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vieillir

Ce matin, Jorge se réveilla vieux. Après avoir cru si longtemps être un homme vivant, il découvre à présent qu'il n'est qu'un homme mortel. Jorge supporte aujourd'hui toutes les années qu'il a accumulées sur les épaules, un poids qui le pousse vers le bas, dans une lutte qui oppose les jambes et le temps. Jorge aimerait se souvenir du sentiment de rage pour la ressentir, sinon la rage au moins la révolte, ou la peur ou l'effroi. Il devra se contenter d'une légère mélancolie, un vague mal être comme le froid dans les os et le souvenir d'avoir été meilleur.

Il y a des hommes tristes et des hommes joyeux et il y a aussi de vieux hommes. L'âge est une soupe froide d'émotions anciennes, des saveurs et des arômes qui surgissent au hasard dans la mémoire des vieux. Le temps use tout ce qu'il effleure, pierres et corps, il arrondit les angles de toute chose comme s'il en combattait les formes. Le temps nous mâche doucement pour que la mort nous trouve tendre et docile. La mort aussi est une vieille dame aux dents fragiles d'avoir tant rongé.

Auteur: Camarneiro Nuno

Info: Les hommes n'appartiennent pas au ciel

[ résignation ]

 

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portrait

Le responsable kolkhozien chargé du ramassage et du stockage des baies était un homme que l'on eût dit fait d'éléments rapportés : une tête minuscule avec de petits yeux onctueux, mais conscients de leur propre dignité, sous un bonnet carré à l'ouzbèke, en tissu brodé noir argenté, le tout émergeant d'un long cou maigre surmontant, par ce qui ne pouvait être qu'une erreur de la nature, un corps massif ondulant comme de la pâte à tarte qu'il avait fait entrer avec les pires difficultés dans un veston de toile roussie, plein de taches, aux poches gonflées de factures. Sous la bedaine venaient des pattes étonnamment courtes, mais solidement accrochées et enfermées dans un pantalon bouffant de milicien. Par contre celui-ci ne s'insérait pas, comme aurait pu s'y attendre, dans des bottes d'allure martiale et les cordonnets qui auraient dû tirer le pantalon vers le bas se balançaient d'un air gaillard à la limite du cou-de-pied et des sandalettes beiges que son gros corps martyrisait. Tout cela réuni composait la personne de Tikhon Tikhonovitch Touguigkh, le responsable pour les baies de la coopérative kolkhozienne de l'arrondissement de Zima, la Station Hiver.

Auteur: Evtouchenko Evgueni Aleksandrovitch

Info: Les baies sauvages de Sibérie

[ vêtements ] [ composite ]

 

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Ajouté à la BD par Le sous-projectionniste

décor

Quand un voyageur dans le centre nord du Massachusetts prend la mauvaise direction au carrefour du péage d'Aylesbury juste après Dean's Corner, il découvre une campagne étrange et désolée. Le terrain s'élève peu à peu, les murs de pierre bordés de broussailles se pressent de plus en plus vers les ornières de la route sinueuse couverte de poussière. Les arbres des nombreuses zones forestières semblent trop grands, et les herbes sauvages, ronces et graminées manifestent une luxuriance qu'on leur voit rarement dans les régions défrichées. En même temps, les champs cultivés sont singulièrement rares et improductifs ; tandis que les maisons très dispersées présentent un aspect étonnamment uniforme de vieillesse, de misère et de délabrement. Sans savoir pourquoi, on hésite à demander son chemin aux silhouettes noueuses et solitaires aperçues de temps à autre sur un seuil croulant ou dans les prairies en pente semées de rochers. Elles sont tellement silencieuses et furtives qu'on se sent comme en face de choses défendues dont il vaut mieux ne pas se mêler. Quand une côte sur la route révèle les collines au-dessus des bois profonds, le sentiment de vague malaise grandit. Les sommets trop arrondis, trop symétriques pour évoquer un naturel rassurant, et parfois le ciel fait ressortir avec une particulière netteté les cercles bizarres de grandes colonnes de pierre dont la plupart sont couronnés.

Auteur: Lovecraft Howard Phillips

Info: Oeuvres de H.P. Lovecraft, tome 1, L'abomination de Dunwich

[ étrange ] [ inquiétant ] [ unheimlich ]

 
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Gaule

... Le Conseil de Paris a repoussé la proposition faite par des élus de gauche de la capitale de donner le nom d'une rue à Robespierre. Pour une fois, des élus socialistes, dont M. Delanoë, et des élus UMP ont trouvé l'énergie et le courage de se réconcilier dans ce grand dessein consistant à couper le kiki une seconde fois à l'un des plus grands acteurs de la Révolution française, lequel avait, il est vrai, la guillotine un peu facile pour les contre-révolutionnaires plus ou moins avérés, mais qui ne s'est pas fait prier quand il s'est agi de se faire raccourcir à son tour. Mon cher Stéphane, ayez l'amabilité de rappeler de ma part à votre ami Bertrand qu'un certain Jean Jaurès a existé, il y a longtemps, et qu'il écrivit ceci dans son histoire socialiste : "Devant le tribunal de l'histoire, je suis avec Robespierre et je vais m'assoir avec les jacobins !" Faites-lui savoir, dans la foulée qu'un grand historien du nom de Jules Michelet a également existé et que lui estimait que la Révolution française était un bloc. Bref, Paris n'aura toujours pas de rue Robespierre, alors que le massacreur des communards, Adolphe Thiers, dispose de la sienne dans le 16è arrondissement, comme il se doit. De toute façon, on s'en fout : l'essentiel, c'est que Dalida ait sa statue !

Auteur: Porte Didier

Info: Incorrigible

[ rue ] [ postérité ] [ ironie ]

 

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homme-animal

L’oiseau saute de la poitrine de Heathcote pour aller fureter dans ses draps, qui ont pris la teinte jaunâtre d’une carte au trésor à force de sueur séchée et de thé renversé. Heathcote observe, fasciné malgré l’heure indécente, cet oiseau affairé qui retourne les plis, creuse des sillons, enfonce son bec dans des crevasses. Qui agite la tête de haut en bas comme s’il psalmodiait une prière frénétique. Le choucas s’interrompt. Il a trouvé quelque chose de doux, rose et poilu. Il le pince violemment et Heathcote hurle. Ce n’est manifestement pas ce que cherchait l’oiseau, qui se dirige d’un pas déterminé vers la tête de Heathcote et hurle à son tour.

Heathcote marmonne et, telle une marionnette animée de vie, il rassemble ses jambes filiformes pour se lever. Il est nu – enfin, si l’on excepte le choucas perché sur son épaule. Quand il aperçoit son reflet dans la grande fenêtre incurvée dans le mur de sa chambre arrondie, il sourit. La vie ne s’est pas déroulée exactement comme dans ses rêves d’il y a une quarantaine d’années, mais elle s’en rapproche pas mal. Sans baisser les yeux, il ouvre sa vessie et expédie un jet de pisse dorée dans l’ouverture d’un grand vase. Le récipient est déjà plein aux trois quarts et cette nouvelle contribution fait monter son contenu repoussant jusqu’à ras bord.

Auteur: Gilmour Charlie

Info: Premières plumes

[ cohabitation ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

rendement financier

L'argent travaille lui aussi, comme tout le monde. Et quand il ne travaille plus, converti en biens immobiliers et revenus locatifs, il garantit l'avenir, sans quoi on nage dans l'incertitude comme les parents de Pierre. Et comme eux on sera réduit à la conjurer dans la bouffe, l'alcool, le Xanax et les crédits revolving, merci bien. On parle de Pierre comme s'il était là, c'est parfaitement désobligeant, oui. L'équilibre de Pierre, pour ne pas dire sa félicité, repose sur la prévision. Entre autres petits placements sans risque dans de jeunes entreprises du big data, ils disposent avec Reine de deux studettes dans le arrondissement louées sans risque à des locataires eux-mêmes entretenus par leurs propriétaires de parents. Ajoutés à cela, deux appartements à Saint-Jean-CapFerrat, loi Pinel, assureront des revenus locatifs en cas non pas de licenciement mais de réflexion, envie de liberté, nécessité d'émigration. La France pourrait devenir insupportable, décevante au moins, l'histoire l'a montré. Enfin, un compte est approvisionné dans le cas plus que probable où la mère de Pierre, fantasque retraitée de l'enseignement primaire, témoignerait d'une soudaine perte d'autonomie et voudrait vivre chez son fils. Pierre a évalué le coût de six ans de pension complète en maison de repos. Il a placé le total à taux fixe et depuis il respire. Ils ne partent pas en vacances tous les quatre matins, inutile. Pierre est suffisamment détendu à l'idée que sa mère ne viendra pas tacher le chesterfield.

Auteur: Pourchet Maria

Info: Les impatients, Page 50, Gallimard, 2019

[ obsession ] [ fric ] [ calcul ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

incarnations

Où qu’elle jette le regard dans la gigantesque fabrique il y avait un spécimen particulier d’être vivant, immobile dans un espace à sa taille en train d’être traité. A y regarder avec attention, il y avait certaines espèces qu’elle ne reconnaissait pas. Des êtres pas morts mais figés. Avec une intense activité autour. Des robots insectoïdes tout ronds, suintant une musique moirée qui passait du vert au violet sans qu'on comprenne comment, s'occupaient de chaque corps. Elle comprit que les être bizarres procédaient au "réglage" de ce qui était pour eux des machines organiques vivantes. Les insectes arrondis aux reflets changeants introduisaient dans chaque modèle la quantité de stress-énergie correspondant à ses paramètres de vie : taille, type d'environnement, nombre de membres, etc... Avant de procéder à d'infinis réglages de manière à ce que le "prototype" soit adapté à son biotope. Elle comprenait très bien que chacun était vérifié et adapté un grand nombre de fois durant son existence. Alors elle réalisa qu’une voix lui expliquait tout. Non pas sa propre intelligence mais une parole, ou un son, elle ne savait… qui commentait les scènes comme dans un documentaire télé multidimensionnel. La voix expliquait que les êtres traités n’étaient que des "conditionnements momentanés", bouts d’âme convertis en matière avec autonomie afin de créer le réel dans lequel elle vivait. La voix expliqua aussi qu'Eva avait dû quitter le stade émotionnel parce qu'il le fallait pour pouvoir atteindre ce niveau de compréhension. Puis elle se vit elle-même, allongée dans la capsule jaune clair du MP qui l'avait tant de fois transportée d'un bout à l'autre de la planète. Sauf qu’elle était morte, comme placée dans un cercueil.

Auteur: Mg

Info: Trio B, tome 3 - août 2013

[ science-fiction ] [ niveau de réalité différent ] [ synesthésie ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

dernières paroles

Longue et brune, la taille bien prise dans un tailleur noir de bonne coupe : Madame Pichon, à soixante-quatre ans, avait de l'allure et du charme. Il y a quelques mois, elle avait acheté un minuscule logement dans une cité du dix-huitième arrondissement de Paris. Elle y vivait seule. Deux fois divorcée, elle ne recevait pas de visite et ses deux enfants l'avaient semble-t-il oubliée. Ses voisins la connaissaient peu. Au début, on la voyait parfois faire ses courses. Puis plus rien. Elle était partie, peut-être. Personne ne s'est ému lorsque, répondant à une petite annonce, elle avait participé à une émission d'Anne Gaillard consacrée à la solitude et diffusée le 27 septembre 1984. 

Ancien mannequin du couturier Jacques Fath, Marcelle Pichon avait été heureuse sans doute, il y bien longtemps. Mais elle crevait de solitude. Avec pudeur, elle l'avait dit devant les caméras de FR 3 : Le pire c'est de devoir rentrer chez moi et de ne pas m’entendre "Bonsoir chérie."

Personne ne dira plus jamais bonsoir a Marcelle Pichon. En septembre 1984, l'électricité de son studio est coupée. Les factures s’accumulent. Dans un cahier d'écolière, elle note : "J’ai de graves difficultés financières. Je suis lasse de la vie."  Elle ne s'alimente plus. Et du 23 septembre au 6 novembre, elle note les phases de son agonie : "Le jeûne, c’est la mort la plus horrible qui soit (...) Pour un bol de bouillon, une tranche de melon, une orange, on vendrait son âme. Une voisine, une fois, sonne à sa porte. Elle répond : "Fichez-moi la paix." Le mardi 6 novembre, une dernière annotation :

"Je ne peux plus me lever. Mes urines sont rouge sang. J’ai très mai aux reins." 

Auteur: Pichon Marcelle

Info: In Le Monde 27 août 1985. 10 mois plus tard on trouvera son corps momifié

[ suicide par inanition ] [ mourir de faim ] [ famine ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

parabole

Sous un grand ciel gris, dans une grande plaine poudreuse, sans chemins, sans gazon, sans un chardon, sans une ortie, je rencontrai plusieurs hommes qui marchaient courbés.

Chacun d'eux portait sur son dos une énorme Chimère, aussi lourde qu'un sac de farine ou de charbon, ou le fourniment d'un fantassin romain.

Mais la monstrueuse bête n'était pas un poids inerte; au contraire, elle enveloppait et opprimait l'homme de ses muscles élastiques et puissants; elle s'agrafait avec ses deux vastes griffes à la poitrine de sa monture et sa tête fabuleuse surmontait le front de l'homme, comme un de ces casques horribles par lesquels les anciens guerriers espéraient ajouter à la terreur de l'ennemi.

Je questionnai l'un de ces hommes, et je lui demandai où ils allaient ainsi. Il me répondit qu'il n'en savait rien, ni lui, ni les autres; mais qu'évidemment ils allaient quelque part, puisqu'ils étaient poussés par un invincible besoin de marcher.

Chose curieuse à noter : aucun de ces voyageurs n'avait l'air irrité contre la bête féroce suspendue à son cou et collée à son dos; on eût dit qu'il la considérait comme faisant partie de lui-même. Tous ces visages fatigués et sérieux ne témoignaient d'aucun désespoir; sous la coupole spleenétique du ciel, les pieds plongés dans la poussière d'un sol aussi désolé que ce ciel, ils cheminaient avec la physionomie résignée de ceux qui sont condamnés à espérer toujours.

Et le cortège passa à côté de moi et s'enfonça dans l'atmosphère de l'horizon, à l'endroit où la surface arrondie de la planète se dérobe à la curiosité du regard humain.

Et pendant quelques instants je m'obstinai à vouloir comprendre ce mystère; mais bientôt l'irrésistible Indifférence s'abattit sur moi, et j'en fus plus lourdement accablé qu'ils ne l'étaient eux-mêmes par leurs écrasantes Chimères.

Auteur: Baudelaire Charles

Info: "Chacun sa chimère" du recueil Petits poëmes en prose

[ inconscient ] [ servitude ] [ fatalité ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

interactions

A Chloé, grande ville, les gens qui circulent dans les rues sont tous des inconnus. À chaque rencontre, ils imaginent mille choses les uns sur les autres ; des rencontres qui pourraient avoir lieu entre eux, des conversations, des surprises, des caresses, des morsures. Mais personne ne salue personne ; les yeux se bloquent une seconde, puis s'éloignent, cherchent d'autres yeux, ne s'arrêtent jamais. Une jeune fille s'avance, qui fait tournoyer une ombrelle sur son épaule, faisant aussi légèrement tournoyer ses hanches arrondies. Une femme en noir déboule, affichant son âge, yeux agités sous son voile, lèvres tremblantes. Un géant tatoué arrive ; un jeune homme aux cheveux blancs ; une femme naine ; deux filles, des jumelles, habillées de corail. Quelque chose court entre eux, échanges de regards comme des lignes qui relient une figure à une autre et dessinent des flèches, des étoiles, des triangles, jusqu'à ce que toutes les combinaisons soient épuisées en un instant, alors que d'autres personnages entrent en scène : un aveugle avec un guépard en laisse, une courtisane avec un éventail à plumes d'autruche, un éphèbe, une grosse femme. Et ainsi, lorsque quelques personnes se trouvent par hasard réunies, s'abritant de la pluie sous une arcade, ou se pressent sous un auvent de bazar, ou arrêtées pour écouter des musiciens, des rencontres, séductions, copulations, des orgies se consomment entre elles sans qu'un mot soit échangé, sans qu'un doigt ne touche quoi que ce soit, presque sans qu'un œil soit levé.

Une vibration voluptueuse agite constamment Chloé, la plus chaste des villes. Si les hommes et les femmes commençaient à vivre leurs rêves éphémères, chaque fantôme deviendrait une personne avec laquelle débuter une histoire de poursuites, de faux-semblants, de malentendus, de heurts, d'oppressions, et le carrousel des fantasmes s'arrêterait.

Auteur: Calvino Italo

Info: Villes invisibles

[ foule ] [ mégapole ] [ rapports humains ] [ fugacité ] [ potentialités ] [ anonymat ] [ cité imaginaire ]

 

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Ajouté à la BD par miguel