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anagogie

Au regard de la connaissance théologique, qui porte sur une Réalité infinie, le concept ne devient-il pas un obstacle, et ne doit-on pas le détruire ? C’est vers une solution de ce genre que s’est orientée toute une partie de la pensée religieuse moderne et contemporaine. Les théologies de la mort de Dieu (Dieu est mort en tant qu’idée ou concept objectif) n’envisagent le concept que comme une véritable aliénation qui interdit tout contact "existentiel" avec "Celui qui nous interpelle". Incontestablement, ce rejet de l’intellectualité en théologie trouve en Luther un précurseur : "On ne fait pas de théologien, déclarait-il, sinon sans Aristote". Aujourd’hui, les bultmanniens, catholiques ou protestants, poursuivent le même combat contre la théologie conceptuelle, mais d’une manière beaucoup plus radicale. Nous n’avons pas, dans cette étude, à nous occuper de ce suicide spéculatif, conséquence lointaine mais inévitable, de la disparition progressive de la gnose sacrée en Occident. Nous voulons seulement souligner que, certes, Denys [l'Aréopagite] les eût sévèrement condamnés. Et nous ne cacherons pas que l’une des intentions majeures de notre travail est précisément de demander à Denys de nous apprendre à écarter toute interprétation "bultmanienne", c’est-à-dire antimétaphysique, de la théologie négative, et à récuser le "heideggerisme" dévastateur qui s’est emparé de l’intelligentsia chrétienne depuis quarante ans.

Et d’une part, en effet, loin d’éliminer la théologie affirmative, Denys nous apprend que c’est un devoir, pour le théologien, de commenter et d’expliquer la science de Dieu que nous révèle l’Écriture à l’aide des idées de Cause, de Principe, d’Un, d’Être, de Vie, etc., afin que nos concepts soient aussi adéquats que possible. D’autre part, le remède aux inévitables limites d’une telle voie ne réside pas dans sa destruction. Étant donné la nature nécessairement conceptuelle de la pensée humaine, détruire la théologie affirmative ou spéculative, c’est éliminer une science juste et garantie par la Tradition (la théologie scolastique) pour lui substituer une pensée déviée et corrompue par la mentalité moderne. Le remède consiste, au contraire – le concept étant admis dans sa pleine validité théologique – à l’ouvrir vers le haut, c’est-à-dire à saisir sa nature de symbole mental, donc à le dépasser, mais en s’appuyant sur lui, comme sur un tremplin, parce qu’il nous indique, par son propre contenu, quel doit être le sens de ce dépassement. Telle est l’œuvre de la théologie négative.

Auteur: Borella Jean

Info: Dans "Lumières de la théologie mystique", éditions L'Harmattan, Paris, 2015, pages 102-103

[ anti-nihilisme ] [ religion ]

 

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occulto-socialisme

[Avec Le Hasard et la nécessité de Jacques Monod] Finie l’évolution dialectique, c’est l’indéterminisme discontinuel du code génétique qui régit la vie – le principe téléonomique : la finalité n’est plus au terme, il n’y a plus de terme, ni de détermination – la finalité est là d’avance, inscrite dans le code. [...] Toutes les finalités transcendantes réduites à un tableau de bord. C’est pourtant toujours le recours à une nature, à l’inscription dans une nature "biologique" : en fait une nature phantasmée comme elle l’a toujours été, sanctuaire métaphysique non plus de l’origine et des substances, mais cette fois du code : il faut que le code ait une assise "objective". Quoi de meilleur pour cela que la molécule et la génétique ? De cette transcendance moléculaire, Monod est le théologien sévère, Edgar Morin le supporter extasié (A.D.N. = Adonaï !). Mais chez l’un comme chez l’autre, le phantasme du code, qui équivaut à la réalité du pouvoir, se confond avec l’idéalisme de la molécule.

On retrouve l’illusion délirante de réunifier le monde sous un seul principe – celui d’une substance homogène chez les Jésuites de la Contre-Réforme, celui du code génétique chez les technocrates de la science biologique (mais aussi bien linguistique) avec comme précurseur Leibniz et sa divinité binaire. Car le programme ici visé n’a rien de génétique, c’est un programme social et historique. Ce qui est hypostasié dans la biochimie, c’est l’idéal d’un ordre social régi par une sorte de code génétique [...] irradiant le corps social de ses circuits opérationnels. [...]

Pratiquement et historiquement, cela signifie la substitution au contrôle social par la fin (et la providence plus ou moins dialectique qui veille à l’accomplissement de cette fin) d’un contrôle social par la prévision, la simulation, l’anticipation programmatrice, la mutation indéterminée, mais régie par le code. [...] D’une société capitaliste productiviste à un ordre néo-capitaliste cybernétique, qui vise cette fois au contrôle absolu : telle est la mutation à qui la théorisation biologique du code donne ses armes. Cette mutation n’a rien d’ "indéterminé" : elle est l’aboutissement de toute une histoire où successivement Dieu, l’Homme, le Progrès, l’Histoire elle-même se meurent au profit du code, où la transcendance se meurt au profit de l’immanence, celle-ci correspondant à une phase bien plus avancée dans la manipulation vertigineuse du rapport social.

Auteur: Baudrillard Jean

Info: Dans "L'échange symbolique et la mort", éditions Gallimard, 1976, pages 97 à 99

[ vision moderne du monde ] [ opérationnalité sans discours ] [ discours scientifique ]

 
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dialectique

La conscience naturelle, comme savoir (sans intermédiaire) d’un être qui lui fait face – d’un objet – a pour cet objet un concept du vrai, sur lequel elle fonde sa certitude (Gewissheit). Et cette certitude est celle du Thomas de l’Evangile : elle croit que cet être est parce qu’elle le voit avec ses sens et ne doute pas de ces sensations. Cette certitude sensible (c’est le titre du chapitre I) est le premier des moments du savoir conscient qui s’expriment dans ce que Hegel appelle des figures de la conscience. La figure est chaque fois la totalité de la conscience et de son concept du vrai à un moment donné du développement de sa quête. Ce concept correspond au point où elle en est de son voyage vers le Savoir absolu (das absolute Wissen). Une fois qu’elle l’a énoncé, elle procède alors à la vérification de l’adéquation de ce concept du vrai à l’objet qui lui fait face. "Concept", notons-le, se dit en allemand Begriff, et connote directement la saisie, la compréhension comme captation, préhension.

La deuxième figure de la conscience porte plus explicitement encore ce sens quasi concret. Il s’agit de la perception, dont l’objet est la chose porteuse d’un nom correspondant à ses diverses qualités : elle a un concept du vrai qui est la négation du concept défendu par la figure précédente, la certitude sensible. La troisième figure est l’entendement (der Verstand) dont l’objet et le concept est la force (au sens de la physique classique), soit la négation du concept du vrai défendu par la perception. Et ainsi de suite, mais de façon de plus en plus complexe, car ce qui est nié, dépassé et aboli est toujours conservé-en-tant-que-nié, ou plus exactement intériorisé.

Mais ce processus de dévoilement par négation puis négation de la négation est aussi le mouvement intérieur à l’expérience de chaque figure de la conscience vérifiant si son concept fonctionne. […]

Ce qui complique encore le récit, c’est qu’à chacune des figures de la conscience (relevant d’un type déterminé de certitude et de vérité, de conviction d’avoir balayé les certitudes illusoires, dépassé le niveau phénoménal et atteint l’essence de ce qui vraiment) correspond en général, non pas un stade de l’hominisation, mais un moment de l’histoire de la philosophie ou un type de philosophie représenté à diverses époques. 

Auteur: Lefebvre Jean-Pierre

Info: Présentation in La Phénoménologie de l'esprit de Hegel, Flammarion, Paris, 2012, pages 32-33

[ définition ] [ explication ] [ traduction ] [ résumé ]

 

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chute du fantasme

- Vous ne regrettez rien, vraiment ? Ce sera sérieux et définitif, vous savez.

- Je l’espère… On ne donne qu’une fois son cœur de jeune fille. Et je sens que vous m’aimerez toujours.

A ce mots, Jean Dézert s’émeut. Il prend Elvire dans ses bras – dans ses bras maigres. Le voilà qui devient lyrique, maintenant.

- Elvire, Elvire ! Saurez-vous jamais tout ce qui s’étonne en moi de m’entendre prononcer ce nom d’Elvire, célébré jadis par des bouches beaucoup plus autorisées que la mienne Des siècles d’ennui, Elvire, des siècles de bureau, s’exaltent devant la fantaisie que tu représentes à mon âme d’employé de ministère. Demeure telle, sois puérile et vaine, divine et sans objet, toi-même, dis-je, et console-moi de ce que le ciel, dans ma misère, m’ait nanti de la conscience de mon moi – si l’on peut s’exprimer ainsi, en l’espèce.

Elvire le regarde en face, qui penche vers elle son visage dans la lueur projetée par l’abat-jour de porcelaine. Elle le regarde en face pour la première fois de sa vie. Alors, comme sans raison, elle se détache de lui. Elle éclate en sanglots et s’assied les coudes sur la table, la figure dans ses mains.

- Je vous ai fait de la peine, Elvire. Pardonnez-moi ; mais il fallait que ces choses-là fussent dites.

Il la presse de répondre. Enfin, ça lui pèse trop lourd sur le cœur, sans doute.

- Oh ! je n’avais pas remarqué que vous aviez la figure si longue. Pourquoi, mon Dieu, ne vous ai-je pas mieux examiné plus tôt ! C’en est fait ! Je ne pourrai jamais, jamais plus vous aimer dans de pareilles conditions.

Jean Dézert conçoit d’un seul coup toute l’étendue et le caractère irrévocable du désastre. Il s’assied près de sa fiancée, cherchant une parole de circonstance. Mais comment insister ?

- Je me doutais qu’il arriverait un accident de ce genre ; j’aurais dû le prévenir. Il est trop tard, je me rends compte. Pauvre petite Elvire ! Perdre ainsi ses illusions ! Ne plus pouvoir aimer son fiancé parce que l’on s’aperçoit un soir – révélation ! – qu’il a la figure trop longue ! Je laisse à d’autres le soin d’expliquer cela, car j’en souffre autant que vous, allez. Mais vous êtes jeune. Vous en reviendrez et vous oublierez cette histoire. – Adieu, Elvire ! …

Auteur: De La Ville de Mirmont Jean

Info: Les dimanches de Jean Dézert, éditions de la Table Ronde, 2013, pages 84-86

[ mariage annulé ] [ couple ]

 

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égalitarisme

La question de la justice ne se pose qu’à propos des relations que les situations entretiennent avec les natures. Ou bien il est juste qu’à des natures inégales correspondent des situations inégales, c’est le cas de la justice distributive, qui traite inégalement des choses inégales et distribue le droit selon le mérite ; ou bien il est juste de faire abstraction des différences de nature et d’égaliser les conditions, c’est le cas de la justice commutative – le terme vient de S. Thomas d’Aquin – qui règne dans les contrats et qui règle les échanges.

Mais un troisième cas peut se présenter : celui où, par exemple, une nature individuelle bien douée intellectuellement se trouve dans une situation telle qu’elle ne peut accéder à celle qui correspondrait à son mérite. Dans ce cas, l’inégalité des conditions est une injustice objective. Cependant, on le voit, la constatation de cette injustice, loin de mettre en doute la conception hiérarchique de la justice distributive, la présuppose ; nonobstant, le totalitarisme démocratique en tire la conclusion contraire. Renversant l’ordre normal des choses qui voit dans la juste situation la conséquence de la nature – à chacune la place qui lui revient – il prétend égaliser les natures en égalisant les conditions, comme si les différences individuelles dérivaient entièrement des différences de situations. Et comme, en réalité, cela même est impossible – parce que c’est faux – alors il procède à la neutralisation active des supériorités intellectuelles naturelles, aussi bien par la suppression des tâches où cette supériorité pourrait s’exercer, que par la disparition des indices qui la signifient (notes, compositions, classements, mentions, etc.). […]

Pourtant, et ce sera notre conclusion, il est clair que l’acquisition du savoir est d’essence hiérarchique ou "élitiste", si l’on y tient. Nous l’avons montré, en effet, l’intelligence pure, par définition égale en chacun, est ingénérable et inéducable. L’instruction ne peut donc porter que sur l’apprentissage de l’outillage mental et la communication des connaissances positives. Or, posséder un outillage, c’est pouvoir s’en servir. Il n’y a donc aucun autre moyen de s’assurer de sa possession – et donc de la réussite de l’acte didactique – que d’apprécier la réussite des enseignés dans les tâches qui les mettent en œuvre. Instruire sans classer, c’est la quadrature du cercle. Et refuse toute annotation docimastique, c’est abandonner chaque conscience discipulaire aux incertitudes de ses propres estimations. 

Auteur: Borella Jean

Info: Tradition et modernité, L'Harmattan, Paris, 2023, pages 137-138

[ critique ] [ nivellement par le bas ] [ sentimentalisme destructeur ] [ système scolaire ]

 

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philosophie

Le premier à avoir parlé d’une "analogie des êtres" (analogia tôn ontôn) est, semble-t-il, le chrétien Jean Philopon, commentateur d’Aristote du début du VIe siècle. On ne parle pas encore d’analogie d’attribution, dénomination inconnue même de saint Thomas d’Aquin et qui ne prendra naissance qu’au XIVe siècle. En attendant, la notion d’analogie garde sa signification mathématique d’égalité de rapport. […]

De Boèce, au début du XIIIe siècle, si le terme d’analogia s’introduit progressivement en latin, c’est toujours avec sa signification de proportionnalité, c’est-à-dire d’égalité de rapports. Mais il subit aussi la puissante influence de l’analogia dionysienne […] qui fait entrer le terme dans une problématique purement théologique, celle de la signification des Noms divins. D’autre part, parallèlement à cette persistance de l’analogia grecque (mais sans rapport terminologique avec elle), se développe lentement une autre problématique, plus proprement philosophique, concernant les termes équivoques et univoques, et les termes intermédiaires, dits en référence à une unité focale de signification. […] Ils concernent principalement le rapport des accidents à la substance : en quel sens le même terme d’être peut-il convenir aux accidents et à la substance ? Réponse : au sens où ce terme fait partie des ambigua, des termes ambigus, car, s’il se dit proprement de la substance, il ne se dit des accidents que secondairement et à cause du rapport qu’ils ont à la substance ; il y a donc un ordre de convenance "par référence à un premier". Mais, en même temps, puisque l’être peut s’attribuer à autre chose qu’à "ce-qui-est" (c’est-à-dire la substance), c’est qu’il transcende l’ordre des catégories (ou prédicaments), savoir, l’ensemble des divers modes selon lesquels on peut caractériser l’existence d’une chose : sa substantialité, sa qualité, sa quantité, ses relations, etc. Se pose ainsi la question de l’unité transcendantale de l’être, et des autres "transcendantaux" : bien, un, vrai, beau.

C’est alors, au début du XIIIe siècle semble-t-il (car les données manquent) que le vocabulaire de la "convenance selon l’ambiguïté" (Alain de Libera) et "en référence à un premier" se mélange avec celui de l’analogie, jusque-là réservé à la proportionnalité mais qui, maintenant, peut aussi servir à désigner un mode d’attribution "en référence à un premier". Les deux vocabulaires vont d’ailleurs coexister encore pendant un certain temps – c’est le cas notamment chez saint Thomas d’Aquin – avant que celui de l’analogie ne l’emporte définitivement, et que n’apparaisse, au début du XIVe siècle, l’expression qui deviendra classique, d’ "analogie d’attribution".

Auteur: Borella Jean

Info: Penser l'analogie, L'Harmattan, Paris, 2012, pages 52 à 54

[ historique ] [ évolution ] [ concept ] [ notion ]

 

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hommes médiévaux

Nous appelons fanatisme, exagération leurs vertus chevaleresques, leurs dévouements sublimes : quel nom mérite notre égoïsme ? Ils bâtissaient des églises et des couvents : nous bâtissons des théâtres et des prisons. Avaient-ils commis quelque crime, ils en demandaient publiquement pardon à Dieu et aux hommes : nous nous en faisons gloire. Menacés ou atteints des fléaux du ciel, ils s’humiliaient : nous blasphémons. De leur temps, lorsqu’on éprouvait quelque grand chagrin, on priait : aujourd’hui on se tue. Nous parlons de leur ignorance : où sont nos lumières ? Est-ce dans ces temps de ténèbres ou dans nos siècles éclairés que se trouvent les notions les plus justes du droit, de l’autorité, de la propriété, du bien et du mal ?

Nous vantons la beauté de nos langues modernes : ils les ont créées. Nous avons découvert la vapeur et l’électricité : ils ont découvert la boussole, l’imprimerie et inventé la poudre. Nous avons produit des montagnes de livres : ils ont produit l’Imitation. Nous chantons nos gloires dans la guerre, dans les sciences et dans les arts : étaient-ils aussi barbares que nous nous plaisons à le dire, les siècles qui produisirent dans la guerre Charlemagne, Du Guesclin, Godefroy de Bouillon ; dans les sciences politiques, Alcuin, saint Grégoire VII, saint Louis et Suger ; dans la théologie, saint Bonaventure et saint Thomas ; dans l’éloquence, saint Bernard, saint Antoine de Padoue, saint Vincent Ferrier ; dans la philosophie, saint Anselme ; dans la poésie et la littérature, Dante et Pétrarque ; dans les sciences physiques, Gerbert et Roger Bacon ? Étaient-ils des sauvages, fils et frères de sauvages ceux qui lancèrent dans les nues les flèches de nos cathédrales, qui en découpèrent si délicatement toutes les parties, qui en peuplèrent les clochetons et les galeries d’un peuple de statues, qui écrivirent l’histoire du temps et de l’éternité en caractères d’or, de pourpre et d’azur aux murailles et aux vitraux de leurs magnifiques édifices ?

Mais, dit-on, ils ne jouissaient pas de la liberté de la pensée. Ce que je sais, c’est que nous en avons le dévergondage. Ils vivaient dans l’oppression ; nous sommes ingouvernables. Ils étaient vêtus de bure ; nous portons du calicot. Ils se nourrissaient de pain noir ; nous mangeons des pommes de terre. Ils vivaient dans leurs familles comme des renards dans leurs tanières ; nous vivons dans l’atelier et nous n’avons plus de famille.

Auteur: Gaume Jean-Joseph

Info: "Le Ver rongeur"

[ moyen âge ] [ comparaison ] [ éloge ] [ dévaluation des contemporains ] [ plaidoyer ] [ monde d'hier ]

 

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biographie

[...] Maître Eckhart – il signait en latin Magister Ekhardus – fut un dominicain, un moine de l’ordre des Prêcheurs. En conférant à ses sermons allemands une force et un éclat qui ont traversé les siècles et qui verdoient encore dans leur surprenante jeunesse, il ne faisait qu’accomplir la tâche essentielle à laquelle le vouait la règle de son ordre. [...] Eckhart n’est aucunement ce marginal à peine connu, héraut de la libre pensée qu’écrase le tribunal de la Sainte Inquisition. C’est au contraire un personnage illustre dans son ordre et dans la chrétienté théologique. Successivement prieur du couvent d’Erfurt, vicaire de la "nation" de Thuringe, prieur provincial de Saxe [...], il se voit en plus confier, en 1307, la province de Bohême. En 1313, il est vicaire général de Maître de l’ordre. Sa carrière théologique n’est pas moins illustre. Après avoir étudié les arts à Paris, il y reçoit, en 1302, le titre de maître en théologie, et, dans l’année universitaire 1302-1303, est chargé par son ordre d’y enseigner la théologie. [...]

Dominicain chargé d’importantes responsabilités, théologien reconnu, instructeur spirituel vénéré à l’égal d’un saint par les moines et les moniales qu’il dirige, Eckhart est le contraire d’un penseur erratique, d’une pièce rapportée étrangère à la pensée de son temps. [...] Eckhart, nourri d’une immense culture, est un expert en philosophie scolastique, marqué par les théologiens rhénans, Albert de Cologne ou Thierry de Freiberg son contemporain, et [...] il entend expressément se situer dans la ligne de la doctrine thomasienne, comme il le déclare à plusieurs reprises, décernant à son auteur les titres de "vénérable frère" et de "docteur éminent". [...] L’œuvre latine fournit les racines et le tronc de l’arbre eckhartien, l’œuvre allemande en est la fleur et le fruit. C’est en elle que ce qui est vérité métaphysique et théologique devient lumière spirituelle et vie. La première fonde la seconde, mais la seconde illumine la première et nous en révèle la vérité la plus radicale. Tout l’effort du Maître, croyons-nous, visait à montrer quelle est l’ultime signification des enseignements de la théologie, et de quelles conséquences ils se révèlent pour l’homme spirituel quand il les prend au sérieux. Ainsi la doctrine eckhartienne n’est ni une simple reprise du thomisme, ni encore moins sa négation, mais elle le prolonge et l’accomplit, au moins à certains égards et selon certaines directions, où le Docteur commun ne l’eût peut-être pas suivi.

Auteur: Borella Jean

Info: Dans "Lumières de la théologie mystique", éditions L'Harmattan, Paris, 2015, pages 122-123

[ mystique ]

 

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handicap

V-A : Perdre la vue est un deuil et vous avez vraiment vécu , je crois, de ce côté, les différentes étapes du deuil ; déni, refus, marchandage et enfin, acceptation. Cela vous a pris du temps. Vous souvenez-vous de quand vous avez enfin lâché de ce côté et ce que cela a changé, dans le voyage et en vous ?

J-P B : Le schéma proposant différentes étapes à franchir pour faire son deuil d’une perte importante s’est révélé exact me concernant, mais naturellement, dans la réalité, les choses sont plus emmêlées, elles se chevauchent, il y a de nombreux retours en arrière… Le premier vrai déclic a eu lieu lorsque j’avais 18 ans. J’étais en vadrouille, assis au bord du Rhône, et d’un seul coup, l’évidence d’être une conscience installée dans l’instant m’a habité avec une force incroyable qui ne pouvait rien être d’autre que juste ! Comme si, avant, je ne m’étais perçu que comme une image, une apparence : aveugle, handicapé. Là, d’un coup, on trempait cette image dans un bain de confiance (un simple moment de vie) et à force de tous ces trempages, le cadre figé (l’identification à un aveugle, perçu de l’extérieur) disparaissait et le vrai moi se révélait peu à peu. Tout ceci a été très long. Cesser d’avoir honte de demander aux autres par exemple. Tant que l’on n’accepte pas ce que l’on est, on vit dans le regard de l’autre et un rien vous blesse, un rien vous humilie. J’ai bien avancé de ce côté, heureusement. Je suis désormais un thermomètre plongé dans le trou du cul du monde : quand on ne répond pas à ma demande, c’est simplement que je suis quelque part où le monde n’entend pas les gens et donc ne se porte pas bien. Je ne me vis plus comme un handicapé, mais comme quelqu’un de différent, de complémentaire, ce qui est la réalité. Quand dans la vie vous échoie un handicap, cela ressemble beaucoup à une grosse m… mais ce n’en est pas une. C’est un bouquet que la vie vous offre pour grandir, un accélérateur de particules. Et mon ami Philippe Pozzo di Borgo que vous connaissez bien pour avoir inspiré le film "Intouchables" est parfaitement de mon avis. La différence, c’est que nous, on est quasi obligés de se transformer pour trouver la paix, alors que les gens dits "normaux" subissent moins de pression et souvent, malheureusement, n’essaient même pas de changer.

Auteur: Brouillaud Jean-Pierre

Info: http://www.voyageons-autrement.com/jean-pierre-brouillaud-l-illusion-du-handicap. Interview de Jerome Bourgine

[ initiatique ] [ non-voyant ]

 

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construction industrielle

Je préparais mon bachot et habitais Montbéliard, dans le Doubs, au cœur de la plus forte concentration ouvrière de France, les Automobiles Peugeot, cette pieuvre qu’on appelle la Peuge. On naît Peugeot, on vit Peugeot, on meurt Peugeot dans le pays de Montbéliard : de père en fils on travaille chez Peugeot, on fait ses courses dans les supermarchés Ravi du groupe Peugeot, on roule bien sûr en Peugeot, on est logés par Peugeot, divertis par Peugeot (le Football Club de Sochaux-Montbéliard, un des plus anciens clubs de France), emmenés en vacances par le Comité d’établissement Peugeot tenu par la CGT – une manne pour cette mafia stalinienne, "toujours prête à prolonger d’un millénaire la plainte du prolétaire, à seule fin de lui conserver un défenseur" comme l’écrira Guy Debord. Près de 200 000 personnes dans l’agglomération vivent de Peugeot. Sur les hauteurs de la ville, la "tour", le lycée technique, forme la main-d’œuvre qualifiée pour travailler chez Peugeot, destin obligé des élèves exclus du second cycle au lycée Cuvier, où un bac général leur donnerait toutes les chances de devenir cadre chez Peugeot.

Il n’y avait pas 20 000 habitants à Montbéliard lorsque j’y vivais, mais, à plein régime, la Peuge a compté jusqu’à 40 000 salariés. Pour les maos qui, après 68, venaient s’y faire embaucher comme "établis", c’était la "base ouvrière numéro un" ou la "petite Sibérie", selon leur degré d’enthousiasme. Des centaines de cars sillonnaient la région, de lourds Saviem aux carrosseries boueuses, avec des bandes rouges ou bleues décolorées, qui déversaient aux portes des usines les ouvriers ramassés à 100 kilomètres à la ronde. En Haute-Saône, dans le haut Doubs, le Territoire de Belfort, le Haut-Rhin, les fils de paysans étaient débusqués dans leurs fermes jusqu’au plus petit hameau. Lever deux heures du matin, rendez-vous au point de ramassage à 3 heures, embauche à 4 heures et demie, débauche à 14 heures, ils étaient chez eux à 16 heures et au lit avant le retour de leurs enfants. La "sortie Peugeot" était le cauchemar des Montbéliardais. On craignait de se trouver bloqués dans cette marée de travailleurs que l’usine dégueulait, ces milliers d’ouvriers dans les autobus, en voiture, à moto, à mobylette, à vélo, à pied… tous pris d’une frénésie de libération, impatients de retrouver leur HLM, leur baraquement, leur pavillon, leur ferme, leur foyer de travailleurs et les deux seules chaînes de télévision, pour revenir le lendemain après une nuit de sommeil toujours trop courte.

Auteur: Maugiron Jean-Bernard

Info: http://www.piecesetmaindoeuvre.com/IMG/pdf/entretien_j._bernard-maugiron.pdf

[ aliénation ] [ fouriérisme ]

 
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