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Il n'y a aucun contrôle, ni créateur tout-puissant - "Dieu" ou homme. Mais existent le soin, la précaution, le sérieux, les scrupules, l'attention, la contemplation, l'hésitation et le renouveau.

Auteur: Latour Bruno

Info: Rejoicing: Or the Torments of Religious Speech

[ réflexions ] [ participation ] [ responsabilité ] [ redistribution des rôles ] [ déhiérarchisation ]

 
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chiasme

Le monde n'est pas un bloc de faits solides, saupoudré de quelques lacs d'incertitudes, mais un vaste océan d'incertitudes, moucheté de quelques îlots aux formes calibrées et stabilisées...

Auteur: Latour Bruno

Info: Reassembling the Social: An Introduction to Actor-Network-Theory

[ réalité ] [ mouvances ] [ changements ] [ visuel ] [ mélange ] [ volatil ]

 

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égoïsmes

Si l’on a accepté pour un temps de multiplier les "gestes barrières" à la contagion d’un virus, je ne suis pas sûr que l’on soit prêt à accepter du même État l’imposition de gestes barrières pour favoriser la santé de la planète !

Auteur: Latour Bruno

Info:

[ écologie ]

 
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Ajouté à la BD par miguel

interdépendances

La première idée de Gaïa naît donc du raisonnement suivant  : "Si les humains actuels, par leur industrie, peuvent répandre partout sur Terre des produits chimiques que je détecte par mes instruments, il est bien possible que toute la biochimie terrestre soit, elle aussi, le produit des organismes vivants. Si les humains modifient si radicalement leur environnement en si peu de temps, alors les autres vivants peuvent l’avoir fait, eux aussi, sur des centaines de millions d’années." La Terre est bel et bien une sorte de technosphère artificiellement conçue dont les vivants seraient les ingénieurs aussi aveugles que les termites. Il faut être ingénieur et inventeur comme Lovelock pour comprendre cette intrication.

Gaïa n’a donc rien d’une idée New Age sur l’équilibre millénaire de la Terre, mais émerge au contraire d’une situation industrielle et technologique très particulière : une violente rupture technologique, mêlant la conquête de l’espace, la guerre nucléaire et la guerre froide, que l’on résume désormais par le terme d’ "anthropocène" et qui s’accompagne d’une rupture culturelle symbolisée par la Californie des années 1960. Drogue, sexe, cybernétique, conquête spatiale, guerre du Vietnam, ordinateurs et menace nucléaire, c’est la matrice où naît l’hypothèse Gaïa : dans la violence, l’artifice et la guerre. Toutefois le trait le plus étonnant de cette hypothèse est qu’elle tient au couplage de deux analyses diamétralement opposées. L’analyse de Lovelock imagine la Terre vue de Mars comme un système cybernétique. Et celle de Lynn Margulis regarde la planète par l’autre bout de la lorgnette, à partir des plus minuscules et des plus anciens des organismes vivants.

A l’époque, dans les années 1970, Margulis est l’exemple typique de ce que les Anglais appellent une maverick : une dissidente qui secoue les néodarwiniens alors en plein essor. L’évolution, dans leur esprit, suppose l’existence d’organismes suffisamment séparables les uns des autres pour qu’on leur attribue un degré de réussite inférieur ou supérieur aux autres. Or Margulis conteste l’existence même d’individus séparables : une cellule, une bactérie ou un humain. Pour la simple et excellente raison qu’ils sont "tous entrelacés", comme l’indique le titre d’un livre récent.

Une cellule est une superposition d’êtres indépendants, de même que notre organisme dépend non seulement de nos gènes, mais de ceux des bestioles infiniment plus nombreuses qui occupent notre intestin et couvrent notre peau. Il y a bien évolution, mais sur quel périmètre porte celle-ci et quels sont les participants entrelacés qui en tirent profit, voilà qui n'est pas calculable. Les gènes ont beau être "égoïstes", comme l’avançait naguère Richard Dawkins, le problème est qu’ils ne savent pas où s’arrête exactement leur ego ! Chose intéressante, plus le temps passe, plus les découvertes de Margulis prennent de l’importance, au point qu’elle s’approche aujourd’hui de l’orthodoxie grâce à l’extension foudroyante du concept de holobionte, terme qui résume à lui seul la superposition des vivants pliés les uns dans les autres.

Que se passe-t-il quand on combine l’intuition de Lovelock avec celle de Margulis ? Au cours du séminaire auquel je participe le lendemain avant que la neige ne vienne ensevelir le sud de l’Angleterre, la réponse m’apparaît assez clairement : la théorie Gaïa permet de saisir les "puissances d’agir" de tous les organismes entremêlés sans aussitôt les intégrer dans un tout qui leur serait supérieur et auquel ils obéiraient. En ce sens, et malgré le mot "système", Gaïa n’agit pas de façon systématique, en tout cas ce n'est pas un système unifié. Comme Lenton le démontre, selon les échelles d’espace et de temps, la régulation est très forte ou très lâche : l’homéostasie d’un organisme et la régulation plutôt erratique du climat ne sont pas du même type. C’est que la Terre n'est pas un organisme. Contrairement à tous les vivants, elle se nourrit d’elle-même en quelque sorte, par un recyclage continu avec très peu d’apport extérieur de matière (en dehors bien sûr de l’énergie solaire). On ne peut même pas dire que Gaïa soit synonyme du globe ou du monde naturel puisque, après tout, les vivants, même après plusieurs milliards d’années d’évolution, ne contrôlent qu’une mince pellicule de la Terre, une sorte de biofilm, ce que les chercheurs avec qui je travaille maintenant appellent "zones critiques".

Je comprends alors les erreurs commises dans l’interprétation de la théorie Gaïa par ceux qui l’ont rejetée trop vite comme par ceux qui l’ont embrassée avec trop d’enthousiasme : les premiers autant que les seconds ont projeté une figure de la Terre, du globe, de la nature, de l’ordre naturel, sans prendre en compte le fait qu’il s’agissait d’un objet unique demandant une révision générale des conceptions scientifiques.

Ah mais alors j’avais bien raison d’établir un parallèle avec Galilée ! Bloqué sous ma couette en attendant qu’il pleuve assez pour que les Anglais osent se risquer hors de chez eux, je comprenais cette phrase étonnante de Lovelock : "L’hypothèse Gaïa a pour conséquence que la stabilité de notre planète inclut l’humanité comme une partie ou un partenaire au sein d’un ensemble parfaitement démocratique." Je n’avais jamais compris cette allusion à la démocratie chez un auteur qui ne la défendait pas particulièrement. C’est qu’il ne s’agit pas de la démocratie des humains mais d’un renversement de perspective capital pour la suite.

Avant Gaïa, les habitants des sociétés industrielles modernes, quand ils se tournaient vers la nature, y voyaient le domaine de la nécessité, et, quand ils considéraient la société, ils y voyaient, pour parler comme les philosophes, le domaine de la liberté. Mais, après Gaïa, il n’y a plus littéralement deux domaines distincts : aucun vivant, aucun animé n’obéit à un ordre supérieur à lui et qui le dominerait ou auquel il lui suffirait de s’adapter – cela est vrai des bactéries comme des lions ou des sociétés humaines. Cela ne veut pas dire que tous les vivants soient libres au sens un peu simplet de l’individualisme puisqu’ils sont entrelacés, pliés, intriqués les uns dans les autres. Cela veut dire que la question de la liberté et de la dépendance vaut autant pour les humains que pour les partenaires du ci-devant monde naturel.

Galilée avait inventé un monde d’objets, posés les uns à côté des autres sans s’influencer et entièrement soumis aux lois de la physique. Lovelock et Margulis dessinent un monde d’agents qui interagissent sans cesse entre eux.

Auteur: Latour Bruno

Info: L’OBS/N°2791-03/05/2018

[ interactions ] [ redistribution des rôles ]

 
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matrice

La nature n’est pas une victime à protéger, elle est ce qui nous possède.

Auteur: Latour Bruno

Info: Mémo sur la nouvelle classe écologique

[ appartenance ] [ environnement ] [ Gaïa ]

 

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mutins de panurge

Il y a un gâtisme de la rébellion, et il est l’héritage de tout le romantisme, c’est-à-dire du culte de l’authenticité, perfusé avec acharnement depuis deux siècles dans la société. Cette rébellion doit être jetée, comme tant d’autres choses. Je ne sais pas pourquoi elle devrait continuer à être affectée d’un signe positif, quand on voit tant de rampants de toutes sortes (artistes, journalistes au Monde, intellectuels busholâtres du dessus du panier de crabes, etc.) s’intituler rebelles ou faire l’éloge de la dérangeance et de l’iconoclasme à l’œuvre dans n’importe quelle petite merde avant-gardiste, moi-iste, écriturante.

Auteur: Muray Philippe

Info: Dans "Exorcismes spirituels, tome 4", Les Belles Lettres, Paris, 2010, page 1657

[ provocateurs inoffensifs ] [ satisfaits ]

 

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présidents américains

Plutôt qu’une guerre, d’ailleurs, l’entreprise de Bush me paraît devoir être définie comme un terrorisme. Terrorisme global et préventif. Terrorisme de précaution. En tant que guerre, celle qui est actuellement livrée aux Irakiens durera sans doute peu de temps. Mais en tant que terrorisme élargi, le sombre rêve des Caligulas de Washington ne fait que commencer, et, de proche en proche, il concernera toute la planète puisqu’il s’agit de lui imposer le Bien dont ces Caligulas s’estiment les représentants.

Auteur: Muray Philippe

Info: Dans "Exorcismes spirituels, tome 4", Les Belles Lettres, Paris, 2010, page 1652

[ domination idéologique ] [ monopole de la violence ] [ impérialisme ]

 

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écrivain-sur-livre

Du temps du XIXe siècle à travers les âges, j’étais dans la conviction qu’une généalogie de l’époque était possible, et je voulais décrire la base irrationnelle (occultiste) sur laquelle se fondait la démocratie moderne malgré ses prétentions rationnelles. Il y a près de vingt ans de cela, et, depuis, l’époque n’a cessé de croître et d’embellir en barbarie et en bestialité. A une telle situation, il me semble qu’on ne peut répondre que par une violence accrue, et que tout recours à la culture, d’ailleurs ravagée par cette époque, serait désormais une faiblesse et une forme de connivence.

Auteur: Muray Philippe

Info: Dans "Exorcismes spirituels, tome 4", Les Belles Lettres, Paris, 2010, page 1649

[ destruction ] [ fin du dialogue ] [ fictions ] [ justifications ]

 

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révolution sexuelle

Maintenant, pour en revenir à cette solitude sexuelle d’Homo festivus [...], elle ne peut être comprise que comme l’aboutissement de la prétendue libération sexuelle d’il y a trente ans, laquelle n’a servi qu’à faire monter en puissance le pouvoir féminin et à révéler ce que personne au fond n’ignorait (notamment grâce aux romans du passé), à savoir que la plupart des femmes ne voulaient pas du sexuel, n’en avaient jamais voulu, mais qu’elles en voulaient dès lors que le sexuel devenait objet d’exhibition, donc de social, donc d’anti-sexuel. Nous en sommes à ce stade. Dans une société maternifiée à mort (et où, pour être bien vu, il faut toujours continuer à radoter que le féminin n’a pas sa place, est persécuté, écrasé, etc.), l’exhibitionnisme où triomphent les jouissances prégénitales, devient l’arme fatale employée contre le sexuel, je veux dire le sexuel en tant que division ou différence des sexes (qualifiée de source d’inégalités ou d’asymétries), et en tant que vie privée. [...]

C’est pour cela que je peux diagnostiquer, à partir des avalanches de parties de jambes en l’air qu’on nous montre ou qu’on nous raconte dans des livres, à la fois un désir forcé d’intégration sociale [...] et une volonté plus forcenée encore de mort du sexuel adulte. Il n’y a aucune contradiction entre la pornographie de caserne qui s’étale partout et l’étranglement des dernières libertés par des "lois antisexistes" ou réprimant l’ "homophobie" comme il nous en pend au nez et qui seront, lorsqu’elles seront promulguées, de brillantes victoires de la Police moderne de la Pensée.

Auteur: Muray Philippe

Info: Dans "Exorcismes spirituels, tome 4", Les Belles Lettres, Paris, 2010, page 1647

[ hommes-femmes ] [ désexualisation ] [ conséquences ]

 

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totalitarisme du bien

Ainsi a-t-on vu récemment, pour prendre un exemple minuscule, des élus du Conseil de Paris qui renâclaient à l’achat exorbitant d’une "œuvre" moderne destinée au musée d’Art moderne se faire remettre à leur place par le préposé à la culture de la Mairie du même lieu, le nommé Christophe Girard : refuser d’acheter cette œuvre moderne, les a-t-il vertement avertis, reviendrait à "ouvrir la porte au fascisme". Notons cependant que l’œuvre en question était composée d’un perroquet vivant, dans sa cage, flanqué de deux palmiers. Cette anecdote, qui vaut pour tant d’autres, a la vertu de révéler le moderne en tant que chantage ultra-violent ; et de faire entendre la présence du Mal dans la voix même des criminels qui l’invoquent pour tout faire avaler.

Auteur: Muray Philippe

Info: Dans "Exorcismes spirituels, tome 4", Les Belles Lettres, Paris, 2010, page 1644

[ idéologie ]

 

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