Citation
Catégorie
Tag – étiquette
Auteur
Info



nb max de mots
nb min de mots
trier par
Dictionnaire analogique intriqué pour extraits. Recherche mots ou phrases tous azimuts. Aussi outil de précision sémantique et de réflexion communautaire. Voir la rubrique mode d'emploi. Jetez un oeil à la colonne "chaînes". ATTENTION, faire une REINITIALISATION après  une recherche complexe. Et utilisez le nuage de corrélats !!!!..... Lire la suite >>
Résultat(s): 667
Temps de recherche: 0.0472s

pamphlet

Coucou ! C’est moi, me revoilà. Vous ne me reconnaissez pas ? Pourtant, vous m’avez chaque année dans votre cheminée.

C’est moi, oui, Big Father, avec ma grande barbe hydrophile, mon traîneau à clochettes et des cadeaux dégueulasses plein ma hotte, emballés dans du splendide papier clignotant.

Vous ne m’avez pas vu venir, une fois de plus ? C’est normal. Personne ne sait jamais comment je débarque. Chaque année, je trompe mon monde. On ne m’entend pas arriver, et puis un matin, c’est fait, ça y est, tout est joué. La torture des fééries recommence.

Une fois encore, j’ai réussi à suspendre, pendant la nuit, mes guirlandes grotesques en travers des rues, comme autant d’insultes anonymes. Une fois encore, mes boules multicolores et mes illuminations pernicieuses sont apparues aux vitrines. Sans que personne me voie. Sans que personne me voie jamais. Une fois encore, ma grande terreur s’installe. Les semaines vont se dérouler comme des veilles funèbres. Les gens vont courir partout, épouvantés, le long des façades, avec leurs paquets obligatoires. Il est revenu, ça y est, il s’est réinstallé, celui qu’on redoutait. Celui dont on évitait même de prononcer le nom, de crainte de le voir surgir. C’est fait. La Bête est là. L’Eminence rose est de retour. La ville n’existe plus, ni la vie, ni rien. Tout est redevenu Noël.

Comme je m’amuse, à contempler la joie qu’ils affichent et à connaître le fond noir de leurs âmes angoissées ! Qu’ils me craignent, pourvu qu’ils me célèbrent ! En vérité, ma menace les rend malades bien avant décembre. Chaque année, on voudrait espérer que je ne vais pas revenir. Chaque année, on me sent approcher comme un mal inconnu, un cauchemar, une fièvre. Le Père Noël fait peur. L’année dernière, au restaurant, j’en ai entendu plusieurs, à voix basse, dès la fin d’octobre, qui parlaient de moi avec la trouille au ventre : "Qu’est-ce que tu fais pour les fêtes ? – Mais je ne sais pas. – Comment, tu ne sais pas ? – Non, pas encore. – Tu n’as rien prévu ? Mais tu es fou ! Il faut que tu t’en occupes ! Noël c’est demain ! Et la Saint-Sylvestre ! Tu ne te rends pas compte ! D’ici quinze jours, peut-être huit, il y aura des trucs partout ! Des guirlandes ! Des boules lumineuses !"

Oui, je flanque la panique ; mais il n’y a que depuis quelques années que je commence, chez certains, je le sais, à susciter de la haine.

Oh ! pas une haine bien dangereuse ! Rien de grave. Le monde est beaucoup trop définitivement ensucré, gnangnantifié et sans retour, colonisé par les bonnes intentions, la prudence et les mièvreries, pour que je me sente en péril. L’horreur du bonheur est peut-être une idée neuve en Europe mais elle ne risque pas de faire beaucoup d’émules. Je sais qu’il y en a, chaque année, qui rêvent de vomir tout le mal qu’ils pensent de ma fête du Cœur venimeuse, de cette apothéose ravageante de l’approbation du monde, de cette culmination de la résignation enfestée. Mais je suis bien tranquille. J’ai été si souvent honni pour de mauvaises raisons que les excellentes de maintenant ne risquent pas d’être saisies avant longtemps.

Tout semble avoir été dit contre moi. la critique est recuite. C’est mon plus beau triomphe, d’avoir fatigué jusqu’à ceux qui me détestent. Quel ennui les saisit, quel accablement, dès qu’ils envisagent de me vitupérer ! Quelle sensation effarante d’inutilité ! Ils savent déjà tout ce qu’on va leur balancer ! Les accusations de banalité, de trivialité, qu’ils vont endurer ! Rentrer dans le lard du Père Noël, cette vieille porte ouverte ? Composer le millième rappel de la transformation du rite païen du solstice d’hiver en fête chrétienne à son tour sécularisée par le business ? La cent millième attaque futile contre la Nativité détournée de sa pureté originelle, noyée sous les cadeaux paralysants, les téléphones qui parlent, le super-Nintendo parfumé à la framboise, les chocolats à quartz et toutes les autres saloperies en multiplication galopante ? Vous êtes tombé sur la tête ?

Le Père Noël est une ordure ? Comme vous y allez ! Regardez-vous un peu. C’est tous les jours Noël maintenant. Ma grande réussite, c’est qu’on croit que mon oppression ne dure que quelques semaines par an, alors que je suis le ressort des illuminations des douze mois de l’année. Noël, c’est Noël. Et pâques c’est aussi Noël. Et le 15 août. Et la Saint-Sylvestre. Et le bonheur de merde des vacances, cette paix des grands cimetières sous le soleil. Les mains à Nikons valent les tronches à boudins blancs. Les gueules de camping-cars valent les têtes de bûches au chocolat. Toutes les fiestas conduisent à moi. et toutes les rages, et toutes les ruées, et toutes les foires. Et toutes les roues de la Fortune. Et tous les Manèges de la télé. Et toute la quincaillerie clinquante de l’égalité par la joie, de la fraternité par l’extase niaise, de l’apothéose du Rien tonitruant qu’on étend par couches de plus en plus épaisses sur la violence toujours recommencée, mais de plus en plus niée, du genre humain.

Qui est plus philanthrope, plus humanitaire, plus tartuffien solidaire que moi ? Qui règne davantage sur les plateaux ? L’avenir m’appartient. C’est moi le Cavalier suprême de l’Apocalypse en rose. Je préfigure si parfaitement la société future, l’humanité de demain bien gâteuse, bien transparente et transfrontières, bavante de positivité dans ses centres-villes toilettés, avec ses Twingo fœtales aux chouettes banquettes sièges-bébés, ses cadeaux infantiles, sa classe dominante d’apparatchiks du loisir, de tour-opérateurs, de charlatans de l’urbanisme rigolo, de promoteurs guimauve de la babyphilie définitive, d’entrepreneurs meurtriers de gaieté publique, qu’il faudrait la subtilité géniale d’un Kojève au moins (ce drôle de type qui avait placé sa fortune en actions de la Vache qui rit et qui avait des ennuis avec ses femmes parce qu’il refusait farouchement de leur faire des enfants) pour comprendre ce que je fabrique vraiment ; Kojève qui avait découvert, et dès 1943, qu’avec la fin de l’Histoire allait disparaître l’inégalité juridique entre l’enfant et l’adulte. "Ne pouvant pas supprimer le contrôle de l’action enfantine, on introduira donc un contrôle de l’action adulte", prévoyait-il. Mais c’est ça, Noël ! C’est exactement moi ! Mais ce qu’il n’avait pas deviné, Kojève, c’est que ça se ferait en pleine foire, en plein rideau de fumée de carnaval ! Joyeux Noël ! Bonne santé ! C’est maintenant que mon règne de corso fleuri peut démarrer.

Auteur: Muray Philippe

Info: Dans "Exorcismes spirituels I - Rejet de greffe", pages 398 à 400

[ convention sociale ] [ bonheur obligatoire ] [ consumérisme ]

 

Commentaires: 0

Ajouté à la BD par Coli Masson

cheptel humain

Malgré tout le bonheur que m’a procuré, à titre personnel, chaque voyage entrepris ces dernières années, une impression tenace s’est imprimée dans mon esprit : une horreur silencieuse devant la monotonie du monde. Les modes de vie finissent par se ressembler, à tous se conformer à un schéma culturel homogène. Les coutumes propres à chaque peuple disparaissent, les costumes s’uniformisent, les mœurs prennent un caractère de plus en plus international. Les pays semblent, pour ainsi dire, ne plus se distinguer les uns des autres, les hommes s’activent et vivent selon un modèle unique, tandis que les villes paraissent toutes identiques. Paris est aux trois quarts américanisée, Vienne est budapestisée : l’arôme délicat de ce que les cultures ont de singulier se volatilise de plus en plus, les couleurs s’estompent avec une rapidité sans précédent et, sous la couche de vernis craquelé, affleure le piston couleur acier de l’activité mécanique, la machine du monde moderne. Ce processus est en marche depuis fort longtemps déjà : avant la guerre, Rathenau avait annoncé de manière prophétique cette mécanisation de l’existence, la prépondérance de la technique, comme étant le phénomène le plus important de notre époque. Or, jamais cette déchéance dans l’uniformité des modes de vie n’a été aussi précipitée, aussi versatile, que ces dernières années. Soyons clairs ! C’est sans doute le phénomène le plus brûlant, le plus capital de notre temps.

[…]

Conséquences : la disparition de toute individualité, jusque dans l’apparence extérieure. Le fait que les gens portent tous les mêmes vêtements, que les femmes revêtent toutes la même robe et le même maquillage n’est pas sans danger : la monotonie doit nécessairement pénétrer à l’intérieur. Les visages finissent par tous se ressembler, parce que soumis aux mêmes désirs, de même que les corps, qui s’exercent aux mêmes pratiques sportives, et les esprits, qui partagent les mêmes centres d’intérêt. Inconsciemment, une âme unique se crée, une âme de masse, mue par le désir accru d’uniformité, qui célèbre la dégénérescence des nerfs en faveur des muscles et la mort de l’individu en faveur d’un type générique. La conversation, cet art de la parole, s’use dans la danse et s’y disperse, le théâtre se galvaude au profit du cinéma, les usages de la mode, marquée par la rapidité, le “succès saisonnier”, imprègnent la littérature. Déjà, comme en Angleterre, la littérature populaire disparaît devant le phénomène qui va s’amplifiant du “livre de la saison”, de même que la forme éclair du succès se propage à la radio, diffusée simultanément sur toutes les stations européennes avant de s’évaporer dans la seconde qui suit. Et comme tout est orienté vers le court terme, la consommation augmente : ainsi, l’éducation, qui se poursuivait de manière patiente et rationnelle, et prédominait tout au long d’une vie, devient un phénomène très rare à notre époque, comme tout ce qui s’acquiert grâce à un effort personnel.

[…]

Toutes ces choses, que j’ai seulement évoquées, le cinéma, la radio, la danse, tous ces nouveaux moyens de mécanisation de l’humanité, exercent un pouvoir énorme qui ne peut être dépassé. Toutes répondent en effet à l’idéal le plus élevé de la moyenne : offrir du plaisir sans exiger d’effort. Et leur force imbattable réside en cela : elles sont incroyablement confortables. La nouvelle danse peut être apprise en trois heures par la femme de ménage la plus maladroite, le cinéma ravit les analphabètes, desquels on n’exige pas une grande éducation pour profiter de la radio ; il suffit de mettre les écouteurs sur la tête, pour déjà l’entendre rouler dans l’oreille – même les dieux luttent en vain contre un tel confort. Ce qui n’exige que le minimum d’effort, mental et physique, et le minimum de force morale doit nécessairement l’emporter auprès des masses, dans la mesure où cela suscite la passion de la majorité. Et ce qui aujourd’hui encore réclame l’indépendance, l’autodétermination ou la personnalité dans le plaisir paraît dérisoire face à un pouvoir aussi surdimensionné. À vrai dire, au moment où l’humanité s’ennuie toujours davantage et devient de plus en plus monotone, il ne lui arrive rien d’autre que ce qu’elle désire au plus profond d’elle-même. L’indépendance dans le mode de vie et même dans la jouissance de la vie ne constitue plus, désormais, un objectif, tant la plupart des gens ne s’aperçoivent pas à quel point ils sont devenus des particules, des atomes d’une violence gigantesque. Ils se laissent ainsi entraîner par le courant qui les happe vers le vide ; comme le disait Tacite : “ruere in servitium”, ils se jettent dans l’esclavage […].

Ainsi, aucune résistance ! Ce serait une présomption scandaleuse que d’essayer d’éloigner les gens de ces petits plaisirs (intérieurement vides). Parce que nous – pour être honnêtes – qu’avons-nous d’autre à leur donner ? Nos livres ne les touchent plus, car ils ont cessé depuis longtemps de procurer les sueurs froides ou les excitations fébriles, que le sport et le cinéma prodiguent à foison. Ils ont même l’impudence d’exiger au préalable de nos livres, de notre effort mental et de notre éducation, une coopération des sentiments et une tension de l’âme. Nous sommes devenus – admettons-le – terriblement étrangers à tous ces plaisirs et passions de masse et donc à l’esprit de l’époque, nous, dont la culture spirituelle est une passion pour la vie, nous, qui ne nous ennuyons jamais, pour qui chaque jour est trop court de six heures, nous, qui n’avons besoin ni de dispositifs pour tuer le temps ni de machines d’arcade, ni de danse, ni de cinéma, ni de radio, ni de bridge, ni de défilés de mode. Il nous suffit de passer devant un panneau d’affichage dans une grande ville ou de lire un journal qui décrit en détail les batailles homériques des matchs de football pour sentir que nous sommes déjà devenus des outsiders, tels les derniers encyclopédistes pendant la Révolution française, une espèce aussi rare et menacée d’extinction aujourd’hui en Europe que les chamois et les edelweiss. Peut-être qu’un jour un parc naturel sera créé pour nous, derniers spécimens d’une espèce rare, pour nous préserver et nous conserver respectueusement en tant que curiosités de l’époque, mais nous devons avoir conscience que nous manquons depuis longtemps d’un quelconque pouvoir pour tenter la moindre chose contre cette uniformité croissante du monde. Devant cette lumière éblouissante de fête foraine, nous ne pouvons que demeurer dans l’ombre et, tels les moines des monastères pendant les grandes guerres et les grands bouleversements, consigner dans des chroniques et des descriptions un état de choses que, comme eux, nous tenons pour une déroute de l’esprit.

Auteur: Zweig Stefan

Info: L'uniformisation du monde

[ indifférenciation ] [ loisirs ] [ industrialisation ] [ normalisation ]

 
Commentaires: 9
Ajouté à la BD par Coli Masson

taylorisme

Quoique Taylor ait baptisé son système "Organisation scientifique du travail", ce n’était pas un savant. Sa culture correspondait peut-être au baccalauréat, et encore ce n’est pas sûr. Il n’avait jamais fait d’études d’ingénieur. Ce n’était pas non plus un ouvrier à proprement parler, quoiqu’il ait travaillé en usine. Comment donc le définir ? C’était un contremaître, mais non pas de l’espèce de ceux qui sont venus de la classe ouvrière et qui en ont gardé le souvenir. C’était un contremaître du genre de ceux dont on trouve des types actuellement dans les syndicats professionnels de maîtrise et qui se croient nés pour servir de chiens de garde au patronat. Ce n’est ni par curiosité d’esprit, ni par besoin de logique qu’il a entrepris ses recherches. C’est son expérience de contremaître chien de garde qui l’a orienté dans toutes ses études et qui lui a servi d’inspiratrice pendant trente-cinq années de recherches patientes. C’est ainsi qu’il a donné à l’industrie, outre son idée fondamentale d’une nouvelle organisation des usines, une étude admirable sur le travail des tours à dégrossir.

Taylor était né dans une famille relativement riche et aurait pu vivre sans travailler, n’étaient les principes puritains de sa famille et de lui-même, qui ne lui permettaient pas de rester oisif. Il fit ses études dans un lycée, mais une maladie des yeux les lui fit interrompre à 18 ans. Une singulière fantaisie le poussa alors à entrer dans une usine où il fit un apprentissage d’ouvrier mécanicien. Mais le contact quotidien avec la classe ouvrière ne lui donna à aucun degré l’esprit ouvrier. Au contraire, il semble qu’il y ait pris conscience d’une manière plus aiguë de l’opposition de classe qui existait entre ses compagnons de travail et lui-même, jeune bourgeois, qui ne travaillait pas pour vivre, qui ne vivait pas de son salaire, et qui, connu de la direction, était traité en conséquence.

Après son apprentissage, à l’âge de 22 ans, il s’embaucha comme tourneur dans une petite usine de mécanique, et dès le premier jour il entra tout de suite en conflit avec ses camarades d’atelier qui lui firent comprendre qu’on lui casserait la figure s’il ne se conformait pas à la cadence générale du travail ; car à cette époque régnait le système du travail aux pièces organisé de telle manière que, dès que la cadence augmentait, on diminuait les tarifs. Les ouvriers avaient compris qu’il ne fallait pas augmenter la cadence pour que les tarifs ne diminuent pas ; de sorte que chaque fois qu’il entrait un nouvel ouvrier, on le prévenait d’avoir à ralentir sa cadence sous peine d’avoir la vie intenable.

Au bout de deux mois, Taylor est arrivé à devenir contremaître. En racontant cette histoire, il explique que le patron avait confiance en lui parce qu’il appartenait à une famille bourgeoise. Il ne dit pas comment le patron l’avait distingué si rapidement, puisque ses camarades l’empêchaient de travailler plus vite qu’eux, et on peut se demander s’il n’avait pas gagné sa confiance en lui racontant ce qui s’était dit entre ouvriers.

Quand il est devenu contremaître, les ouvriers lui ont dit : "On est bien content de t’avoir comme contremaître, puisque tu nous connais et que tu sais que si tu essaies de diminuer les tarifs on te rendra la vie impossible." À quoi Taylor répondit en substance : "Je suis maintenant de l’autre côté de la barricade, je ferai ce que je dois faire." Et en fait, ce jeune contremaître fit preuve d’une aptitude exceptionnelle pour faire augmenter la cadence et renvoyer les plus indociles.

Cette aptitude particulière le fit monter encore en grade jusqu’à devenir directeur de l’usine. Il avait alors vingt-quatre ans.

Une fois directeur, il a continué à être obsédé par cette unique préoccupation de pousser toujours davantage la cadence des ouvriers. Évidemment, ceux-ci se défendaient, et il en résultait que ses conflits avec les ouvriers allaient en s’aggravant. Il ne pouvait exploiter les ouvriers à sa guise parce qu’ils connaissaient mieux que lui les meilleures méthodes de travail. Il s’aperçut alors qu’il était gêné par deux obstacles : d’un côté il ignorait quel temps était indispensable pour réaliser chaque opération d’usinage et quels procédés étaient susceptibles de donner les meilleurs temps ; d’un autre côté, l’organisation de l’usine ne lui donnait pas le moyen de combattre efficacement la résistance passive des ouvriers. Il demanda alors à l’administrateur de l’entreprise l’autorisation d’installer un petit laboratoire pour faire des expériences sur les méthodes d’usinage. Ce fut l’origine d’un travail qui dura vingt-six ans et amena Taylor à la découverte des aciers rapides, de l’arrosage de l’outil, de nouvelles formes d’outil à dégrossir, et surtout il a découvert, aidé d’une équipe d’ingénieurs, des formules mathématiques donnant les rapports les plus économiques entre la profondeur de la passe, l’avance et la vitesse des tours ; et pour l’application de ces formules dans les ateliers, il a établi des règles à calcul permettant de trouver ces rapports dans tous les cas particuliers qui pouvaient se présenter.

Ces découvertes étaient les plus importantes à ses yeux parce qu’elles avaient un retentissement immédiat sur l’organisation des usines. Elles étaient toutes inspirées par son désir d’augmenter la cadence des ouvriers et par sa mauvaise humeur devant leur résistance. Son grand souci était d’éviter toute perte de temps dans le travail. Cela montre tout de suite quel était l’esprit du système. Et pendant vingt-six ans il a travaillé avec cette unique préoccupation. Il a conçu et organisé progressivement le bureau des méthodes avec les fiches de fabrication, le bureau des temps pour l’établissement du temps qu’il fallait pour chaque opération, la division du travail entre les chefs techniques et un système particulier de travail aux pièces avec prime.

[...]

La méthode de Taylor consiste essentiellement en ceci : d’abord, on étudie scientifiquement les meilleurs procédés à employer pour n’importe quel travail, même le travail de manœuvres (je ne parle pas de manœuvres spécialisés, mais de manœuvres proprement dits), même la manutention ou les travaux de ce genre ; ensuite, on étudie les temps par la décomposition de chaque travail en mouvements élémentaires qui se reproduisent dans des travaux très différents, d’après des combinaisons diverses ; et une fois mesuré le temps nécessaire à chaque mouvement élémentaire, on obtient facilement le temps nécessaire à des opérations très variées. Vous savez que la méthode de mesure des temps, c’est le chronométrage. Il est inutile d’insister là-dessus. Enfin, intervient la division du travail entre les chefs techniques. Avant Taylor, un contremaître faisait tout ; il s’occupait de tout. Actuellement, dans les usines, il y a plusieurs chefs pour un même atelier : il y a le contrôleur, il y a le contremaître, etc.

Auteur: Weil Simone

Info: "La condition ouvrière", Journal d'usine, éditions Gallimard, 2002, pages 310 à 314

[ biographie ] [ résumé ]

 

Commentaires: 0

Ajouté à la BD par Coli Masson

anti-populisme

[Trump] n’était assurément pas l’ennemi des riches, dont il a beaucoup réduit les impôts. Mais il a aussi piétiné l’image idyllique de la mondialisation qui se trouve au fondement de la vision bourgeoise du monde depuis les années 1990. Il a eu des mots cruels pour les médias, la Silicon Valley et Wall Street. Il a critiqué l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) et prétendu s’opposer aux "guerres sans fin" au Proche-Orient. Enfin, bien qu’il n’ait presque rien fait pour y remédier, à l’exception de mesures protectionnistes que son successeur a eu l’intelligence politique de ne pas remettre en question, il a réveillé la colère de millions de travailleurs blancs – la hantise de l’élite éclairée depuis les années 1960. […]

On pourrait longtemps égrener les fake news du journalisme anti-Trump. Elles se comptent par dizaines, à tel point que, d’après le journaliste Matt Taibbi, la succession frénétique de pseudo-scandales a fini par servir de modèle économique aux médias : sitôt une affaire dégonflée, une autre venait la remplacer, leur assurant des succès d’audience tout au long cette présidence. Selon un recensement établi par le New York Times, 1 200 livres ont été publiés sur M. Trump entre 2016 et août 2020. Au cours de son mandat, les chaînes de télévision câblées ont rapporté ses méfaits avec un tel acharnement qu’il ne leur restait souvent plus assez de temps pour se soucier du reste de l’actualité. Son irruption sur la scène nationale leur a autant profité qu’aux plus fervents adeptes du président. Lui résister procurait par ailleurs à ces journalistes une raison d’être, comme le suggère un mème très populaire sur Internet ces dernières années : "Si vous vous êtes déjà demandé ce que vous auriez fait au temps de l’esclavage, de l’Holocauste ou du mouvement des droits civiques, vous allez à présent le découvrir". La guerre contre M. Trump a simplifié le monde à outrance, repeignant le moindre fait aux couleurs de l’urgence morale. […]

En termes de mots par mois de mandat, l’administration Trump doit avoir été la plus disséquée de l’histoire des États- Unis. L’hystérie "progressiste" qui l’a accompagnée n’a fait en revanche l’objet de presque aucune analyse sérieuse. Elle relève pourtant de l’histoire culturelle des années Trump, tout autant que le personnage lui-même. En fait, cette banalisation de l’outrance importe même davantage, car elle reflète les pensées et les craintes du groupe social dominant aux États-Unis, les millions de cadres et de membres des professions intellectuelles supérieures qui ont tant prospéré ces dernières décennies. Si M. Trump n’est plus autant sur le devant de la scène – pour le moment – les "cols blancs" qui l’ont méprisé continuent de savourer leur victoire. Leur vision du monde imprègne désormais toutes les grandes institutions : la Silicon Valley, Wall Street, les universités, les médias, le secteur associatif. […]

Quand Timothy Snyder [l’écrivain anti-Trump auteur du livre "De la tyrannie"] prédisait, en 2017, que les États-Unis risquaient de sombrer dans une "culture de la dénonciation", il avait parfaitement raison – à ceci près que les internautes "progressistes", et non M. Trump, allaient bientôt réclamer la défenestration des ennemis de la vertu. Il n’avait pas tort non plus de mettre en garde contre une imminente "suspension de la liberté d’expression" – à ceci près que la prophétie fut réalisée par le sympathique monopole des réseaux sociaux, Facebook et Twitter en tête, et non par le régime de M. Trump. Dans son manuel de résistance à la dictature, Snyder s’adresse aux diplômés de l’enseignement supérieur, les implorant de commencer à agir en tant que membres d’une même classe, afin d’exercer "un certain pouvoir". Ce genre d’invocation est récurrent. Le seul moyen d’arrêter l’autoritarisme serait de renforcer le pouvoir des figures traditionnelles de l’autorité, des "autorités autorisées", pourrait-on dire : la cohorte de diplômés qui forment la classe des commentateurs, professeurs, éditorialistes, financiers, docteurs, avocats et génies des nouvelles technologies. Depuis 2016, l’idée a été rebattue sur tous les tons : un Trump est ce que vous récoltez chaque fois que vous ne respectez pas ceux qui savent. Mais aussi : si M. Trump est bien Hitler, alors il faut écraser son mouvement, censurer ses partisans, refuser qu’ils profitent des règles de la démocratie ordinaire pour la détruire. Douter de la parole des autorités serait le premier pas vers le "crépuscule de la démocratie", pour reprendre le titre d’un ouvrage publié en 2020 par Anne Applebaum.

Selon cette essayiste très populaire, ce qui a mené à la terrible ère de M. Trump est la fragmentation des élites dirigeantes. Applebaum se remémore avec émotion l’époque où les intellectuels vivaient en harmonie, où ses amis s’accordaient sur les bienfaits de la mondialisation néolibérale et où tous psalmodiaient les mêmes tables de la Loi. Hélas, regrette- t-elle, certains "membres de l’élite intellectuelle et diplômée", y compris parmi ses propres amis, se sont mis à contester "le reste de l’élite intellectuelle et universitaire". Une "trahison", estime Applebaum, qui renvoie elle aussi à Hitler. Que des gens instruits ne s’accordent pas toujours entre eux apparaît inconcevable à l’auteure, pour qui la doctrine de la méritocratie est le mécanisme permettant à une société de choisir une élite qui croit aux mêmes choses qu’Applebaum. Penser autrement reviendrait à trahir sa responsabilité d’intellectuel. Aucun des semeurs de panique évoqués ici ne prend au sérieux les questions et les forces sociales qui ont poussé les Américains à voter pour M. Trump. […]

Qu’est-ce qui déclenche une telle réaction ? […] Les discours les plus outranciers proviennent des classes les plus privilégiées de la société : autrefois, les patrons de presse, chefs d’entreprise et avocats d’affaires ; désormais, les surdiplômés qui exercent un contrôle hégémonique sur les médias et l’industrie de la "connaissance". Dans chacun des épisodes cités, ils percevaient les mouvements politiques de leur pays comme un péril mortel pour leur propre statut. […] La fureur anti-Trump est souvent considérée comme un phénomène progressiste, voire une renaissance de la gauche. Mais elle a aussi ouvert la voie à cette nouvelle forme d’autoritarisme, portée par des démocrates. Dans le paysage politique contemporain, on entend désormais des avocats reconnus exprimer leur aversion pour la liberté d’expression, des banques, des services de renseignement et des industriels de la défense déclarer leur solidarité avec les minorités opprimées, des élus démocrates faire pression sur Google, Facebook ou Twitter pour qu’ils recourent plus systématiquement à la censure – le tout sur fond de condamnation de la nocivité intrinsèque de la classe ouvrière blanche. Ainsi s’exprime une aristocratie qui refuse de tolérer l’existence même d’une partie appréciable de la population qu’elle gouverne. À ses yeux, les seules "normes" qui semblent désormais compter sont celles qui la maintiendront tout au sommet.

Auteur: Frank Thomas

Info: https://www.monde-diplomatique.fr/2021/08/FRANK/63420

[ adversaires ] [ pensée unique ] [ conservation du pouvoir ] [ GAFAM ] [ point godwin ] [ état profond ]

 

Commentaires: 0

Ajouté à la BD par Coli Masson

servitude inconsciente

Connaissez-vous la blague de l'antisémite qui rencontre un juif orthodoxe dans un train ?

J'adore cette blague car elle s'appuie bien évidemment, comme toutes les bonnes blagues, sur des clichés (racistes, sexistes ...) et vous savez bien qu'une façon de sympathiser avec un étranger est de vous raconter des blagues racistes sur les appartenances ethnique, religieuse ... de chacun. Pourquoi cela marche si bien ? Je pourrais peut-être vous l'expliquer à l'aide de la théorie lacanienne plus tard ... mais d'abord je vous raconte cette bonne blague !

La scène se passe dans un train entre Vienne et Salzbourg. Un jeune autrichien se retrouve assis à côté d'un juif orthodoxe d'un certain âge. Un peu gêné, le jeune homme surmonte sa timidité, et parvient à s'adresser au religieux :

— Bonjour Monsieur ... Excusez-moi de vous déranger ... Est-ce que vous ... Est-ce que ... vous êtes juif ?

— Visiblement. 

— Je peux vous poser une question ?

— Ça sera déjà la troisième ... mais oui ... je vous en prie.

— Ça va certainement vous paraître déplacé, même raciste, mais j'ai toujours voulu savoir si ce que l'on dit à propos des juifs était exact ... est-ce que ... est-ce que c'est vrai que tous les juifs sont riches ?

— Il s'agit d'une rumeur fondée ... 

— Ah ! C'est donc vrai ! J'en étais sûr ! Mais ... dites-moi ... avez-vous un secret ? Une méthode peut-être ? 

— Évidemment. Cependant cette méthode est fastidieuse à développer et je crains, pour vous, qu'elle ne soit trop ennuyeuse à écouter ... 

— Je vous assure que j'ai le temps devant moi ! Même si cela doit prendre tout le trajet ! 

— Êtes-vous bien sûr ... ?  

— Oui ! Sûr et certain !

— Bon ... très bien ... vous savez cette méthode, ce secret ancestral, devrais-je même dire, n'est réservé qu'aux initiés ... mais, pour vous, je veux bien faire une exception à condition que vous me donniez cinq euros.

— Cinq euros ? Seulement ? Si c'est tout ce que vaut ce secret millénaire qui peut rendre un homme riche, alors tenez ! Prenez-les donc ! Ils sont à vous !

Après un long moment visage clos et bouche cousue le vieil homme se mit à parler et narra une histoire fabuleuse, faite de détours splendides, de délicates circonvolutions, d'anecdotes d'un humour d'une exquise finesse. Cette histoire puisait son origine dans la nuit des temps, dans la mystérieuse mémoire oubliée des hommes ... et soudainement, le vieil homme se tût.

— Quoi ? C'est tout ? Mais vous n'avez rien expliqué ! s'exclama le jeune autrichien.

— Ne soyez pas si impatient, dit le religieux d'une voix calme et assurée, ce n'est que le début du commencement. Si vous voulez connaître la suite, il faut payer cinq euros.

— D'accord, d'accord ! Tenez ! Continuez ! Je vous en prie !

Le religieux reprit alors le fil de cette merveilleuse histoire qui s'avèrait, au fil des minutes qui s'écoulaient, plus merveilleuse encore et en devenait même exaltante. Mais, de nouveau, le juif se tût au beau milieu d'une phrase. Automatiquement, le jeune autrichien tendit un autre billet de cinq euros et le religieux se remit à parler. Ce scénario se répéta jusqu'à ce que le train arrive en gare, moment qui coïncida curieusement avec l'impossibilité pour le jeune autrichien de payer davantage : le pauvre bougre n'avait plus un seul centime sur lui. Et c'est ainsi que les deux hommes se quittèrent ...

Cela va peut-être vous surprendre mais je pense que la situation actuelle, c'est-à-dire la gestion de l'épidémie de coronavirus, a exactement la même structure que cette blague. Bien sûr à la place du jeune autrichien, nous avons le peuple, à la place du juif orthodoxe, il y a le gouvernement, et à la place de l'argent se tient la liberté. Le gouvernement déploie son récit autour du coronavirus et exige d'abord du peuple un petit geste, anodin, qui n'a l'air de rien : porter un masque. Le peuple se dit alors que si cela peut lui permettre de recouvrer sa liberté, pourquoi pas. Et puis l'histoire continue, et une nouvelle exigence se fait entendre : maintenant il s'agit de se confiner. Et puis ensuite il s'agira de présenter une identification numérique partout où il se rend. Identification numérique elle-même fournie à condition d'avoir accepté une procédure médicale ... et ainsi de suite jusqu'à ce qu'à la fin, le peuple, croyant ainsi retrouver sa liberté en la sacrifiant, comme le jeune autrichien croyant devenir riche en dépensant son argent, a produit une nouvelle réalité sociale et se retrouve pris au dépourvu car il a donné tous les moyens nécessaires au gouvernement pour se retrouver dans cette position. 

Vous aurez bien sûr reconnu dans cette petite blague et le parallèle avec la gestion de l'épidémie ce que l'on appelle en psychanalyse le surmoi. Le surmoi est l'écart réel entre le moi-idéal (imaginaire) et l'idéal-du-moi (symbolique) que la subjectivité tente coûte que coûte de combler, surtout en se sacrifiant, en se faisant payer cet écart. Il s'agit d'un cercle vicieux puisque le surmoi plus on lui obéit plus on se sent coupable. C'est comme le jeune autrichien qui paye encore et encore ou le peuple qui s'éloigne de "la vie d'avant" à mesure qu'il croit s'en rapprocher en sacrifiant toujours un peu plus sa liberté. 

Une interprétation antisémite de cette blague pourrait être que le juif profite de l'ignorance d'un brave homme pour s'enrichir mais ça serait oublier qu'en réalité le juif ici ne fait pas simplement de dire à l'autrichien comment s'enrichir mais il lui montre littéralement. Charge est à l'autrichien de le comprendre. Cela pourrait nous faire faire un pas vers la différence entre ce que l'on appelle en linguistique l'énoncé et l'énonciation. Ainsi, nous pourrions nous demander si le jeune autrichien antisémite tirera un enseignement de cette leçon reçue par le juif orthodoxe ? Ou va-t-il perdurer dans son antisémitisme et se positionner d'autant plus comme victime éternelle de l'avidité qu'il suppose aux juifs, qu'en réalité, il ne fait que produire par son positionnement vis-à-vis de cette communauté ? Ainsi le peuple va-t-il se positionner comme l'éternelle victime de son gouvernement qu'il suppose — et certainement à raison mais cela ne change strictement rien — être profondément corrompu par les puissances financières de ce monde, ne travaillant que pour les intérêts privés au détriment du bien commun ? Ou va-t-il, comme le dit La Boétie, finalement s'apercevoir que ce que le gouvernement a de plus que le peuple ne sont que les moyens que celui-ci lui fournit pour indirectement se détruire ?

Nous avons toujours le gouvernement que nous méritons.

Auteur: Goubet-Bodart Rudy

Info: https://www.rudygoubetbodart.com/single-post/qui-a-enlev%C3%A9-slavoj-zizek?

[ complice ] [ crédulité ] [ fonctionnement du pouvoir ] [ covid-19 ]

 

Commentaires: 0

Ajouté à la BD par Coli Masson

judaïsme

Dimanche dernier, le ministre israélien de la Justice, Yossef Lapid, s'élevait avec virulence contre les opérations militaires meurtrières et destructrices à Rafah, dans la bande de Gaza: "Il faut cesser la destruction de maisons, elle n'est ni humaine ni juive, et provoque des dégâts énormes dans le monde, déclarait-il. L'image de la vieille femme cherchant ses médicaments dans les ruines m'a rappelé ma grand-mère, expulsée de sa maison pendant l'Holocauste." Naïvement, on se sentait réconforté par une telle intervention. On espérait qu'elle allait provoquer le débat, émouvoir enfin l'opinion israélienne et internationale, peut-être même amener certains à réclamer la démission d'Ariel Sharon... Résultat: ce qui provoque un tollé, ce ne sont pas les morts et les saccages de Rafah, mais les propos de Yossef Lapid. C'est de sa démission -à lui- qu'on discute gravement. Du tas de décombres et de victimes palestiniennes sur lequel il trône, Sharon se dit "scandalisé". Il reproche à son ministre de "donner des arguments à la propagande anti-israélienne", "sur la foi d'images des télévisions arabes", sans "vérifier leur véracité" (Libération, 24 mai) - comme si les exactions de Rafah n'avaient aucune réalité, comme si c'étaient une fois de plus ces fourbes d'Arabes qui nous jouaient la comédie de la douleur, voire qui auraient dynamité eux-mêmes leurs maisons par pure malveillance antisémite... Il ne vient apparemment à l'idée de personne que ce sont les opérations criminelles de Tsahal qui "donnent des arguments à la propagande anti-israélienne", et que les paroles de Lapid, au contraire, sauvent l'honneur.

"Le ministre de la Justice est-il allé trop loin?" Sur France-Inter, à treize heures, aujourd'hui, c'est la question que l'on pose à David Shapira, le porte-parole... des colons juifs de Cisjordanie et de Gaza. Et voilà comment le représentant d'individus qui constituent l'un des plus sérieux obstacles à un règlement du conflit, qui vivent en infraction permanente avec les accords de paix et la législation internationale, se retrouve dans le rôle de la victime offensée, demandant des comptes à celui qui l'a lésée. Magnanime, Shapira ne réclame pas la démission de Lapid, mais estime qu'il doit présenter "des excuses publiques", et, comme le journaliste qui l'interroge, il note, navré, qu'il ne l'a toujours pas fait à cette heure. "On peut être d'accord ou non avec ce qui se passe en ce moment à Gaza, mais on n'a pas le droit de comparer ces événements avec l'extermination systématique de six millions de juifs en Europe": on imagine combien le porte-parole des colons doit être bouleversé par ce qui se passe à Gaza, en effet. Yossef Lapid, dit-il, "insulte tous ceux qui ont été assassinés systématiquement" par les nazis.

Tanya Reinhardt: "Il semble que tout ce que nous avons intériorisé de la "mémoire de l'Holocauste", c'est que tout mal de moindre ampleur est acceptable"

Ça se passe toujours comme ça: lorsqu'un Israélien utilise la référence au génocide pour tenter d'ébranler ses concitoyens en suscitant chez eux une identification avec les Palestiniens, sa démarche aboutit à l'inverse de l'effet recherché - on a encore pu le constater récemment en France avec la polémique déclenchée par le film d'Eyal Sivan et Michel Khleifi, "Route 181". Elle a pour résultat de relancer les discours sur la "banalisation" du génocide, sur l'impossibilité de comparer ce qui est incomparable - et de faire purement et simplement _disparaître_ les Palestiniens et les crimes commis à leur encontre. La vieille femme de Rafah qui cherchait ses médicaments dans les décombres de sa maison a d'ores et déjà _disparu_. La vieille femme de Rafah peut crever. Il n'y a pas de volonté délibérée d'exterminer les Palestiniens, ils ne sont pas assassinés "systématiquement", alors ils peuvent crever: c'est aussi simple que ça. Le problème, c'est qu'entre l'affirmation, vraie en tant que telle, de l'impossibilité de comparer les deux événements, et l'idée qu'une vie d'Arabe ne compte pas, qu'une mort d'Arabe est une broutille négligeable, la frontière est décidément très mince. On pense à cette remarque amère de l'universitaire israélienne Tanya Reinhardt: "Il semble que tout ce que nous avons intériorisé de la "mémoire de l'Holocauste", c'est que tout mal de moindre ampleur est acceptable. La référence au génocide est utilisée pour rendre inaudible, pour escamoter la souffrance des Palestiniens. Pour frapper un peuple tout entier d'un effacement inéluctable, dont le mur de séparation n'est que la traduction concrète. Et on voudrait nous faire croire que c'est Yossef Lapid qui insulte la mémoire des victimes de la Shoah...

Nul besoin d'éprouver dans sa chair les effets concrets de ce verrouillage idéologique pour comprendre qu'il y a là de quoi rendre un peuple fou. L'un des grands arguments de la guerre israélienne de l'information consiste à demander pourquoi le monde entier s'émeut davantage du sort des Palestiniens que de celui des Tchétchènes ou des Algériens - insinuant par-là que la raison en serait un fonds incurable d'antisémitisme. Au-delà de ce qu'il y a d'odieux dans cette manière de nous ordonner de regarder ailleurs, on peut assez facilement répondre à cette question. On s'en émeut davantage (et ce n'est qu'un supplément d'indignation très relatif, d'ailleurs) parce que, avant que les Etats-Unis n'envahissent l'Irak, c'était le dernier conflit colonial de la planète - même si ce colonisateur-là a pour caractéristique particulière d'avoir sa métropole à un jet de pierre des territoires occupés -, et qu'il y a quelque chose d'insupportable dans le fait de voir des êtres humains subir encore l'arrogance coloniale. Parce que la Palestine est le front principal de cette guerre que l'Occident désoeuvré a choisi de déclarer au monde musulman pour ne pas s'ennuyer quand les Rouges n'ont plus voulu jouer. Parce que l'impunité dont jouit depuis des décennies l'occupant israélien, l'instrumentalisation du génocide pour oblitérer inexorablement les spoliations et les injustices subies par les Palestiniens, l'impression persistante qu'ils en sont victimes - en tant qu'Arabes -, nourrit un sentiment minant d'injustice. Il y a et il y aura toujours des hommes et des femmes pour continuer à le clamer: contre ce sentiment d'injustice, qui peut amener certains de ceux qui l'éprouvent à commettre des actes barbares, les intimidations de la propagande ne pourront jamais rien. Elles ne pallieront jamais la nécessité de la justice. Il est indécent de clamer, lorsqu'on condamne le terrorisme, que le désespoir n'excuse pas tout, et de continuer par ailleurs à alimenter cyniquement ce désespoir. Ariel Sharon a beau faire mine de mettre en doute la crédibilité des images de Gaza, il a beau vouloir nous faire croire que le scandale, ce sont les déclarations de Yossef Lapid, ces images existent. Des millions de gens à travers le monde les voient. Ils savent parfaitement qu'elles sont très réelles, et que le message qu'elles envoient est très réel lui aussi. Sous peine de contribuer activement à l'intensification de cette "guerre civile mondiale" dont parle Eric Hazan, il faudra bien que les gouvernements et les médias d'Occident se décident un jour, eux aussi, à voir la vieille femme palestinienne fouillant les décombres de sa maison de Rafah.

Auteur: Chollet Mona

Info:

[ . ]

 

Commentaires: 0

sciences

36'000 sexes, mais à deux, c'est mieux pour les biologistes de l'évolution, le sexe est un mystère - et le binôme mâle-femelle un paradoxe. Explications sur l'origine des genres.
"L'émergence des genres reste un problème déroutant en biologie, lance Lukas Schärer, spécialiste de l'évolution de la reproduction à l'Université de Bâle. Nous ne comprenons pas encore tout à fait le sexe."
Car la présence de deux sexes amène un désavantage immédiat: elle réduit de moitié la probabilité de rencontrer un partenaire de reproduction. "Avoir deux genres n'est pas seulement une mauvaise stratégie; c'est la pire", renchérit Laurence Hurst, biologiste à l'Université de Bath (G.B.) et l'un des spécialistes mondiaux de l'évolution de la reproduction. Avec un seul genre - ou une multitude -, nous pourrions nous reproduire avec tout le monde.
La reproduction sexuée présente des avantages évidents sur le plan de l'évolution (voir encadré plus bas). Mais qui dit sexe ne dit pas forcément mâle et femelle: il est tout à fait possible de fusionner deux cellules similaires. "Il faut distinguer deux étapes, précise Laurence Hurst. D'abord, on doit pouvoir expliquer l'émergence de deux types de gamètes (les cellules reproductrices, ndlr) qui - tout en restant morphologiquement identiques - ne peuvent fusionner que l'un avec l'autre. Un deuxième niveau concerne leur différenciation en gamètes mâles et femelles, qui sont non seulement distincts, mais également différents." "Des théories existent, ajoute Lukas Schärer, mais leur démonstration univoque par des expériences fait encore défaut."
La faute aux mitochondries
Dans les années 1990, Laurence Hurst a proposé une piste pour élucider la première étape: un seul genre favoriserait des mutations potentiellement nuisibles. "En fusionnant, les gamètes ne combinent pas seulement les informations génétiques contenues dans leur noyau, mais partagent aussi leurs mitochondries (responsable de fournir la cellule en énergie, ndlr), explique le biologiste anglais. Comme celles-ci évoluent indépendamment du noyau, il n'est pas certain que les mitochondries dominantes, qui par exemple se reproduisent plus rapidement que les autres, s'avèrent également bénéfiques à la cellule et à l'individu."
Une solution à ce problème serait procurée par l'émergence de deux types de gamètes (appelés "+" et "-"), dont un seul est capable de transmettre ses mitochondries. On réduit ainsi les probabilités d'avoir des mutations mitochondriales délétères à la cellule. Afin de propager les types de mitochondries bénéfiques à l'individu, il y aurait un avantage évolutionniste à ce que seuls les différents types de gamètes puissent fusionner entre eux.
"Notre thèse est appuyée par des observations faites sur des protozoaires ciliés, poursuit Hurst. Ceux qui se reproduisent par fusion et mélangent leurs mitochondries ont deux genres alors que d'autres, qui ne font qu'échanger leur noyau sans partager leurs mitochondries, possèdent non pas deux mais des centaines de genres distincts. On observe le même phénomène chez les champignons: ils n'échangent que leur noyau, et certains possèdent jusqu'à 36'000 sexes." Avoir exactement deux sexes servirait ainsi à filtrer les mitochondries.
A quoi ressemble l'acte de chair lorsqu'on a plusieurs genres? "Les deux partenaires doivent être d'un genre différent, répond Lukas Schärer. Au niveau des probabilités, un nombre élevé de sexes se rapproche de l'absence de genre de plusieurs façons, car on peut se reproduire avec à peu près tout le monde. L'existence de genres protège les individus de l'auto-fertilisation, qui est dangereuse car elle expose souvent des mutations délétères." De nombreux sexes, donc, pour éviter la consanguinité.
La naissance du mâle
Mais pourquoi les + et les - se sont-ils ensuite différenciés en "mâles" et "femelles"? Dans les années 1970, le biologiste Geoff Parker a proposé un mécanisme évolutionniste. Des mutations ont changé la taille des cellules reproductives. Graduellement, deux types d'individus ont été sélectionnés, qui produisent soit des spermatozoïdes petits, nombreux et de valeur limitée, soit des oeufs gros, rares et précieux. Les premiers peuvent être produits en très grand nombre, ce qui augmente la probabilité de rencontre. Grâce à leur grande taille, les seconds ont davantage de chances d'être fécondés et peuvent fournir une grande quantité de matière au zigote (obtenu par la fusion des gamètes), ce qui améliore ses chances de survie. "L'évolution de l'anisogamie (des gamètes de tailles différentes, ndlr) a eu lieu plusieurs fois au cours de l'évolution et ceci de manière indépendante", rappelle Brian Charlesworth, professeur de biologie évolutionnaire à l'Université d'Edimbourg. "L'anisogamie a probablement moins de chance d'évoluer dans des espèces plus petites, car l'avantage procuré par un grand oeuf joue un rôle plus faible", note Lukas Schärer.
Reste encore la différentiation au niveau de l'individu: pourquoi la plupart des animaux comprennent des mâles et des femelles - au lieu de favoriser l'hermaphrodisme? Ce dernier s'accompagne du risque d'autofertilisation et des problèmes dus à la consanguinité, mais atténue la difficulté de trouver un partenaire. Cet avantage pourrait être un facteur déterminant chez les plantes: incapables de se déplacer, elles sont en grande majorité hermaphrodites. Au contraire des animaux, qui eux ont les moyens de partir chercher l'âme soeur.
Les bienfaits du sexe
Le but de la chair, c'est de mélanger pour mieux s'adapter. En combinant les gènes des deux parents, la reproduction sexuée permet de sélectionner les bonnes mutations et de purger les mauvaises. "Des expériences avec des levures modifiées pour se reproduire asexuellement ont montré qu'elle s'adaptent moins rapidement aux changements de l'environnement, détaille Laurence Hurst de l'Université de Bath (G.B.). On a pu observer que certaines espèces capables d'utiliser les deux modes de reproduction favorisent la voie sexuée lorsqu'elles se voient soumises à des pressions de l'environnement." Une fois le danger passé, elles retournent au sexe en solitaire - également favorisé lorsque la rencontre d'un partenaire s'avère trop difficile.
Le kamasutra de la Nature
Entre des bactéries échangeant du matériel génétique et des champignons possédant des milliers de sexes, la Nature ne montre aucun tabou. Les hermaphrodites simultanés tels que la majorité des plantes et escargots possèdent les appareils génitaux mâles et femelles, alors que les hermaphrodites séquentiels (certains poissons et crustacés) changent de sexe au cours du temps. Les êtres hétérogames (amibes sociales, micro-crustacés, algues) peuvent alterner entre reproduction asexuée et sexuée. On a observé que les femelles d'un certain nombre d'animaux (dont le dragon du Komodo et le requin marteau) peuvent parfois se passer de mâle pour se reproduire par parthénogenèse lorsque rencontrer l'âme soeur s'avère trop difficile. Les polyploïdes, eux, ne possèdent pas des paires de chromosomes comme la plupart des animaux sexués, mais de multiples copies: une espèce de salamandre n'a que des femelles possédant leurs chromosomes en triple. Elles se reproduisent par "cleptogénèse", en volant des spermatozoïdes de variétés voisines.
80 millions d'années sans sexe: un scandale évolutionnaire
Même si les premiers êtres vivants unicellulaires comme les bactéries se sont toujours reproduits de manière asexuée, "la plupart des êtres multicellulaires asexués ont évolué à partir d'espèces sexuées, note Brian Charlesworth de l'Université d'Edimbourg. Ils n'ont pas eu le temps de se diversifier et sont normalement d'origine récente." La découverte que des invertébrés aquatiques asexués appelés bdelloidés ont survécu quelque 80 millions d'années fut qualifiée de "scandale évolutionnaire" par le biologiste John Maynard Smith. Autre particularité, ces invertébrés pratiquent une forme d'hibernation: face à une pression environnementale, ils peuvent sécher et entrer en animation suspendue. En 2008, une étude d'Harvard apporte un élément de réponse: lorsqu'ils se réveillent, les bdelloidés incorporent l'ADN étranger se trouvant à proximité. Même pour les êtres asexués, le mélange des gènes semble incontournable pour survivre.

Auteur: Saraga Daniel

Info: Largeur.com, 25 mai 2011

[ couple ] [ reproduction ]

 

Commentaires: 0

émoi

Les émotions et leurs expressions ont-elles varié à travers le temps? Exprimait-on de la même manière la joie au Moyen-Age qu’aujourd’hui? La colère et la douleur? Après leurs très remarquées Histoire du corps et Histoire de la virilité, parues au Seuil, les historiens Alain Corbin, Jean-Jacques Courtine et GV dirigent cette fois une ambitieuse et passionnante Histoire des émotions en trois volumes.

Cette somme d’articles réunit les meilleurs spécialistes mais s’adresse à un large public et se lit comme un formidable récit. Les premiers volumes paraissent aujourd’hui. Ils nous emmènent de l’Antiquité au Moyen Age, et jusqu’à la veille de la Révolution. Le troisième, qui couvrira la période moderne, est annoncé pour 2017. GV revient sur cette passionnante évolution.

- Le Temps: En vous lisant, on découvre que les émotions sont culturellement construites et varient selon les époques…

- GV :
 L’émotion est un phénomène central par lequel nous pouvons préciser les univers culturels et sociaux. Dans cette étude collective, nous avons traversé le temps, de la Grèce antique à l’époque contemporaine. Mais nous avons aussi cherché à dessiner une géographie de l’émotionnel au sein d’une même société. Au XVIIe siècle, par exemple, le monde populaire n’a pas le même régime émotionnel que celui de la cour… Dans l’Antiquité non plus. Prenez Sénèque. Lorsqu’il décrit l’univers émotionnel de la romanité, il dit que l’homme libre, le citoyen, maîtrise ses émotions. Ce qui est moins le cas, selon lui, de la femme, encore moins de l’esclave ou du barbare. Il établit donc une gradation entre la fermeté et la trop grande sensibilité. Il dessine une hiérarchie.

– Comment évolue la notion d’émotion à travers l’histoire?

– Le mot n’apparaît en français qu’au XVIe siècle. D’abord, on décrit essentiellement l’émotion par des caractéristiques physiques. Pour parler d’un tremblement de terre, on dira que "la Terre a reçu de l’émotion". Au XVIIe, il y a une centration sur les "humeurs corporelles" ou les "esprits". La tristesse est ainsi décrite comme le reflux des humeurs vers l’intérieur du corps. Mais bientôt on ne se satisfait plus de ces images "physiques". L’univers psychique se construit, avec ses logiques et ses spécificités…

On assiste au développement d’une délicatesse progressive, dans la seconde moitié du XVIIe siècle. L’histoire des émotions se lit aussi à travers les mots employés. "Emotion" et "passion" sont d’abord synonymes. Puis "émotion" prend la notion de "choc". Enfin, la notion de "sentiment" se crée, beaucoup plus douce, obscure et fermée.

– Est-ce que notre époque ose exprimer ses émotions?

– L’homme se montre beaucoup plus qu’auparavant susceptible d’être sensible, à l’écoute, et atteint par l’autre. C’est le propre des sociétés compassionnelles, qui sont aussi victimaires. Nous sommes en empathie. D’un autre côté, l’attention à l’autre fait que l’on reste sur sa réserve, pour ne pas le troubler. Par exemple, ceux qui ont connu l’atrocité des camps de concentration ont eu du mal à témoigner de leurs souffrances à leurs proches. On pourrait parler d’un système schizophrénique: il faut montrer sa compassion, mais si on le fait trop, on court le risque de troubler l’autre.

Le XXe siècle, de manière caricaturale, c’est une montée de l’individualisme. Le fait d’être plus centré sur soi et plus attentif sur ce qui se passe à l’intérieur de soi, avec des phénomènes qui vont jusqu’à l’hypocondrie. Notre frontière devient plus fragile, on a l’impression d’être davantage bousculé… Plus le régime émotionnel monte, plus émerge en parallèle une insécurité diffuse. Nos sociétés sécrètent davantage d’anxiété qu’auparavant.

– A quoi s’ajoute la question du terrorisme et des attentats…

– C’est très frappant: nous sommes dans des sociétés qui tolèrent de moins en moins la violence, des sociétés "douces". Si la torture devait se pratiquer, elle devrait le faire sans laisser de traces physiques. Sinon, ce serait insupportable pour l’opinion. Mais les adversaires de cette société, que font-ils pour créer de la panique, de l’inquiétude? Ils montrent la violence, ils la multiplient sur les écrans. C’est un paradoxe. Nous voulons effacer la violence, mais nos ennemis la mettent en scène. Autre paradoxe, le terroriste, s’il entend incarner la terreur, ne doit pas afficher de sentiments. Il ne doit pas montrer qu’il peut être atteint, qu’il peut avoir peur. Cela soulève aussi la question du trauma, très importante aujourd’hui. Comment l’émotion peut voyager à l’intérieur de nous-même pour créer de la subversion. Notre époque s’en méfie.

– Si on ressent de plus en plus à l’époque moderne, il faut aussi apprendre à cacher ses émotions pour réussir…

– A l’époque de la royauté, la cour en est un magnifique exemple. Pour vous imposer dans ce système, il faut à tout prix cacher ce que vous éprouvez. Il faut conduire des tactiques du secret. La modernité crée cela. On ne montre pas, on calcule. Les vieux barons du Moyen Age n’y auraient rien compris. A leur époque, on devait manifester la douleur, les émotions, de manière violente.

– Justement, l’expression de la colère a-t-elle varié à travers les âges?

– Dans l’Antiquité et au Moyen Age, le pouvoir pouvait parfaitement exprimer sa colère de manière abrupte, tranchée, en l’imposant à autrui. Mais le pouvoir d’une société démocratique ne peut pas être colérique. Il doit négocier, car la colère apparaît comme la manifestation d’une non-maîtrise. De manière plus générale, on assiste à une stigmatisation plus aiguë de tout ce qui peut apparaître comme un débordement. La psychanalyse est passée par là. Tout ce qui fait émerger un inconscient perturbateur est considéré comme peu acceptable. Il faut être "cool". Une forme de maîtrise faite de sérénité, pas de rigidité.

– Qu’en est-il de l’expression du plaisir et de la jouissance?

– La première position chrétienne consiste à adopter une attitude très réservée vis-à-vis du plaisir. Se laisser aller à l’amour terrestre, c’est oublier l’amour divin. Mais, après Saint-Augustin, l’amour pour Dieu devient plus sensible. A la Renaissance, les poètes invitent à vivre les joies de l’instant, souvenez-vous de Ronsard. La modernité est en germe. Elle se traduira par le triomphe du présent et de la jouissance qu’il peut comporter. Aujourd’hui, la publicité en témoigne. Pour vendre un déodorant, on nous montre une femme qui exulte et danse sur une table, dans des gestes toujours harmonieux, mais exprimant un bonheur intense.

– Sur quels documents se base-t-on pour dresser une histoire des émotions?

– Sur toutes les représentations des émotions à travers l’art, la statuaire ou la peinture. Mais les textes littéraires sont également très importants. Les mémoires et les correspondances aussi, je pense aux lettres de Madame de Sévigné, qui mettent en scène de manière inusitée l’amour filial. La littérature médicale, quant à elle, nous apprend beaucoup sur la façon dont on prend en compte les tempéraments, pensez à la mélancolie. Enfin, la littérature juridique, sur le viol notamment, permet de définir le statut de la victime, la reconnaissance ou non de son émotion.

Pour l’Antiquité et le Haut Moyen Age, les traces laissées dans les tombes sont éclairantes. Nous publions un article de Bruno Dumézil, qui rappelle que l’on a retrouvé un instrument de musique dans la tombe d’un guerrier barbare. C’est le signe d’une sensibilité, qui va à l’encontre des idées reçues. Mais il est très difficile de coller au plus près de l’émotion ressentie. Nous travaillons sur les traces, les vestiges, les indices… Nous devons rester prudents. 

Auteur: Vigarello Georges

Info: Sur Letemps.ch. oct 2016. Interview de Julien Burri. A propos d'Histoire des émotions, vol 1. "De l’Antiquité aux Lumières", 552 p.; vol 2. "Des Lumières à la fin du XIXe siècle", 480 p. sous la direction d’Alain Corbin, Jean-Jacques Courtine, GV, Seuil.

[ larmes ] [ rapports humains ] [ pathos diachronique ] [ apparences ]

 

Commentaires: 0

Ajouté à la BD par miguel

bio-mathématiques

C’est confirmé : vous êtes constitué de cristaux liquides

Une équipe de chercheurs a réussi à prouver l’existence d’une double symétrie dans les tissus organiques, qui permet de les appréhender comme des cristaux liquides. Cette découverte pourrait faire émerger une nouvelle façon d’étudier le fonctionnement du vivant, à la frontière de la biologie et de la mécanique des fluides.

Dans une étude parue dans le prestigieux journal Nature et repérée par Quanta Magazine, des chercheurs ont montré que les tissus épithéliaux, qui constituent la peau et les enveloppes des organes internes, ne sont pas que des amas de cellules réparties de façon aléatoire. Ils présentent en fait deux niveaux de symétrie bien définis qui leur donnent des propriétés fascinantes; fonctionnellement, on peut désormais les décrire comme des cristaux liquides. Une découverte qui pourrait avoir des retombées potentiellement très importantes en médecine.

Ces travaux tournent entièrement autour de la notion de cristal liquide. Comme leur nom l’indique, il s’agit de fluides; techniquement, ils peuvent donc s’écouler comme de l’eau – mais avec une différence importante. Contrairement aux liquides classiques, où les atomes se déplacent les uns par rapport aux autres de façon complètement chaotique, les constituants d’un cristal liquide présentent tout de même un certain degré d’organisation.

Il ne s’agit pas d’une vraie structure cristalline comme on en trouve dans presque tous les minéraux, par exemple. Les cristaux liquides ne sont pas arrangés selon un motif précis qui se répète dans l’espace. En revanche, ils ont tendance à s’aligner dans une direction bien spécifique lorsqu’ils sont soumis à certains facteurs, comme une température ou un champ électrique.

C’est cette directionnalité, appelée anisotropie, qui est à l’origine des propriétés des cristaux liquides. Par exemple, ceux qui sont utilisés dans les écrans LCD (pour Liquid Crystal Display) réfractent la lumière différemment en fonction de leur orientation. Cela permet d’afficher différentes couleurs en contrôlant localement l’orientation du matériau grâce à de petites impulsions électriques.

Du tissu biologique au cristal liquide

Mais les cristaux liquides n’existent pas seulement dans des objets électroniques. Ils sont aussi omniprésents dans la nature ! Par exemple, la double couche de lipides qui constitue la membrane de nos cellules peut être assimilée à un cristal liquide. Et il ne s’agit pas que d’une anecdote scientifique ; cette organisation est très importante pour maintenir à la fois l’intégrité structurelle et la flexibilité de ces briques fondamentales. En d’autres termes, la dynamique des cristaux liquides est tout simplement essentielle à la vie telle qu’on la connaît.

Pour cette raison, des chercheurs essaient d’explorer plus profondément le rôle biologique des cristaux liquides. Plus spécifiquement, cela fait quelques années que des chercheurs essaient de montrer que les tissus, ces ensembles de cellules organisées de façon à remplir une mission bien précise, peuvent aussi répondre à cette définition.

Vu de l’extérieur, l’intérêt de ces travaux est loin d’être évident. Mais il ne s’agit pas seulement d’un casse-tête très abstrait ; c’est une question qui regorge d’implications pratiques très concrètes. Car si l’on parvient à prouver que les tissus peuvent effectivement être assimilés à des cristaux liquides, cela débloquerait immédiatement un nouveau champ de recherche particulièrement vaste et fascinant. Les outils mathématiques que les physiciens utilisent pour prédire le comportement des cristaux pourraient soudainement être appliqués à la biologie cellulaire, avec des retombées considérables pour la recherche fondamentale et la médecine clinique.

Mais jusqu’à présent, personne n’a réussi à le prouver. Tous ces efforts se sont heurtés au même mur mathématique — ou plus précisément géométrique ; les théoriciens et les expérimentateurs ne sont jamais parvenus à se mettre d’accord sur la symétrie intrinsèque des tissus biologiques. Regrettable, sachant qu’il s’agit de LA caractéristique déterminante d’un cristal liquide.

Les deux concepts enfin réconciliés

Selon Quanta Magazine, certains chercheurs ont réussi à montrer grâce à des simulations informatiques que les groupes de cellules pouvaient présenter une symétrie dite " hexatique ". C’est ce que l’on appelle une symétrie d’ordre six, où les éléments sont arrangés par groupe de six. Mais lors des expériences en laboratoire, elles semblent plutôt adopter une symétrie dite " nématique* ". Pour reprendre l’analogie de Quanta, selon ce modèle, les cellules se comportent comme un fluide composé de particules en forme de barres, un peu comme des allumettes qui s’alignent spontanément dans leur boîte. Il s’agit alors d’une symétrie d’ordre deux. 

C’est là qu’interviennent les auteurs de ces travaux, affiliés à l’université néerlandaise de Leiden. Ils ont suggéré qu’il serait possible d’établir un lien solide entre les tissus biologiques et le modèle des cristaux liquides, à une condition : il faudrait prouver que les tissus présentent les deux symétries à la fois, à des échelles différentes. Plus spécifiquement, les cellules devraient être disposées selon une symétrie d’ordre deux à grande échelle, avec une symétrie d’ordre six cachée à l’intérieur de ce motif qui apparaît lorsque l’on zoome davantage.

L’équipe de recherche a donc commencé par cultiver des couches très fines de tissus dont les contours ont été mis en évidence grâce à un marqueur. Mais pas question d’analyser leur forme à l’œil nu ; la relation qu’ils cherchaient à établir devait impérativement être ancrée dans des données objectives, et pas seulement sur une impression visuelle. Selon Quanta, ils ont donc eu recours à un objet mathématique appelé tenseur de forme grâce auquel ils ont pu décrire mathématiquement la forme et l’orientation de chaque unité.

Grâce à cet outil analytique, ils ont pu observer expérimentalement cette fameuse double symétrie. À grande échelle, dans des groupes de quelques cellules, ils ont observé la symétrie nématique qui avait déjà été documentée auparavant. Et en regardant de plus près, c’est une symétrie hexatique qui ressortait — exactement comme dans les simulations informatiques. " C’était assez incroyable à quel point les données expérimentales et les simulations concordaient ", explique Julia Eckert, co-autrice de ces travaux citée par Quanta.

Une nouvelle manière d’appréhender le fonctionnement du vivant

C’est la première fois qu’une preuve solide de cette relation est établie, et il s’agit incontestablement d’un grand succès expérimental. On sait désormais que certains tissus peuvent être appréhendés comme des cristaux liquides. Et cette découverte pourrait ouvrir la voie à un tout nouveau champ de recherche en biologie.

Au niveau fonctionnel, les implications concrètes de cette relation ne sont pas encore parfaitement claires. Mais la bonne nouvelle, c’est qu’il sera désormais possible d’utiliser des équations de mécanique des fluides qui sont traditionnellement réservées aux cristaux liquides pour étudier la dynamique des cellules.

Et cette nouvelle façon de considérer les tissus pourrait avoir des implications profondes en médecine. Par exemple, cela permettra d’étudier la façon dont certaines cellules migrent à travers les tissus. Ces observations pourraient révéler des mécanismes importants sur les premières étapes du développement des organismes, sur la propagation des cellules cancéreuses qui génère des métastases, et ainsi de suite.

Mais il y a encore une autre perspective encore plus enthousiasmante qui se profile à l’horizon. Il est encore trop tôt pour l’affirmer, mais il est possible que cette découverte représente une petite révolution dans notre manière de comprendre la vie.

En conclusion de l’article de Quanta, un des auteurs de l’étude résume cette idée en expliquant l’une des notions les plus importantes de toute la biologie. On sait depuis belle lurette que l’architecture d’un tissu est à l’origine d’un certain nombre de forces qui définissent directement ses fonctions physiologiques. Dans ce contexte, cette double symétrie pourrait donc être une des clés de voûte de la complexité du vivant, et servir de base à des tas de mécanismes encore inconnus à ce jour ! Il conviendra donc de suivre attentivement les retombées de ces travaux, car ils sont susceptibles de transformer profondément la biophysique et la médecine.

 

Auteur: Internet

Info: Antoine Gautherie, 12 décembre 2023. *Se dit de l'état mésomorphe, plus voisin de l'état liquide que de l'état cristallisé, dans lequel les molécules, de forme allongée, peuvent se déplacer librement mais restent parallèles entre elles, formant ainsi un liquide biréfringent.

[ double dualité ] [ tétravalence ]

 

Commentaires: 0

Ajouté à la BD par miguel

réseaux sociaux

L’Américaine Sarah T. Roberts a écrit, après huit ans de recherches, "Behind The Screen" (Yale university press), un livre sur le travail des modérateurs. Elle en a rencontré des dizaines, chargés de nettoyer les grandes plates-formes (Facebook, YouTube, etc.) des pires contenus, et entourés d’une culture du secret.

C’est un métier dont on ne connaît pas encore bien les contours, et qui est pourtant au coeur du fonctionnement des grandes plates-formes du Web : les modérateurs sont chargés de les débarrasser des contenus postés par les utilisateurs (photos, vidéos, commentaires, etc.) qu’elles interdisent. Répartis dans des open spaces aux quatre coins du monde, gérés par des sous-traitants, ces milliers de petites mains examinent, tout au long de leur journée de travail, les pires contenus qui circulent sur Internet, et décident de leur sort.

Nous l’avons interviewée lors de son passage à Paris pour participer à un cycle de conférences sur "le côté obscur du travail", organisé à la Gaîté-Lyrique, à Paris.

(MT) - Les géants du Web (Facebook, YouTube, Twitter, etc.) sont très réticents à parler de la façon dont ils modèrent les contenus. Pourquoi ?

- Quand ces entreprises ont été lancées il y a une quinzaine d’années, la dernière chose qu’elles voulaient, c’était d’avoir à prendre des décisions sur le contenu. Elles se concentraient sur les technologies, et se présentaient auprès des pouvoirs publics américains comme faisant partie de la catégorie "fournisseurs d’accès à Internet". Cela leur a permis d’affirmer que le contenu n’était pas leur coeur de métier, et d’avancer sans qu’on ne leur demande de rendre des comptes.

Ce positionnement leur a permis de grandir. Il fallait donc que les décisions que prenaient ces entreprises du Web sur le contenu restent secrètes. Elles vendaient cette idée aux utilisateurs qu’il n’y avait aucune intervention, que vous pouviez vous exprimer sur YouTube ou Facebook sans aucune barrière. Elles ne voulaient pas qu’il y ait un astérisque, elles ne voulaient pas entrer dans les détails. Il y a pourtant eu, dès leurs débuts, des contenus supprimés.

(MT) - Dans votre livre, vous allez jusqu’à dire que ces entreprises "effacent les traces humaines" de la modération. C’est une formule très forte…

-Ces entreprises pensent profondément que les solutions informatiques sont meilleures que les autres, et il y a cette idée chez elles qu’il y aura bientôt une technologie assez forte pour remplacer ces travailleurs. Elles semblent dire "ne nous habituons pas trop à l’idée qu’il y a des humains, c’est juste temporaire".

De plus, si les utilisateurs savaient qu’il y avait des humains impliqués, ils demanderaient des explications. Et ces entreprises ne voulaient pas être responsables de ces décisions. Elles ont donc choisi de rendre ce processus invisible et croisé les doigts pour que les gens ne posent pas trop de questions.

(MT) - La modération est un travail difficile. Quels sont les risques auxquels sont confrontés ces travailleurs ?
- Il y en a plusieurs, à commencer par les risques psychologiques. Les modérateurs à qui j’ai parlé me disaient souvent : "Je suis capable de faire ce travail, des gens sont partis au bout de deux semaines. Mais moi, je suis fort." Et quelques minutes plus tard, ils me disaient "je buvais beaucoup" ou "je ne veux plus sortir avec des amis, car on parle toujours de travail, et je ne veux pas en parler, et d’ailleurs je n’en ai pas le droit".

Quand des gens me disent qu’ils ne peuvent pas cesser de penser à une image ou une vidéo qu’ils ont vue au travail, c’est inquiétant. Une femme, qui était modératrice il y a une quinzaine d’années pour Myspace, m’a dit qu’elle n’aimait pas rencontrer de nouvelles personnes et leur serrer la main. "Je sais ce que les gens font, et ils sont ignobles. Je n’ai plus confiance en qui que ce soit."

Il y a aussi d’autres choses difficiles, qui paraissent moins évidentes. Vous devez être très cultivé pour être un bon modérateur, beaucoup ont fait des études de littérature, d’économie, d’histoire, parfois dans des universités prestigieuses. Mais c’est considéré comme un travail de bas niveau, assez mal payé.

(MT) - Comment les conditions de travail des modérateurs ont-elles évolué ?
- C’est difficile à dire, ce sont souvent des conditions de call centers : d’un point de vue purement matériel, c’est relativement confortable. Aux Philippines, des gens travaillent dans des gratte-ciel avec l’air conditionné, ce qui est important là-bas.

(MT) - Mais... En quoi cela change quelque chose à ce qu’ils voient tous les jours ?
- Certaines entreprises ont mis à disposition des psychologues. Mais les employés sont méfiants : quand le psychologue est payé par votre employeur, cela crée une relation compliquée, ça peut être difficile pour le travailleur de s’ouvrir sincèrement.

(MT) - Mais si ces entreprises ne mettaient pas de psychologues à disposition, on le leur reprocherait…
- C’est vrai. Mais est-ce vraiment efficace ou est-ce juste pour faire joli ? Un modérateur m’a dit : "Le problème, c’est que si je me lève pour aller parler au psychologue, mon manager et mes collègues me voient tous me lever et comprennent que j’ai un problème. Je ne veux pas qu’ils le sachent." Et puis, ce sont des solutions de court terme.

(MT) - Que devraient faire ces entreprises pour assurer le bien-être de leurs salariés ?
- Pour commencer, ils pourraient les payer davantage. Ensuite, le fait que leur travail ne soit pas reconnu est très dur pour eux, tout comme les accords de confidentialité. Tout cela fait qu’ils ont peur de parler de leur travail, qu’ils ne soient pas en lien avec les autres. Ils ne savent même pas qui sont les autres modérateurs. Ce sont des choses qui pourraient facilement changer. Et sur la psychologie, il faudrait étudier les effets de ce travail sur le long terme. Il n’existe aucune étude de ce type, à ma connaissance.

(MT) - Pourrait-on se passer de modérateurs ? A quoi ressemblerait Internet sans eux ?
- Au forum 4chan [connu pour sa modération très faible, et la virulence de certains de ses membres anonymes] ? Ce serait pire ! La plupart des gens ne veulent pas de ça, et doivent donc avoir à faire à des modérateurs. Or les internautes passent beaucoup de temps sur les grandes plates-formes mainstream, financées par la publicité, et le fait qu’ils ne comprennent pas comment ces espaces sont modérés est problématique, car cela reflète des valeurs.

L’idée d’un Internet sans modération n’a pas beaucoup existé. Certes, j’ai donné l’exemple de 4chan. Mais à un moment donné il y a eu une décision, à 4chan, que l’approche serait de tout laisser passer. C’est une posture idéologique là aussi. Et il est important de noter que c’est ce que veulent certaines personnes.

(MT) - Vous écrivez que ce sujet de recherche représente "le travail d’une vie". Quels aspects de la modération vous intéressent le plus pour la suite ?
- C’est le travail d’une vie parce que cela change tout le temps : Facebook change ses règles toutes les deux semaines ! Et si aujourd’hui on a 100 000 personnes qui travaillent comme modérateurs, où en sera-t-on dans deux, cinq ou dix ans ?

Je m’intéresse aussi beaucoup à la question de la régulation de ces entreprises. Ainsi qu’à la façon dont les Américains ont adopté depuis quinze ans ces technologies. Nous approchons de l’élection présidentielle de 2020, et ces plates-formes sont très impliquées, on a eu des déclarations intéressantes de Facebook sur la véracité des informations diffusées… Tout cela est d’une certaine manière lié à la question de la modération. Ces entreprises sont désormais considérées comme responsables, alors qu’elles n’ont jamais voulu l’être ! Devoir gérer ça est leur pire cauchemar, et elles doivent désormais le faire tout le temps.

Auteur: Tual Morgane

Info: Propos recueillis par MT, 11 janvier 2020, www.lemonde.fr. Sujet : Sarah T. Roberts : "Les géants du Web ont choisi de rendre le processus de modération invisible"

[ homme-machine ]

 

Commentaires: 0

Ajouté à la BD par miguel