et de la sociologie. Dans ses écrits ultérieurs, il a indiqué qu'il préférait utiliser le mot "signe" pour désigner les representamen dont la pensée et l'action humaines sont les interprétants. Comme il existe trois types de representamen ou de relations-signe, il s'ensuit qu'il existe trois sciences séméiotiques subsidiaires. Premièrement la grammaire formelle qui est l'étude des fondements des signes étudié en eux-mêmes et indépendamment de leurs relations avec leurs objets ou leurs interprétants. Deuxièmement la logique ou critique qui est l'étude de la relation des signes à leurs objets. Troisièmement la rhétorique formelle qui est l'étude de la relation des signes et de leurs interprétants.

Peirce a repris ces termes à la philosophie grecque et à la philosophie médiévale, mais il est évident qu'il a anticipé sur la syntaxe, la sémantique et la pragmatique. C'est également dans cet article de 1867 que Peirce a introduit la tripartition des signes en "indice", "icône" et "symbole". Il tient la séméiotique pour une science première par rapport à la logique et il considère qu'elle constitue une base pour la logique des termes, des propositions et des arguments. La séméiotique fonde également les trois formes de raisonnement qu'on utilise dans les sciences : hypothèse, déduction et induction. A la même époque que cet article sur les catégories, Peirce a écrit et publié toute une série d'articles particulièrement brillants dans lesquels il a développé sa théorie de manière plus détaillée, et dégagé plus complètement ses applications à l'étude de la logique, de l'histoire et de la méthodologie des sciences.

Il a également appliqué cette séméiotique à la psychologie et à la théorie des sociétés. L'homme est un signe. En fait l'homme est un signe extérieur, un signe dans le monde. Le corps de l'homme et ses actions constituent le médium matériel de l'homme-signe, tout comme l'encre et les sons constituent le médium matériel du langage. Les sensations et les émotions sont des "mots constitutionnels" (2.426, 5.291). Pendant les six années qui suivirent, Peirce en vint à penser que l'homme est un dialogue de signes, dans lequel le doute pose les questions tandis que les actions et les croyances sont les interprétants. Ces croyances et ces actions seront ultérieurement traduites en une conversation avec la société des signes. Peirce a esquissé une théorie de l'éthique dans laquelle ce sont des normes séméiotiques qui régissent la communauté en expansion où cette conversation a lieu.

Auteur: Savan David

Info: La séméiotique de Charles S. Peirce. https://www.persee.fr/doc/lgge_0458-726x_1980_num_14_58_1844. Les références entre parenthèses qui suivent les citations renvoient au volume et au numéro de paragraphe des Collected Papers de Peirce, sélectionnés et présentés par Paul Weiss et Charles Hartsone, et publiés par Harvard University Press en 8 volumes, 1932- 1954. Trad : F. Peraldi

[ communication ] [ pouvoir sémantique ] [ sémiotique ]

 

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lecture analytique FLP

FLP sera aussi éventuellement un moyen de voir combien - pour ce qui est du langage - nous sommes préprogrammés par nos familles-milieux-civilisations-époques et donc à quel point il est difficile de prendre quelque distance avec le carcan intégré de toutes les forces-pouvoirs sémantiques qui ont précédé afin de nous libérer quelque peu de toute l'inertie des dogmes fondateurs (Vedanta, Aristote, religions, modes, politiques, etc) et surtout de la logique duale - pulsionnelle - qui les sous-tend.

Ici en remettant en cause la linéarité des écrits, en cassant les lignes, puisque le lecteur observateur se retrouve face au collisionnement de pensées-mots horizontales, linéaires et subjectives, avec d'autres pensées-mots, verticales et objectivées par FLP (nuage de corrélat, liaisons, chaines). Ainsi l'application secoue le cocotier des habitudes du lire-réfléchir et surtout les ouvre (tente de mieux les coordonner ?), en les intriquant. 

Il y a ensuite une double action demandée au lecteur-analyste-inserteur. Une action qui prend du temps.

a) vers l'extérieur : en utilisant l'immense lexique multidimentionnel du Web afin de mieux comprendre le texte en vérifiant la ou les significations d'un mot (on tombe sur un terme créole pour, avec une astérisque, en donner le sens dans les infos). Ou aller au fond de l'étymologie. Ou pour croiser et recouper les sources, etc.

b) vers l'intérieur, en lisant attentivement, souvent plusieurs fois, parfois en reprenant un extrait plus tard. Ici on verra comment l'interprétation de nos pensées-mots et autres idées d'étiquettes peuvent être fugaces, instables, relatives... ondoyantes, subjectives... préformatées... Heureusement se dégage aussi une sorte de colonne vertébrale de notre pensée, en étant sincère avec nous-même, qui conduira la discussion intérieure vers le consensus. Vers l'intérieur aussi en usant de la machine en rétroaction, c'est à dire en prenant quelques mots-termes-vocables (souvent en n'usant que des radicaux des termes) pour une recherche FLP (et parfois, pourquoi pas, sur Google) pour ainsi comparer, et "voir" certaines situations-significations qui nous ont échappés pour ce qui est de la conjonction de ces items. Ou même de leur agencement et/ou de la grammaire.

Viennent ensuite les éventuelles discussions avec d'autres participants de FLP pour corriger, élargir et affermir le consensus sémantique. Mais stop.

Et puis il y a les textes que le participant des Fils de La Pensée traduit. Stop ici aussi.

Là encore nous ne résistons pas au plaisir de plaider pour une forme de logique élargie - indépendante de son propre langage - qui s'inspire du fonctionnement de l'atome du carbone duquel nous sommes tous issus. Cette logique en base 4, offre la souplesse de fonctionnement sans pareille d'un double dualisme invertible. Elle nous aidera peut-être à avancer en tant que race soi-disant intelligente. Allons savoir.  Au-delà de C. S. Peirce, nous essayons d'aller dans ce sens.

Tétravalence qui, dans ce grand jeu exploratoire et tâtonnant de FLP et de la vie orthogonale (qui individualise et généralise en même temps), pourra être mise en analogie, entre autres, avec le double dualisme homme-femmes. Ou avec les règles de base du contrepoint musical. Voire, plus simplement, avec le système dentaire d'une immense partie du monde vivant (machoires inférieures et supérieures qui matérialisent un double système inversé).

Auteur: Mg

Info: septembre 2022

[ prospective ] [ citation s'appliquant à ce logiciel ] [ slow slow thinking ] [ réflexion ] [ profondeur ] [ distanciation ] [ pré-mémétique ]

 
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moyen âge

Or, au cours du XIIe siècle, et plus encore au XIIIe siècle, il s’est produit un événement d’une portée incalculable et dont les conséquences n’ont pas fini de se faire sentir ; il s’agit de l’arrivée en Occident des écrits d’Aristote.

Ce qui était connu d’Aristote avant le XIIe siècle, c’est ce qu’on a appelé la Logique ancienne, c’est-à-dire les deux traités des Catégories et de L’Interprétation, communiqués aux Latins par Boèce, philosophe et homme politique mort martyr en 525. Tout le reste est inconnu. La philosophie avec laquelle s’est élaborée la pensée chrétienne, dès les origines, c’est le platonisme dont le représentant le plus éminent en Occident est S. Augustin, auquel il faut joindre Denys l’Aréopagite. C’est Platon qui a régné à peu près sans partage sur la pensée chrétienne durant douze cent ans. Mais c’est un Platon dont les œuvres sont ignorées. On ne connaît à cette époque que le Phédon et le Ménon, et une petite partie du Timée dont la cosmogonie inspirera l’Ecole de Chartres. Platon n’est pas une œuvre ou des textes, c’est une doctrine, une vision du monde et de Dieu qui enseigne une certaine idée de la création du monde, d’un Dieu-Providence et de l’immortalité de l’âme.

L’arrivée d’Aristote en Europe chrétienne est toute différente : c’est l’arrivée de textes. La thèse la plus répandue soutient que les œuvres d’Aristote, la Métaphysique, l’Ethique, la Physique, le Traité de l’âme, les Traités de sciences naturelles, etc., sont arrivés par l’intermédiaire des Arabes qui avaient traduit ces œuvres du grec en arabe, mais aussi du syriaque, traductions d’ailleurs exécutées à la demande des autorités musulmanes, par des savants chrétiens orientaux. Les chrétiens d’Occident entrent en contact avec cette littérature en Espagne, lors des débuts de la Reconquista, principalement à Tolède où, à l’instigation de l’archevêque Raymond et de Dominique de Gonsalvi, est créé un collège de traducteurs où collaborent les juifs, les arabes musulmans et les chrétiens. [...] L’arrivée des textes d’Aristote en Europe chrétienne provoqua une crise culturelle majeure qui concerne toute la civilisation européenne, et pas seulement le monde restreint des philosophes. Voici pourquoi.

Aristote révélait aux chrétiens l’existence d’un mode de pensée dont ils n’avaient eu jusqu’alors aucune expérience et qu’on peut désigner d’un mot : un mode de pensée scientifique. Autant qu’un métaphysicien, Aristote est apparu – et est en réalité – un physicien, un philosophe de la physis, de la nature. Comme l’ont reconnu les historiens de la science, la physique d’Aristote est un des chefs-d’œuvre de l’esprit humain : c’est une admirable construction rationnelle. Or, la puissance de conviction de la raison est peu résistible. Ce qu’on a appelé la "crue aristotélicienne" faillit tout emporter et même la foi chrétienne. C’est qu’en effet [...] cette philosophie d’Aristote mettait en question trois dogmes fondamentaux de la révélation : le monde n’est pas créé, mais il existe depuis toujours ; Dieu n’est pas provident, il ignore le monde et ne connaît que lui-même ; enfin l’âme n’est pas immortelle, semble-t-il – car les textes d’Aristote à ce sujet sont ambigus. [...] C’est pourquoi l’Eglise ne pouvait accepter l’aristotélisme. A l’exception de la logique, tous les textes d’Aristote furent interdits de lecture à Paris en 1210, en 1215 puis, de la part de la papauté, en 1231, 1241, 1261, jusqu’à la condamnation du 7 mars 1277 [...]. Six ou sept condamnations portées au long du XIIIe siècle par l’autorité suprême, mais leur réitération même prouve leur inefficacité.

Auteur: Borella Jean

Info: "Situation du catholicisme aujourd'hui", éditions L'Harmattan, Paris, 2023, pages 191-192

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