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vieillesse

Clotilde a aujourd’hui quarante-huit ans, et ne paraît pas avoir moins d’un siècle. Mais elle est plus belle qu’autrefois, et ressemble à une colonne de prières, la dernière colonne d’un temple ruiné par les cataclysmes.

Ses cheveux sont devenus entièrement blancs. Ses yeux, brûlés par les larmes qui ont raviné son visage, sont presque éteints. Cependant elle n’a rien perdu de sa force.

On ne la voit presque jamais assise. Toujours en chemin d’une église à l’autre, ou d’un cimetière à un cimetière, elle ne s’arrête que pour se mettre à genoux et on dirait qu’elle ne connaît pas d’autre posture.

Coiffée seulement de la capuce d’un grand manteau noir qui va jusqu’à terre, et ses invisibles pieds nus dans des sandales, soutenue depuis dix ans par une énergie beaucoup plus qu’humaine, il n’y a ni froid ni tempête qui soit capable de lui faire peur. Son domicile est celui de la pluie qui tombe.

Elle ne demande pas l’aumône. Elle se borne à prendre avec un sourire très doux ce qu’on lui offre et le donne en secret à des malheureux.

Quand elle rencontre un enfant, elle s’agenouille devant lui, comme faisait le grand Cardinal de Bérulle, et trace avec la petite main pure un signe de croix sur son front.

Les chrétiens confortables et bien vêtus qu’incommode le Surnaturel et qui ont dit à la Sagesse : "Tu es ma sœur", la jugent dérangée d’esprit, mais on est respectueux pour elle dans le menu peuple et quelques pauvresses d’église la croient une sainte.

Silencieuse comme les espaces du ciel, elle a l’air, quand elle parle, de revenir d’un monde bienheureux situé dans un univers inconnu. Cela se sent à sa voix lointaine que l’âge a rendue plus grave sans en altérer la suavité, et cela se sent mieux encore à ses paroles mêmes.

— Tout ce qui arrive est adorable, dit-elle ordinairement, de l’air extatique d’une créature mille fois comblée qui ne trouverait que cette formule pour tous les mouvements de son cœur ou de sa pensée, fût-ce à l’occasion d’une peste universelle, fût-ce au moment d’être dévorée par des animaux féroces.

Auteur: Bloy Léon

Info: Dans "La femme Pauvre", Mercure de France, 1972, pages 390-391

[ dignité ] [ quintessence de l'âme ] [ personnage ]

 
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fanatisme

USA: WASHINGTON - Les agnostiques et les athées aux Etats-Unis sont plus au fait des doctrines religieuses que les fidèles de toute autre religion, protestants et catholiques compris, selon une étude de l'institut de recherche Pew Forum publiée mardi.
En moyenne, les Américains répondent correctement à 16 des 32 questions posées dans cette enquête réalisée au printemps auprès de 3.412 adultes. Les plus instruits sur le sujet sont en fait ceux qui n'y croient pas: agnostiques et athées ayant une moyenne de 20,9 réponses correctes.
Ils sont suivis par les juifs et les mormons, qui respectivement obtiennent des scores de 20,5 et 20,3. Les connaissances des protestants parviennent juste à la moyenne avec 16 bonnes réponses tandis que les catholiques sont à la traîne avec 14,7 bonnes réponses.
Ainsi, plus de la moitié des protestants (53%) ne savent pas reconnaître le père du protestantisme dans le nom de Martin Luther.
Plus de quatre catholiques sur 10 (45%) ne savent pas que le pain et le vin représentent le corps et le sang du Christ lors de l'Eucharistie.
Moins d'un Américain sur deux (47%) sait que le Dalaï Lama est bouddhiste et moins de quatre sur dix (38%) associent Vishnu et Shiva au panthéon hindou. Seulement un quart des Américains (27%) savent que la majorité des habitants d'Indonésie sont musulmans.
Globalement, sur les questions liées à la chrétienté, notamment celles portant sur la Bible, ce sont les mormons et les protestants évangéliques blancs qui montrent le plus grand savoir.
Mais les juifs, les athées et les agnostiques sont ceux qui ont la culture religieuse la plus diversifiée, ayant connaissance des religions du monde, notamment du bouddhisme, de l'hindouisme et du judaïsme. Ils sont également plus au fait des questions mêlant religion et laïcité ainsi que ce qu'en dit la Constitution américaine.
Les connaissances bibliques restent toutefois l'apanage de la majorité d'Américains dans ce pays connu pour être le plus religieux du monde parmi les nations industrialisées.
Une majorité d'Américains sont capables de répondre correctement à la moitié des questions de connaissance de la Bible, posées dans l'enquête: 71% savent que Jésus est né à Bethléem et 63% citent La Genèse comme étant le premier livre de la Bible.

Auteur: Internet

Info: AFP, 28 septembre 2010

[ éducation ] [ culture ]

 

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paysage

Maintenant c'est le jour à la campagne. Le tennis semble avoir été taillé dans le sommet tronqué de cette colline d'où le comté comme un parc inutile et fastueux, descend jusqu'à la mer en molles ondulations. Un jeune homme vêtu de toile blanche accompagné d'un geste allongé, la balle qu'il lance et qu'attend son adversaire, ramassant autour de soi ses gestes et son ombre. Sur un tertre de gazon bleu des jeunes femmes à chandails cerise, jaune, vert, cerise s'assemblent autour du thé, servi sur une table en rotin. Et le centre de toute clarté, de cette joie lustrée, l'essieu lumineux du cercle des femmes, qu'encadre celui, plus vaste, de la campagne et du ciel, c'est la théière d'argent qui chante comme les guêpes sur la tarte : les reflets de son couvercle renvoient l'image convexe du ciel, l'ombre des arbres ; son corps côtelé, les lignes amenuisées des figures et, en stries étroites, les chandails, cerise, jaune, vert, cerise.

Voici une lande de boue où l'herbe rare jute comme une éponge, sur laquelle tombe le crépuscule d'un vert pourri ; rien ne la limite que le ciel et, sur la gauche, les baraquements de bois blancs dont l'odeur de beurre fort vient jusqu'à moi. Des flaques d'eau renvoient au ciel lavé, vidé de sa pluie, l'image d'une lune d'aluminium. Sur les chemins défoncés, les roues à facettes de l'artillerie lourde font des ornières de vertébrées remplies d'une eau mauve.

Ou encore sur la route encaissée qui relie l'arsenal à la caserne, montent sous l'averse des fantassins en veston. Dans la boue, sous le ciel bas, des caissons se guindent tirés par des chevaux de brasseur, conduit par des soldats aux figures douces et fermées. Derrière eux descend vers le fleuve plombé, la plaine couverte à l'infini de tentes, de charrois, de pièces de marine sans affûts, régulières comme ouvrage de taupes, les tranchées de la nouvelle armée.

Sur le ciel enfin c'est la ville avec ses cheminées dressées, ses gazomètres trapus, ses ponts de fer ajourés, les rails clairs, les signaux, les disques, les mâtes des voiliers, les fumées lourdes des vapeurs sous pression et l'arsenal mouillant ses marches roses dans le fleuve que remonte la marée.

Auteur: Morand Paul

Info: Tendres stocks (1921, 146 p., le livre de poche, p.36, 37)

[ beauté ] [ poésie naturelle ]

 
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ode urbaine

Comme je recherchais du précis du parfait pour ma cité

Tout à coup surgit comment mais bien sûr ! son nom d’origine !

 

Ah ! vraiment j’ai compris aujourd’hui tout ce qu’il pouvait y avoir dans un nom comme plénitude liquide débridée comme musicalité autonome,

J’ai compris que c’était ce mot ancien qui convenait à ma cité

Parce que c’est un mot nidifiant dans son nid de superbes baies marines,

Qu’il est riche qu’il est tout entouré d’une doublure de voiles de voiliers de vapeurs que c’est une île de seize milles en longueur à socle compact,

Qu’elle a des rues innombrables pleines de monde de hautes structures de fer poutrelles graciles et solides qui montent en légèreté dans les hauteurs claires du ciel,

Que les marées y sont amples vives ah ! comme je les aime au coucher du soleil,

Que les courants marins coulent en tous sens qu’il y a des îlots flanqués de plus grandes îles des hauteurs des villas,

Des mâts à n’en plus finir des vapeurs côtiers tout blancs des barges des ferries des vapeurs tout noirs aux formes agréables,

Et les rues du centre-ville les maisons des affréteurs les maisons de commerce des armateurs des coutiers les rues autour du fleuve,

Ls immigrants qui n’arrêtent pas de débarquer quinze à vingt mille la semaine,

Les chariots de marchandises la masculinité de la race des conducteurs les marines visages hâlés,

Le ciel estival avec le soleil brillant au milieu et les nuages qui passent très haut,

Les neiges hivernales les clochettes des traîneaux la glace qu’on brise dans le fleuve et dont les blocs suivent dans les deux sens le courant de la marée,

Les ouvriers de la cité les maîtres bien bâtis visage ouvert qui vous regardent droit dans les yeux,

La cohue sur les trottoirs, les véhicules dans Broadway, les femmes, les boutiques, les spectacles,

Un million de personnes – quelle liberté magnifique dans les manières – quelles voix dégagées – quelle hospitalité – ce sont les jeunes gens les plus courageux les plus amicaux que je connaisse,

Ah ! cité où l’eau partout étincelle dans l’échange la hâte, cité aux clochers et aux mâts,

Cité douillettement au creux de ses baies ma cité !

Auteur: Whitman Walt

Info: Dans "Feuilles d'herbe", Mannahatta, traduction Jacques Darras, éditions Gallimard, 2002, page 623

[ poème ] [ activité trépidante ] [ diversité ] [ Manhattan ] [ enthousiasme ]

 
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portrait

Imaginez la scène: un plateau TV, des gants de boxe posés devant la caméra, et un duel cathodique à audience maximale: Bernard Tapie, version 1989, contre Eric Zemmour, version 2021. Nul doute que l’homme d’affaires français, décédé dimanche à 78 ans, aurait savouré, si l’occasion s’était présentée, ce énième moment de gloire médiatique, lui qui parvint à s’imposer il y a trente ans face à Jean-Marie Le Pen dans un moment de télévision resté très controversé. Leur affrontement, genre pugilat, fit alors couler beaucoup d’encre à une époque où le "clash" n’était pas encore la règle. Mais il reste dans les mémoires car aucune autre personnalité, de droite comme de gauche, n’était parvenue avant lui à dompter en direct le fondateur du Front national.

Bernard Tapie était un populiste-né au sens où son instinct animal du public et des formules qui font mouche – assorties d’un bon lot de vérités arrangées (les fake news d’aujourd’hui) – constituait son tremplin électoral. Tapie le politicien, entré au culot dans l’arène du pouvoir républicain par l’éloge médiatique du capitalisme, répugnait à l’exactitude des chiffres et aux démonstrations rigoureuses. Il feignait aussi d’ignorer, lui l’homme d’affaires franco-français, les contraintes de la mondialisation. Son registre était, comme d’autres populistes, celui de l’incantation nationale. Mais à la différence d’un Jean-Marie Le Pen et d’un Eric Zemmour, Tapie regardait dans les yeux la France telle qu’elle est, sans faire de différence entre les Blancs, les chrétiens et les autres. Marseille, cette ville qui n’était pas la sienne où il sera inhumé, l’avait convaincu que le métissage et la multiculturalité peuvent être des atouts s’ils riment avec fierté. Cela n’enlève rien aux mensonges qu’il proféra souvent, aux combines qu’il affectionnait et aux dégâts sociaux engendrés par ses rachats d’entreprises revendues ensuite à la découpe. Mais cela explique sans doute les raisons de l’affection populaire qui, jamais – y compris en prison – ne l’abandonna.

Bernard Tapie laisse derrière lui, vu de l’étranger, l’image d’un bateleur franchouillard, cascadeur chanceux des affaires et des stades plutôt que bâtisseur de légende. Il fut aussi, dans l’histoire récente de la République, l’instrument des règlements de compte d’un François Mitterrand éberlué par son talent et maître cynique dans l’art d’exploiter sa naïveté mâtinée de cupidité. Mais l’une des marques de ce populiste, franc-tireur hors "système" et pourfendeur des blocages de la haute administration, est qu’il aimait les Français dans ce qu’ils ont de plus compliqué à gérer: leur diversité.

Auteur: Werly Richard

Info: Le Temps, 4 octobre 2021

[ aventurier ] [ combattant ] [ panache ]

 
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deuil

Une beauté brune dans une petite ville, un passé inavouable, une réputation ruinée, un amour perdu, sacrifié, protégé par l'oubli, le silence, donc éternel. J'envie presque ma mère, parfois, la fidélité, la tendresse avec laquelle elle préservait son amour de jeunesse, sa passion interdite, le père de son enfant illégitime. Au cours de ses dernières semaines encore, dans le service de long séjour, ma mère nous étonne, moi sa fille, et Dieu sait combien d'autres personnes, durant ses nuits effilochées rallongées par la douleur, en appelant un jeune homme, en répétant encore et encore, comme un refrain, dans son sommeil, dans son délire, dans sa souffrance : j'ai eu un jour un tendre amant, un très tendre amant, laissez donc la fenêtre entrouverte, j'aime tant regarder ces lilas blancs, avec la mer derrière, si tu le croises, dis-lui bonjour pour moi, dis bonjour de ma part à mon amour, dis-lui que je l'attends, dis-lui que tout va bien, que nous sommes toutes les deux en bonne santé, dis-lui que la petite à de beaux yeux, des yeux de violette, bleus comme la mer, exactement comme son père. En toute innocence, je couvre de ces fleurs interdites les tables de chevet de ma mère endormie du lourd sommeil du début de la fin, elle ne crie plus, ne proteste plus, entrouvre juste les paupières pour laisser filtrer entre ses longs cils gris un éclat noisette de plus en plus rare, et je continue de lui apporter des fleurs, à pleines brassées, pour une fois, pour trois ans, pour trente ans, jusqu'à la fin. J'en prends soin comme de bouquets de mariée, je les porte avec précaution, je les soigne, je change l'eau des vases. Je deviens la vestale du Grand Amour de ma mère. La servante de son amant inconnu, de ma soeur ignorée. L'accompagnante des accompagnantes. Dans son cercueil encore, je dispose autour du visage de ma mère et sur sa poitrine des violettes bleu nuit et du lilas blanc, trouvés à grand peine en ce mois de janvier. Je fais de sa bière en bouleau doublée de soie son dernier lit d'amour, l'odeur est enivrante, la petite chapelle s'emplit d'effluves presque indécents, du parfum humide et crémeux, trop vite fané, des amours d'été. Assise dans la pâle lumière bleue des bougies de la chapelle, j'ignore combien d'êtres je pleure en réalité, qui sont tous ceux que je perds en même temps que ma mère ensevelie sous les violettes et le lilas.

Auteur: Snellman Anja Kauranen

Info: Le temps de la peau, traduit du finnois par Anne Colin du Terrail, Presses Universitaires de Caen

[ émotion ] [ maman ]

 

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perception visuelle

J'ai mis au jour les illusions d'optique qui créent l'impression d'une forme géométrique inexistante à partir d'éléments simples. L'une des figures les plus connues qui porte mon nom est celle du triangle de Kanizsa, qui est formé par trois triangles blancs disposés en triangle, avec un cercle noir au centre de chaque triangle. L'illusion créée est celle d'un triangle blanc plus grand dont les côtés sont formés par les bords des triangles blancs et les bords des cercles noirs. 

Mes travaux ont eu une influence importante sur la compréhension de la perception visuelle et ont contribué au développement de la psychologie cognitive.

Ce fameux triangle imaginé est un exemple de contour subjectif. Un contour subjectif est un contour perçu qui n'est pas réellement présent dans l'image puisque'il montre bien la façon dont notre cerveau peut compléter des informations manquantes en utilisant les informations disponibles dans l'image pour créer une image complète et cohérente.

Ce qui nous aide à comprendre comment notre cerveau construit une image du monde qui nous entoure et nous apprend plusieurs choses importantes sur la façon dont nous percevons le monde : 

1. Notre perception est active et constructive. Elle  construit une image du monde en complétant les informations manquantes. Dans ce cas, notre cerveau complète l'image en créant un triangle blanc qui n'est pas réellement présent. 

2. Notre perception est influencée par nos attentes, qui influencent la façon dont nous interprétons l'image. C'est pourquoi nous percevons un triangle blanc, même si celui-ci n'est pas réellement présent.

3. Notre perception est subjective puisque ce que nous  percevons dépend de notre propre expérience et de nos propres interprétations. Il est possible que deux personnes regardant la même image ne perçoivent pas la même chose.

4. Notre perception est influencée par le contexte. Si nous sommes entourés d'autres images de triangles blancs, nous sommes plus susceptibles de percevoir un triangle blanc dans l'image du triangle de K. 

En résumé notre cerveau est actif et il construit une image du monde en complétant les informations manquantes, en tenant compte de nos attentes, de nos expériences et du contexte dans lequel nous nous trouvons.

Cet effet est utilisé par les illusionnistes. Par exemple, on place un objet sur une table, puis on le recouvre d'une feuille de papier. On peut peut ensuite dessiner les contours d'un triangle sur la feuille, de sorte qu'un objet semble à l'intérieur du triangle. 

Les artistes peuvent aussi utiliser l'illusion du triangle de Kanizsa pour créer des œuvres qui sont à la fois belles et déroutantes.

Auteur: Kanizsa Gaetano

Info:

[ prestidigitation ]

 

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vocation

Après quelques années d'apostolat laïque dans la neige des hameaux perdus, le jeune instituteur glissait à mi-pente jusqu'aux villages, où il épousait au passage l'institutrice ou la postière. Puis il traversait plusieurs de ces bourgades dont les rues sont encore en pente, et chacune de ces haltes était marquée par la naissance d'un enfant. Au troisième ou au quatrième, il arrivait dans les sous-préfectures de la plaine, après quoi il faisait enfin son entrée au chef-lieu, dans une peau devenue trop grande, sous la couronne de ses cheveux blancs. Il enseignait alors dans une école à huit ou dix classes, et dirigeait le cours supérieur, parfois le cours complémentaire.

On fêtait un jour, solennellement, ses palmes académiques : trois ans plus tard, il "prenait sa retraite", c'est-à-dire que le règlement la lui imposait. Alors, souriant de plaisir, il disait : "Je vais enfin pouvoir planter mes choux !" Sur quoi, il se couchait, et il mourait.

J'en ai connu beaucoup, de ces maîtres d'autrefois.

Ils avaient une foi totale dans la beauté de leur mission, une confiance radieuse dans l'avenir de la race humaine. Ils méprisaient l'argent et le luxe, ils refusaient un avancement pour laisser la place à un autre, ou pour continuer la tâche commencée dans un village déshérité.

Un très vieil ami de mon père, sorti premier de l'Ecole Normale, avait dû à cet exploit de débuter dans un quartier de Marseille : quartier pouilleux, peuplé de misérables où nul n'osait se hasarder la nuit. Il y resta de ses débuts à sa retraite, quarante ans dans la même classe, quarante ans sur la même chaise. Et comme un soir mon père lui disait :

- "Tu n'as donc jamais eu d'ambition ?

- Oh mais si ! dit-il, j'en ai eu ! Et je crois que j'ai bien réussi ! Pense qu'en vingt ans, mon prédécesseur a vu guillotiner six de ses élèves. Moi, en quarante ans, je n'en ai eu que deux, et un gracié de justesse. Ça valait la peine de rester là.

Car le plus remarquable, c'est que ces anticléricaux avaient des âmes de missionnaires. Pour faire échec à "Monsieur le curé" (dont la vertu était supposée feinte), ils vivaient eux-mêmes comme des saints, et leur morale était aussi inflexible que celle des premiers puritains. M. l'inspecteur d'Académie était leur évêque, M. le recteur, l'archevêque, et leur pape, c'était M. le ministre : on ne lui écrit que sur grand papier, avec des formules rituelles. "Comme les prêtres, disait mon père, nous travaillons pour la vie future : mais nous, c'est pour celle des autres."

Auteur: Pagnol Marcel

Info: La gloire de mon père

[ professeur ] [ mission de vie ] [ exemplaire ]

 

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déclaration d'amour

Lorsque tu seras vieux et que je serai vieille,
Lorsque mes cheveux blonds seront des cheveux blancs,
Au mois de mai, dans le jardin qui s'ensoleille,
Nous irons réchauffer nos vieux membres tremblants.
Comme le renouveau mettra nos coeurs en fête,
Nous nous croirons encore de jeunes amoureux,
Et je te sourirai tout en branlant la tête,
Et nous ferons un couple adorable de vieux.
Nous nous regarderons, assis sous notre treille,
Avec de petits yeux attendris et brillants,
Lorsque tu seras vieux et que je serai vieille,
Lorsque mes cheveux blonds seront des cheveux blancs.
Sur le banc familier, tout verdâtre de mousse,
Sur le banc d'autrefois nous reviendrons causer;
Nous aurons une joie attendrie et très douce,
La phrase finissant souvent par un baiser.
Combien de fois jadis j'ai pu dire : "Je t'aime!"
Alors, avec grand soin, nous le recompterons.
Nous nous ressouviendrons de mille choses, même
De petits riens exquis dont nous radoterons.
Un rayon descendra, d'une caresse douce,
Parmi nos cheveux blancs, tout rose, se poser,
Quand, sur notre vieux banc tout verdâtre de mousse,
Sur le banc d'autrefois nous reviendrons causer.
Et, comme chaque jour je t'aime davantage,
Aujourd'hui plus qu'hier et bien moins que demain
Qu'importeront alors les rides du visage,
Si les mêmes rosiers parfument le chemin?
Songe à tous les printemps qui dans nos coeurs s'entassent.
Mes souvenirs à moi seront aussi les tiens.
Ces communs souvenirs toujours plus nous enlacent
Et sans cesse entre nous tissent d'autres liens;
C'est vrai, nous serons vieux, très vieux, faiblis par l'âge,
Mais plus fort chaque jour je serrerai ta main,
Car, vois-tu, chaque jour je t'aime davantage
Aujourd'hui plus qu'hier et bien moins que demain!
En ce cher amour qui passe comme un rêve
Je veux tout conserver dans le fond de mon coeur,
Retenir, s'il se peut, l'impression trop brève,
Pour le ressavourer plus tard avec lenteur.
J'enfouis tout ce qui vient de lui comme un avare
Thésaurisant avec ardeur pour mes vieux jours.
Je serais riche alors d'une richesse rare,
J'aurais gardé tout l'or de mes jeunes amours,
Ainsi de ce passé de bonheur qui s'achève
Ma mémoire parfois me rendra la douceur;
Car de ce cher amour qui passe comme un rêve
J'aurais tout conservé dans le fond de mon coeur.
Lorsque tu seras vieux et que je serai vieille,
Lorsque mes cheveux blonds seront des cheveux blancs,
Au mois de mai, dans le jardin qui s'ensoleille,
Nous irons réchauffer nos vieux membres tremblants.
Comme le renouveau mettra nos coeurs en fête,
Nous nous croirons encore aux jours heureux d'antan,
Et je te sourirai tout en branlant la tête,
Et tu me parleras d'amour en chevrotant.
Nous nous regarderons, assis sous notre treille,
Avec des yeux remplis des pleurs de nos vingt ans...
Lorsque tu seras vieux et que je serai vieille,
Lorsque mes cheveux blonds seront des cheveux blancs!

Auteur: Gérard Rosemonde

Info: Le dernier rendez-vous

[ poème ]

 

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vote

Ô bon électeur, inexprimable imbécile, pauvre hère, si, au lieu de te laisser prendre aux rengaines absurdes que te débitent, chaque matin, pour un sou, les journaux grands ou petits, bleus ou noirs, blancs ou rouges, et qui sont payés pour avoir ta peau ; si, au lieu de croire aux chimériques flatteries dont on caresse ta vanité, dont on entoure ta lamentable souveraineté en guenilles, si, au lieu de t’arrêter, éternel badaud, devant les lourdes duperies des programmes ; si tu lisais parfois, au coin du feu, Schopenhauer et Max Nordau, deux philosophes qui en savent long sur tes maîtres et sur toi, peut-être apprendrais-tu des choses étonnantes et utiles. Peut-être aussi, après les avoir lus, serais-tu moins empressé à revêtir ton air grave et ta belle redingote, à courir ensuite vers les urnes homicides où, quelque nom que tu mettes, tu mets d’avance le nom de ton plus mortel ennemi. Ils te diraient, en connaisseurs d’humanité, que la politique est un abominable mensonge, que tout y est à l’envers du bon sens, de la justice et du droit, et que tu n’as rien à y voir, toi dont le compte est réglé au grand livre des destinées humaines.

Rêve après cela, si tu veux, des paradis de lumières et de parfums, des fraternités impossibles, des bonheurs irréels. C’est bon de rêver, et cela calme la souffrance. Mais ne mêle jamais l’homme à ton rêve, car là où est l’homme, là est la douleur, la haine et le meurtre. Surtout, souviens-toi que l’homme qui sollicite tes suffrages est, de ce fait, un malhonnête homme, parce qu’en échange de la situation et de la fortune où tu le pousses, il te promet un tas de choses merveilleuses qu’il ne te donnera pas et qu’il n’est pas d’ailleurs, en son pouvoir de te donner. L’homme que tu élèves ne représente ni ta misère, ni tes aspirations, ni rien de toi ; il ne représente que ses propres passions et ses propres intérêts, lesquels sont contraires aux tiens. Pour te réconforter et ranimer des espérances qui seraient vite déçues, ne va pas t’imaginer que le spectacle navrant auquel tu assistes aujourd’hui est particulier à une époque ou à un régime, et que cela passera. Toutes les époques se valent, et aussi tous les régimes, c’est-à-dire qu’ils ne valent rien. Donc, rentre chez toi, bonhomme, et fais la grève du suffrage universel. Tu n’as rien à y perdre, je t’en réponds ; et cela pourra t’amuser quelque temps. Sur le seuil de ta porte, fermée aux quémandeurs d’aumônes politiques, tu regarderas défiler la bagarre, en fumant silencieusement ta pipe.

Et s’il existe, en un endroit ignoré, un honnête homme capable de te gouverner et de t’aimer, ne le regrette pas. Il serait trop jaloux de sa dignité pour se mêler à la lutte fangeuse des partis, trop fier pour tenir de toi un mandat que tu n’accordes jamais qu’à l’audace cynique, à l’insulte et au mensonge.

Je te l’ai dit, bonhomme, rentre chez toi et fais la grève.

Auteur: Mirbeau Octave

Info: 1888

[ imposture ] [ critique ]

 
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