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paliers évolutionnaires

Des chercheurs découvrent une extinction de masse jusqu’alors inconnue de l’histoire de la Terre

Une extinction de masse désigne un événement ayant entraîné la disparition d’au moins 75 % des espèces présentes sur Terre. Les paléobiologistes affirment que notre planète a déjà connu cinq principaux épisodes de ce type ; certains estiment que nous sommes en train de vivre la sixième extinction. Mais la liste ne s’arrête pas là : des chercheurs de Virginia Tech ont découvert que la Terre aurait subi une extinction de masse il y a environ 550 millions d’années. Ce serait ainsi la toute première extinction que notre planète ait connu.

À ce jour, l’extinction de l’Ordovicien-Silurien, survenue il y a environ 440 millions d’années, est considérée comme la première extinction massive de notre planète. Celle-ci s’est vraisemblablement produite à la suite d’une grande glaciation, à laquelle auraient succombé près de 85% des espèces, faute de réussir à s’adapter à ces nouvelles conditions. Mais des preuves suggèrent aujourd’hui qu’un autre événement d’extinction l’aurait précédée : une diminution de la disponibilité mondiale d’oxygène aurait entraîné la perte d’une majorité d’animaux présents vers la fin de l’Édiacarien, il y a environ 550 millions d’années.

La première extinction de l’histoire de la Terre

Le déclin soudain de la diversité fossile il y a 550 millions d’années est connu depuis longtemps, mais les scientifiques n’avaient pas pu en déterminer la cause avec certitude. Il était possible que les espèces en présence soient entrées en compétition pour la survie, s’éliminant les unes les autres, ou simplement que les conditions environnementales de l’époque n’étaient pas propices à la préservation des fossiles édiacariens. Une nouvelle étude publiée dans Proceedings of the National Academy of Sciences permet aujourd’hui d’affirmer que ce déclin résulte bel et bien d’une extinction de masse.

Notre planète compte cinq extinctions de masse connues, les "Big Five", selon Shuhai Xiao, professeur de géobiologie à Virginia Tech : l’extinction de l’Ordovicien-Silurien (il y a 440 millions d’années), l’extinction du Dévonien tardif (il y a 370 millions d’années), l’extinction du Permien-Trias (il y a 250 millions d’années), l’extinction du Trias-Jurassique (il y a 200 millions d’années) et enfin, l’extinction du Crétacé-Paléogène (il y a 65 millions d’années), qui a anéanti environ 75 % des plantes et des animaux, y compris les dinosaures non aviens.

Toutes sont liées à des changements environnementaux majeurs et à grande échelle. Un changement climatique ou un événement de désoxygénation peuvent entraîner une extinction massive d’animaux, ainsi qu’une perturbation et une réorganisation profondes des écosystèmes. Ce premier événement d’extinction survenu lors de l’Édiacarien n’échappe pas à la règle : lui aussi a été induit par une modification significative de l’environnement.

Près de 80 % des animaux vivant sur Terre auraient disparu lors de cette première extinction massive. "Cela comprenait la perte de nombreux types d’animaux différents, mais ceux dont les plans corporels et les comportements indiquent qu’ils dépendaient d’importantes quantités d’oxygène semblent avoir été particulièrement touchés", explique Scott Evans, chercheur postdoctoral au Département des géosciences de Virginia Tech et premier auteur de l’étude décrivant l’événement.

Un "coup de pouce" à l’évolution ?

Les fossiles à corps mou du biote d’Ediacara – du nom des collines situées au sud de l’Australie où ont été découverts ces fossiles en 1946 – font partie des plus anciens organismes pluricellulaires complexes connus. Les empreintes fossiles datant de la période édiacarienne – soit d’environ -635 à -539 millions d’années – montrent que les animaux qui ont péri lors de cette extinction de masse avaient une apparence très étrange, en forme de feuille, de plume ou de tube.

Selon Evans, les organismes de l’époque semblaient expérimenter différentes façons de construire leurs grands corps multicellulaires. Par conséquent, les fossiles mis au jour datant d’avant l’extinction, ne correspondent pas toujours aux classifications actuelles des animaux. "Cette extinction a peut-être contribué à ouvrir la voie à l’évolution des animaux tels que nous les connaissons", conclut le chercheur. À savoir que la plupart des plans d’organisation animaux existant aujourd’hui sont apparus au cours du Cambrien (soit la période qui succède à l’Édiacarien).

Evans et ses collègues ont scrupuleusement examiné et catalogué l’ensemble des fossiles de la période édiacarienne décrits dans la littérature. Ils ont ainsi identifié 70 genres d’animaux, dont seuls 14 existaient encore quelque 10 millions d’années plus tard. L’équipe n’a toutefois trouvé aucun signe suggérant que ces animaux étaient en concurrence avec les premiers animaux du Cambrien, ni rien qui pouvait expliquer la non-préservation des fossiles.

En revanche, les animaux qui ont survécu arboraient tous un plan d’organisation favorisant la survie en cas d’anoxie : une surface corporelle relativement élevée par rapport à leur volume. Des preuves géochimiques confirment par ailleurs une faible disponibilité d’oxygène dans les océans il y a 550 millions d’années.

Une anoxie dont la cause reste à éclaircir

Qu’est-ce qui a causé cette baisse de la disponibilité globale de l’oxygène ? "La réponse courte à la façon dont cela s’est produit est que nous ne savons pas vraiment", a déclaré Evans. En réalité, plusieurs événements, individuels ou combinés, pourraient être à l’origine du phénomène explique le scientifique : éruptions volcaniques, mouvements de plaques tectoniques, impact d’astéroïde, etc. Des changements dans les niveaux de nutriments des océans pourraient être une autre cause possible. 

 Dans tous les cas, cette extinction a largement influencé l’évolution de la vie sur Terre et cette étude nous donne un aperçu de l’impact à long terme du manque d’oxygène sur la vie aquatique. Il se trouve que dans une autre étude, les scientifiques de Virginia Tech ont récemment découvert que les lacs d’eaux douces du monde perdaient actuellement rapidement de l’oxygène.

Ce phénomène est lié non seulement au réchauffement des eaux induit par le changement climatique, mais aussi à l’excès de ruissellement de substances polluantes (phosphore, azote) lié aux pratiques agricoles : "le réchauffement des eaux diminue la capacité de l’eau douce à retenir l’oxygène, tandis que la dégradation des nutriments dans le ruissellement par les microbes d’eau douce engloutit l’oxygène", expliquent les chercheurs.

En d’autres termes, la découverte de cette nouvelle extinction donne un aperçu des dangers de la crise climatique actuelle pour la vie animale.

Auteur: Internet

Info: https://www.science-et-vie.com, 7 déc 2022  Fleur Brosseau

[ stases ] [ Gaïa ]

 

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onomasiologie algébrique

Critique réciproque de l’intelligence artificielle et des sciences humaines

Je me souviens d’avoir participé, vers la fin des années 1980, à un Colloque de Cerisy sur les sciences cognitives auquel participaient quelques grands noms américains de la discipline, y compris les tenants des courants neuro-connexionnistes et logicistes. Parmi les invités, le philosophe Hubert Dreyfus (notamment l’auteur de What Computers Can’t Do, MIT Press, 1972) critiquait vertement les chercheurs en intelligence artificielle parce qu’ils ne tenaient pas compte de l’intentionnalité découverte par la phénoménologie. Les raisonnements humains réels, rappelait-il, sont situés, orientés vers une fin et tirent leur pertinence d’un contexte d’interaction. Les sciences de la cognition dominées par le courant logico-statistique étaient incapables de rendre compte des horizons de conscience qui éclairent l’intelligence. Dreyfus avait sans doute raison, mais sa critique ne portait pas assez loin, car ce n’était pas seulement la phénoménologie qui était ignorée. L’intelligence artificielle (IA) n’intégrait pas non plus dans la cognition qu’elle prétendait modéliser la complexité des systèmes symboliques et de la communication humaine, ni les médias qui la soutiennent, ni les tensions pragmatiques ou les relations sociales qui l’animent. A cet égard, nous vivons aujourd’hui dans une situation paradoxale puisque l’IA connaît un succès pratique impressionnant au moment même où son échec théorique devient patent.

Succès pratique, en effet, puisqu’éclate partout l’utilité des algorithmes statistiques, de l’apprentissage automatique, des simulations d’intelligence collective animale, des réseaux neuronaux et d’autres systèmes de reconnaissance de formes. Le traitement automatique du langage naturel n’a jamais été aussi populaire, comme en témoigne par exemple l’usage de Google translate. Le Web des données promu par le WWW consortium (dirigé par Sir Tim Berners-Lee). utilise le même type de règles logiques que les systèmes experts des années 1980. Enfin, les algorithmes de computation sociale mis en oeuvre par les moteurs de recherche et les médias sociaux montrent chaque jour leur efficacité.

Mais il faut bien constater l’échec théorique de l’IA puisque, malgré la multitude des outils algorithmiques disponibles, l’intelligence artificielle ne peut toujours pas exhiber de modèle convaincant de la cognition. La discipline a prudemment renoncé à simuler l’intelligence dans son intégralité. Il est clair pour tout chercheur en sciences humaines ayant quelque peu pratiqué la transdisciplinarité que, du fait de sa complexité foisonnante, l’objet des sciences humaines (l’esprit, la pensée, l’intelligence, la culture, la société) ne peut être pris en compte dans son intégralité par aucune des théories computationnelles de la cognition actuellement disponible. C’est pourquoi l’intelligence artificielle se contente dans les faits de fournir une boîte à outils hétéroclite (règles logiques, syntaxes formelles, méthodes statistiques, simulations neuronales ou socio-biologiques…) qui n’offrent pas de solution générale au problème d’une modélisation mathématique de la cognition humaine.

Cependant, les chercheurs en intelligence artificielle ont beau jeu de répondre à leurs critiques issus des sciences humaines : "Vous prétendez que nos algorithmes échouent à rendre compte de la complexité de la cognition humaine, mais vous ne nous en proposez vous-mêmes aucun pour remédier au problème. Vous vous contentez de pointer du doigt vers une multitude de disciplines, plus complexes les unes que les autres (philosophie, psychologie, linguistique, sociologie, histoire, géographie, littérature, communication…), qui n’ont pas de métalangage commun et n’ont pas formalisé leurs objets ! Comment voulez-vous que nous nous retrouvions dans ce bric-à-brac ?" Et cette interpellation est tout aussi sensée que la critique à laquelle elle répond.

Synthèse de l’intelligence artificielle et des sciences humaines

Ce que j’ai appris de Hubert Dreyfus lors de ce colloque de 1987 où je l’ai rencontré, ce n’était pas tant que la phénoménologie serait la clé de tous les problèmes d’une modélisation scientifique de l’esprit (Husserl, le père de la phénoménologie, pensait d’ailleurs que la phénoménologie – une sorte de méta-science de la conscience – était impossible à mathématiser et qu’elle représentait même le non-mathématisable par exellence, l’autre de la science mathématique de la nature), mais plutôt que l’intelligence artificielle avait tort de chercher cette clé dans la seule zone éclairée par le réverbère de l’arithmétique, de la logique et des neurones formels… et que les philosophes, herméneutes et spécialistes de la complexité du sens devaient participer activement à la recherche plutôt que de se contenter de critiquer. Pour trouver la clé, il fallait élargir le regard, fouiller et creuser dans l’ensemble du champ des sciences humaines, aussi opaque au calcul qu’il semble à première vue. Nous devions disposer d’un outil à traiter le sens, la signification, la sémantique en général, sur un mode computationnel. Une fois éclairé par le calcul le champ immense des relations sémantiques, une science de la cognition digne de ce nom pourrait voir le jour. En effet, pour peu qu’un outil symbolique nous assure du calcul des relations entre signifiés, alors il devient possible de calculer les relations sémantiques entre les concepts, entre les idées et entre les intelligences. Mû par ces considérations, j’ai développé la théorie sémantique de la cognition et le métalangage IEML : de leur union résulte la sémantique computationnelle.

Les spécialistes du sens, de la culture et de la pensée se sentent démunis face à la boîte à outils hétérogène de l’intelligence artificielle : ils n’y reconnaissent nulle part de quoi traiter la complexité contextuelle de la signification. C’est pourquoi la sémantique computationnelle leur propose de manipuler les outils algorithmiques de manière cohérente à partir de la sémantique des langues naturelles. Les ingénieurs s’égarent face à la multitude bigarrée, au flou artistique et à l’absence d’interopérabilité conceptuelle des sciences humaines. Remédiant à ce problème, la sémantique computationnelle leur donne prise sur les outils et les concepts foisonnants des insaisissables sciences humaines. En somme, le grand projet de la sémantique computationnelle consiste à construire un pont entre l’ingénierie logicielle et les sciences humaines de telle sorte que ces dernières puissent utiliser à leur service la puissance computationnelle de l’informatique et que celle-ci parvienne à intégrer la finesse herméneutique et la complexité contextuelle des sciences humaines. Mais une intelligence artificielle grande ouverte aux sciences humaines et capable de calculer la complexité du sens ne serait justement plus l’intelligence artificielle que nous connaissons aujourd’hui. Quant à des sciences humaines qui se doteraient d’un métalangage calculable, qui mobiliseraient l’intelligence collective et qui maîtriseraient enfin le médium algorithmique, elles ne ressembleraient plus aux sciences humaines que nous connaissons depuis le XVIIIe siècle : nous aurions franchi le seuil d’une nouvelle épistémè.

Auteur: Lévy Pierre

Info: https://pierrelevyblog.com/2014/10/08/intelligence-artificielle-et-sciences-humaines/

[ mathématification idiomatique ]

 

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interdépendances

La première idée de Gaïa naît donc du raisonnement suivant  : "Si les humains actuels, par leur industrie, peuvent répandre partout sur Terre des produits chimiques que je détecte par mes instruments, il est bien possible que toute la biochimie terrestre soit, elle aussi, le produit des organismes vivants. Si les humains modifient si radicalement leur environnement en si peu de temps, alors les autres vivants peuvent l’avoir fait, eux aussi, sur des centaines de millions d’années." La Terre est bel et bien une sorte de technosphère artificiellement conçue dont les vivants seraient les ingénieurs aussi aveugles que les termites. Il faut être ingénieur et inventeur comme Lovelock pour comprendre cette intrication.

Gaïa n’a donc rien d’une idée New Age sur l’équilibre millénaire de la Terre, mais émerge au contraire d’une situation industrielle et technologique très particulière : une violente rupture technologique, mêlant la conquête de l’espace, la guerre nucléaire et la guerre froide, que l’on résume désormais par le terme d’ "anthropocène" et qui s’accompagne d’une rupture culturelle symbolisée par la Californie des années 1960. Drogue, sexe, cybernétique, conquête spatiale, guerre du Vietnam, ordinateurs et menace nucléaire, c’est la matrice où naît l’hypothèse Gaïa : dans la violence, l’artifice et la guerre. Toutefois le trait le plus étonnant de cette hypothèse est qu’elle tient au couplage de deux analyses diamétralement opposées. L’analyse de Lovelock imagine la Terre vue de Mars comme un système cybernétique. Et celle de Lynn Margulis regarde la planète par l’autre bout de la lorgnette, à partir des plus minuscules et des plus anciens des organismes vivants.

A l’époque, dans les années 1970, Margulis est l’exemple typique de ce que les Anglais appellent une maverick : une dissidente qui secoue les néodarwiniens alors en plein essor. L’évolution, dans leur esprit, suppose l’existence d’organismes suffisamment séparables les uns des autres pour qu’on leur attribue un degré de réussite inférieur ou supérieur aux autres. Or Margulis conteste l’existence même d’individus séparables : une cellule, une bactérie ou un humain. Pour la simple et excellente raison qu’ils sont "tous entrelacés", comme l’indique le titre d’un livre récent.

Une cellule est une superposition d’êtres indépendants, de même que notre organisme dépend non seulement de nos gènes, mais de ceux des bestioles infiniment plus nombreuses qui occupent notre intestin et couvrent notre peau. Il y a bien évolution, mais sur quel périmètre porte celle-ci et quels sont les participants entrelacés qui en tirent profit, voilà qui n'est pas calculable. Les gènes ont beau être "égoïstes", comme l’avançait naguère Richard Dawkins, le problème est qu’ils ne savent pas où s’arrête exactement leur ego ! Chose intéressante, plus le temps passe, plus les découvertes de Margulis prennent de l’importance, au point qu’elle s’approche aujourd’hui de l’orthodoxie grâce à l’extension foudroyante du concept de holobionte, terme qui résume à lui seul la superposition des vivants pliés les uns dans les autres.

Que se passe-t-il quand on combine l’intuition de Lovelock avec celle de Margulis ? Au cours du séminaire auquel je participe le lendemain avant que la neige ne vienne ensevelir le sud de l’Angleterre, la réponse m’apparaît assez clairement : la théorie Gaïa permet de saisir les "puissances d’agir" de tous les organismes entremêlés sans aussitôt les intégrer dans un tout qui leur serait supérieur et auquel ils obéiraient. En ce sens, et malgré le mot "système", Gaïa n’agit pas de façon systématique, en tout cas ce n'est pas un système unifié. Comme Lenton le démontre, selon les échelles d’espace et de temps, la régulation est très forte ou très lâche : l’homéostasie d’un organisme et la régulation plutôt erratique du climat ne sont pas du même type. C’est que la Terre n'est pas un organisme. Contrairement à tous les vivants, elle se nourrit d’elle-même en quelque sorte, par un recyclage continu avec très peu d’apport extérieur de matière (en dehors bien sûr de l’énergie solaire). On ne peut même pas dire que Gaïa soit synonyme du globe ou du monde naturel puisque, après tout, les vivants, même après plusieurs milliards d’années d’évolution, ne contrôlent qu’une mince pellicule de la Terre, une sorte de biofilm, ce que les chercheurs avec qui je travaille maintenant appellent "zones critiques".

Je comprends alors les erreurs commises dans l’interprétation de la théorie Gaïa par ceux qui l’ont rejetée trop vite comme par ceux qui l’ont embrassée avec trop d’enthousiasme : les premiers autant que les seconds ont projeté une figure de la Terre, du globe, de la nature, de l’ordre naturel, sans prendre en compte le fait qu’il s’agissait d’un objet unique demandant une révision générale des conceptions scientifiques.

Ah mais alors j’avais bien raison d’établir un parallèle avec Galilée ! Bloqué sous ma couette en attendant qu’il pleuve assez pour que les Anglais osent se risquer hors de chez eux, je comprenais cette phrase étonnante de Lovelock : "L’hypothèse Gaïa a pour conséquence que la stabilité de notre planète inclut l’humanité comme une partie ou un partenaire au sein d’un ensemble parfaitement démocratique." Je n’avais jamais compris cette allusion à la démocratie chez un auteur qui ne la défendait pas particulièrement. C’est qu’il ne s’agit pas de la démocratie des humains mais d’un renversement de perspective capital pour la suite.

Avant Gaïa, les habitants des sociétés industrielles modernes, quand ils se tournaient vers la nature, y voyaient le domaine de la nécessité, et, quand ils considéraient la société, ils y voyaient, pour parler comme les philosophes, le domaine de la liberté. Mais, après Gaïa, il n’y a plus littéralement deux domaines distincts : aucun vivant, aucun animé n’obéit à un ordre supérieur à lui et qui le dominerait ou auquel il lui suffirait de s’adapter – cela est vrai des bactéries comme des lions ou des sociétés humaines. Cela ne veut pas dire que tous les vivants soient libres au sens un peu simplet de l’individualisme puisqu’ils sont entrelacés, pliés, intriqués les uns dans les autres. Cela veut dire que la question de la liberté et de la dépendance vaut autant pour les humains que pour les partenaires du ci-devant monde naturel.

Galilée avait inventé un monde d’objets, posés les uns à côté des autres sans s’influencer et entièrement soumis aux lois de la physique. Lovelock et Margulis dessinent un monde d’agents qui interagissent sans cesse entre eux.

Auteur: Latour Bruno

Info: L’OBS/N°2791-03/05/2018

[ interactions ] [ redistribution des rôles ]

 
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écriture

Le maître du roman policier Jussi Adler-Olsen confronte le Danemark à un des épisodes les plus sordides de son histoire moderne dans Dossier 64. Entretien avec un écrivain qui place le polar au service du devoir de mémoire.
Étaient-ils bien connus au Danemark, les sordides événements de la petite île de Sprogø, demande-t-on d’emblée à Jussi Adler-Olsen? "Well, disons qu’ils le sont maintenant", répond-il sans totalement parvenir à voiler la pointe de fierté qui teinte sa voix. Comprendre : les enquêtes du trio formé de Mørck, Assad et Rose, équipe spécialisée dans les cold cases (les cas non résolus), sont à ce point populaires qu’elles ont le pouvoir de transformer n’importe quel chapitre obscur ou oublié de l’histoire en sujet d’actualité. "Je suis heureux que plusieurs journalistes aient donné la parole à ces femmes depuis la parution du roman."
De 1922 à 1961, ce sont des milliers de femmes qui auront été isolées de force sur cette île alors accessible seulement par bateau, "un vrai Alcatraz", dit Adler-Olsen. Filles-mères, adolescentes à la santé mentale fragile, drop-outs en tous genres; ces jeunes marginales seront pour la plupart stérilisées, avec la bénédiction de l’État, afin de stopper la dissémination des "mauvais gènes" dont elles sont porteuses. De l’eugénisme pur déguisé en maintien de la paix sociale. Représentante fictionnelle de ces victimes dans le quatrième tome des enquêtes du département V, Nette verra son passé la happer de plein fouet, comme un boomerang rappliquant depuis une autre vie, malgré les nombreux efforts qu’elle avait déployés depuis la fin de son internement pour reléguer aux oubliettes ce sombre épisode de son existence.
"Quand j’étais jeune, la majorité des Danois ne savaient pas ce qui se passait sur cette île, se rappelle l’écrivain. Mon père, psychiatre, avait travaillé dans une des institutions chargées d’évaluer les femmes envoyées là-bas. J’avais 7 ou 8 ans quand il m’a parlé de cette île que nous voyions au loin quand nous passions en ferry-boat. Mon père discutait de tout très ouvertement, c’était tout un personnage, et il m’avait dit : “Les femmes qui sont enfermées sur cette île n’ont commis aucun crime, elles y sont seulement parce qu’elles ont peut-être couché à gauche, à droite.” Ça le rendait très honteux que certains de ses collègues aient usé de leurs pouvoirs pour mettre à l’écart des gens qu’ils jugeaient indésirables."
On aura compris que, pour Adler-Olsen, le polar peut et doit servir plus que le simple et pur objectif du divertissement. Intrigue haletante et devoir de mémoire ne sont pas mutuellement exclusifs, semble-t-il répéter tout au long de ce Dossier 64, dont on tourne fébrilement les pages comme il se doit, bien qu’en prenant peu à peu la mesure de cette horreur, jusque-là occultée par l’histoire officielle. Lire le souffle court, les fesses sur le bout de son siège, n’équivaut pas forcément à lire idiot.
Déterrer ce chapitre sombre du Danemark permet aussi à l’auteur de fustiger en douce la montée de l’extrême droite, qui tente de légitimer sa haine de l’étranger dans un discours sécuritaire. Parler du passé pour souligner ce que le présent a de dégoûtant, si vous préférez. "Je ne dirais pas que le Parti populaire danois [qui prône des frontières plus étanches à l’immigration] est un parti d’extrême droite, mais il tente tranquillement de changer notre définition de ce qui est acceptable dans le débat public et de ce qui ne l’est pas, note-t-il. Ce ne sont pas des fascistes à proprement parler, ils ne font pas que du mauvais, mais on peut voir les Chemises noires se profiler entre les lignes de leurs idées."
Hommage au père d’Adler-Olsen, Dossier 64 se lit donc aussi comme une mise en garde adressée à ses compatriotes danois. "Certaines de ces femmes vivent toujours et n’ont jamais été compensées par l’État, déplore-t-il. Je ne répéterai jamais assez que ce genre d’abominations ne doit jamais, jamais se reproduire. Mon livre est peut-être une sorte de mince compensation."
L’autre Mørck
"Je pense que le thème commun à toutes les histoires que je raconte, c’est l’abus de pouvoir."
Il n’y a qu’un pas à franchir entre cette analyse et le passé de Jussi Adler-Olsen, qui a vu, des ses yeux vu, la dureté de nombreuses institutions de santé mentale, dans lesquelles il a vécu avec sa famille et son psychiatre de père. "C’était des endroits merveilleux où grandir, entourés de lacs et de forêt", lance-t-il comme pour briser le cliché d’une enfance sinistre peuplée de personnages inquiétants. "Il y avait beaucoup de garçons de mon âge, on jouait au football ensemble, on organisait des carnavals. Mon père me disait au sujet des patients : “Tu dois réaliser qu’ils ont déjà été comme toi et moi, à une certaine époque.” J’ai appris très tôt à voir derrière la façade des gens et à me méfier de l’abus de pouvoir, ce qui me sert aujourd’hui quand j’écris des livres. Mon père était gentil, mais ils étaient nombreux les médecins sans empathie qui traitaient les patients comme de la merde."
Et Jussi Adler-Olsen, jamais à court d’anecdotes, de remonter jusqu’à l’origine du nom de son antihéros, le plus bourru des enquêteurs attachants, Carl Mørck. "J’avais 5 ou 6 ans et cet homme, qui était devenu complètement fou après avoir tué sa femme, est devenu mon meilleur ami. Il était très gentil… si on exclut le fait qu’il avait tué sa femme. Mon père disait, pour dédramatiser la situation : “Ils se battaient sa femme et lui comme chien et chat. Il était le chien et il a gagné.” La médication l’avait rendu raisonnable à nouveau. Je me promenais partout avec lui dans l’institution. Il s’appelait Mørck."
Quant aux critiques qui reprochent à Adler-Olsen d’avoir dépeint à trop gros traits son personnage du docteur Curt Wad, leader d’extrême droite, il réplique : "Hitler, W. Bush, Mussolini, Berlusconi se comportaient tous comme des caricatures, vous savez".
Roman sur le passé qui revient hanter le présent comme un cadavre qui remonterait à la surface d’une mer étale, Dossier 64 rappelle que le spectre de l’horreur guette toujours, même quand le soleil brille. "En temps normal, le Danemark, comme le Canada j’imagine, est un des plus merveilleux endroits où vivre. Et c’est précisément pour cette raison qu’il ne faut pas oublier, qu’il faut prendre soin de notre climat social. Tout ça est très fragile."

Auteur: Tardif Dominic

Info: Jussi Adler-Olsen : Le polar et la mémoire, https://revue.leslibraires.ca, 07/04/2014

[ jeunesse ]

 

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peur du vide

En 1930, John Maynard Keynes avait prédit que d’ici la fin du siècle, les technologies seraient suffisamment avancées pour que des pays comme le Royaume-Uni ou les États-Unis mettent en place une semaine de travail de 15 heures. Tout laisse à penser qu’il avait raison. En termes technologiques, nous en sommes tout à fait capables. Et pourtant cela n’est pas arrivé. Au contraire, la technologie a été mobilisée dans le but de trouver des moyens de nous faire travailler plus. Pour cela, des emplois effectivement inutiles, ont dû être créés. Des populations entières, en Europe et en Amérique du Nord particulièrement, passent toute leur vie professionnelle à effectuer des tâches dont ils pensent secrètement qu’elles n’ont vraiment pas lieu d’être effectuées. Les dommages moraux et spirituels que cette situation engendre sont profonds. Ils sont une cicatrice sur notre âme collective. Et pourtant presque personne n’en parle.

Pourquoi l’utopie promise par Keynes — et qui était encore très attendue dans les années 60 — ne s’est-elle jamais matérialisée ? La réponse standard aujourd’hui est qu’il n’a pas pris en compte la croissance massive du consumérisme. Entre moins d’heures passées à travailler et plus de jouets et de plaisirs, nous avons collectivement opté pour la deuxième alternative. Il s’agit d’une jolie fable morale, sauf qu’en l’analysant, ne serait-ce qu’un court instant, nous comprenons que cela n’est pas vrai. Oui, nous avons été les témoins de la création d’une grande variété d’emplois et d’industries depuis les années 20, mais très peu d’entre eux ont un rapport avec la production et la distribution de sushis, d’iPhones ou de baskets à la mode.

Quels sont donc ces nouveaux emplois précisément ? Un rapport récent comparant l’emploi aux États-Unis entre 1910 et 2000 nous en donne une image claire et nette (il faut au passage souligner qu’un rapport similaire a été produit sur l’emploi au Royaume-Uni). Au cours du siècle dernier, le nombre de travailleurs, employés dans l’industrie ou l’agriculture a considérablement chuté. Parallèlement, les emplois de "professionnels, administrateurs, managers, vendeurs et employés de l’industrie des services" ont triplé, passant "de un quart à trois quarts des employés totaux". En d’autres termes, les métiers productifs, comme prédit, ont pu être largement automatisés (même si vous comptez les employés de l’industrie en Inde et Chine, ce type de travailleurs ne représente pas un pourcentage aussi large qu’avant).

Mais plutôt que de permettre une réduction massive des heures de travail pour libérer la population mondiale afin qu’elle poursuive ses propres projets, plaisirs, visions et idées, nous avons pu observer le gonflement, non seulement des industries de "service", mais aussi du secteur administratif, et la création de nouvelles industries comme les services financiers, le télémarketing, ou l’expansion sans précédent de secteurs comme le droit corporatiste, les administrations universitaires et de santé, les ressources humaines ou encore les relations publiques. Et ces chiffres ne prennent pas en compte tous ceux qui assurent un soutien administratif, technique ou sécuritaire à toutes ces industries, voire à toutes les autres industries annexes rattachées à celles-ci (les toiletteurs pour chiens, les livreurs de pizzas ouverts toute la nuit) qui n’existent que parce que tous les autres passent la majeure partie de leur temps à travailler pour les premières.

C’est ce que je propose d’appeler des "métiers à la con".

C’est comme si quelqu’un inventait des emplois inutiles, dans le seul but de continuer à nous faire tous travailler. Et c’est ici que réside tout le mystère. Dans un système capitaliste, c’est précisément ce qui n’est pas censé se produire. Dans les anciens et inefficaces états socialistes, comme l’URSS, où l’emploi était considéré à la fois comme un droit et un devoir sacré, le système fabriquait autant d’emploi que nécessaire (c’est une des raisons pour lesquelles il fallait trois personnes dans les supermarchés pour vous servir un morceau de viande). Mais, bien sûr, c’est précisément le genre de problème que la compétition de marché est censée régler. Selon les théories économiques, en tout cas, la dernière chose qu’une entreprise recherchant le profit va faire, c’est de débourser de l’argent à des employés qu’elle ne devrait pas payer. C’est pourtant ce qui se produit, d’une certaine façon.

Alors que les entreprises s’engagent dans des campagnes de restrictions impitoyables, ces licenciements touchent principalement la classe des gens qui produisent, déplacent, réparent ou maintiennent les choses; alors qu’à travers une étrange alchimie que personne ne peut expliquer, le nombre de "gratte-papier" semble gonfler, et de plus en plus d’employés finissent, à l’instar des travailleurs de l’ex-URSS, par travailler 40 ou 50 heures par semaine, mais avec un temps effectif de travail utile de 15 heures, exactement comme Keynes l’avait prédit, puisque le reste de leur temps consiste à organiser ou à participer à des séminaires de motivation, à mettre à jour leur profil Facebook ou à télécharger des séries télévisées.

La réponse n’est de toute évidence pas économique : elle est morale et politique. La classe dirigeante a compris qu’une population heureuse, productive et bénéficiant de temps libre est un danger mortel (pensez à ce qui s’est passé lorsque cela a commencé à se réaliser dans les années 60). Et, d’un autre côté, le sentiment selon lequel le travail étant une valeur morale intrinsèque et que quiconque refusant de se soumettre à une forme intense de travail pendant ses journées ne mérite rien, est extraordinairement pratique pour eux.

Autrefois, considérant l’augmentation apparemment infinie des responsabilités administratives dans les départements universitaires britanniques, j’en ai déduit une vision possible de l’enfer. L’enfer, c’est un groupe d’individus qui passent le plus clair de leur temps à effectuer des tâches qu’ils n’aiment pas et pour lesquelles ils ne sont pas spécialement doués. Disons qu’ils ont été engagés parce qu’ils étaient de très bons menuisiers, et qu’ils découvrent ensuite qu’ils doivent passer une grande partie de leur temps à cuire du poisson. Effectuer cette tâche n’est pas non plus indispensable, mais au moins il y a une quantité très limitée de poissons à faire cuire. Et pourtant, ils deviennent tous complètement obsédés par le fait que certains de leurs collègues passent peut-être plus de temps à faire de la menuiserie sans contribuer de manière équitable à faire frire du poisson et, très rapidement, des piles entières de poisson mal cuits et inutiles envahissent l’atelier, et cuire du poisson est devenu l’activité principale.

Auteur: Graeber David

Info: Thought Info http://partage-le.com/2016/01/a-propos-des-metiers-a-la-con-par-david-graeber/

[ déséquilibre ] [ absurde ] [ diminution du travail ]

 

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sociologie

La tyrannie de l’apparence
A l’école, à la fac, au travail… Avant même nos compétences, c’est notre physique qui est jugé. Une dictature du beau dénoncée, preuves à l’appui, par le sociologue Jean-François Amadieu.
Depuis l’Antiquité grecque, nous sommes victimes et vecteurs du même présupposé : ce qui est beau est bon. Aujourd’hui encore, tout le monde le pressent et personne ne veut y croire : notre vie tout entière est soumise à la tyrannie des apparences.
Pour la première fois en France, un livre, Le Poids des apparences (Odile Jacob, 2002), en apporte la démonstration. Professeur de sociologie, Jean-François Amadieu a recensé trente ans d’études américaines et européennes sur le sujet et en tire une conclusion effarante : toute notre vie, dans tous les domaines, en amour comme au travail, notre apparence conditionnera nos relations aux autres.
Poussant son analyse, le sociologue démontre combien la beauté est un formidable outil de discrimination sociale que les élites imposent aux classes les plus basses. Dans le monde entier, les canons de la beauté ne sont-ils pas ceux des Blancs américains diffusés par la télévision et le cinéma : blondeur, minceur, jeunesse. Que l’on s’y résolve ou que l’on se révolte, nous n’en sommes pas moins, dès la naissance, soumis à la première des injustices : celle des apparences.
Au berceau déjà
Les regards qui se portent sur le nourrisson dans son berceau ne sont pas neutres. Un bébé beau attirera force sourires et risettes alors qu’un enfant moins séduisant créera une certaine gêne chez les adultes. Même infime – oreilles décollées, tache de naissance, dissymétrie des traits –, la différence physique sera vécue par les parents comme un handicap futur. Et suscitera des comportements différents à l’égard du nourrisson.
" On ne peut pas dire qu’une mère ou un père préfèrera un enfant plus beau que ses frères et sœurs, explique Jean-François Amadieu. En revanche, les études ont prouvé que les activités seront différentes selon que l’enfant est beau ou laid. Par exemple, une mère jouera beaucoup avec son nourrisson s’il est beau, tandis qu’elle focalisera sur les apprentissages s’il est disgracieux. Et parce qu’elle sait qu’il risque de se heurter, plus tard, aux regards des autres, elle s’en occupera plus. Il est d’ailleurs prouvé que ces enfants réussiront mieux à l’école que la moyenne. On peut ici parler d’un effet de compensation à la laideur."
A l’école du favoritisme
A la maternelle déjà, les enfants beaux sont privilégiés. Les enseignants ont une meilleure opinion d’eux, leur accordent davantage d’attention, les évaluent plus chaleureusement - in Modèles du corps et psychologie esthétique de Jean Maisonneuve et Marilou Bruchon-Schweitzer (PUF, 1981). Cette bienveillance engendre une confiance chez l’enfant qui l’accompagnera toute sa vie. D’autant qu’elle va mettre en place une dynamique du succès qui se poursuivra à l’âge adulte. Ensuite, au collège et au lycée, une note peut varier de 20 à 40 % selon la beauté de l’élève. Les études prouvent qu’une étudiante laide mais de bon niveau est peu défavorisée par rapport à une étudiante belle de même niveau. En revanche, si la plus jolie est mauvaise élève, ses notes seront nettement surévaluées par les examinateurs, expliquent Jean Maisonneuve et Marilou Bruchon-Schweitzer dans Le Corps et la Beauté (PUF, 1999).
"Beaucoup plus que l’enfant beau, l’enfant laid est jugé responsable de ses échecs scolaires autant que de ses fautes, remarque Jean-François Amadieu. D’abord par les instituteurs, puis par les professeurs et enfin par les recruteurs. La beauté est un statut qui vaut diplôme : elle enrichit, comme la laideur altère, nos compétences."
La tête de l’emploi
Diplôme en poche, vous pensiez être délivré de la dictature des apparences ? Erreur. "Une apparence avenante est cruciale au moment de l’embauche, mais également pour une bonne intégration au sein de l’entreprise, explique Jean-François Amadieu. Elle permet une meilleure évaluation des performances et favorise un bon déroulement de carrière." Le candidat sera jugé d’abord sur des critères extérieurs : soin apporté à sa personne, poids, beauté physique, etc. 50 % des employeurs jugent qu’un physique séduisant est un critère important de recrutement (Multicity Study of Urban Inequality de H. Holzer, Michigan State University, 1993). Les critères négatifs : poids excessif, petite taille, nez trop long, grandes oreilles, visage disgracieux, mains moites…
"Les beaux sont jugés plus intelligents, plus ambitieux, plus chaleureux, plus sociables, plus équilibrés et moins agressifs", assure encore le sociologue. Ainsi, de nombreux spécialistes du recrutement estiment, consciemment ou pas, qu’une personnalité équilibrée se voit. Pire, les études prouvent qu’à diplôme équivalent un candidat au physique peu avenant sera recruté à un salaire moindre. Une situation qui n’ira pas en se résorbant : une étude anglaise, conduite sur onze mille salariés britanniques (Beauty, Statute and the Labour Market de B. Harper, 2000), prouve que si les plus beaux gagnent un peu plus que la moyenne nationale, les plus laids perçoivent des salaires de 11 à 15 % inférieurs.
"La beauté permet non seulement d’échapper au chômage, mais en plus elle se transforme en prime salariale, résume Jean-François Amadieu. La beauté est un capital humain que le marché du travail reconnaît financièrement." Ainsi démontrée, la dictature que nous imposent les apparences, comme la tyrannie médiatique et sociale que nous subissons, nous apparaissent dans ce qu’elles ont de fondamentalement injustes. "Bien sûr, nous préférerions que ce soient les mérites de chacun qui déterminent l’obtention des diplômes, l’accès aux emplois, etc., plutôt qu’un critère arbitraire et primitif, admet Jean-François Amadieu. Mais c’est en disant la vérité sur cette discrimination qu’on peut élaborer des stratégies visant à limiter, sinon contrer, l’emprise des apparences. Bien connue et bien utilisée par tous, elle peut aussi permettre de bousculer l’ordre imposé."
Des chercheurs américains (Physical Attractivities and Evaluation of Children’s Transgressions de K. K. Dion, 1972) ont demandé à des adultes de juger des enfants de 7 ans accusés d’avoir blessé un camarade avec une boule de neige. Dans un premier temps, les personnes interrogées se sont montrées beaucoup plus tolérantes envers les enfants les plus beaux : la faute était jugée plus légèrement lorsque le fautif était séduisant. Dans un second temps, elles se sont dit convaincues que les enfants beaux récidiveraient moins que les autres. Commentaires du sociologue Jean-François Amadieu : "Non seulement le “laid” est jugé plus responsable de sa faute que le “beau”, mais, de surcroît, cette faute apparaissant comme inscrite dans sa nature profonde, elle est susceptible d’être répétée."

Auteur: Gelly Violaine

Info:

[ inégalités ] [ injustice ] [ allure ]

 

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cheptel humain

Malgré tout le bonheur que m’a procuré, à titre personnel, chaque voyage entrepris ces dernières années, une impression tenace s’est imprimée dans mon esprit : une horreur silencieuse devant la monotonie du monde. Les modes de vie finissent par se ressembler, à tous se conformer à un schéma culturel homogène. Les coutumes propres à chaque peuple disparaissent, les costumes s’uniformisent, les mœurs prennent un caractère de plus en plus international. Les pays semblent, pour ainsi dire, ne plus se distinguer les uns des autres, les hommes s’activent et vivent selon un modèle unique, tandis que les villes paraissent toutes identiques. Paris est aux trois quarts américanisée, Vienne est budapestisée : l’arôme délicat de ce que les cultures ont de singulier se volatilise de plus en plus, les couleurs s’estompent avec une rapidité sans précédent et, sous la couche de vernis craquelé, affleure le piston couleur acier de l’activité mécanique, la machine du monde moderne. Ce processus est en marche depuis fort longtemps déjà : avant la guerre, Rathenau avait annoncé de manière prophétique cette mécanisation de l’existence, la prépondérance de la technique, comme étant le phénomène le plus important de notre époque. Or, jamais cette déchéance dans l’uniformité des modes de vie n’a été aussi précipitée, aussi versatile, que ces dernières années. Soyons clairs ! C’est sans doute le phénomène le plus brûlant, le plus capital de notre temps.

[…]

Conséquences : la disparition de toute individualité, jusque dans l’apparence extérieure. Le fait que les gens portent tous les mêmes vêtements, que les femmes revêtent toutes la même robe et le même maquillage n’est pas sans danger : la monotonie doit nécessairement pénétrer à l’intérieur. Les visages finissent par tous se ressembler, parce que soumis aux mêmes désirs, de même que les corps, qui s’exercent aux mêmes pratiques sportives, et les esprits, qui partagent les mêmes centres d’intérêt. Inconsciemment, une âme unique se crée, une âme de masse, mue par le désir accru d’uniformité, qui célèbre la dégénérescence des nerfs en faveur des muscles et la mort de l’individu en faveur d’un type générique. La conversation, cet art de la parole, s’use dans la danse et s’y disperse, le théâtre se galvaude au profit du cinéma, les usages de la mode, marquée par la rapidité, le “succès saisonnier”, imprègnent la littérature. Déjà, comme en Angleterre, la littérature populaire disparaît devant le phénomène qui va s’amplifiant du “livre de la saison”, de même que la forme éclair du succès se propage à la radio, diffusée simultanément sur toutes les stations européennes avant de s’évaporer dans la seconde qui suit. Et comme tout est orienté vers le court terme, la consommation augmente : ainsi, l’éducation, qui se poursuivait de manière patiente et rationnelle, et prédominait tout au long d’une vie, devient un phénomène très rare à notre époque, comme tout ce qui s’acquiert grâce à un effort personnel.

[…]

Toutes ces choses, que j’ai seulement évoquées, le cinéma, la radio, la danse, tous ces nouveaux moyens de mécanisation de l’humanité, exercent un pouvoir énorme qui ne peut être dépassé. Toutes répondent en effet à l’idéal le plus élevé de la moyenne : offrir du plaisir sans exiger d’effort. Et leur force imbattable réside en cela : elles sont incroyablement confortables. La nouvelle danse peut être apprise en trois heures par la femme de ménage la plus maladroite, le cinéma ravit les analphabètes, desquels on n’exige pas une grande éducation pour profiter de la radio ; il suffit de mettre les écouteurs sur la tête, pour déjà l’entendre rouler dans l’oreille – même les dieux luttent en vain contre un tel confort. Ce qui n’exige que le minimum d’effort, mental et physique, et le minimum de force morale doit nécessairement l’emporter auprès des masses, dans la mesure où cela suscite la passion de la majorité. Et ce qui aujourd’hui encore réclame l’indépendance, l’autodétermination ou la personnalité dans le plaisir paraît dérisoire face à un pouvoir aussi surdimensionné. À vrai dire, au moment où l’humanité s’ennuie toujours davantage et devient de plus en plus monotone, il ne lui arrive rien d’autre que ce qu’elle désire au plus profond d’elle-même. L’indépendance dans le mode de vie et même dans la jouissance de la vie ne constitue plus, désormais, un objectif, tant la plupart des gens ne s’aperçoivent pas à quel point ils sont devenus des particules, des atomes d’une violence gigantesque. Ils se laissent ainsi entraîner par le courant qui les happe vers le vide ; comme le disait Tacite : “ruere in servitium”, ils se jettent dans l’esclavage […].

Ainsi, aucune résistance ! Ce serait une présomption scandaleuse que d’essayer d’éloigner les gens de ces petits plaisirs (intérieurement vides). Parce que nous – pour être honnêtes – qu’avons-nous d’autre à leur donner ? Nos livres ne les touchent plus, car ils ont cessé depuis longtemps de procurer les sueurs froides ou les excitations fébriles, que le sport et le cinéma prodiguent à foison. Ils ont même l’impudence d’exiger au préalable de nos livres, de notre effort mental et de notre éducation, une coopération des sentiments et une tension de l’âme. Nous sommes devenus – admettons-le – terriblement étrangers à tous ces plaisirs et passions de masse et donc à l’esprit de l’époque, nous, dont la culture spirituelle est une passion pour la vie, nous, qui ne nous ennuyons jamais, pour qui chaque jour est trop court de six heures, nous, qui n’avons besoin ni de dispositifs pour tuer le temps ni de machines d’arcade, ni de danse, ni de cinéma, ni de radio, ni de bridge, ni de défilés de mode. Il nous suffit de passer devant un panneau d’affichage dans une grande ville ou de lire un journal qui décrit en détail les batailles homériques des matchs de football pour sentir que nous sommes déjà devenus des outsiders, tels les derniers encyclopédistes pendant la Révolution française, une espèce aussi rare et menacée d’extinction aujourd’hui en Europe que les chamois et les edelweiss. Peut-être qu’un jour un parc naturel sera créé pour nous, derniers spécimens d’une espèce rare, pour nous préserver et nous conserver respectueusement en tant que curiosités de l’époque, mais nous devons avoir conscience que nous manquons depuis longtemps d’un quelconque pouvoir pour tenter la moindre chose contre cette uniformité croissante du monde. Devant cette lumière éblouissante de fête foraine, nous ne pouvons que demeurer dans l’ombre et, tels les moines des monastères pendant les grandes guerres et les grands bouleversements, consigner dans des chroniques et des descriptions un état de choses que, comme eux, nous tenons pour une déroute de l’esprit.

Auteur: Zweig Stefan

Info: L'uniformisation du monde

[ indifférenciation ] [ loisirs ] [ industrialisation ] [ normalisation ]

 
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compromission

En mai 68 mai et dans le sillage de l’événement sont apparus de nouveaux thèmes portant sur la sexualité, l’éducation des enfants, la psychiatrie, la culture, qui sont venus interpeller les schémas de la lutte des classes et les idéologies de l’extrême gauche traditionnelle. Le gauchisme culturel naît précisément dans ce cadre et c’est lui qui va le premier déplacer l’axe central de la contestation vers les questions sociétales, à la manière de l’époque, c’est-à-dire de façon radicale et délibérément provocatrice. Il est ainsi devenu le vecteur d’une révolution culturelle qui a mis à mal l’orthodoxie des groupuscules d’extrême-gauche, avant de concerner l’ensemble de la gauche et de se répandre dans la société. Quand on étudie la littérature gauchiste de l’immédiat après-Mai, on est frappé de retrouver nombre de thèmes du gauchisme culturel d’aujourd’hui, mais, en même temps, ces derniers semblent bien mièvres et presque banalisés en regard de la rage dont faisaient preuve les révolutionnaires de l’époque. Leur remise en question radicale a concerné bien des domaines dont nous ne pouvons rendre compte dans le cadre limité de cet article 34. Mais il suffit d’évoquer ce qu’il en fut en matière de mœurs et de sexualité au début des années 1970 pour mieux cerner le fossé qui nous sépare du présent. Le désir était alors brandi comme une arme de subversion de l’ordre établi qui devait faire sauter tous les interdits, les tabous et les barrières. Il s’agissait de faire tomber tous les masques, en pourchassant les justifications et les refoulements au cœur même des discours les plus rationnels et les plus savants. Être "authentique", c’était oser, si l’on peut dire, regarder le désir en face et ne plus craindre d’exprimer en toute liberté le chaos que l’on porte en soi. C’est sans doute pour cette raison que sur le front du désir la classe ouvrière a pu apparaître muette à beaucoup.

Les religions juives et chrétiennes, la "morale bourgeoise", l’idéologie, le capitalisme réprimaient le désir, il s’agissait alors ouvertement de tout mettre à bas pour le libérer. Le mariage et la famille n’échappaient pas à un pareil traitement. Ils étaient considérés comme un dispositif central dans ce vaste système de répression, la cellule de base du système visant à castrer et à domestiquer le désir en le ramenant dans les credo de la normalité. Les lesbiennes et les gays revendiquaient clairement leur différence en n’épargnant pas les " hétéro-flics", la "virilité fasciste", le patriarcat. Il était alors totalement exclu de se marier et de rentrer dans le rang.

On peut mesurer les différences et le chemin parcouru depuis lors. Nous sommes passés d’une dynamique de transgression à une banalisation paradoxale qui entend jouer sur tous les plans à la fois: celui de la figure du contestataire de l’ordre établi, celui de la minorité opprimée, celui de la victime ayant des droits et exigeant de l’État qu’il satisfasse au plus vite ses revendications, celui du Républicain qui défend la valeur d’égalité, celui du bon père et de la bonne mère de famille…

Mais, en même temps, force est de constater que nombre de thèmes de l’époque font écho aux postures d’aujourd’hui. Il en est ainsi du culte des sentiments développé particulièrement au sein du MLF. Renversant la perspective du militantisme traditionnel, il s’agissait déjà de partir de soi, de son "vécu quotidien", de partager ce vécu avec d’autres et de le faire connaître publiquement. On soulignait déjà l’importance d’une parole au plus près des affects et des sentiments. Alors que l’éducation voulait apprendre à les dominer, il fallait au contraire ne plus craindre de se laisser porter par eux. Ils exprimaient une révolte à l’état brut et une vérité bien plus forte que celle qui s’exprime à travers la prédominance accordée à la raison. À l’inverse de l’idée selon laquelle il ne fallait pas mêler les sentiments personnels et la politique, il s’agissait tout au contraire de faire de la politique à partir des sentiments. Trois préceptes du MLF nous paraissent condenser le renversement qui s’opère dès cette période: "Le personnel est politique et le politique est personnel";  "Nous avons été dupés par l’idéologie dominante qui fait comme si “la vie publique” était gouvernée par d’autres principes que la vie privée”; "Dans nos groupes, partageons nos sentiments et rassemblons-les et voyons où ils nous mèneront. Ils nous mèneront aux idées puis à l’action". Ces préceptes condensent une nouvelle façon de faire de la "politique" qui fera de nombreux adeptes.

Resterait à tracer la genèse de ce curieux destin du gauchisme culturel jusqu’à aujourd’hui, la perpétuation de certains de ses thèmes et leur transformation. L’analyse de l’ensemble du parcours reste à faire, mais cette dernière implique à notre sens la prise en compte du croisement qui s’est opéré entre ce gauchisme de première génération avec au moins trois grands courants: le christianisme de gauche, l’écologie politique et les droits de l’homme. C’est dans la rencontre avec ces courants que le gauchisme culturel s’est pacifié, pris un côté boy-scout et faussement gentillet, et qu’il s’est mis à revendiquer des droits. Mais c’est surtout dans les années 1980 que le gauchisme culturel va recevoir sa consécration définitive dans le champ politique, plus précisément au tournant des années 1983-1984, au moment où la gauche change de politique économique sans le dire clairement et entame la "modernisation " Le gauchisme culturel va alors servir de substitut à la crise de sa doctrine et masquer un changement de politique économique mal assumé. À partir de ce moment, la gauche au pouvoir va intégrer l’héritage impossible de mai 68, faire du surf sur les évolutions dans tous les domaines, et apparaître clairement aux yeux de l’opinion comme étant à l’avant-garde dans le bouleversement des mœurs et de la "culture". Nous ne sommes pas sortis de cette situation.

Au terme de ce parcours qui rend compte des glissements opérés par la gauche et de l’influence du gauchisme culturel en son sein, il nous paraît possible de poser sans détour ce qui n’est plus tout à fait une hypothèse: nous assistons à la fin d’un cycle historique dont les origines remontent au XIXe siècle; la gauche a atteint son point avancé de décomposition, elle est passée à autre chose tout en continuant de faire semblant qu’il n’en est rien; il n’est pas sûr qu’elle puisse s’en remettre. Le gauchisme culturel, qui est devenu hégémonique à gauche et dans la société, a été un vecteur de cette décomposition et son antilibéralisme intellectuel, pour ne pas dire sa bêtise, est un des principaux freins à son renouvellement. La gauche est-elle capable de rompre clairement avec lui ? Rien n’est certain étant donné la prégnance de ses postures et de ses schémas de pensée.


Auteur: Le Goff Jean-Pierre

Info: "Du gauchisme culturel et de ses avatars" , Le Débat n° 176, septembre-octobre 2013, p.49-55.

[ hypocrisie ] [ détournement ]

 

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multinationales

Les GAFAM et les NATU, nouveaux maîtres du monde de l’économie numérique ?

Encore des néo-acronymes anglo-saxons au menu aujourd’hui ! Levons le suspens tout de suite. GAFAM regroupe les initiales de Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft et NATU ceux de Netflix, Air BNB, Telsa et Uber. En gros les dix plus grandes sociétés américaines de l’économie numérique. Deux acronymes pour une valorisation boursière comparable, tenez vous bien, au budget annuel de la France et un chiffre d’affaire annuel supérieur à celui du Danemark avec "seulement" 300 000 employés. Une sacré efficacité économique par employé, une croissance annuelle supérieur à celle de la Chine et surtout, une position dominante sur le marché qui commence à faire réfléchir.

Ces mastodontes de l’économie numérique représenteraient à eux seuls, près de 60% de nos usages numériques quotidiens. A l’heure où la France commence à prendre sérieusement conscience des enjeux de l’économie numérique, ces géants numériques ont une sacré longueur d’avance dans cette nouvelle révolution industrielle. Est-il trop tard ? Sans doute. Mais la France et l’Europe n’ont pas dit leur dernier mot.

- Qui sont vraiment ces GAFAM et NATU ? Je ne vais pas présenter tout le monde mais pour faire vite, disons qu’ils se partagent les grandes fonctions de l’économie numérique. Cette dernière qui était censée prolonger numériquement l’économie traditionnelle commence en réalité en train de la vampiriser sérieusement. Ce qu’on a appelé l’ubérisation de l’économie en référence à la société américaine Uber qui détruit progressivement le modèle de fonctionnement des taxis pour s’approprier d’énormes parts de marché. Google est un peu la matrice du système car il touche à tout : il fournit gratuitement à chacun la boîte à outils pour naviguer dans les mondes numériques et se finance en revendant les précieuses données qu’il récolte. Apple vend une partie du matériel nécessaire pour évoluer dans ce monde numérique, mais également de la musique et des films dont il a révolutionné la distribution. Facebook est le réseau social mondial qui permet à chacun de suivre la vie et les activités des autres.

Notons qu’avec Google, Facebook est devenu une régie publicitaire mondiale qui permet de cibler de façon chirurgicale des publicités avec une audience potentielle qui se chiffre en milliard d’individus. Amazon est en passe de devenir le distributeur mondial de l’économie numérique, menaçant des géants comme Wall Mart aux Etats Unis et peut-être Carrefour ou Auchan demain. - Et les nouveaux venus ? Netflix ? Air BNB ? Telsa ? Uber ? Netflix est la plus grosse plateforme de diffusion de films et séries. Il est également producteur et en ligne va sans doute faire exploser le modèle de la télévision. Air BNB est en train d’appliquer la même punition au secteur hôtelier en permettant à chacun de louer une chambre ou une maison d’un simple clic. Ou presque. Tesla révolutionne l’énergie avec la production de voiture et de batteries électriques d’une nouvelle génération et possède aussi SpaceX, un lanceur de fusée. Quand à Uber, il révolutionne la mobilité avec les taxis. Mais pas que…

Cela sous-entend que ces acteurs ne se cantonnent pas à leur "coeur de métier" comme on dit ? Tout à fait. Ils sont si puissant financièrement qu’ils investissent dans de très nombreux domaines. N’oublions pas que Youtube qui diffuse 4 milliard de vidéos par jour appartient à Google et que Facebook en revendique près de 3 milliards chaque jour. Les audiences des plus grandes chaines de télé se comptent plutôt en millions. Amazon est connu pour être une librairie en ligne mais vend aujourd’hui presque tout sur sa plateforme, même de la micro main d’oeuvre avec sa plateforme Mechanical Turk. Google investit dans presque tout, de la médecine prédictive aux satellites, en passant par les lunettes connectées et les voitures (Google car). Et quand les chauffeurs taxis s’excitent sur Uber pop, on oublie qu’Uber s’occupe aussi de la location de voitures et de la livraison de colis. Selon le cabinet d’études FaberNovel, les Gafam se positionnent directement ou non sur les 7 industries clefs de la transformation numérique : les télécoms et l’IT, la santé, la distribution, les énergies, les média et le divertissement, la finance ainsi que le voyage et les loisirs.

Cette concentration de pouvoir technologique et financier n’est-elle pas un risque pour l’économie ? On n’est pas loin en effet de situations de trusts, de monopoles voir de cartels. Ces géants disposent de nombreux atouts. Ils ont des réserves de cash gigantesques, ils ont une vision à 360 degrés de ce qui se passe aujourd’hui dans l’innovation, ils attirent les plus grands talents et se positionnent sur les nouveaux marchés issus de la transformation numérique comme l’internet des objets, la robotique, voitures, les drones…. Ils diversifient leurs activités et deviennent des prédateurs redoutables de l’économie traditionnelle.

Quelques chiffres donnent le vertige. Google contrôle 90 % de la recherche dans le monde. Apple 45 % du trafic Web issu des smartphones. Facebook 75 % des pages vues sur les réseaux sociaux aux Etats-Unis. Et si demain une pépite émerge, il est presqu’assuré que cette dernière tombera dans l’escarcelle d’un de ces géants. - Que peuvent faire les autres pays ? Il y a toujours 2 types d’attitudes devant un tel défi. Attaquer ou défendre. Ou les deux. Et sur plusieurs terrains. L’innovation et la recherche bien sûr, en essayant d’inventer non seulement des concurrents à ces mastodontes, mais aussi en explorant d’autres domaines prometteurs. L’Europe pré-technocratique avait réussi à faire des Airbus et des fusées Ariane. Elle hébergent encore de grands leaders industriels de la santé, du commerce et de la distribution. Mais ses modèles datent du 20ème siècle et clairement, le virage du numérique n’a pas été pris à temps. Inventeur du Minitel dans les années 80, la France aurait pu prendre une avance stratégique dans ce domaine mais cela aurait sans doute du se jouer au niveau européen.

Contrairement à la Chine (avec Baidu et Alibaba) ou à la Russie (Yandex, Rutube), l’Europe n’a malheureusement rien lancé de significatif dans ce domaine. - Justement n’est-ce pas au niveau continental que des leviers existent ? Certainement. S’il est difficile de mettre en place des consortium numériques à l’échelle européenne, par exemple pour concurrencer les GAFAM dans leurs fonctions stratégiques, des leviers législatifs, juridiques et fiscaux sont en revanche déjà utilisés pour attaquer les géants américains qui sont rarement respectueux des règles locales. Amazon, qui concentrait ses revenus au Luxembourg va devoir payer des impôts dans chaque pays dans lequel il évolue. Google a été condamné pour avoir favorisé ses propres services de shopping a du se plier aux exigences de la CNIL française pour mettre en place un droit à l’oubli. Mais cela sonne comme des gouttes d’eau dans l’océan et surtout cela concerne essentiellement des mesures défensives, comme si la bataille était déjà perdue. Internet,

Auteur: Internet

Info: http://www.econum.fr/gafa, 20 septembre 2015

[ transnationales ] [ puissance ] [ domination ] [ pouvoirs comprador ]

 

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infox

Avons-nous une information économique indépendante? Cet ouvrage est un guide sans complaisance pour comprendre l’était réel de l’économie — inflation, chômage, propriété, retraites, contenus sponsorisés — loin du chichi et du marketing.

Si vous avez fait le plein d’essence dernièrement, vous avez vu la pompe indiquer 130, voire 140 francs suivant la taille de votre réservoir. Pourtant, votre coût de la vie est mal reflété par les statistiques de l’inflation. Celle-ci était déjà une réalité de votre quotidien avant le Covid et avant la guerre en Ukraine, mais l’indice officiel ne vous renseignait que peu sur votre pouvoir d’achat.

L'immobilier s'est envolé

Depuis quelques années, vous avez sans doute constaté que les prix de l’immobilier ont fortement augmenté en Suisse. Vous aurez noté que certes, les taux hypothécaires s’affichent au plancher, à 1%, mais que les jeunes couples peinent à emprunter à la banque pour acquérir un bien à 1 million, s’ils gagnent moins de 180'000 francs. Peut-être avez-vous vu passer le fait qu’en Suisse, la part des ménages propriétaires de leur logement est tombée de 48% à 37% sur la décennie. Ailleurs, les problématiques sont similaires. En France, le logement ne pèse que 6% dans l’indice calculé par l’Insee, alors que chez une partie des locataires, la part des loyers est de 20% du budget et chez une partie des propriétaires, le remboursement des emprunts s’élève à 25% du budget.

Les primes maladies en forte hausse

Vous avez peut-être aussi vu que les primes maladie en Suisse se sont envolées (de 70%) alors même que l’inflation officielle était donnée à 0%, entre 2008 et 2018, et que les salaires n’ont pas été ajustés en conséquence. Vous avez peut-être cherché l’indice des primes maladie de la Confédération, calculé séparément, mais vous avez vu que même lui traduit mal l’impact beaucoup plus fort des hausses de primes sur les bas revenus que sur les hauts revenus, et que son utilité s’avère limitée.

Vous aurez peut-être vu que le nombre de ménages subventionnés pour payer l’assurance maladie a doublé depuis 1996, ce qui peut étonner dans un pays aussi riche que la Suisse. Le nombre de bénéficiaires a augmenté deux fois plus vite que la population, et le montant du subside moyen versé par assuré a triplé depuis 1996.

Et l'inflation, dans tout ça?

Une statistique de l’inflation qui, dans les pays développés, n’informe pas sur le coût de la vie, car elle exclut à peu près tout ce qui monte (assurances, logement, bourse, et dont l’indice étroit exclut l’alimentation et l’énergie): qu’est-ce que cela apporte, à part une image lustrée, peu en phase avec le quotidien de millions de ménages et peu propice à une adaptation des salaires?

Vous avez peut-être constaté que vos avoirs de 2ème pilier n’avaient pas beaucoup bénéficié de l’envolée phénoménale de la bourse ces dix dernières années. La priorité des caisses de pension a été d’alimenter les réserves pour longévité, et c’est tant mieux, mais ça met à mal le lieu commun qui veut que "quand la bourse monte, on est tous gagnants".

Les salariés, grands perdants du siècle

Vous saviez peut-être qu’à cotisations égales, les assurés d’aujourd’hui toucheront 30% moins de deuxième pilier que les générations précédentes. Et que la part de la population directement exposée à la bourse via des portefeuilles d’investissements ne dépasse pas les 10% aux Etats-Unis et probablement aussi en Europe, confirmant que la bourse n’est pas une richesse collective et que la stagnation des salaires a détérioré le pouvoir d’achat de ceux, largement majoritaires, qui dépendent exclusivement de ce revenu.

Peut-être avez-vous également noté que les chiffres du chômage en Suisse, donnés à 2,5%, n’incluent pas les inactifs et les fins de droit, sortis des statistiques, et ne tiennent pas compte du phénomène de sous-emploi, des CDD chez les jeunes ou du chômage des seniors, qui sont en nette hausse.

Dans cet ouvrage il est question de tous ces chiffres qui minimisent les aspects moins reluisants de notre économie, et dont j’observe la faible valeur informative depuis deux décennies de journalisme économique.

Les fake news économiques, un fléau moderne

Tout cela pour dire que la désinformation économique existe dans les pays développés. Les statistiques officielles sont aussi enjolivées, parfois: les déficits budgétaires européens ont été retouchés par tous les pays de l’UE, et pas seulement par la Grèce. On fait dire beaucoup de choses à une statistique de PIB, alors que sa croissance est souvent surestimée par une inflation calculée trop bas.

On publie le chiffre initial du PIB, puis sa version révisée et plus correcte vient plus tard ; mais seul le chiffre initial, souvent trop flatteur, sera largement diffusé. Un PIB devrait être complété par nombre d’indicateurs démographiques et de développement humain si l’on veut avoir une image réaliste de la performance d’un pays.

Du côté corporate, lorsqu’on lit un rapport annuel d’entreprise, on comprend vite que tant de transparence va nous noyer. Parfois, certains rapports annuels font 500 pages, et pourtant, l’essentiel n’y figure pas toujours, ou n’est pas facile à trouver. Les comptes de Credit Suisse ne disaient rien de l’exposition au fonds spéculatif Archegos, qui lui a valu une perte de 5 milliards.

Les comptes d’UBS ne disaient pas un mot de l’exposition aux subprimes américains, qui a duré des années et a constitué une part majeure des profits du groupe. Chez la plupart des multinationales, beaucoup trop de pages technico-légales noient l’information pertinente des comptes, et encore plus de pages sur la responsabilité sociale et environnementale assomment le lecteur par un marketing qui confine dans certains cas au greenwashing. C’est pourquoi j’ai voulu attirer l’attention des lecteurs, à travers cet ouvrage ici résumé, sur les nombreuses imperfections de l’information économique et financière.

Comment bien s'informer aujourd'hui en matière économique?

De nombreux autres exemples sont abordés dans le livre, et notamment le cas des fuites des paradis fiscaux divulgués par des consortiums de journalistes sur la base de sources anonymes, la question du financement des médias et des conflits d’intérêts potentiels, la manipulation des cours de l’or et ses conséquences, les campagnes de désinformation orchestrées par des agences de propagande de plus en plus actives, l’essor du marketing et de la publicité qui ne pose nul problème en soi, sauf quand ces contenus pénètrent l’information économique indépendante, et aussi l’essor des entreprises en tant que médias, avec des moyens démultipliés, et la question de l’indépendance de l’information.

Comment bien s’informer aujourd’hui en matière économique? Cet ouvrage sans complaisance se veut un guide face à toutes ces façons qu’a l’information, dans les pays développés, de se brouiller, de se diluer, de s’embellir, de perdre son indépendance, son objectivité, son utilité sociale et son rôle au service de l’intérêt public. La politisation des chiffres et l’embellissement des statistiques officielles sont souvent masquées par l’extrême mathématisation des indices.

On croirait qu’il s’agit de sciences dures, apolitiques, alors qu’en réalité, derrière chaque chiffre, il y a des postulats et des choix de société. Mieux s’informer sur l’état réel de nos sociétés, recouper les informations, n’a jamais été aussi primordial. Après avoir lu cet ouvrage, vous ne prendrez plus les statistiques officielles ou les concepts à la mode pour argent comptant. Et c’est tout ce que je vous souhaite. 

Auteur: Zaki Myret

Info: Désinformation économique, février 2022, éditions Favre. https://www.blick.ch/

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