Citation
Catégorie
Tag – étiquette
Auteur
Info



nb max de mots
nb min de mots
trier par
Dictionnaire analogique intriqué pour extraits. Recherche mots ou phrases tous azimuts. Aussi outil de précision sémantique et de réflexion communautaire. Voir la rubrique mode d'emploi. Jetez un oeil à la colonne "chaînes". ATTENTION, faire une REINITIALISATION après  une recherche complexe. Et utilisez le nuage de corrélats !!!!..... Lire la suite >>
Résultat(s): 20
Temps de recherche: 0.0343s

apparence

Ce matin-là, je louvoyais dans un quartier d'asile, en compagnie d'un interne.
- Les fous, me disait-il, ne sont pas ce que l'on suppose. Le public les voit mal...Ce ne sont pas toujours des forces déchaînées. Tenez, regardez ceux-ci, réunis dans cette salle.
Ils étaient une dizaine. Ils parlaient un peu haut, mais cela arrive aux personnages les plus sensés.
- Vous pouvez entrer, me dit l'interne.
J'entre. Les têtes étonnées se tournent de mon côté. Je reconnais le médecin-chef au milieu du groupe.
L'interne me saisit par le bras.
- Quoi ?
- Erreur ! fait-il en se mordant la lèvre, ce ne sont pas des fous mais des aliénistes. C'est la Ligue de l'hygiène mentale qui tient séance !
Il avait suffi de l'épaisseur d'un carreau !

Auteur: Londres Albert

Info: Chez les fous p.134-135

[ malentendu ]

 

Commentaires: 0

voyeurimse

C'est à Voltaire qu'il revient de tirer les conclusions de ce qu'avançait Lucrèce. Pour lui, le désir de voir n'est que curiosité vulgaire : c'est lui qui attire la foule au spectacle d'un bateau sur le point de faire naufrage, pousse les gens à monter au haut des arbres contempler le spectacle des batailles, ou assister aux exécutions capitales. L'homme, selon Voltaire, partage cette passion avec les singes et les jeunes chiens. En d'autres termes, si Lucrèce a raison et que la passion du spectacle n'est due, chez l'homme, qu'au goût de la sécurité, alors l'appétit de voir ne peut être attribué qu'à un instinct irrationnel, dépourvu de maturité qui met en danger la vie même de l'individu. Le philosophe, dont Lucrèce se fait le porte-parole, n'aura nul besoin d'assister au naufrage pour être prévenu de ne pas se risquer sur une mer déchaînée.

Auteur: Arendt Hannah

Info: La vie de l'esprit

[ curiosité malsaine ]

 

Commentaires: 0

autodestruction

"L'enfer se hait lui-même", disait Bernanos. Il faut ajouter que l'enfer auquel, sous les espèces spécifiques d'associations infatigables et déchaînées, on donne aujourd'hui la parole et le pouvoir, et notamment dans les tribunaux, qui sont devenus les principaux théâtres où ces intermittents de la persécution se donnent à voir, n'aura de cesse d'y précipiter tous les êtres sans exception. Car cet enfer, comme d'ailleurs tous les enfers depuis que les hommes ont découvert l'existence des enfers, est rempli de damnés qui ne supportent pas d'être seuls damnés. C'est même à cela que l'on reconnaît le damné : à ce qu'il ne peut pas tolérer de rester seul ; et à ce qu'il va s'efforcer de précipiter tout le monde dans sa damnation. Dans le langage de notre époque, qui essaie à grand-peine de transformer la tératologie quotidienne en normalité (c'est l'essentiel de son travail), cela s'appelle flatteusement un militant…

Auteur: Muray Philippe

Info: Festivus Festivus, p. 44

[ normalisation ] [ anthropocentrisme ]

 
Commentaires: 3
Ajouté à la BD par Bandini

manipulation

Quoique derrière des barbelés le travail vous libère, vous apporte dignité, vertu, justice, vous êtes encore un homme puisque vous travaillez. Vous êtes un homme libre parce que le travail c'est la garantie et l'assouvissement de votre liberté intérieure. Et cette admirable trouvaille, que seuls de mauvais esprits peuvent considérer comme dérision, peut s'appliquer partout : ouvriers soumis au patron, le travail rend libre, c'est la même démonstration. Russe soumis à la dictature stalinienne, le travail rend libre, c'est la même démonstration. Et toi homme tout court, n'importe quel homme, qui vis dans une société absurde, qui n'as plus de foi an Jésus-Christ, qui es livré aux puissances déchaînées, qui ne sais pas si demain existera encore, qui es saisi par l'angoisse de ta condition, et trouves que ta vie n'a pas de sens, tu as de la chance, une bien grande chance : tu travailles, tu travailles beaucoup, tu travailles de plus en plus, et alors par là, tu le vois bien, tout est en place, tu es un homme libre. Même démonstration.

Auteur: Ellul Jacques

Info: Dans "Pour qui, pour quoi travaillons-nous ?"

[ survie ]

 
Mis dans la chaine

Commentaires: 0

Ajouté à la BD par Coli Masson

pandémie

La neige a bloqué ma porte en cette belle nuit de décembre et pourtant il faut partir. Une terrible épidémie de diphtérie s’est déchaînée sur la vallée. Elle a commencé par Barcelonnette, et comme nombre d’enfants des campagnes sont pensionnaires dans les établissements scolaires de la petite ville, en les licenciant pour éviter les foyers de contagion, on a répandu le mal. Il sévit brutal et intense sous les chaumes.
(...)
À la ville on l’enraye encore, on le domine à coups de sérum. Mais dans les hameaux à peine accessibles aux chamois, dans ces demeures solitairement campées entre le rocher échancrant les nuages et la forêt tapissant les pentes jusqu’à l’abîme où rugit le torrent, les petits souffles frêles s’éteignent en grand nombre sous l’étreinte du fléau. Et je croise souvent, dans mes courses aux maisons désertes et infectées par l’horrible mal, un traîneau ouvrant les chemins neigeux à un petit cercueil suivi de quelques femmes en pleurs. C’est que je n’ai pas encore réussi à forcer toutes les portes, toutes les demeures où l’enfant souffre et agonise.

Auteur: Grouès Louise Héra Mirtel

Info: Une doctoresse aux Alpes et autres textes

[ maladie ]

 

Commentaires: 0

pressentiment

Et peu importe que ce matin-là Hélène ait vu ou non, parmi la foule hurlante, les Juifs accroupis, à quatre pattes, forcés de nettoyer les trottoirs sous le regard amusé des passants. Peu importe qu'elle ait ou non assisté à ces scènes ignobles où on leur fit brouter de l’herbe. Sa mort traduit seulement ce qu'elle ressentit, le grand malheur, la réalité hideuse, son dégoût pour un monde qu'elle vit se déployer dans sa nudité meurtrière. Car au fond, le crime était déjà là, dans les petits drapeaux, dans les sourires des jeunes filles, dans tout ce printemps perverti. Et jusque dans les rires, dans cette ferveur déchaînée, Hélène Kuhner dut sentir la haine et la jouissance. Elle a dû entrevoir - en un raptus terrifiant -, derrière ces milliers de silhouettes, de visages, des millions de forçats. Et elle a deviné, derrière la liesse effrayante, la carrière de granit de Mauthausen. Alors, elle s'est vue mourir. Dans le sourire des jeunes filles de Vienne, le 12 mars 1938, au milieu des cris de la foule, dans l’odeur fraîche des myosotis, au cœur de cette allégresse bizarre, de toute cette ferveur, elle dut éprouver un noir chagrin.

Auteur: Vuillard Eric

Info: L'ordre du jour

[ prescience ] [ entre deux guerres ] [ prémonition ]

 

Commentaires: 0

Ajouté à la BD par miguel

forces dissolvantes

[…] il est trop évident que l’usage principal de la psychanalyse, qui est son application thérapeutique, ne peut être qu’extrêmement dangereux pour ceux qui s’y soumettent, et même pour ceux qui l’exercent, car ces choses sont de celles qu’on ne manie jamais impunément ; il ne serait pas exagéré d’y voir un des moyens spécialement mis en œuvre pour accroître le plus possible le déséquilibre du monde moderne et conduire celui-ci vers la dissolution finale. Ceux qui pratiquent ces méthodes sont, nous n’en doutons pas, bien persuadés au contraire de la bienfaisance de leurs résultats ; mais c’est justement grâce à cette illusion que leur diffusion est rendue possible, et c’est là qu’on peut voir toute la différence qui existe entre les intentions de ces "praticiens" et la volonté qui préside à l’œuvre dont ils ne sont que des collaborateurs aveugles. En réalité, la psychanalyse ne peut avoir pour effet que d’amener à la surface, en le rendant clairement conscient, tout le contenu de ces "bas-fonds" de l’être qui forment ce qu’on appelle proprement le "subconscient" ; cet être, d’ailleurs, est déjà psychiquement faible par hypothèse, puisque, s’il en était autrement, il n’éprouverait aucunement le besoin de recourir à un traitement de cette sorte ; il est donc d’autant moins capable de résister à cette "subversion", et il risque fort de sombrer irrémédiablement dans ce chaos de forces ténébreuses imprudemment déchaînées ; si cependant il parvient malgré tout à y échapper, il en gardera du moins, pendant toute sa vie, une empreinte qui sera en lui comme une "souillure" ineffaçable.

Auteur: Guénon René

Info: Dans "Le règne de la quantité" page 226

[ méfaits ] [ ombre ] [ négativité ] [ anti-psychanalyse ]

 

Commentaires: 0

Ajouté à la BD par Coli Masson

mort

Je revois donc cette chambre dont je parlais. La liste, allongée chaque jour, des médicaments inscrits sur un panneau au pied du lit. Je me souviens de la potion de Brampton en particulier. On m’avait expliqué qu’il fallait en augmenter les doses quotidiennement et qu’on ne pourrait plus revenir en arrière. Je réentends des mots, des expressions, des bribes de phrases. Radiographies, scintigraphies, vitesse de sédimentation, carcinome rénal, tumeurs. Radiothérapie, scanner, biopsie, chimiothérapie.

Et les noms des médicaments : Depoprodazone, Fortal, Solupred, Glifanan. Je revois le "matelas alternand" destiné à éviter les escarres. Et, sous le lit, ce petit sac en plastique, relié à la vessie, en train de se remplir lentement. Je revois les visiteurs et les visiteuses. Apitoyés, ennuyés, attentifs, pressés, tendres, impatients, rassurants. Pendant ce temps, les métastases, aussi imperturbables qu’invisibles, poursuivaient leur danse dévorante.

Cet engourdissement a duré jusqu’au réveil de la malade, je veux dire jusqu’à son entrée dans un délire terminal d’une éblouissante lucidité. Avec d’autant plus de violence qu’elle avait été longuement refoulée, la vérité s’est déchaînée alors, torrentielle, ravageant d’un seul coup le théâtre de semblant sous lequel on avait essayé de l’étouffer. Il y a eu des cris, des appels au secours, je les réentendrai toute ma vie. Comme j’aurai toujours dans l’oreille ses accusations : ceux qui l’approchaient portaient des "masques", on avait conspiré contre elle, le terme de "scénario" revenait tout le temps pour désigner ses quatre mois de torture : "Le scénario n’est vraiment pas fameux, je ne vous félicite pas ! … " (le visage hideux du Spectateur se révélait enfin).

C’était clair. Depuis le début, elle savait. Jamais un seul instant elle n’avait cru à ce qu’on lui racontait. Elle avait fait semblant, par politesse, c’est tout. Après cette bouffée de désenvoûtement radical, l’agonie est venue très vite.

Auteur: Muray Philippe

Info: Dans "Exorcismes spirituels I - Rejet de greffe", pages 287-288

[ hôpital ] [ acharnement thérapeutique ] [ cancer ] [ fin de vie ]

 

Commentaires: 0

Ajouté à la BD par Coli Masson

humanité solipsiste

L’homme sait aujourd’hui que la terre n’est qu’une boule animée d’un mouvement multiforme et vertigineux qui court sur un abîme insondable, attirée et dominée par les forces qu’exercent sur elle d’autres corps célestes, incomparablement plus grands et situés à des distances inimaginables ; il sait que la terre où il vit n’est qu’un grain de poussière par rapport au soleil, et que le soleil lui-même n’est qu’un grain au milieu de myriades d’autres astres incandescents ; il sait aussi que tout cela bouge. Une simple irrégularité dans cet enchaînement de mouvements sidéraux, l’interférence d’un astre étranger dans le système planétaire, une déviation de la trajectoire normale du soleil, ou tout autre incident cosmique, suffirait pour faire vaciller la terre au cours de sa révolution, pour troubler la succession des saisons, modifier l’atmosphère et détruire l’humanité. L’homme aujourd’hui sait par ailleurs que le moindre atome renferme des forces qui, si elles étaient déchaînées, pourraient provoquer sur terre une conflagration planétaire presque instantanée. Tout cela, l’“infiniment petit” et l’“infiniment grand”, apparaît, du point de vue de la science moderne, comme un mécanisme d’une complexité inimaginable, dont le fonctionnement est dû à des forces aveugles.

Et pourtant, l’homme d’aujourd’hui vit et agit comme si le déroulement normal et habituel des rythmes de la nature lui était garanti. Il ne pense, en effet, ni aux abîmes du monde intersidéral, ni aux forces terribles que renferme chaque corpuscule de matière. Avec des yeux d’enfant, il regarde au-dessus de lui la voûte céleste avec le soleil et les étoiles, mais le souvenir des théories astronomiques l’empêche d’y voir des signes de Dieu. Le ciel a cessé de représenter pour lui la manifestation naturelle de l’esprit qui englobe le monde et l’éclaire. Le savoir universitaire s’est substitué en lui à cette vision “naïve” et profonde des choses. Non qu’il ait maintenant conscience d’un ordre cosmique supérieur, dont l’homme serait aussi partie intégrante. Non. Il se sent comme abandonné, privé d’appui solide face à ces abîmes qui n’ont plus aucune commune mesure avec lui-même. Car rien ne lui rappelle plus désormais que tout l’univers, en définitive, est contenu en lui-même, non pas dans son être individuel, certes, mais dans l’esprit qui est en lui et qui, en même temps, le dépasse, lui et tout l’univers visible.

Auteur: Burckhardt Titus

Info: Science moderne et Sagesse traditionnelle

[ rationalisme déspiritualisant ]

 

Commentaires: 0

Ajouté à la BD par miguel

nord-sud

L’Âge de la colère Parfois, après une longue attente, apparaît un livre qui écorche l’esprit du temps, brillant comme un diamant fou. Age of Anger, de Pankaj Mishra, auteur aussi du livre fondateur From the Ruins of Empire, pourrait bien en être le dernier avatar.

Pensez à ce livre comme à une ultime arme – conceptuelle – mortelle, fichée dans les cœurs et les esprits d’une population dévastée d’adolescents cosmopolites déracinés 1 qui s’efforcent de trouver leur véritable vocation, au fur et à mesure que nous traversons péniblement la plus longue période – le Pentagone dirait infinie – de guerres mondiales ; une guerre civile mondiale – que dans mon livre 2007 Globalistan j’ai appelée " Liquid War " : Guerre nomade.

L’auteur, Mishra, est un pur produit, subtil, de East-meets-West 2. Il soutient, pour l’essentiel, qu’il est impossible de comprendre le présent si nous ne reconnaissons pas la prégnance souterraine de la nostalgie du mal du pays, qui contredit l’idéal du libéralisme cosmopolite, incarné dans une " société commerciale universelle d’individus rationnels, conscients de leurs intérêts personnels ", conceptualisée par les Lumières via Montesquieu, Adam Smith, Voltaire et Kant.

Le vainqueur de l’histoire est finalement le récit aseptisé des Lumières bienveillantes. La tradition du rationalisme, de l’humanisme, de l’universalisme et de la démocratie libérale était censée avoir toujours été la norme. Il était " manifestement trop déconcertant ", écrit Mishra, " de reconnaître que la politique totalitaire cristallisait des courants idéologiques – racisme scientifique, rationalisme chauvin, impérialisme, technicisme, politique esthétisée, utopie, ingénierie sociale " qui bouleversaient déjà l’Europe à la fin du XIXe siècle. Ainsi, évoquant " le regard furtif en arrière, au-dessus de l’épaule, vers la terreur primitive ", de T.S. Eliot –, qui a finalement conduit l’Ouest à se dresser contre Le Reste du Monde –, nous devons regarder les précurseurs. Fracasser le Palais de Cristal

Entre en scène Eugène Onéguine de Pouchkine, " le premier d’une grande lignée d’hommes inutiles dans la fiction russe ", avec son chapeau de Bolivar, tenant une statue de Napoléon et un portrait de Byron, allégorie de la Russie essayant de rattraper l’Occident, " une jeunesse spirituellement déchaînée avec une conception quasi-byronienne de la liberté, encore pleine du romantisme allemand ". Les meilleurs critiques des Lumières devaient être Allemands et Russes, derniers venus à la modernité politico-économique. Deux ans avant de publier ses étonnants Carnets du sous-sol, Dostoïevski, dans sa tournée en Europe occidentale, voyait déjà une société dominée par la guerre de tous contre tous, où la plupart étaient condamnés à être perdants.

À Londres, en 1862, à l’Exposition internationale au Palais de Cristal, Dostoïevski eut une illumination : " Vous prenez conscience d’une idée colossale […] qu’il y a ici la victoire et le triomphe. Vous commencez même vaguement à avoir peur de quelque chose. " Tout stupéfié qu’il était, Dostoïevski, plutôt astucieux, a pu observer comment la civilisation matérialiste était tout autant renforcée par son glamour que par sa domination militaire et maritime.

La littérature russe a finalement cristallisé le crime de hasard comme le paradigme de l’individualité savourant son identité et affirmant sa volonté – thème repris plus tard, au milieu du XXe siècle, par l’icône de la Beat Generation William Burroughs, qui prétendait que tirer au hasard était son frisson ultime.

Le chemin avait été tracé pour que le festin des mendiants commence à bombarder le Palais de Cristal – même si, comme Mishra nous le rappelle : " Les intellectuels du Caire, de Calcutta, de Tokyo et de Shanghai lisaient Jeremy Bentham, Adam Smith, Thomas Paine, Herbert Spencer et John Stuart Mill " pour comprendre le secret de la bourgeoisie capitaliste en perpétuelle expansion.

Et ceci après que Rousseau, en 1749, a posé la pierre angulaire de la révolte moderne contre la modernité, aujourd’hui éparpillée dans un désert où les échos se répondent, le Palais de Cristal est de facto implanté dans des ghettos luisants partout dans le monde.

Le Bwana des Lumières : lui mort, Missié

Mishra crédite l’idée de son livre à Nietzsche, en commentant la querelle épique entre l’envieux plébéien Rousseau et Voltaire, l’élitiste serein – qui a salué la Bourse de Londres, quand elle est devenue pleinement opérationnelle, comme l’incarnation laïque de l’harmonie sociale.

Mais ce fut Nietzsche qui finit par devenir l’acteur central, en tant que féroce détracteur du capitalisme libéral et du socialisme, faisant de la promesse séduisante de Zarathoustra un Saint Graal attractif pour les bolcheviks – Lénine le haïssait –, le gauchiste Lu Xun en Chine , les fascistes, anarchistes, féministes et hordes d’esthètes mécontents.

Mishra nous rappelle également comment " les anti-impérialistes asiatiques et les barons voleurs américains empruntent avec empressement " à Herbert Spencer, " le premier penseur véritablement mondial " qui a inventé le mantra de " la survie du plus apte " après avoir lu Darwin.

Nietzsche était le cartographe ultime du ressentiment. Max Weber a prophétiquement décrit le monde moderne comme une " cage de fer " dont seul un leader charismatique peut permettre l’évasion. De son côté, l’icône anarchiste Mikhaïl Bakounine avait déjà, en 1869, conceptualisé le révolutionnaire coupant " tout lien avec l’ordre social et avec tout le monde civilisé […] Il est son ennemi impitoyable et continue de l’habiter avec un seul but : Détruire ".

S’échappant du " cauchemar de l’histoire " du suprême moderniste James Joyce – en réalité la cage de fer de la modernité – une sécession, viscéralement militante, hors " d’une civilisation fondée sur un progrès éternel sous l’administration des libéraux-démocrates " est en train de faire rage, hors de contrôle, bien au-delà de l’Europe.

Des idéologies, qui pourraient être radicalement opposées, ont néanmoins grandi en symbiose avec le tourbillon culturel de la fin du XIXe siècle, depuis le fondamentalisme islamique, le sionisme et le nationalisme hindou jusqu’au bolchevisme, au nazisme, au fascisme et à l’impérialisme réaménagé.

Dans les années trente, le brillant et tragique Walter Benjamin, avait non seulement prophétisé la Seconde Guerre mondiale mais aussi la fin de la partie, alors qu’il était déjà en train d’alerter sur la propre aliénation de l’humanité, enfin capable " d’expérimenter sa propre destruction comme un plaisir esthétique du premier ordre ". La version pop actuelle en live-streaming, style bricolage, comme ISIS, essaie de se présenter comme la négation ultime des piétés de la modernité néolibérale.

L’ère du ressentiment

Tissant les fils savoureux de la politique et de la littérature par pollinisation croisée, Mishra prend son temps pour poser la scène du Grand Débat entre ces masses mondiales en développement, dont les vies sont forgées par " l’histoire largement reconnue de la violence " de l’Occident atlantiste, et des élites modernes nomades (Bauman) tirant profit du rendement de la partie – sélective – du monde qui a fait les percées cruciales depuis les Lumières dans la science, la philosophie, l’art et la littérature.

Cela va bien au-delà d’un simple débat entre l’Orient et l’Occident. Nous ne pouvons pas comprendre la guerre civile mondiale actuelle, ce " mélange intense d’envie, de sentiment d’humiliation et d’impuissance post-moderniste et post-vérité ", si nous n’essayons pas de " démanteler l’architecture conceptuelle et intellectuelle des gagnants de l’histoire en Occident ", issue du triomphalisme des exploits de l’histoire anglo-américaine. Même au summum de la Guerre froide, le théologien américain Reinhold Niebuhr se moquait des " ternes fanatiques de la civilisation occidentale " dans leur foi aveugle selon laquelle toute société est destinée à évoluer exactement comme une poignée de nations occidentales – parfois – l’ont fait.

Et cela – ironie ! – tandis que le culte internationaliste libéral du progrès imitait le rêve marxiste de la révolution internationaliste.

Dans sa préface de 1950 aux Origines du totalitarisme – un méga best-seller ressuscité –, Hannah Arendt nous a essentiellement dit d’oublier la restauration éventuelle du Vieil ordre mondial. Nous avons été condamnés à voir l’histoire se répéter, " l’itinérance à une échelle sans précédent, l’absence de racines à une profondeur sans précédent ".

Pendant ce temps, comme Carl Schorske l’a noté dans son spectaculaire Fin-de-Siècle à Vienne : Politique et Culture, l’érudition américaine a " coupé le lien de conscience " entre le passé et le présent, carrément aseptisé l’Histoire, des siècles de guerre civile, de ravage impérial, de génocide et d’esclavage en Europe et en Amérique ont ainsi tout simplement disparu. Seul le récit TINA (il n’y a pas d’alternative) a été autorisé, voici comment les atlantistes, avec le privilège de la raison et l’autonomie de la personne, ont fait le monde moderne.

Entre maintenant en scène Jalal Al-e-Ahmad, né en 1928 dans le sud pauvre de Téhéran, et l’auteur de Westoxification (1962), un texte majeur de référence sur l’idéologie islamiste, où il écrit que " l’Érostrate de Sartre tire au revolver, avec les yeux bandés, sur les gens dans la rue ; le protagoniste de Nabokov précipite sa voiture dans la foule ; et l’Étranger, Meursault, tue quelqu’un en réaction à un mauvais coup de soleil ". Vous pouvez parler d’un croisement mortel – l’existentialisme rencontre les bidonvilles de Téhéran pour souligner ce que Hanna Arendt a appelé la " solidarité négative ".

Arrive ensuite Abu Musab al-Suri, né en 1958 – un an après Osama ben Laden – dans une famille de la classe moyenne dévote, à Alep. C’est Al-Suri, et non l’Égyptien Al-Zawahiri, qui a conçu une stratégie de djihad mondial sans leader dans The Global Islamic Resistance Call, basée sur des cellules isolées et des opérations individuelles. Al-Suri était le " choc des civilisations " de Samuel Huntington appliqué à al-Qaïda. Mishra le définit comme le " Michel Bakounine du monde musulman ".

Cette " syphilis des passions révolutionnaires

Répondant à cette ridicule affaire néo-hégélienne de " fin de l’histoire ", après la Guerre froide, Allan Bloom a averti que le fascisme pourrait être l’avenir ; et John Gray a télégraphié le retour des " forces primordiales, nationalistes et religieuses, fondamentalistes et bientôt, peut-être, malthusiennes ".

Et cela nous amène à expliquer pourquoi les porteurs exceptionnels de l’humanisme et du rationalisme des Lumières ne peuvent expliquer l’agitation géopolitique actuelle – de ISIS au Brexit et à Trump. Ils ne peuvent jamais arriver à penser quelque chose de plus sophistiqué que l’opposition binaire de libre et non libre ; les mêmes clichés occidentaux du XIXe siècle sur le non-Occident ; et la diabolisation incessante de cet éternel Autre arriéré : l’islam. De là la nouvelle " longue guerre " (terminologie du Pentagone) contre l’islamofascisme. Ils ne pourraient jamais comprendre, comme le souligne Mishra, les implications de cette rencontre d’esprits dans une prison de Supermax au Colorado entre l’auteur de l’attentat d’Oklahoma City, l’Américain pur jus Timothy McVeigh et le cerveau de la première attaque contre le World Trade Center, Ramzi Yousef (musulman normal, père pakistanais, mère palestinienne).

Ils ne peuvent pas comprendre comment les concepteurs d’ISIS arrivent à enrégimenter, en ligne, un adolescent insulté et blessé d’une banlieue parisienne ou d’un bidonville africain et le convertir en narcissique – baudelairien ? – dandy fidèle à une cause émergente, pour laquelle il vaut la peine de se battre. Le parallèle entre le bricolage djihadiste et le terrorisme russe du XIXe siècle – incarnant la " syphilis des passions révolutionnaires ", comme l’a décrit Alexander Herzen – est étrange.

Le principal ennemi du djihad de bricolage n’est pas même chrétien; c’est le shi’ite apostat. Les viols massifs, les meurtres chorégraphiés, la destruction de Palmyre, Dostoïevski avait déjà tout identifié. Comme le dit Mishra, " il est impossible pour les Raskolnikov modernes de se dénier quoi que ce soit, mais il leur est possible de justifier tout ".

Il est impossible de résumer tous les feux croisés rhizomatiques – salut à Deleuze et Guattari – déployés à l’Âge de la colère. Ce qui est clair, c’est que pour comprendre la guerre civile mondiale actuelle, la réinterprétation archéologique du récit hégémonique de l’Occident des 250 dernières années est essentielle. Sinon, nous serons condamnés, comme des gnomes de Sisyphe, à supporter non seulement le cauchemar récurrent de l’Histoire, mais aussi son coup de fouet perpétuel.

Auteur: Escobar Pepe

Info: Février 2017, CounterPunch. Beaucoup d'idées sont tirées de son ouvrage : Globalistan, How the Globalized World is Dissolving into Liquid War, Nimble Books, 2007

[ vingt-et-unième siècle ]

 

Commentaires: 0