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écrivain-sur-écrivaine

Flannery O’Connor. La voilà, regardons-la sur la photo où elle apparaît en pied dans la torpeur du Sud américain. Elle a l’air d’osciller sur le perron, appuyée à ses béquilles comme sur deux élytres fragiles retournées. Elle vit encore, pas pour longtemps, un peu en oblique sur l’image, dans la poussière étouffante du coton. Milledgeville, Géorgie. Glycines. Lianes emmêlées. Marais. Champs de maïs. La plaie encore ouverte de la guerre de Sécession. Les Noirs, la brousse sombres, les Blancs racistes… Approchons-nous des dernières marches. La bouche stylisée en cœur. Les yeux brillés sur l’objectif. C’est un coléoptère extraordinaire, avec ses cannes mandibules branchues. Un lucane qui vient de tomber dans la chaleur d’une nuit d’été. Tout au bord de sa propre mort, on dirait la Parque inflexible du Sud qu’un Goya aurait fait le voyage pour lui tirer le portrait.

Auteur: Muray Philippe

Info: Dans "Exorcismes spirituels, tome 2 : Mutins de Panurge", éd. Les Belles lettres, Paris, 1998, page 199

[ évocations ] [ ambiance ]

 
Commentaires: 7
Ajouté à la BD par Coli Masson

vacherie

Si ... on glisse vers France 2 et qu'on a le malheur de tomber, le même soir, et pratiquement sans transition, sur Marguerite Duras en train de gargouiller au "Cercle de minuit", on se rend compte tout de suite que le même combat se poursuit, la même dissuasion, la même entreprise de liquidation sanitaire et crépusculaire (...) N'ayant plus rien lu d'elle depuis mille ans, j'avais l'esprit frais pour écouter cette Bouche d'Ombre de l'Ecrit Primal, et entendre comme il le mérite son discours sans bords, ce cataclysme verbal de cyclope haché de silences brumeux comme des pubs entrecoupées de neige électronique, ces infra-phrases se multipliant par elles-mêmes dans la bouillie de leur cauchemardesque génération spontanée, ces confettis de rien perpétuellement imposés comme un mystère profond, ces vagues lourdes et noires d'inepties ("On vit dans un bruit d'automobiles, à Paris, est-ce que vous savez ça ?") ...

Auteur: Muray Philippe

Info: Exorcismes spirituels, tome II : Les Mutins de Panurge. Durassic flaque, p. 459

[ littérature ] [ écrivain-sur-écrivaine ]

 

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écrivain-sur-écrivaine

" Je pouvais voir des enfants, des hommes et des jardins dans mes mains. " L B

Traitez-moi d'impatient, de paresseux, mais j'en ai marre de lire des histoires élaborées. Je veux que simplicité et efficacité – si j'ose – fassent le travail narratif. L'info-dump est, je pense, le meilleur moyen de rendre une histoire froide, c'est pourquoi je me tourne si souvent vers des auteurs qui écrivent des nouvelles extra-courtes ; pas nécessairement de la fiction flash, mais du genre de cinq pages bien abouties qui crépitent de vie et se déroulent presque entièrement dans le réel. Pensez à Denis Johnson et son Jesus' Son. Pensez à Lucia B.

Dans son " Angel's Laundromat ", par exemple, la narratrice est assise sur une chaise en plastique alors que son linge tourne dans une machine à laver publique. Elle remarque dans le miroir un homme – également assis dans la laverie automatique – qui étudie ses mains à elle. Soudain, elle se voit elle-même à nouveau et nous fait part d'une double conscience qui frappe : " Je pouvais voir des enfants, des hommes et des jardins dans mes mains. " Cette auto-caractérisation sobre et détournée est l’élément vital de l’histoire. Sans se plonger dans des flashbacks ou des anecdotes superflues, Berlin fait remonter à la surface l'histoire personnelle de son personnage, et elle le fait d'une manière reconnaissable à la fois humaine et complexe. Non seulement nous apprenons que cette femme a des enfants, a eu de nombreux amants, a entretenu des fleurs toute sa vie, mais on commence également à comprendre quelque chose de son processus psychologique : nous avons là un personnage très attentif qui utilise de petits détails pour construire un plus grand sentiment. Mosaïque d'une  compréhension de soi. On pourrait même pressentir une pointe de névrose, une hypersensibilité à l’existence ordinaire. Les prétendues cicatrices, rides et imperfections de ses mains lui reviennent – ​​et nous arrivent – ​​chargées de sens. Elle disent quelque chose.

Bien sûr, cette phrase présente une énigme si l’on considère le mantra classique de l’écriture créative, ne le dis pas. Berlin montre-t-elle ou raconte-t-elle ? Dans un sens, elle ne fait que raconter. Sans vraiment contextualiser quoi que ce soit, elle livre au lecteur une petite fiche : on sait désormais quelques trucs sur la vie amoureuse et familiale de ce personnage, son statut de mère. Nous ne voyons pas un bébé qui fait ses dents se mordre la main. Nous ne la voyons pas se tordre les mains alors qu'elle veille tard en attendant un amant indiscipliné. On ne la voit pas travailler dans un jardin. Au lieu de cela, nous la voyons – sans plus – contempler ses mains et se plonger de manière plutôt abstraite dans un processus de métonymie existentielle.

Et pourtant, la phrase est suffisamment évocatrice pour montrer effectivement ces choses. Peut-être que nous ne voyons pas – ne regardons pas – la protagoniste de Berlin accroupie dans un jardin, mais nous ressentons certainement l'histoire cachée de l'action. Le pouvoir réside dans la syntaxe ; " Je pouvais voir des enfants, des hommes et des jardins entre mes mains. " Pouvait voir. Le choix des mots est à la fois lointain et proche, volontairement. Il y a cette notion d'aptitude, l'idée que la mémoire est là pour être lue si seulement le protagoniste veut s'y adonner. Son histoire est donc disponible pour inspection même si elle n’envahit pas nécessairement le moment présent sous la forme d’une scène secondaire. Et, si d'un autre côté la protagoniste déclarait qu'elle voyait ces choses entre ses mains, le choix de Berlin de ne pas se lancer dans un flash-back semblerait trompeur car nous, en tant que lecteurs, serions mis à l'écart. Ce serait révélateur d'une dissimulation, le personnage arpentant finalement un monde caché et inaccessible. Au lieu de cela, Berlin intègre cette histoire – toute cette vie mystérieuse – dans le tissu du présent. Elle est à la fois précise et approximative, et les détails de la vie du protagoniste reviennent au premier plan de l'action présente sans détours historiques.

Pourtant, pour certains, cela peut sembler une phrase superficielle et jetable. L’histoire, après tout, se concentre principalement sur l’homme qui regarde. Dès la première phrase, le lecteur est orienté de manière laconique et fragmentaire vers le sujet présumé de l'histoire : " Un grand et vieil Indien en Levi's décoloré avec une fine ceinture Zuni. " Nous voilà ainsi encouragés à nous concentrer sur lui. Mais c'est vraiment cette présence – celle du narrateur – qui conduit l'histoire, pour s'éloigner vers certaines périphéries jusqu'à ce que elle fasse disparaitre facilement cet homme en disant : " Je ne sais plus quand j'ai réalisé que je ne reverrais jamais ce vieil Indien". Le lecteur doit alors réaliser qu'il a traqué le mauvais personnage. Et la seule chose qui reste à faire est de revenir aux mains du conteur et reconnaître qu’elles détiennent la véritable histoire.

Auteur: Lannamann Taylor

Info: https://tinhouse.com/ 11 janvier 2017, sur Lucia Berlin

 

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Ajouté à la BD par Le sous-projectionniste