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biopouvoir

On juge ainsi des progrès d’une civilisation à son seul respect de la vie comme valeur absolue. [...] On accuse la société, lorsqu’elle tue en pleine préméditation, de vengeance barbare, digne du Moyen Âge. C’est lui faire beaucoup d’honneur. Car la vengeance est encore une réciprocité mortelle. Elle n’est ni "primitive" ni "pur mouvement de nature", rien n’est plus faux. Elle est une forme très élaborée d’obligation et de réciprocité, une forme symbolique. Rien à voir avec notre mort abstraite, sous-produit d’une instance morale et bureaucratique à la fois (notre peine capitale, nos camps de concentration) – mort comptable, mort statistique, qui, elle, a tout à voir avec le système de l’économie politique. Elle en a la même abstraction, qui n’est jamais celle de la vengeance ou du meurtre, ou du spectacle sacrificiel. Judiciaire, concentrationnaire, ethnocidaire : telle est la mort que nous avons produite, celle que notre culture a mise au point. Aujourd’hui, tout a changé, et rien n’a changé : sous le signe des valeurs de vie et de tolérance, c’est le même système d’extermination, mais en douceur, qui régit la vie quotidienne – et celui-là n’a même plus besoin de la mort pour réaliser ses objectifs.

Car le même objectif qui s’inscrit dans le monopole de la violence institutionnelle et de la mort se réalise aussi bien dans la survie forcée, dans le forcing de la vie pour la vie (reins artificiels, réanimation intensive des enfants mal formés, agonies prolongées à tout prix, greffes d’organes, etc.). [...] Cette "thérapeutique héroïque" se caractérise par des coûts croissants et des "avantages décroissants" : on fabrique des survivants improductifs. Si la Sécurité sociale peut encore s’analyser comme "réparatrice de force de travail au profit du capital", cet argument est ici sans valeur. Si bien que le système se retrouve ici devant la même contradiction que pour la peine de mort : il surenchérit sur la préservation de la vie comme valeur parce que ce système de valeurs est essentiel à l’équilibre stratégique de l’ensemble – mais cette surenchère déséquilibre économiquement l’ensemble. Que faire ? Un choix économique s’impose, où on voit se profiler l’euthanasie comme doctrine et pratique semi-officielle. [...] L’euthanasie est déjà là partout, et l’ambiguïté d’en faire une revendication humaniste (même chose pour la "liberté" de l’avortement) est éclatante : elle s’inscrit dans la logique à moyen ou long terme du système. tout ceci va dans le sens d’un élargissement du contrôle social. Car, derrière toute les contradictions apparentes, l’objectif est sûr : assurer le contrôle sur toute l’étendue de la vie et de la mort. [...] et l’interdiction de mourir est la forme caricaturale, mais logique, du progrès de la tolérance – l’essentiel est que la décision leur échappe, et que jamais ils ne soient libres de leur vie et de leur mort, mais qu’ils meurent et vivent sous visa social. C’est même encore trop qu’ils restent livrés au hasard biologique de la mort, car c’est encore une espèce de liberté.

Auteur: Baudrillard Jean

Info: Dans "L'échange symbolique et la mort", éditions Gallimard, 1976, pages 283 à 285

[ gestion rationalisée ] [ humanisme prétexte ] [ santé ] [ acharnement thérapeutique ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

comparaison

Une photo, c'est un souvenir, un objet toujours disponible. Un film, c'est un présent dont on ne peut disposer qu'en le déroulant.

Auteur: Van der Keuken Johan

Info: "Cahiers du cinéma", n°418, avril 1989 - cité dans "Passage du cinéma", éd. Ansedonia, p.564

[ cinéma ] [ temporalité ]

 

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Ajouté à la BD par Benslama

journées songes

Tu n'es pas sorti de ton sommeil, mais d'un rêve antérieur, et ce rêve se trouve inclus dans un autre, et ainsi de suite, jusqu'à l'infini, qui est le nombre de grains de sable. Le chemin que tu dois parcourir est sans fin, et tu mourras avant de t'être réveillé vraiment.

Auteur: Borges Jorge Luis

Info:

[ matriochkas ]

 

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Ajouté à la BD par Le sous-projectionniste

individuation

Et donc chacun plante son propre jardin et décore son âme, plutôt qu'attendre qu'on lui apporte des fleurs.

Auteur: Borges Jorge Luis

Info:

[ indépendance ] [ grandir ]

 

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Ajouté à la BD par Le sous-projectionniste

existence

Un écrivain - et, je crois, généralement tout un chacun - doit appréhender tout ce qui lui arrive comme une ressource. Toutes les choses nous ont été données dans un but précis, et un artiste doit le ressentir plus intensément encore. Tout ce qui nous arrive, y compris nos humiliations, nos malheurs, nos embarras, tout nous est donné comme matière première, comme argile, pour que nous puissions façonner notre art.

Auteur: Borges Jorge Luis

Info: Entretiens avec Roberto Alifano 1981-1983. Vingt-quatre conversations avec B

[ transmutation ] [ interactive ]

 

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Ajouté à la BD par Le sous-projectionniste

facebook

Après tout, les profits de l'entreprise étaient subordonnés à l'ignorance du public. Comme le dit Shoshana Zuboff, professeur à la Harvard Business School, le succès de FB "repose sur des opérations miroir à sens unique conçues à notre insu et enveloppées d'un brouillard de fausses pistes, d'euphémismes et de mensonges."

Auteur: Frenkel Sheera

Info: An Ugly Truth : Inside Facebook's Battle for Domination

[ manipulation ] [ consumérisme ]

 
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Ajouté à la BD par miguel

monopole internet

Google est un métamorphe, mais chacune de ses formes a le même objectif : chasser et capturer la matière première. Chérie, ne veux-tu pas monter dans ma voiture ? Parler à mon téléphone ? Porter ma chemise ? Utiliser ma carte ? Dans tous ces cas, le torrent varié de formes créatives est le spectacle secondaire de l'événement principal : l'expansion continue de l'architecture d'extraction pour acquérir de la matière première à grande échelle afin d'alimenter un processus de production coûteux qui fabrique des produits prévus pour attirer et retenir plus de clients.

Auteur: Zuboff Shoshana

Info: The Age of Surveillance Capitalism: The Fight for a Human Future at the New Frontier of Power

[ création du besoin ] [ publicité ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

métadonnées

Le capitalisme industriel a transformé les matières premières de la nature en marchandises, et le capitalisme de surveillance tourne son regard vers une nouvelle marchandise, la nature et les pulsions humaines. Ces dernières sont aujourd'hui décapées, analysées et utilisées à des fins commerciales d'une autre époque. Il est indécent de faire croire que ce préjudice puisse être réduit au simple fait que les utilisateurs ne touchent aucune rémunération pour la matière première qu'ils fournissent. Ce point de vue n'est qu'un tour de passe-passe qui s'abrite derrière des mécanismes de tarification pour institutionnaliser et légitimer l'extraction des réactions humaines à des fins de fabrication et de vente. Il dissimule le fait que la nature même de cette exploitation consiste à transformer nos vies en données comportementales afin que d'autres puissent mieux nous contrôler. Le point essentiel concerne donc l'idée que nos vies sont transformées en données comportementales, que l'ignorance est une condition de cette transformation généralisée, que les pouvoir de décision disparaissent avant même que l'on sache qu'il y a une décision à prendre, que cette régression des droits a des conséquences que nous ne pouvons ni voir ni prévoir ; qu'il n'y a pas d'issue, pas de contre-pouvoir et aucune fiabilité, seulement de l'impuissance, de la résignation et de l'engourdissement psychique ; et que le cryptage est la seule action positive qui reste à discuter lorsque nous sommes assis autour de la table du dîner et que nous réfléchissons à la manière d'échapper à des forces qui nous sont cachées.

Auteur: Zuboff Shoshana

Info: The Age of Surveillance Capitalism: The Fight for a Human Future at the New Frontier of Power

[ pouvoir occulte ] [ monopole ] [ gafam ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

penseurs

Question : Gómez Dávila entretenait une méfiance vis-à-vis de la philosophie qu’il réduisait volontiers à une simple rhétorique. Pourquoi cette critique de la philosophie chez lui sachant que son œuvre n’est pas seulement un exercice littéraire mais bien la défense de vues proprement philosophiques ?

Réponse : En paphrasant Pascal, je dirai que se méfier de la philosophie, c’est vraiment philosopher. Cette méfiance, en dehors de son aspect proprement méthodologique, tient certainement à la fois à son scepticisme et à son fidéisme. Méfiant par tempérament des nouveautés philosophiques et des systèmes totalisants de la modernité ou post-modernité. Il s’agit là de la même défiance que l’on trouvait chez certains, dont il est l’héritier, à l’égard de ceux que l’on appelait les "Philosophes" au XVIIIe.

L’ "anti-philosophie", ou la critique des "philosophes" est une caractéristique des penseurs contre-révolutionnaires et réactionnaires – à commencer par Joseph de Maistre – mais aussi des penseurs non-systématiques, existentiaux pour ne pas dire "existentialistes" (Pascal encore une fois, Kierkegaard, Nietzsche, Wittgenstein, etc.). Sa méfiance dans les pouvoirs de la raison, ou du rationalisme, de parvenir, seuls, à une quelconque vérité également. Ici, c’est l’héritier du romantisme, allemand mais pas seulement si l’on se souvient des critiques de Rousseau contre le culte de la science et de la raison de ses contemporains, autre facette des anti-Lumières. À l’instar d’un Pascal et d’un Rousseau ou Novalis, Gómez Dávila place la foi d’une part, puis le sentiment, la sensibilité ou l’intuition d’autre part, au-dessus de la raison et surtout de la ratiocination. Mais par ailleurs et paradoxalement, c’est également un héritier des Lumières et surtout de Voltaire par la dimension critique et même sarcastique de son œuvre, la liberté de sa pensée et le "grand style" de son écriture.

Pour finir, justement à propos de style, ce n’est pas tant la rhétorique qu’il méprise chez certains philosophes que le "jargon" c’est-à-dire, "l’impureté", voire l’absence, de style propre à l’expression technique du spécialiste (je renvoie sur ce sujet au paragraphe 101 du Gai savoir de Nietzsche dédié à Voltaire). Or selon Gómez Dávila, ainsi qu’il l’exprime à plusieurs reprises, la philosophie a besoin, pour sortir de sa routine académique et se revivifier, d’amateurs, de non-spécialistes ou "aficionados" tels que Socrate, Descartes, Hume, Kierkegaard, Nietzsche, etc. Pour lui, ainsi que j’ai essayé de le démontrer dans l’ouvrage en suivant l’interprétation de Pierre Hadot, la philosophie est plus une manière de vivre qu’une profession ; ou, si elle était un métier, ce serait un "métier de vivre" pour reprendre la belle formule de Pavese. Il y a incontestablement une dimension existentielle de la philosophie qui échappe, par définition, aux universitaires.

Auteur: Rabier Michaël

Info: https://philitt.fr/2021/03/05/

[ historique ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

narration

Il racontait mal ce qu'il inventait, parce qu'il savait que le Temps polirait ses propos, s'ils en valaient la peine, comme il l'avait déjà fait pour L'Odyssée et Les Mille et Une Nuits. De même que la littérature à son origine, Nierenstein s'en tint au récit oral parce qu'il n'ignorait pas qu'au fil des ans tout finirait par s'écrire.

Auteur: Borges Jorge Luis

Info: Chroniques de Bustos Domecq. En quête de l'absolu

[ conservation ] [ inévitable ]

 

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Ajouté à la BD par gaille