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philosophe-sur-philosophe

[Selon Kant] Les idées métaphysiques (Dieu, le Monde, l’âme) sont de simples actes de la raison. En accomplissant ces actes, en pensant "Dieu", "Monde", "âme", la raison ne fait qu’obéir au besoin d’unité qui la régit : unité des phénomènes internes (l’âme), unité des phénomènes externes (le Monde), unité de tous les êtres (Dieu). Mais elle ne perçoit pas véritablement ces idées comme des réalités objectives qui lui seraient effectivement données et qu’elle pourrait donc, non seulement penser, mais encore connaître. Il faudrait pour cela que notre intelligence soit dotée d’un organe de perception intellectuelle, étant donné la nature non-sensible des réalités à percevoir. Une telle intuition intellectuelle n’est pas la nôtre, affirme Kant. Toutefois, par une inévitable illusion "spéculaire", nous croyons voir intellectuellement, comme si elles étaient présentes devant notre esprit, des réalités que nous ne faisons que construire en pensée, et auxquelles la foi seule (car elles existent "en-soi"), et non la science, nous permet d’accéder. Telle est la critique kantienne de la connaissance métaphysique.

Cette critique [...] nous paraît fausse à plusieurs égards. D’abord, parce que la raison humaine a le droit, à un certain degré, de traiter les concepts comme des choses, en tant précisément qu’ils en sont le reflet dans le miroir du mental, reflet dont l’adéquation est garantie par la Révélation et la Tradition universelle. D’où la légitimité de la scolastique. Fausse d’autre part, parce que, confondant la métaphysique véritable avec la scolastique wolfienne, Kant ignore que, depuis toujours, les grandes doctrines métaphysiques, du vedânta au platonisme et au thomisme en passant par le taoïsme ou le bouddhisme mâdhyamika, ont prévu et corrigé la tentation du chosisme spéculatif, avec une efficacité et une radicalité qui dépasse d’assez loin le criticisme kantien. Et la pratique dionysienne de l’anagogie en est précisément une preuve irréfutable. Enfin, il faudrait souligner combien est approximative la conception d’une intuition intellectuelle que Kant imagine sur le modèle de l’intuition sensible : avoir un objet devant soi. Mais au-delà de la connaissance par observation, il y a place pour la connaissance par participation. [...] L’objectivité métaphysique est intrinsèque et qualitative ; c’est l’objectivité de la vérité, nourriture de l’esprit. L’objectivité physique (ou empirique) – l’objectivité d’une chose – est extrinsèque et relative : elle n’est que le reflet de la précédente qui la fonde ontologiquement. L’intuition intellectuelle ne se démontre pas ; elle est la vie même de l’esprit. La nier, c’est nier l’expérience la plus foncière de toute intelligence humaine : automutilation.

Auteur: Borella Jean

Info: Dans "Lumières de la théologie mystique", éditions L'Harmattan, Paris, 2015, pages 105-106

[ erreurs ] [ nominalisme-réalisme ]

 

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révélation religieuse

L’activité de l’intelligence, en effet, est par nature universelle – ou tend à l’universel. Penser, c’est toujours penser, d’une manière ou d’une autre, l’essence des choses. C’est aussi, et en conséquence, saisir leur nécessité, ou leur raison d’être : le réel devient intelligible dans la mesure où nous voyons pourquoi il est ce qu’il est. Or la métaphysique, en tant qu’activité spéculative, est œuvre de l’intelligence, même si, comme nous le verrons, son origine est divine. En elle, l’intelligence doit s’assimiler le discours théorique. Elle n’est pas œuvre de "croyance".

Une tradition, au contraire, est toujours quelque chose de déterminé et particulier, de contingent. […] Sans doute, ces faits sont-ils porteurs d’intelligibilité mais, en tant que faits, ils peuvent seulement être l’objet d’une constatation, de la part de ceux qui en ont été les témoins, ou d’une foi, de la part de ceux qui adhèrent au témoignage des précédents. Ils se situent, irréductiblement, sur le plan de la particularité – et même de la singularité – culturelle. […]

On voit par-là que métaphysique et tradition appartiennent à deux ordres de réalité différents et qui s’opposent par bien des points. Dans ces conditions, quel sens peut avoir l’expression de métaphysique traditionnelle ? N’est-ce pas une contradiction in terminis ? […]

Pour résoudre cette antinomie, la première idée qui vient à l’esprit, c’est d’affirmer qu’il existe des traditions métaphysiques. Ce serait en particulier le cas de l’hindouisme qui jouirait ainsi, aux yeux de Guénon, d’une "prééminence de gnose" sur les autres révélations. Cela signifie très exactement ceci : la tradition hindoue renferme une doctrine métaphysique explicite d’origine divine. […] Il en résulterait que, la métaphysique hindoue étant révélée, d’une part, et que, comme il y a, d’autre part, une unité de toutes les religions, nous disposerions du même coup d’un instrument doctrinal infaillible qui nous permettrait de parler universellement de toutes les formes particulières que le sacré a revêtues dans l’histoire humaine. Mais en réalité, les textes purement métaphysiques sont, dans l’immensité de la littérature religieuse de l’Inde, très peu nombreux.

Il n’y a donc aucune supériorité, à cet égard, des Ecritures hindoues sur les Ecritures judéo-chrétiennes. […]

Toutes les écritures sacrées renferment des énoncés proprement métaphysiques – et non pas seulement historiques ou mythologiques – mais ces énoncés ne révèlent leur véritable nature que sous la lumière d’une herméneutique doctrinale. Ce sont les commentateurs métaphysiciens qui "isolent" ces perles de gnose contenues implicitement dans les révélations et en "actualisent" pour ainsi dire la vraie dimension.

Auteur: Borella Jean

Info: L'intelligence et la foi, L'Harmattant, Paris, 2018, pages 17 à 20

[ interprétation ] [ relation ]

 

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intellect

Le mot de gnose, décalque du grec gnôsis, signifie connaissance. S’il est utile de l’employer, c’est parce qu’il ne s’agit pas d’une connaissance ordinaire, mais d’une connaissance sacrée, et non seulement elle est sacrée dans son objet qui est la divine Essence, mais elle l’est aussi dans son "mode" qui est une participation à la connaissance que Dieu a de lui-même. Le terme cependant sert aussi à caractériser une hérésie des premiers siècles du christianisme qui est, en vérité, un angélisme, et à laquelle il conviendrait de réserver proprement la dénomination de gnosticisme. Ce gnosticisme se définit par deux traits essentiels : le refus de la création et de l’Incarnation d’une part, et d’autre part, la prétention de réduire la Vérité et sa Révélation à des schémas mentaux en perdant de vue sa dimension irréductiblement surintelligible. […] L’hérésie du gnosticisme a au moins réussi à convaincre ses adversaires qu’il n’y avait qu’une seule gnose, la sienne. Dès lors, la gnose, dans le christianisme, est frappée de suspicion : elle devient le péché majeur de l’intelligence. La conséquence d’un tel rejet sera terrible. Comme on refuse toute connaissance mystique de Dieu, on ramène la théologie à une connaissance purement rationnelle. Cette connaissance étant humaine et naturelle dans son mode, même si elle est divine dans son objet, on en arrive à ne voir en elle qu’un exercice profane qui ne se distingue pas de la spéculation philosophique, et qui est finalement inutile au salut. C’est la réaction luthérienne. Enfin, cette connaissance inutile sera même réputée comme dangereuse et aliénante : seul compte l’existentiel chrétien ; c’est l’hérésie bultmannienne qui fait de l’existentiel le critère à la fois de l’herméneutique et de la théologie, c’est-à-dire de l’interprétation des Ecritures et de l’élaboration doctrinale. La praxis devient le critère de la theôria, si bien que la theôria n’est plus qu’une doctrine de la bonne praxis, une orthopraxis, selon l’expression de certains modernistes. […] On a oublié qu’il existait une autre connaissance qui n’est pas ratiocination, mais un connaître qui peut être aussi un être par la grâce du Logos, savoir, la gnose que le Saint-Esprit actualise en nous et qui est le fondement interne de la sainte théologie.

[…] la théologie spéculative (ou scolastique), loin de s’opposer à la théologie mystique (ou gnose) permet d’y accéder, parce que, satisfaisant le besoin de causalité de la raison humaine, elle fixe et apaise le mental humain, et […], par son imperfection même, elle appelle à son propre dépassement, invitant la raison à se soumettre à l’intelligence spirituelle.

Auteur: Borella Jean

Info: Amour et vérité, L’Harmattan, 2011, Paris, pages 335-336

[ définition ] [ signification ] [ déviations ]

 

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patriarcat-matriarcat

L’échange symbolique étant fondé sur la prohibition de l’inceste, toute abolition (censure, refoulement, déstructuration) de ce niveau de l’échange symbolique signifie un procès de régression incestueuse. [...] le pervers fétichiste se définit par le fait qu’il n’est jamais sorti du désir de la mère, qui a fait de lui le substitut de ce qui lui manquait. Phallus vivant de la mère, tout le travail du sujet pervers consiste à s’installer dans ce mirage de lui-même et à y trouver l’accomplissement de son désir – en fait l’accomplissement du désir de la mère (alors que la répression génitale traditionnelle signifie l’accomplissement de la parole du Père). On voit qu’est proprement créée une situation incestueuse : le sujet ne se partage plus (il ne se départit plus de son identité phallique) et il ne partage plus (il ne se dessaisit plus de quoi que ce soit de lui-même dans une relation d’échange symbolique). L’identification au phallus de la mère le définit pleinement. Même processus que dans l’inceste : ça ne sort pas de la famille.

Il en va très généralement ainsi du corps aujourd’hui : si la loi du Père, la morale puritaine y est (relativement) déjouée, c’est selon une économie libidinale caractérisée par la déstructuration du symbolique et la levée de la barrière de l’inceste. Massmédiatiquement diffusé, ce modèle général d’accomplissement du désir ne va pas sans une qualité d’obsession et d’angoisse bien différente de la névrose puritaine à base hystérique. Il ne s’agit plus de l’angoisse liée à l’interdit œdipien, mais de celle liée au fait de n’être, au "sein" même de la satisfaction et de la jouissance phallique multipliée, au "sein" de cette société gratifiante, tolérante, lénifiante, permissive, de n’être que la marionnette vivante du désir de la mère. Angoisse plus profonde que celle de la frustration génitale, puisqu’elle est celle de l’abolition du symbolique et de l’échange, celle de la position incestueuse où le manque même du sujet vient à lui manquer – angoisse qui se traduit aujourd’hui partout dans la phobie et l’obsession de la manipulation. [...]

C’est que cette manipulation renvoie à celle, originelle, du sujet par la mère comme de son propre phallus. A cette plénitude fusionnelle et manipulatoire, à cette dépossession, il n’est plus possible de s’opposer comme à la loi transcendante du Père. Toute révolution future doit tenir compte de cette condition fondamentale, et retrouver – entre la loi du Père et le désir de la mère, entre le "cycle" répression/transgression et le cycle régression/manipulation – la forme d’articulation du symbolique.

Auteur: Baudrillard Jean

Info: Dans "L'échange symbolique et la mort", éditions Gallimard, 1976, pages 185 à 187

[ réification ] [ surmoi maternel ] [ dévoration ]

 

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déclaration d'amour

Ah ! Sophie, Sophie ! Ose me dire que ton amant t'est plus cher aujourd'hui que quand tu daignais m'écouter et me plaindre, et que tu m'attendrissais à mon tour aux expressions de ta passion pour lui ! Tu l'adorais et te laissais adorer ; tu soupirais pour un autre, mais ma bouche et mon coeur recueillaient tes soupirs. Tu ne te faisais point un vain scrupule de lui cacher des entretiens qui tournaient au profit de ton amour. Le charme de cet amour croissait sous celui de l'amitié ; ta fidélité s'honorait du sacrifice des plaisirs non partagés. Tes refus, tes scrupules étaient moins pour lui que pour moi. Quand les transports de la plus violente passion qui fut jamais t'excitaient à la pitié, tes yeux inquiets cherchaient dans les miens si cette pitié ne t'ôterait point mon estime ; et la seule condition que tu mettais aux preuves de ton amitié était que je ne cesserais point d'être ton ami. Cesser d'être ton ami ! Chère et charmante Sophie, vivre et ne plus t'aimer est-il, pour mon âme, un état possible ? Eh ! Comment mon coeurs se fût-il détaché de toi, quand aux chaînes de l'amour tu joignais les doux noeuds de la reconnaissance ? J'en appelle à ta sincérité. Toi qui vis, qui causas ce délire, ce pleurs, ces ravissements, ces extases, ces transports qui n'étaient pas faits pour un mortel, dis, ai-je goûté tes faveurs de manière à mériter de les perdre ? [...] Ressouviens-toi du mont Olympe, ressouviens-toi de ces mots écrits au crayon sur un chêne. J'aurais pu les tracer du plus pur de mon sang, et je ne saurais te voir ni penser à toi qu'il ne s'épuise et ne renaisse sans cesse. Depuis ces moments délicieux où tu m'as fait éprouver tout ce qu'un amour plaint, et non partagé, peut donner de plaisir au monde, tu m'es devenue si chère que je n'ai plus osé désirer d'être heureux à tes dépens, et qu'un seul refus de ta part eût fait taire un délire insensé. Je m'en serais livré plus innocemment aux douceurs de l'état où tu m'avais mis ; l'épreuve de ta force m'eût rendu plus circonspect à t'exposer à des combats que j'avais trop peu su te rendre pénibles. J'avais tant de titres pour mériter que tes faveurs et ta pitié même ne me fussent point ôtées ; hélas ! que faut-il que je me dise pour me consoler de les avoir perdues si ce n'est que jamais trop pour les avoir conservées. [...]

Auteur: Rousseau Jean-Jacques

Info: à Sophie D'Houdetot vers le 15 octobre 1757

[ regrets ]

 

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scène de ménage

La veille du départ de Diderot pour la Russie, j'allai recevoir ses adieux. Il accourut, me mena dans son cabinet, les larmes aux yeux. Là, d'une voix étouffée par les sanglots, il me dit : " Vous voyez un homme au désespoir! Je viens de subir la scène la plus cruelle pour un père et pour un époux. Ma femme... Ma fille... Ah! Comment me séparer d'elles après avoir vu leur douleur déchirante ! Nous étions à table, moi entre elles deux : point d'étrangers, comme vous pensez bien. Je voulais leur donner et ne donner qu'à elles ces derniers moments. Quel dîner, quel spectacle de désolation ! Jamais ou ne verra rien de pareil dans l'intérieur du foyer domestique. Nous ne pouvions ni parler ni manger : notre désespoir nous suffoquait. Ah! mon ami, qu'il est doux d'être aimé par des êtres si tendres, mais qu'il est affreux de les quitter! Non, je n'aurai point cet abominable courage. Qu'est-ce que les cajoleries de la grandeur auprès des épanchements de la nature? Je reste, j'y suis décidé; je n'abandonnerai pas ma femme et ma fille ; je ne serai pas leur bourreau : car, mon ami, voyez-vous bien, mon départ leur donnerait la mort. " Et le philosophe me couvrait de ses larmes, qui commençaient à m'attendrir, lorsque nous vîmes entrer Mme Diderot, et la scène changea.
Il me semble encore qu'elle est là sous mes yeux, cette femme impayable, avec son petit bonnet, sa robe à plis, sa figure bourgeoise, ses poings sur les côtés et sa voix criarde : - " Eh bien ! Eh bien ! Monsieur Diderot, s'écria-t-elle, que faites-vous là ? Vous perdez votre temps à conter des balivernes, et vos paquets vous les oubliez. Rien ne sera prêt pour demain. Vous devez pourtant partir de grand matin ; mais bon ! Vous êtes toujours occupé à faire des phrases éternelles, et les affaires deviennent ce qu'elles peuvent. Voilà ce que c'est aussi que d'être allé dîner dehors, au lieu de rester en famille. Vous aviez tant promis de n'en rien faire ! mais tout le monde vous possède, excepté nous. Ah ! quel homme! Quel homme ! " Cette petite tempête de ménage survenue à propos pour éteindre le feu d'artifice tiré par mon cher ami, excita en moi une hilarité difficile à décrire. J'ignore comment se termina la fête, car je m'enfuis sans attendre le bouquet.
Le lendemain j'appris, sans étonnement, que l'infortuné avait quitté Paris avec une héroïque résignation et que la famille ne s'était jamais mieux portée.

Auteur: Devaines Jean

Info:

[ femmes-hommes ] [ séparation ] [ départ ] [ anecdote ]

 

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rationalité

Le croyant est en effet placé entre deux impossibilités : impossibilité de croire au Dieu de la Révélation traditionnelle, impossibilité de croire au "Dieu des philosophes et des savants". Car, et c'est là la première et la plus définitive victoire du rationalisme physiciste, le croyant lui-même adhère suffisamment à la philosophie nouvelle pour se convaincre que le Dieu anthropomorphe ou cosmique de la lettre des Écritures n'est plus recevable en sa créance. Pour l'admettre, il lui faudrait précisément une autre philosophie, une métaphysique des degrés de réalité, à laquelle il a justement renoncé. Désormais la philosophie, c'est-à-dire la connaissance intelligible et synthétique, a définitivement déserté l'ordre du sacré et du religieux, et il doit être suffisamment évident que ce divorce ne peut être que mortel, mortel sans doute pour le religieux, mortel aussi pour le philosophe, nous le montrerons. Mais le croyant peut-il pour autant adhérer au "Dieu des philosophes et des savants" ? Certainement pas. Non pas, comme on le dit trop souvent, parce que sa foi exclurait la science : la foi abrahamique, juive, chrétienne, islamique, s'est parfaitement accommodée du Dieu de Platon et d'Aristote, pendant de nombreux siècles. Mais le "Dieu des philosophes et des savants", c'est le Dieu construit par une certaine philosophie et une certaine science, contre le Dieu des Écritures, dont la raison scientifique a montré l'impossibilité. La philosophie naturelle de Galilée ayant ruiné le fondement ontologique du symbolisme traditionnel, il ne lui reste plus qu'à élaborer, en lieu et place, un autre Dieu du cosmos : Dieu-Horloger, Mécanicien céleste que l'on réduit à la condition de cause première. Ce théisme abstrait n'est pas contraire à la raison. Il se présente même à elle comme la seule solution possible. Mais sa négation ou sa réfutation s'accorde également, quoique d'une autre manière, avec les exigences de la logique. La foi ne peut donc y trouver l'absolu dont elle a besoin. C'est pourquoi elle se sent profondément étrangère à ce Dieu rationnel et se réclame d'un autre Dieu, celui d'Abraham, d'Isaac, et de Jacob. Ce faisant, elle renonce à l'intellectualité sacrée, elle entérine le partage du champ théologique que la nouvelle philosophie religieuse a établi, et paraît même revendiquer pour elle l'obscurité de son engagement. Car le Dieu d'Abraham, c'est celui qui s'adresse à notre personne, Dieu de notre existence et de notre vie, qui parle, non pour enseigner la nature des choses, mais pour susciter notre liberté. Le Dieu du cosmos est rejeté, soit dans l'imaginaire d'une mythologie à jamais disparue, soit dans l'aliénation théoricienne d'une mensongère conceptualisation du divin. Penser Dieu, c'est le soumettre aux catégories de l'entendement, c'est nier son irréductible présence existentielle.

Auteur: Borella Jean

Info: La crise du symbolisme religieux, 1re partie, ch. II, art. 3, sect. 4, pp. 114-115, éd. L'Âge d'Homme, 1990

[ modernité ] [ intuition intellectuelle ]

 
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injustice

Un mal qui répand la terreur,
Mal que le Ciel en sa fureur
Inventa pour punir les crimes de la terre,
La Peste (puisqu'il faut l'appeler par son nom)
Capable d'enrichir en un jour l'Achéron,
Faisait aux animaux la guerre.
Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés :
On n'en voyait point d'occupés
A chercher le soutien d'une mourante vie ;
Nul mets n'excitait leur envie ;
Ni Loups ni Renards n'épiaient
La douce et l'innocente proie.
Les Tourterelles se fuyaient :
Plus d'amour, partant plus de joie.
Le Lion tint conseil, et dit : Mes chers amis,
Je crois que le Ciel a permis
Pour nos péchés cette infortune ;
Que le plus coupable de nous
Se sacrifie aux traits du céleste courroux,
Peut-être il obtiendra la guérison commune.
L'histoire nous apprend qu'en de tels accidents
On fait de pareils dévouements :
Ne nous flattons donc point ; voyons sans indulgence
L'état de notre conscience.
Pour moi, satisfaisant mes appétits gloutons
J'ai dévoré force moutons.
Que m'avaient-ils fait ? Nulle offense :
Même il m'est arrivé quelquefois de manger
Le Berger.
Je me dévouerai donc, s'il le faut ; mais je pense
Qu'il est bon que chacun s'accuse ainsi que moi :
Car on doit souhaiter selon toute justice
Que le plus coupable périsse.
- Sire, dit le Renard, vous êtes trop bon Roi ;
Vos scrupules font voir trop de délicatesse ;
Eh bien, manger moutons, canaille, sotte espèce,
Est-ce un péché ? Non, non. Vous leur fîtes Seigneur
En les croquant beaucoup d'honneur.
Et quant au Berger l'on peut dire
Qu'il était digne de tous maux,
Etant de ces gens-là qui sur les animaux
Se font un chimérique empire.
Ainsi dit le Renard, et flatteurs d'applaudir.
On n'osa trop approfondir
Du Tigre, ni de l'Ours, ni des autres puissances,
Les moins pardonnables offenses.
Tous les gens querelleurs, jusqu'aux simples mâtins,
Au dire de chacun, étaient de petits saints.
L’âne vint à son tour et dit : J'ai souvenance
Qu'en un pré de Moines passant,
La faim, l'occasion, l'herbe tendre, et je pense
Quelque diable aussi me poussant,
Je tondis de ce pré la largeur de ma langue.
Je n'en avais nul droit, puisqu'il faut parler net.
A ces mots on cria haro sur le baudet.
Un Loup quelque peu clerc prouva par sa harangue
Qu'il fallait dévouer ce maudit animal,
Ce pelé, ce galeux, d'où venait tout leur mal.
Sa peccadille fut jugée un cas pendable.
Manger l'herbe d'autrui ! quel crime abominable !
Rien que la mort n'était capable
D'expier son forfait : on le lui fit bien voir.
Selon que vous serez puissant ou misérable,
Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.

Auteur: La Fontaine Jean de

Info: Les Animaux malades de la peste

[ tête de turc ] [ poème ]

 
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philosophie antique

Il n’y a pas, chez Platon, d’analyse du processus cognitif : ce qui importe, pour lui, c’est de savoir si ce que l’on connaît est vraiment réel. Aristote, au contraire, analyse, magistralement, l’acte de connaissance. Il y voit un processus d’abstraction : la forme intelligible est abstraite, dégagée de la chose connue, par l’intelligence, et vient s’imprimer dans notre esprit qu’elle informe. C’est par la médiation de cette forme, abstraite de la chose, c’est-à-dire par le concept, que nous connaissons la chose, alors que chez Platon la connaissance véritable est au fond une participation intuitive de l’intelligence à l’essence de l’objet connu. 

[conséquences de l'intégration de la noétique aristotélicienne au Moyen Age]

D’une part, s’accentuant et se durcissant au cours du temps, en dépit de l’admirable équilibre de la synthèse thomasienne, la noétique aristotélicienne conduit, contre le vœu de ses partisans, à la réaction nominaliste – dont la préservait son platonisme implicite (celui de la forme intelligible et de l’intellect agent) : puisque nos concepts ne peuvent pas être des modes de participation aux essences (réellement existantes) des choses, cessons d’attribuer une réalité quelconque à leur contenu, et réduisons leur existence de concepts à celle des noms qui les désignent ; car seuls sont réellement existants les êtres individuels concrets (et donc, éventuellement, le Christ Jésus dans sa présence historique effective, ou dans sa présence extroardinaire et surnaturelle). D’autre part, cette noétique systématisée implique une sorte de laïcisation ou de profanisation de l’intelligence. En dégageant pour lui-même le processus que met en œuvre tout acte de connaissance et en le mettant au centre de la réflexion philosophique, on est amené à négliger la considération des degrés de connaissance et l’importance des distinctions qui les spécifient : du strict point de vue du fonctionnement de l’appareil cognitif, il n’y a en effet aucune différence apparente entre concevoir un triangle, un chat ou Dieu, sinon dans le mode d’abstraction. Il en résulte qu’a priori un parfait athée pourrait être parfait théologien, et que la théologie n’a rien de sacré, du moins quant aux opérations intellectuelles qu’elle requiert : comme l’affirme Luther, c’est un exercice entièrement profane. Enfin, et inversement, il devient difficile de qualifier d’intellectuel ce qui est proprement mystique et surnaturel, dans la mesure où l’activité intellectuelle se caractérise par l’emploi, dans la connaissance d’un objet, d’une médiation conceptuelle, alors que les plus hauts états mystiques – mais les théologiens ne sont pas tous d’accord – semblent exclure tout intermédiaire, et même les concepts. [...] Résumant les trois conséquences que nous venons de repérer, nous dirons que tout se passe comme si on était convié à procéder à une triple dichotomie : du connaître et de l’être, de la science et de la foi, de l’intelligence et de la prière.

Auteur: Borella Jean

Info: "Esotérisme guénonien et mystère chrétien", éditions l’Age d’Homme, Lausanne, 1997, pages 343-344

[ aristotélisme ] [ christianisme ]

 

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création conceptuelle

Le mot "théologie", qui apparaît pour la première fois chez Platon (République, II, 379a), signifie d’abord "parole sur le divin" (les poètes de la mythologie grecque sont appelés des "théologiens"). Aristote connaît cet emploi, mais inaugure un nouveau sens, celui de "science de Dieu", qui finira tardivement par s’imposer : au XIIe siècle, Abélard est le premier à l’employer en ce sens ; au XIIIe siècle, saint Thomas parle encore préférablement de "doctrine sacrée". Le mot "ontologie" est beaucoup plus récent. Il semble qu’il apparaisse pour la première fois en 1647, dans un ouvrage du philosophe allemand Johann Clauberg (1622-1665), en concurrence d’ailleurs avec le terme d’ "ontosophie" [comme science qui considère l’être en général] […]. Clauberg est un jésuite, disciple de Descartes, et qui, à travers lui, reçoit l’influence de Suarez. C’est en effet le jésuite espagnol Francisco Suarez (1548-1617) qui, "à la fin du XVIe siècle, sera le premier à redécouvrir cette assimilation prématurée de la science de l’universel et de la science du premier" [Aubenque, La question de Dieu chez Aristote et chez Hegel, 1991, page 265]. […] Avant Suarez, il y aurait eu, chez les médiévaux, une assimilation implicite entre la métaphysique, étude de l’être en tant qu’être, c’est-à-dire de l’être en général, et la théologie, étude de l’Être premier, c’est-à-dire de l’Être par excellence. C’est pourquoi, réduisant l’ontologie à la théologie, les médiévaux n’avaient pas besoin d’un terme particulier (en l’occurrence selon d’ontologie) pour désigner la science de l’être, puisque l’Etre premier est le principe de l’être en général […]. Au contraire, pour Suarez, saisir théologiquement l’Être premier n’est possible que sur la base de la notion commune d’être en général (Disputationes metaphysicae, I, 5, 15) – ce que nous accordons à condition de reconnaître que cette notion n’est elle-même possible que sur la base d’une intuition fontale de l’Etre en tant que tel, ou, si l’on préfère, du sens inné de l’être, qui est le "souvenir" ou la trace subconsciente que l’acte créateur de Dieu a laissé dans notre âme.

Il s’ensuit de la position de Suarez que la science de Dieu, la théologie (philosophique) n’est pas première, mais qu’elle est précédée par la science de l’être en général, Dieu n’étant plus que le premier des êtres particuliers, si l’on ose dire. C’est la conscience explicite de cette distinction entre l’être en général et l’Etre premier que signale l’apparition du mot ontologie. […] Désormais, les traités de philosophie (scolastiques ou non), surtout à partir du leibnizien Christian Wolf (1679-1754), qui imposera l’usage du terme d’ontologie, auront tendance à diviser la métaphysique en deux parties : la "métaphysique générale" ou "ontologie" et la "métaphysique spéciale" qui, sous l’appellation de "théologie rationnelle" ou "théodicée", s’occupera de cet Être spécial qu’est l’Être divin.

Auteur: Borella Jean

Info: Penser l'analogie, L'Harmattan, Paris, 2012, pages 44-45

[ historique ] [ étymologie ] [ sécularisation ]

 

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