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hérésie

"La théologie, déclarait le Docteur Martin Luther, est surtout usage et pratique, et ne consiste point en spéculations, ou à réfléchir, selon notre raison, aux choses de Dieu" [Propos de table, page 240]. Dans cette affirmation transparaît le souci premier du Réformateur, qui est d’ordre moral ; le protestantisme est d’abord une révolte contre ce qui lui paraît indigne de Dieu. Son impulsion originelle ne lui est pas donnée par un désaccord d’ordre doctrinal, mais par le souci brûlant de l’honneur de Dieu, ce qui est bien le piège le plus subtil que le diable puisse tendre à notre orgueil. Ce qu’il ne peut supporter, ce n’est pas seulement telle ou telle thèse dogmatique réputée fausse en elle-même, mais c’est qu’on puisse l’attribuer à Dieu ou affirmer qu’elle le concerne. Les dogmes qu’il refuse ne sont pas tellement à ses yeux des erreurs que des blasphèmes et des sacrilèges. Evidemment, dans une telle attitude, c’est le Réformateur qui s’institue lui-même gardien et protecteur de l’honneur de Dieu. Mais l’orgueil qu’elle implique est comme justifié par la noblesse de la tâche qu’il s’arroge. C’est seulement de cette manière que l’on peut saisir l’unité des deux aspects, individuel et communautaire, de la réforme luthérienne.

On sait que la théorie de la justification par la foi est apparue au jeune Luther comme l’intuition libératrice mettant fin à l’épouvantable angoisse qu’engendrait en lui le sentiment de sa damnation. Cette angoisse insurmontable témoigne déjà, chez lui, d’un affaiblissement considérable de la fonction spéculative : les vérités doctrinales, conçues par son intelligence, sont impuissantes pour l’apaisement des troubles de son âme ; les certitudes intellectuelles étant inefficaces, il réclame une certitude existentielle et subjective. Or, relativement à Dieu, il n’y a d’autre certitude existentielle, du côté humain, que celle de la foi vécue et ressentie. Et Luther ne saurait douter de sa propre volonté de croire. Cette foi subjective, réduite au sentiment que l’on a de sa propre volonté de croire, peut-elle constituer un signe certain de salut capable de nous arracher à l’angoisse de la damnation ? Après beaucoup de recherches, Luther pense avoir trouvé la réponse affirmative en saint Paul qui dit, dans l’Epître aux Romains : "le juste vit de la foi". La foi est donc la vie du juste. Qu’est-ce que le juste ? Ce n’est pas celui qui est jugé tel, mais celui qui est rendu tel, qui est établi dans un état de justice ; c’est ce qu’on appelle la justification. Et qu’est-ce que la foi ? C’est croire en Jésus-Christ qui nous a rachetés par sa mort. Or, c’est précisément cette foi qui, selon saint Paul, sera imputée à justice. En conséquence, pour être justifiés (=sanctifiés), il ne nous est rien demandé de plus que de croire au salut dans le Christ, c’est-à-dire de croire à la certitude du salut. En douter, c’est précisément se ranger parmi les réprouvés ; croire que le Christ nous sauve, c’est être sauvé, puisque c’est cette foi seule que Dieu exige de nous.

Cette découverte […] entraîne […] une certaine conception de la justice et de la foi qui est la seule digne de Dieu. […]

Pour la justification, elle fait honneur à Dieu parce qu’elle attribue la justification du pécheur à la seule justice du Christ, celle dont "il nous revêt" : c’est la justice externe ou forensique. […] En effet, nous ne sommes par nous-mêmes capables d’aucun bien. Notre nature est pécheresse et le demeure même dans la justification, car cette justification est uniquement celle de Jésus-Christ. La bonté de la nature humaine étant entièrement détruite, aucune œuvre n’est bonne par elle-même : "toute œuvre du juste est damnable et péché mortel si Dieu la juge telle". […]

Quant à la loi, elle fait honneur à Dieu parce qu’elle consiste uniquement à donner sa confiance à Sa parole évangélique : "Notre foi accorde à Dieu l’honneur de pouvoir et de vouloir faire ce qu’il a promis, à savoir de justifier les pécheurs" [Propos de table, t. 1, page 191]. Autrement dit, si nous voulons rendre justice au texte de l’Ecriture, rendre à sa parole l’honneur qui lui est dû, il nous faut adopter l’exégèse luthérienne, et rejeter le papisme avec sa conception de la "justice inhérente" à la nature de l’être humain, rejeter la doctrine d’une grâce dont l’œuvre propre, pour les catholiques, n’est pas de supprimer la nature, mais de la parfaire.

C’est pourquoi l’impératif morale de l’honneur de Dieu fait obligation au croyant luthérien de rejeter aussi l’Eglise romaine dont, non seulement les péchés, mais la structure même sont une offense à Dieu. Il n’est pas étonnant que la révolte luthérienne se soit essentiellement traduite par la haine de l’institution romaine et la constitution d’une Eglise qui se veut pure communauté spirituelle de croyants. C’est qu’en effet, en vertu de sa nature éthique ou morale, le protestantisme n’envisage l’orthodoxie que sous l’angle de l’orthopraxie. C’est la pratique chrétienne effective qui, pour lui, est le signe de la vraie foi et de la vraie doctrine. Et même, il faut bien le constater, en réduisant l’acte de foi à l’élément de la volonté, il se condamne en même temps à réduire la théologie à la morale, l’orthodoxie à l’orthopraxie. La foi droite s’épuise dans la conduite juste. Or l’Eglise, comme réalité sociale et historiquement définie, exprime l’ensemble des règles qui déterminent la vie et le comportement des chrétiens. Elle est comme la synthèse objective et visible de la foi telle qu’elle est effectivement pratiquée. Il ne peut donc y avoir place, dans l’agir chrétien, pour deux Eglises authentiques, c’est-à-dire pour deux pratiques authentiques du christianisme : l’une exclut l’autre, parce que tout acte, dans le présent de son accomplissement, exclut tout autre acte. Le schisme de l’Eglise grecque a vraiment amputé l’Eglise de Rome d’une partie d’elle-même, et l’on peut souhaiter leurs retrouvailles sous l’autorité du Vicaire du Christ. Mais la constitution du protestantisme en Eglise nouvelle n’a rien ôté à l’Eglise de Rome, elle l’a purement et simplement "supprimée" et "remplacée". […] Le protestantisme n’est pas une portion de l’unique Eglise chrétienne ; c’est le seul "vrai christianisme". Et, qu’on le veuille ou non […], si ce n’est pas le protestantisme qui devient catholique, c’est le catholicisme qui deviendra protestant.

Tel est le deuxième type hérésiologique que nous présente l’histoire. Il révèle principalement l’élément volonté dans l’acte de foi ; il concerne essentiellement l’agir chrétien et s’exprime nécessairement par la constitution d’une nouvelle Eglise à cause de la nature exclusive de toute pratique quand elle est érigée en orthopraxie, alors que le premier type hérésiologique concernait essentiellement le connaître chrétien et s’exprimait nécessairement par la définition de thèses dogmatiques.

Auteur: Borella Jean

Info: Le sens du surnaturel, L'Harmattan, 1997, pages 40 à 44

[ caractéristiques ] [ résumé ]

 

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pratiques initiatiques

Si l’on part de la conception d’une involution croissante qui s’est réalisée dans notre cycle d’humanité à travers la succession de quatre âges ; si l’on admet que nous nous trouvons désormais dans le dernier de ces âges, dans l’ "âge sombre" (kali-yuga) – époque de dissolution, de prédominance des forces élémentaires, où la çakti est comme déliée de tout, tandis que la spiritualité des origines a été presque totalement perdue – la voie réputée capable de répondre à cette situation est celle qu’on pourrait résumer par la formule "chevaucher le tigre". C’est comme dire qu’il ne faut pas éviter une force dangereuse, ni même s’y opposer directement, mais se greffer sur elle en tenant bon, dans l’idée d’avoir finalement le dessus. Les Tantras, dans cette optique, estiment que le lien du secret, qui s’imposait autrefois pour les doctrines et les pratiques de la "Voie de la Main Gauche" à cause de leur caractère périlleux et de la possibilité d’abus, d’aberrations et de déformations, est périmé. […] Il est précisément affirmé qu’il faut adopter "le poison comme antidote du poison". Un autre principe tantrique, c’est que "fruition" et "libération" (ou détachement, renoncement) ne s’excluent pas nécessairement, contrairement à ce que pensent les écoles unilatéralement ascétiques. On se propose comme but de réaliser les deux choses à la fois, donc de pouvoir alimenter la passion et le désir tout en restant libre.

Auteur: Evola Julius

Info: Métaphysique du sexe, traduit de l’italien par Philippe Baillet, éditions L'âge d'homme, Lausanne, 2005, page 303

[ hindouisme ] [ âge de fer ] [ pharmakon ]

 

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métanoïa

Ce qui était changé, si je suis bien renseigné, était le sentiment qu’un changement avait eu lieu autre qu’un simple changement de degré. Ce qui était changé était l’existence hors l’échelle. Ne descends pas par l’échelle, Ifor, je l’ai enlevée. C’est là, j’ai l’honneur de vous l’apprendre, la métamorphose à rebours. Le Laurier en Daphné. La chose de toujours là de nouveau où elle n’avait cessé d’être. Comme lorsqu’un homme, ayant enfin trouvé ce qu’il cherchait, une femme par exemple, ou un ami, s’en voit dépossédé, ou se rend compte de ce que c’est. Et rien ne sert pourtant de ne pas chercher, de ne pas vouloir, car lorsqu’on cesse de chercher, alors on commence à trouver, et lorsqu’on cesse de vouloir, alors la vie commence à vous entonner son ragoût de charogne jusqu’à ce qu’on dégueule, et puis le dégueulis par-dessus jusqu’à ce qu’on dégueule le dégueulis, et puis le dégueulis dégueulé jusqu’à ce qu’on commence à y prendre goût.

Auteur: Beckett Samuel

Info: Watt, Les éditions de minuit, Paris, 1968, page 44

[ quête ] [ absurde ] [ dégoût ]

 

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pharisaïsme

J’édite Crux, dit Monsieur Spiro, mensuel catholique à grande diffusion. Nous ne payons pas nos collaborateurs, mais ils y trouvent d’autres avantages. Nos petites annonces sont extraordinaires. Nous maintenons la tonsure hors de l’eau. Nos concours sont charmants. Les temps sont durs, tous les vins sont à baptiser. Nos concours. D’une tournure pieuse ils font plus de bien que de mal. Exemple : Recomposez les seize lettres de la Sainte Famille sous forme de question avec réponse. Solution gagnante : Me réjouis-je ? Pssah ! Autre exemple : Dites ce que vous savez de l’adjuration, excommunication, malédiction et anathématisation foudroyante des anguilles de Côme, hurebers de Beaune, rats de Lyon, limaces de Macon, vers de Côme, sangsues de Lausanne et processionnaires de Valence.

[…]

Tout en sachant ce que nous savons, dit Monsieur Spiro, nous n’avons pas la fibre partisane. Pour ma part je suis néo-thomiste à mes heures et m’en glorifie. Mais pas au point d’en être gêné dans mes histoires de cul. Podex non dextra sed sinistra – quelle mesquinerie. Nos colonnes sont ouvertes aux jobards de toutes confessions et des libres penseurs figurent à notre tableau d’honneur. Ma contribution personnelle à la rédemption d’appoint, Un Clysoir Spirituel pour les Constipés en Dévotion est si élastique, si flexible, que même un Presbytérien pourrait en profiter, sans douleur.

Auteur: Beckett Samuel

Info: Watt, Les éditions de minuit, Paris, 1968, page 29

[ parodie ] [ catholicisme ] [ prétentieux ]

 

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embrasser

Eux aussi attendaient peut-être le tram, un tram, car de nombreux trams s’arrêtaient à cet endroit, à la demande, que celle-ci vînt du dedans, ou qu’elle vînt du dehors.

Monsieur Hackett jugea, au bout d’un moment, que s’ils attendaient le tram, ils l’attendaient depuis un certain temps déjà. Car la dame tenait le monsieur par les oreilles, et la main du monsieur était sur la cuisse de la dame, et la langue de la dame était dans la bouche du monsieur. Las d’attendre le tram, dit Monsieur Hackett, ils font un brin de connaissance. La dame retirant alors sa langue de la bouche du monsieur, celui-ci en profita pour remettre la sienne dans la sienne. Donnant donnant, dit Monsieur Hackett. Faisant un pas en avant, histoire de s’assurer que l’autre main du monsieur ne perdait pas son temps, Monsieur Hackett eut un haut-le-corps en la voyant qui pendait inerte derrière le banc, les trois quarts d’une cigarette éteinte entre les doigts.

Auteur: Beckett Samuel

Info: Watt, Les éditions de minuit, Paris, 1968, page 8

[ description technique ] [ détail obscène ] [ baiser ] [ bisou ]

 

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religion

Les dieux, pour autant qu’ils existent pour nous dans notre registre, dans celui qui nous sert à avancer dans notre expérience, pour autant que ces trois catégories nous sont d’un usage quelconque, les dieux c’est bien certain appartiennent évidemment au Réel : les dieux c’est un mode de révélation du Réel.

– C’est en cela que tout progrès philosophique tend, en quelque sorte de par sa nécessité propre, à les éliminer.

– C’est en cela que la révélation chrétienne se trouve - comme l’a fort bien remarqué HEGEL - sur la voie de leur élimination, à savoir que sous ce registre, la révélation chrétienne se trouve un tout petit peu plus loin, un petit peu plus profondément sur cette voie qui va du polythéisme à l’athéisme.

– C’est en cela que - par rapport à une certaine notion de la divinité, du dieu comme summum de révélation, de numen, comme rayonnement, apparition (c’est une chose fondamentale, réelle) - le christianisme se trouve incontestablement sur le chemin qui va à réduire, qui va, au dernier terme, à abolir le dieu de cette même révélation, pour autant qu’il tend à le déplacer, comme le dogme, vers le verbe, vers le λόγος [logos] comme tel, autrement dit se trouve sur un chemin parallèle à celui que suit le philosophe, pour autant que je vous ai dit tout à l’heure, que sa fatalité est de nier les dieux.

Donc ces mêmes révélations qui se trouvent rencontrées jusque-là par l’homme dans le Réel, dans le Réel où ce qui se révèle est d’ailleurs Réel, mais cette même révélation ce n’est pas dans le Réel qu’il la place, cette révélation il va la chercher dans le logos, il va la chercher au niveau d’une articulation signifiante.

Auteur: Lacan Jacques

Info: 30 novembre 1960

[ réel-symbolique-imaginaire ]

 

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psychanalyse

[…] l’amour comme signifiant - car pour nous c’en est un et ce n’est que cela - est une métaphore, si tant est que la métaphore nous avons appris à l’articuler comme substitution […].

Auteur: Lacan Jacques

Info: 30 novembre 1960

[ définition ] [ langage ]

 
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éros

Cette situation [de départ de l’amour], pour être après tout évidente, n’a jamais été - que je sache aussi - en quelque terme, située, placée au départ en ces termes que je vous propose d’articuler tout de suite, ces deux termes d’où nous partons :

– ἐραστής [erastès] l’amant, ou encore ἔρόν [erôn] l’aimant,

– ἐρώμενος [erômenos] celui qui est aimé.

Est-ce que tout déjà ne se situe pas mieux au départ ? Il n’y a pas lieu de jouer au jeu de cache-cache, est-ce que nous ne pouvons pas voir tout de suite dans une telle assemblée [le banquet de Platon], que ce qui caractérise l’ἐραστής [erastès], l’amant, pour tous ceux qui l’ont interrogé, pour tous ceux qui l’approchent, est-ce que ce n’est pas essentiellement ce qui lui manque ? Et nous pouvons tout de suite, nous, ajouter qu’il ne sait pas ce qui lui manque, avec cet accent particulier de "l’in-science", qui est celui de l’inconscient.

Et d’autre part l’ἐρώμενος [erômenos], l’objet aimé, est-ce qu’il ne s’est pas toujours situé comme celui qui ne sait pas ce qu’il a, ce qu’il a de caché, ce qui fait son attrait ? Parce que ce "ce qu’il a" n’est-il pas ce qui est, dans la relation de l’amour, appelé pas seulement à se révéler : à devenir, à être, à présentifier, ce qui n’est jusque là que "possible" ? Bref avec l’accent analytique, ou sans cet accent : lui aussi "il ne sait pas". Et c’est d’autre chose qu’il s’agit : il ne sait pas ce qu’il a.

Entre ces deux termes qui constituent, si je puis dire : dans leur essence, l’amant et l’aimé, observez qu’il n’y a aucune coïncidence. Ce qui manque à l’un n’est pas ce "ce qu’il a", caché dans l’autre. Et c’est là tout le problème de l’amour. Qu’on le sache ou qu’on ne le sache pas n’a aucune importance. On en rencontre à tous les pas dans le phénomène, le déchirement, la discordance, et quiconque n’a pas besoin pour autant de dialoguer, de "dialectiquer" διαλεκτικεύεσθαι sur l’amour : il lui suffit "d’être dans le coup", d’aimer, pour être pris à cette béance, à ce discord.

Auteur: Lacan Jacques

Info: 30 novembre 1960

[ fantasme ] [ déséquilibre ] [ signifiant ]

 

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religion chrétienne

Jusqu’au quinzième siècle, les multiples hérésies qui se sont élevées au sein du christianisme ont été essentiellement d’ordre doctrinal. Comme nous l’avons dit, l’hérésie consiste à choisir, parmi les vérités dont l’ensemble constitue le corpus dogmatique, celles que l’on accepte et celles que l’on rejette, ou que l’on modifie. La notion d’un corpus dogmatique est ici essentielle. Si la raison première de la foi, c’est l’autorité de Dieu révélant ce que nous devons croire, et à quoi notre raison ne saurait parvenir par elle-même, l’un des effets de cette origine unique et divine est de constituer l’ensemble des vérités en un tout organiquement lié, un corpus unifié, où se vérifie constamment la cohérence intrinsèque du dogme. […] Plutôt que par la démonstration de la fausseté propre de telle thèse hérétique, l’Eglise a vaincu par la démonstration de son incompatibilité avec le reste de la doctrine. Le corpus dogmatique a résisté par la force de sa propre homogénéité.

Or, il est remarquable d’observer que, pour divergentes qu’elles soient, ces hérésies s’accordaient implicitement sur un point : la foi était spontanément envisagée comme adhésion de l’intelligence à des vérités dont le contenu seul importait. L’adhésion elle-même, la part subjective qui conduit l’être humain à donner son assentiment, était en quelque sorte absorbée par son contenu, l’objet auquel on adhérait. C’était de lui qu’on débattait, c’était lui qui constituait la foi, catholique ou non catholique. Une telle conception de la foi-vérité se situe d’emblée à un niveau intellectuel dont nos contemporains semblent ne plus être capables. […]

Ainsi l’hérésiologie du premier type nous révèle-t-elle une conception de la foi essentiellement objective dans laquelle c’est l’intelligence, faculté de l’objectivité par excellence, qui joue le rôle essentiel ; rôle d’autant moins visible que l’intelligence est transparence et capacité naturelle de recevoir en nous autre chose que nous-mêmes. […]

[…] le mouvement de la Réforme inauguré par Luther [nous conduit à la] substitution de la foi subjective à la foi objective, de la foi fiduciale (foi-confiance) à la foi doctrinale, de la foi-sentiment à la foi-connaissance. Substitution qui ne pouvait qu’entraîner une relativisation radicale du corpus dogmatique et de son pouvoir de cohérence interne.

Auteur: Borella Jean

Info: Le sens du surnaturel, L'Harmattan, 1997, pages 37-39

[ historique ] [ évolution ]

 

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catholicisme

Persuadée que la philosophie scolastique était l’expression de la raison naturelle, d’une raison indépendante de toute révélation et n’usant que de ses propres lois, elle [la théologie la plus officielle] a cru pouvoir continuer à en parler le langage à une société qui n’avait précisément à la bouche que les mots de naturel et de raison. D’accord avec la science européenne pour traiter selon la raison naturelle les choses rationnellement naturelles, elle espérait lui faire en outre admettre qu’il n’était pas déraisonnable d’envisager un "supplément d’âme" [Bergson] : la proposition d’un message révélé, surnaturel par essence, et qui, par conséquent, ne pouvait entrer en concurrence avec le domaine de la science. Illusion ! De part et d’autre, les concepts de nature et de raison n’avaient pas la même signification. Bientôt, les sciences humaines allaient montrer que la philosophie d’Aristote, loin d’être l’expression de raison à l’état de nature […] était un produit culturel parmi d’autres. Tous les modernismes sont sortis de là.

Auteur: Borella Jean

Info: Le sens du surnaturel, L'Harmattan, 1997, page 22

[ confusion catégorielle ] [ sécularisation ] [ modernité ]

 

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