Nous ne voyons pas le monde tel qu’il est, mais tel que nous sommes. Notre cerveau remplit régulièrement les vides (absence d’information) et est en construction et reconstruction constante. Nous réinventons notre passé, en fonction du présent.
Existent bien sûr les travaux de Kahneman et Tversky avec le système 1 (rapide, intuitif) et le système 2 (lent et raisonné). Cependant rien ne prouve que notre cerveau soit réellement binaire. Je pense qu'il agit plutôt dans le cadre d’un continuum.
En bref les biais cognitifs nuisent à notre pensée rationnelle, il y en a beaucoup : biais de confirmation, biais de croyance, biais de négativité, biais d’autocomplaisance, biais d’illusion de la connaissance, biais d’impuissance acquise… etc
Le stress est notre meilleur ennemi
Il faut rappeler que dans la nature, un animal qui perçoit un danger a une alternative : il se bat ou se barre (fight or fight). " Le stress est donc une fonction primordiale chez tous les vertébrés, il privilégie la survie ". Mais aujourd’hui ce stress peut nous empêcher de passer notre examen ou notre entretien d’embauche ! Cette fonction vitale se retourne donc contre nous. Il nous faut s'adapter. Cette nécessité d’adaptation est présente actuellement dans quasi tous les livres importants sur les phénomènes cognitifs.
Illusion de nos certitudes
Nous croyons avoir une pensée rationnelle, alors qu’elle est motivée par notre culture, notre vécu, nos croyances. Là encore la numérisation et les médias sociaux ont eu un effet négatif en amplifiant les impacts négatifs de ce trait : bienvenu dans le monde des infox et des " bulles de l’entre-soi ". Nos biais de confirmation (ne rechercher que ce qui va dans notre sens) et de sélection (ne retenir que ce qui nous convient) vont encore accuser le trait.
Dissonance cognitive
Ce phénomène a été mis à jour par Festinger. Nous savons que Google un monopole dangereux, mais nous continuons à l’utiliser. Il n’y a pas d’alignement entre notre perception et nos actes. On découvre au fil des pages de nombreuses explications de biais :
– Effet Franklin : proposer un prix trop élevé à un client pour ancrer sa réflexion sur la fourchette supérieure du prix).
– Effet Barnum : lorsque qu’il y a une présentation de trait de personnalité, quels qu’ils soient, nous avons l’impression qu’ils nous correspondent …
Illusion de contrôle et impuissance acquise
Elles ont été mondrées par l'effet Duning Kruger ou illusion de connaissance. Il y a une surconfiance chez les moins compétents et syndrome de l’imposteur chez les plus compétents. Ce problème se trouve couplé dans les organisations avec le principe de Peters qui veut qu’une personne gravisse les échelons hiérarchiques jusqu’à atteindre son niveau d’incompétence… et y reste.
Importance du contexte
Il faut aussi insister sur l’importance du contexte et le biais fondamental d’attribution : nous jugeons les autres sur leurs actions, mais nous nous jugeons plus facilement sur nos intentions, car nous y avons accès.
Par exemple le principe du nudge (coup de pouce) conceptualisé par Richard Thaler. Technique qui consiste à modifier légèrement l'environnement d'une personne, de manière à l'inciter à prendre une décision particulière, sans pour autant la contraindre ou la manipuler. On guide les choix, de manière subtile et bienveillante en exploitant les biais cognitifs et les automatismes de notre cerveau pour orienter nos comportements. Par exemple en plaçant les escaliers à côté de l'entrée d'un bâtiment plutôt que l'ascenseur, pour promouvoir l'activité physique ou en usant de couleurs vives et des images attrayantes pour attirer l'attention sur des informations importantes, comme les étiquettes nutritionnelles. Ainsi on oriente, sans supprimer pas la liberté individuelle.
Il ne faut pas oublier l’influence du contexte social, et la conformité sociale avec notamment l’expérience de Solomon Asch sur la puissance du conformisme. Ou la célèbre expérience de soumission à l’autorité de Stanley Milgram.
Il n’y a pas de formule miracle pour se débarrasser de nos biais cognitifs. Il faut adopter un raisonnement analytique et mettre en place un contrôle métacognitif. Car nous n’avons pas de prise immédiate sur nos pensées premières, trop rapides et automatiques, mais il est possible d’agir sur les métacognitions. Ce contrôle métacognitif a pour but de délégitimer nos pensées automatiques néfastes. Quelques conseils pour cela :
- Se méfier d’un argument ad hominen qui prendrait à parti une personne.
- Se méfier des arguments d’autorité.
- Repérer les fausses analogies.
- Ne pas céder à l’appel de l’émotion.
- Privilégier la preuve scientifique à la preuve anecdotique.
- Éviter les fausses équivalences.
Il faut aussi rappeller que les infox circulent six fois plus vites que les informations véridiques (selon une étude de Sinan Aral), car elles ont comme caractéristiques :
- La simplicité.
- Le caractère spectaculaire.
- La génération d’une émotion forte (comme le dégout ou la surprise).
La lutte de Google ou de Facebook contre les infox est peine perdue car le vecteur de contamination ne peut pas être en même temps le remède ? " Ou pour reprendre une citation d’Einstein : " Ce n’est pas avec ceux qui ont créé les problèmes qu’il faut espérer les résoudre "
En conclusion je crains que la mécanique mise en place par les géants du numérique conduise à une communautarisation de la société, avec le risque de déchirer le tissu social. Pour reconstituer un espace démocratique, il faut préserver et développer notre socle commun de réalité, et le meilleur outil pour le faire est le doute, un doute constructif tourné vers soi, et non un doute accusateur tourné vers les autres. Mais le doute est une arme à double tranchant, il faut donc faut un doute nuancé et non binaire. Il faut cultiver un raisonnement critique.
Années: 1982 -
Epoque – Courant religieux: Récent et libéralisme économique
Sexe: H
Profession et précisions: neuroscientifique, psychologue clinicien
Continent – Pays: Liban - France