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effort

Me voici donc à mi-chemin, ayant eu vingt années -
En gros vingt années gaspillées, les années "de l'entre-deux guerres" -
Pour essayer d'apprendre à me servir des mots, et chaque essai
Est un départ entièrement neuf, une différente espèce d'échec
Parce que l'on n'apprend à maîtriser les mots
Que pour les choses que l'on n'a plus à dire, ou la manière
Dont on n'a plus envie de les dire. Et c'est pourquoi chaque tentative
Est un nouveau commencement, un raid dans l'inarticulé
Avec un équipement miteux qui sans cesse se détériore
Parmi le fouillis général de l'imprécision du sentir,
Les escouades indisciplinées de l'émotion. Et ce qui est à conquérir
Par la force et la soumission a déjà été découvert
Une ou deux fois, ou davantage, par des hommes qu'on n'a nul espoir
D'égaler - mais il ne s'agit pas de concurrence -
Il n'y a ici que la lutte pour recouvrer ce qui fut perdu,
Retrouvé, reperdu : et cela de nos jours, dans des conditions
Qui semblent impropices. Mais peut-être ni gain ni perte,
Nous devons seulement essayer. Le reste n'est pas notre affaire.

Auteur: Eliot Thomas Stearns

Info: Quatre quatuors, East Cocker, V, p. 183 - éd. du Seuil, traduit par Pierre Leyris - je propose l'étiquette "sans espoir", que je distinguerai de "désespéré" - plus haut, dans East Cocker, III, les vers 125-128 ("wait without hope") permettent (?) de comprendre cela

[ malgré tout ] [ sans espoir ] [ écriture ] [ poème ]

 
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Ajouté à la BD par Benslama

fondu-enchaîné

Ici, la forêt s'étendait plus loin ; mais plus on avançait, plus les arbres étaient rudimentaires, pour finir par ne plus ressembler du tout à des arbres. Bientôt ils devinrent approximatifs, à peine une vague idée de ce que doit être un arbre : un tronc gris-brun en bas, et, en haut, un barbouillage verdâtre tenant lieu de feuilles. Peut-être que l'autre mère ne s'intéressait-elle pas beaucoup aux arbres ; ou alors, elle ne s'était pas donné la peine de façonner correctement cette partie de la propriété parce que personne ne s'était jamais aventuré aussi loin. Coraline continua à marcher. Alors la brume apparut. Ce n'était pas une brume humide, comme la brume ou le brouillard normaux. Et elle n'était ni tiède ni froide. En fait, Coraline avait la sensation d'avancer dans le néant. "Je suis une exploratrice, songea-t-elle. Et il faut que je m'en aille d'ici par tous les moyens. Alors je continue à avancer." Autour d'elle il n'y avait plus qu'un vaste rien du tout, comme une feuille de papier vierge ou une très, très grande pièce vide toute blanche. Ni température, ni odeur, ni texture, ni goût - rien.

Auteur: Gaiman Neil

Info: Coraline

[ rêve ] [ onirisme ] [ littérature ]

 

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boîte échangiste

Quelque chose, depuis l’année dernière, semble s’être durci. Un couple de jeunes fait l’amour sur la piste ; l’homme a de longs cheveux bouclés et blonds, son ventre est plat et musclé. La femme est brune, sa peau est mate. Il la prend par-derrière, ses fesses parfaitement rondes sont soulevées très haut, la cambrure de ses reins est magnifique. Un quinquagénaire s’approche, essaie de la toucher ; elle le repousse d’un geste brusque. Les autres couples, maintenant, restent à distance ; ils font cercle, à trois mètres des jeunes gens. L’homme se retire un instant, son sexe est brièvement baigné par un éclat de lumière violette ; puis il recommence à pénétrer la femme, sur un rythme plus rapide ; la lumière stroboscopique joue sur ses abdominaux en plein effort. Je vais m’asseoir sur une banquette. Près de nous, un couple de sexagénaires allemands ; l’homme est débraguetté et mou. La femme porte une guêpière en latex, mais sa viande dépasse d’un peu partout ; son regard est désemparé : ils sont vraisemblablement proches de la retraite. Elle pose une main sur le sexe de son mari, sans parvenir à le ranimer ; puis ils terminent leur bière. Nous repartons assez vite.

Auteur: Houellebecq Michel

Info: "Lanzarote", Librio, 2021, page 81

[ violence symbolique ] [ professionnalisation ] [ débandade ] [ exclusion ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

mourir

Nous voici encore seuls. Tout cela est si lent, si lourd, si triste... Bientôt je serai vieux. Et ce sera enfin fini. Il est venu tant de monde dans ma chambre. Ils ont dit des choses. Ils ne m'ont pas dit grand-chose. Ils sont partis. Ils sont devenus vieux, misérables et lents chacun dans un coin du monde.

Hier à huit heures Madame Bérenge, la concierge, est morte. Une grande tempête s'élève de la nuit. Tout en haut, où nous sommes, la maison tremble. C'était une douce et gentille fidèle amie. Demain on l'enterre rue des Saules. Elle était vraiment vieille, tout au bout de la vieillesse.
Je lui ai dit dès le premier jour quand elle a toussé : "Ne vous allongez pas surtout !... Restez assise dans votre lit !" Je me méfiais. Et puis voilà... Et puis tant pis.

Je n'ai pas toujours pratiqué la médecine, cette merde.
Je vais leur écrire qu'elle est morte Madame Bérenge à ceux qui m'ont connu, qui l'ont connue. Où sont-ils ?

Je voudrais que la tempête fasse encore bien plus de boucan, que les toits s'écroulent, que le printemps ne revienne plus, que notre maison disparaisse.

Auteur: Céline Louis-Ferdinand

Info: Dans "Mort à crédit"

[ tempête intérieure ] [ colère ] [ indifférence générale ] [ consultations ]

 
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Ajouté à la BD par Coli Masson

enfance

Il y a ce souvenir de jeunesse, récurrent. Pré-ados nous avions construit une superbe cabane, à environ 5 mètres du sol à cheval sur deux grands hêtres en lisière de la forêt, hauteur qui avait pour résultat que les "petits" n'arrivaient pas à monter, ce qui nous arrangeait bien. Plusieurs longues planches volées sur les chantiers alentours constituaient un grand balcon au coin duquel se situait la cabane proprement dite, petite, - mais avec un fourneau à bois dégotté je ne sais plus où -, et solidement établie à l'embranchement de quatre branches maitresses du plus grand des deux foyards. 

J'ai passé de longs et bienheureux moments, seul dans cet endroit à quelques centaines de mètres des habitations. Mais ce souvenir récidiviste concerne précisément les après-midis de belle saison où je grimpais au-dessus de la cabane pour me retrouver, beaucoup plus haut, à peut-être à 8 ou 10 mètres, mi-allongé sur une branche en surplomb pointant en direction de la ville et du lac. Tranquillité et cool panorama, sans aucune sensation de danger autre que la conscience de la hauteur, qui n'obérait en rien de longues rêveries dont je ne me souviens d'aucun détail. 

Auteur: Mg

Info: 30 sept. 2020

[ béance juvénile ]

 
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Ajouté à la BD par miguel

printemps

Un grand souffle chaud parcourt depuis huit jours la vallée de Chamonix. Venant d'Italie, le vent s'engouffre dans le corridor de la mer de Glace, vient heurter les raides pentes herbeuses de l'aiguille à Bochard, puis retombe comme une haleine tiède sur les étroites prairies qui bordent l'Arve, faisant éclore brusquement en une nuit l'admirable flore alpestre. Chaque jour la vieille neige de l'hiver recule, monte, se réfugie dans les alpages, puis plus haut dans les grands couloirs et dans les glaciers... On peut suivre cette progression du printemps : c'est comme un immense assaut que donne la nature à la montagne. Les forêts toutes rougies par les gels et les tourments reverdissent de jeunes pousses d'un vert très tendre, mais plus haut, vers les deux mile, tout est encore brûlé. Les névés fondent les uns après les autres, laissant sur le paysage une tache rougeâtre. On dirait une plaie mal guérie ; cela fait comme une croûte qu'on aurait arrachée et qui laisserait dessous le ton plus clair de la peau mal formée. Puis, ces plaies des alpages se cicatrisent à leur tour, verdissent, et le gazon dru des altitudes vient unifier la teinte fraîche de la montagne.

Auteur: Frison-Roche Roger

Info: Premier de cordée

 

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rémunération

Inversement, à partir du moment où le salaire est déconnecté de la force de travail, rien ne s’oppose plus (sinon les syndicats) à une revendication salariale maximaliste, illimitée. Car s’il y a un "juste prix" à une certaine quantité de force de travail, il n’y a plus de prix pour le consensus et la participation globale. [...]

Salaire maximum pour un travail minimum : tel est le mot d’ordre. Escalade de la revendication dont l’issue politique pourrait bien être de faire sauter le système par en haut, selon sa propre logique du travail comme présence forcée. Car ce n’est plus alors en tant que producteurs que les salariés interviennent mais en tant que non-productifs, rôle que leur assigne le capital – et ils n’interviennent plus dialectiquement, mais catastrophiquement, dans le processus.

Moins on a à en faire, plus on doit exiger un salaire élevé, puisque ce moindre emploi est le signe d’une absurdité plus évidente encore de la présence forcée. Voilà la "classe" telle qu’en elle-même le capital la change : dépossédée de son exploitation même, de l’usage de sa force de travail, elle ne saurait faire payer trop cher au capital ce déni de production, cette perte d’identité, cette débauche. Exploitée, elle ne pouvait exiger que le minimum. Déclassée, elle est libre d’exiger tout.

Auteur: Baudrillard Jean

Info: Dans "L'échange symbolique et la mort", éditions Gallimard, 1976, pages 39-40

[ inversement proportionnel ] [ inflation ] [ travail social abstrait ] [ perte de la fonction d'index ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

financiarisation

[…] depuis que la monnaie a perdu toute garantie d’ordre supérieur, elle a vu sa valeur quantitative elle-même, ou ce que le jargon des "économistes" appelle son "pouvoir d’achat", aller sans cesse en diminuant, si bien qu’on peut concevoir que, à une limite dont on s’approche de plus en plus, elle aura perdu toute raison d’être, même simplement "pratique" ou "matérielle", et elle devra disparaître comme d’elle-même de l’existence humaine. On conviendra qu’il y a là un étrange retour des choses, qui se comprend d’ailleurs sans peine par ce que nous avons exposé précédemment : la quantité pure étant proprement au-dessous de toute existence, on ne peut, quand on pousse la réduction à l’extrême comme dans le cas de la monnaie (plus frappant que tout autre parce qu’on y est déjà presque arrivé à la limite), aboutir qu’à une véritable dissolution. Cela peut déjà servir à montrer que, comme nous le disions plus haut, la sécurité de la "vie ordinaire" est en réalité quelque chose de bien précaire, et nous verrons aussi par la suite qu’elle l’est encore à beaucoup d’autres égards ; mais la conclusion qui s’en dégagera sera toujours la même en définitive : le terme réel de la tendance qui entraîne les hommes et les choses vers la quantité pure ne peut être que la dissolution finale du monde actuel.

Auteur: Guénon René

Info: Dans "Le règne de la quantité" page 112

[ château de cartes ] [ valeur arbitraire ] [ disparition de la monnaie ] [ argent virtuel ]

 

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charcutage

Lors de ses études de psychologie criminelle, Sarah avait effectivement appris que l'établissement de Gaustad détenait le sinistre record d'Europe de lobotomies. Dans les années quarante, trois cents patients y en avaient subi une. A l'époque, on pensait que l'on pouvait soulager les personnes atteintes de schizophrénie, d'épilepsie ou de dépression en sectionnant une partie des fibres nerveuses de leur cerveau.
Sarah se rappelait le processus barbare consistant à insérer la pointe d'un pic à glace vers le haut, entre le globe oculaire et la paupière, jusqu'à ce qu'il cogne sur la paroi osseuse. D'un coup de marteau, le praticien lui faisait traverser la boîte crânienne pour pénétrer dans le lobe frontal du cerveau. Il s'emparait alors des poignées dont était muni le pic à glace et exécutait des mouvements de balayage qui tranchaient une partie des terminaisons nerveuses. Dans la majorité des cas, le malade était uniquement sous anesthésie locale et perdait connaissance soit de douleur, soit à la suite des convulsions provoquées par l'ablation de ses fibres nerveuses.
Certains patients décédaient au cours de l'opération, et ceux qui se réveillaient étaient condamnés à un état végétatif, sans plus aucune imagination, curiosité ou envie. Mais pour les médecins, ils étaient guéris. Leur agressivité ou les crises qui les faisaient tant souffrir avaient effectivement disparu. Et on renvoyait chez eux ces individus qui ne représentaient plus aucun risque pour la société.

Auteur: Beuglet Nicolas

Info: Le cri, p. 24-25

[ neurochirurgie ] [ leucotomie ] [ barbarie ] [ thérapie ]

 

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progressisme

L’homme de gauche, en conformité avec son credo, manifeste sa foi, non en un certain progrès, mais en un progrès certain, ce qui est plus grave, et le fait ressembler au chrétien des premiers temps croyant à la prochaine venue du Seigneur, à la parousie. A notre époque où les progrès technologiques se sont jusqu’ici accompagnés de catastrophiques revers, ce serait la foi du charbonnier. Mais en quoi l’homme de gauche, optimiste à tout prix, diffère-t-il du capitaliste de droite qui rêve aussi de progrès, ou du moins en rêvait avant-hier ? Chaque fois que je vais dans un super-market, ce qui m’arrive rarement, je me crois en Russie. C’est la même nourriture imposée d’en haut, pareille, où qu’on aille, imposée par des trusts au lieu de l’être par des organismes d’Etat. Les Etats-Unis, en un sens, sont aussi totalitaires que l’URSS, et dans l’un comme dans l’autre pays, et comme partout d’ailleurs, le progrès (c’est-à-dire l’accroissement de l’immédiat bien-être humain) ou même le maintien du présent état de choses dépend de structures de plus en plus complexes et de plus en plus fragiles. Comme l’humanisme un peu béat du bourgeois de 1900, le progrès à jet continu est un rêve d’hier. Il faut réapprendre à aimer la condition humaine telle qu’elle est, accepter ses limitations et ses dangers, se remettre de plain-pied avec les choses, renoncer à nos dogmes de partis, de pays, de classes, de religions, tous intransigeants et donc tous mortels.

Auteur: Yourcenar Marguerite

Info: Yeux ouverts, page 243

[ convergences idéologiques ] [ idéalisme ] [ uniformisation ] [ modernité ]

 
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