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kabbalisme

Selon Isaac Luria, le Divin primordial, pur esprit, qui remplit tout, dut d’abord se retirer de lui-même en lui-même pour créer l’espace qui abriterait sa création. Cette contraction de l’essence de Dieu en lui-même afin de laisser un espace pour l’univers avait eu pour effet de retirer l’essence de Dieu toujours plus loin de cet univers. Telle était la solution que Luria proposait pour rendre compte de la façon dont Tout avait été créé à partir de rien, mystère des mystères. Le néant avait lui aussi été créé. Le néant était le volume duquel Dieu retira son essence qui remplissait tout. Le commentaire du XVIIe siècle que lisait Pauli interprétait le récit de Luria comme une métaphore de l’essence de l’homme. Il affirmait que le tsimtsum renvoyait à la barrière entre l’homme, c’est-à-dire la conscience individuelle de l’homme, et Dieu. Ce rideau à travers lequel l’homme ne pouvait pas voir lui donnait l’apparence d’un moi indépendant de Dieu et l’illusion d’une liberté de décision.
A l’intérieur du vide créé par le tsimtsum, Dieu fit rayonner sa lumière divine. Cette lumière infinie pénétrait l’espace comme une balise, entrant en collision avec des fragments de l’essence de Dieu qui était encore en plein processus de retrait. L’univers, créé de la collision cosmique de ces deux manifestations divines, allait occuper l’espace ainsi libéré. Les sephirot avaient la tâche de donner un lieu à la lumière divine, tels des réceptacles conçus pour la contenir. Mais tragédie : les sephirot inférieures, éloignées de Dieu et donc privées de certaines des qualités divines, furent débordées ; incapables de contenir la lumière divine, elles se brisèrent et, volant en éclats, éparpillèrent leurs précieux contenus dans tous les coins de l’espace nouvellement créé. C’était la shevira, la brisure des vases. Non, disait le commentaire, ce n’était pas une tragédie, car il ne pouvait rien exister qui ne fût intentionnel. C’était la catharsis d’une nouvelle naissance, d’un nouveau commencement, d’une nouvelle création. Les convulsions, la douleur, la brisure du vase qui accompagnent l’entrée au monde de chaque nouveau-né sont de même une catharsis nécessaire, séparant le potentiel de l’effectif. C’est ce qui se passe dans la shevira. C’est à cause de la shevira que ce monde, que nous appelons "réel", est imparfait, en désordre et composées de parties, livré au mal. Le saint dessein de la Création est tikkun, le rassemblement de toutes ces étincelles divines venant des quatre coins de l’univers, pour restaurer l’ordre primordial, divin.

Auteur: Keve Tom

Info: Dans "Trois explications du monde", pages 385-386

[ cosmogonie ] [ ordonnancement ] [ tsimtsoum ] [ origine des origines ]

 
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Ajouté à la BD par Coli Masson

totalitarisme

Quand la société impose à l'homme des sacrifices supérieurs aux services qu'elle lui rend, on a le droit de dire qu'elle cesse d'être humaine, qu'elle n'est plus faite pour l'homme, mais contre l'homme. Dans ces conditions, s'il arrive qu'elle se maintienne, ce ne peut être qu'aux dépens des citoyens ou de leur liberté! Imbéciles, ne voyez-vous pas que la civilisation des machines exige en effet de vous une discipline chaque jour plus stricte?

Elle exige au nom du Progrès, c'est à dire au nom d'une conception nouvelle de la vie, imposée aux esprits par son énorme machinerie de propagande et de publicité. Imbéciles! [...]

Avez vous jamais imaginé que dans une une société où les dépendances naturelles ont pris le caractère rigoureux, implacable, des rapports mathématiques, vous pourrez aller et venir, acheter ou vendre, travailler ou ne pas travailler, avec la même tranquille bonhomie que vos ancêtres? Politique d'abord disait Maurras. La Civilisation des Machines a aussi sa devise: "Technique d'abord! technique partout! Imbéciles! [...]

Dans un monde tout entier voué à l'Efficience, au Rendement, n'importe-t-il pas que chaque citoyen, dès sa naissance, soit consacré aux mêmes dieux? La Technique ne peut être discutée, les solutions qu'elle impose étant par définition les plus pratiques. Une solution pratique n'est pas esthétique ou morale. Imbéciles!

La Technique ne se reconnaît-elle pas déjà le droit, par exemple, d'orienter les jeunes enfants vers telle ou telle profession? N'attendez pas qu'elle se contente toujours de les orienter, elle les désignera. Ainsi à l'idée morale, et même surnaturelle de la vocation s'oppose peu à peu celle d'une simple disposition physique et mentale, facilement contrôlable par les Techniciens.

Croyez-vous, imbéciles, qu'un tel système, et si rigoureux, puisse subsister par le simple consentement? Pour l'accepter comme il veut qu'on l'accepte, il faut y croire, il faut y conformer entièrement non seulement ses actes, mais sa conscience. [...]

Il n'y a rien de plus mélancolique que d'entendre les imbéciles donner encore au mot de Démocratie son ancien sens. Imbéciles! Comment diable pouvez-vous espérer que la Technique tolère un régime ou le téchnicien serait désigné par le moyen du vote, c'est-à-dire non pas selon son expérience technique garantie par des diplomes, mais selon le degré de sympathie qu'il est capable d'inspirer à l'électeur? La société moderne est désormais un ensemble de problèmes techniques à résoudre. Quelle place le politicien roublard, comme d'ailleurs l'électeur idéaliste peuvent-ils avoir là-dedans? Imbéciles!

Auteur: Bernanos Georges

Info: Dans "La France contre les robots"

[ asservissement ] [ déshumanisation ] [ anti-technologie ] [ question ] [ coup de gueule ]

 

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couple

Le digne homme, flegmatique et empesé, avait, à peu près, la jovialité d’un ténia dans un bocal de pharmacie. Cependant, lorsqu’il avait bu quelques verres d’absinthe en tête-à-tête avec sa femme, ainsi qu’on l’apprit bientôt, ses pommettes flamboyaient en haut du visage, comme deux falaises par une nuit de méchante mer. Alors, du milieu de la face, dont la couleur faisait penser bizarrement au cuir d’un chameau de Tartarie, à l’époque de la mue du poil, jaillissait une trompe judaïque dont l’extrémité, ordinairement filigranée de stries violâtres, devenait soudain, rubiconde, et ressemblait à une lampe d’autel.

Au-dessous fuyait une bouche niaise et impraticable, encapuchonnée de ces broussailleuses moustaches que certains recors arborent, pour donner une apparence de férocité militaire à la couardise professionnelle de leur institut.

Rien à dire des yeux qu’on aurait pu comparer tout au plus, pour leur expression, à ceux d’un phoque assouvi, quand il vient de se remplir et que l’extase de la digestion commence.

L’ensemble était d’un modeste pleutre accoutumé à trembler devant sa femme et tellement acclimaté dans le clair-obscur qu’il avait toujours l’air de projeter sur lui-même l’ombre de lui-même.

Sa présence eût été inaperçue et indiscernable sans une voix de toutes les Bouches-du-Rhône, qui sonnait comme l’olifant sur les premières syllabes de chaque mot et se prolongeait sur les dernières, en une espèce de mugissement nasal à faire grincer les guitares. Quand le ci-devant requéreur de la force publique vociférait dans sa maison tel ou tel axiome indiscutable sur les caprices de l’atmosphère, les passants auraient pu croire qu’on parlait dans une chambre vide… ou du fond d’une cave, tant la vacuité du personnage était contagieuse !

Or, Monsieur Poulot n’était rien, absolument rien, auprès de Madame Poulot.

En celle-ci paraissait renaître le mastic des plus estimables trumeaux du dernier siècle. Non qu’elle fût charmante ou spirituelle, ou qu’elle gardât, avec une grâce polissonne, des moutons fleuris au bord d’un fleuve. Elle était plutôt crapaude et d’une stupidité en cul-de-poule qui donnait à supposer des ouailles moins bucoliques. Mais il y avait, dans sa figure ou dans ses postures, quelque chose qui retroussait incroyablement l’imagination.

La renommée lui attribuait, comme dans la métempsycose, une existence antérieure très employée, une carrière très parcourue, et il se disait, au lavoir ou chez le marchand de vin, qu’elle n’était pas mal conservée, tout de même, en dépit de ses quarante ans, pour une femme qui avait tant fait la noce.

Auteur: Bloy Léon

Info: Dans "La femme Pauvre", Mercure de France, 1972, pages 323-325

[ portrait caricatural ] [ bassesse morale ]

 

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subjectivation

"La chair est triste, hélas, et j'ai lu tous les livres" dira plus tard le poète... Quelle complétude particulière pouvait offrir l'ère christique pré-médiévale et médiévale, que son dépassement par la rationalité et la technè moderne ne pourra jamais combler ? Qu'est-ce qui a été manqué dans ce "dépassement"? Tout simplement la dimension de l'autre, seule apte à garantir correctement l'institution du sujet, dans une circularité relationnelle vivante et vascularisée. Alors que le sujet est face à l'autre (à l'Autre), l'individu (moderne) est face au monde. Ce qui se perd au passage est l'intersubjectivité et sa fonction nutritive et vitalisante. Car le problème est que le monde est aussi silencieux que l'épais silence qui envahit tout entière la gravure de Dürer, où seul le crissement bavard du stylet du putto sur sa tablette s'inscrit en creux. La maladie de la modernité, poussée à son paroxysme par la période contemporaine, est entièrement résumée ici. L'homme, de fait, ne dialogue pas avec le monde: le monde est muet et ne répond pas, si ce n'est par les soubresauts d'efficacité auxquels la technoscience le contraint dans sa brutalité. Pour qu'il y ait dialogue, il faut que le logos réponde au logos, et que le sujet fasse face à un autre lui-même. Car le sujet ne peut se comprendre que dans la plénitude de l'histoire de son inscription au sein du monde, et non comme une chimère hors sol, pure catégorie fonctionnelle et logique, comme l'ont voulu les linguistes depuis Saussure. Le sujet s'institue dans les conditions intersubjectives de son avènement au monde, conditions d'extrême dénuement et de fragilité absolue, qui le livrent sans recours possible à ceux qui l'ont à charge: sa mère, éminemment, puis son père, qui seuls peuvent lui éviter la mort corporelle, affective et psychique par les nourritures terrestre, affective, et spirituelle qu'ils lui dispenseront. Le sujet, c'est cela: une immense fragilité qui ne tient que par la relation - il serait d'ailleurs plus approprié d'écrire "les sujets", tant il est vrai qu'un sujet seul ne peut se concevoir en vertu de ce que je viens d'exposer. Or le sujet parvenu à sa pleine institution donne le sentiment d'une monade autonome et fermée, essentialisable jusque dans les catégories formelles de la linguistique - "est je qui dit je", comme disait de si tautologique et désespérante manière Ferdinand de Saussure, que nous avons cité en ouverture de cet ouvrage. La modernité est ici prise en flagrant délit de solipsisme, faute logique - et ontologique - s'il en est.

Auteur: Farago Pierre

Info: Une proposition pour l'autisme

[ dépendance ] [ illusion d'autocréation ] [ erreur moderne ] [ isolement ]

 
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expérience

Comme tous les hommes de Babylone, j'ai été proconsul ; comme eux tous esclave ; j'ai connu comme eux tous l'omnipotence, l'opprobre, les prisons. Regardez : à ma main droite il manque l'index. Regardez ; cette déchirure de mon manteau laisse voir sur mon estomac un tatouage vermeil ; c'est le deuxième symbole, Beth. Les nuits de pleine lune, cette lettre me donne le pouvoir sur les hommes dont la marque est Ghimel, mais elle me subordonne à ceux d'Aleph, qui les nuits sans lune doivent obéissance à ceux de Ghimel. Au crépuscule de l'aube, dans une cave, j'ai égorgé des taureaux sacrés devant une pierre noire. Toute une année de lune durant, j'ai été déclaré invisible : je criais et on ne me répondait pas, je volais le pain et je n'étais pas décapité. J'ai connu ce qu'ignorent les Grecs : l'incertitude. Dans une chambre de bronze, devant le mouchoir silencieux du strangulateur, l'espérance me fut fidèle ; dans le fleuve des délices, la panique. Pythagore, si l'on croit le récit émerveillé d'Héraclide du Pont, se souvenait d'avoir été Pyrrhus, Euphorbe, et avant Euphorbe encore quelque autre mortel ; pour me remémorer d'analogues vicissitudes je puis me dispenser d'avoir recours à la mort, et même à l'imposture.
Je dois cette diversité presque atroce à une institution que d'autres républiques ignorent ou qui n'opère chez elles que de façon imparfaite et obscure : la loterie. Je n'en ai pas scruté l'histoire : il ne m'échappe pas que les magiciens restent là-dessus divisés ; toute la connaissance qui m'est donnée de ses puissants desseins, c'est celle que peut avoir de la lune l'homme non versé en astrologie. J'appartiens à un pays vertigineux où la loterie est une part essentielle du réel ; jusqu'au présent jour, j'avais pensé à elle aussi peu souvent qu'à la conduite des dieux indéchiffrables ou de mon propre cœur. Aujourd'hui, loin de mon pays et de ses chères coutumes, c'est avec quelque surprise que j'évoque la loterie et les conjectures blasphématoires que sur elle, à la chute du jour, vont murmurant les hommes voilés.
Mon père me rapportait qu'autrefois - parlait-il d'années ou de siècle ? - la loterie était à Babylone un jeu de caractère plébéien. Il racontait, mais je ne sais s'il disait vrai, que les barbiers débitaient alors contre quelques monnaies de cuivre des rectangles d'os ou de parchemin ornés de symboles. Un tirage au sort s'effectuait en plein jour, et les favorisés recevaient, sans autre corroboration du hasard, des pièces d'argent frappées. Le procédé était rudimentaire, comme vous le voyez.

Auteur: Borges Jorge Luis

Info: La loterie à Babylone, in Fictions

[ incipit ] [ entame ]

 
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onirisme

On découvrit dans les années 70, une tribu primitive des forêts de Malaisie, les Senoïs. Ils organisaient leur vie autour de leurs rêves. Tous les matins au petit déjeuner, autour du feu chacun ne parlait que de ses rêves de la nuit. Si un Senoï pensait avoir nui à quelqu'un, il devait offrir un cadeau à la personne lésée. S'il avait rêvé avoir été frappé par un membre de l'assistance, l'agresseur devait s'excuser et lui donner un présent pour se faire pardonner. Chez eux le monde onirique était plus riche d'enseignement que la vie réelle. Si un enfant disait avoir rencontré un tigre et s'être enfui, on l'obligeait à rêver à nouveau du félin la nuit suivante, à se battre avec lui et à le tuer. Les anciens lui expliquaient comment s'y prendre. Si l'enfant ne réussissait pas à venir à bout du tigre, toute la tribu le réprimandait. Dans le système de valeurs Senoï, si on rêvait de relations sexuelles, il fallait aller jusqu'à l'orgasme et remercier ensuite dans la réalité le conjoint désiré par un cadeau. Face aux adversaire hostiles des cauchemars, il fallait vaincre puis réclamer un cadeau à l'ennemi afin de s'en faire un ami :Ler rêve le plus convoité était celui de l'envol. Toute la communauté félicitait l'auteur d'une telle performance. Pour un enfant annoncer un plein essor était un baptême. On le couvrait de présents puis on lui expliquait comment voler en rêve jusqu'à des pays inconnus et en ramener des offrandes exotiques. Les Sénoïs séduisirent les ethnologues occidentaux. Leur société ignorait les violences et les maladies mentales. C'était une société dans stress et sans ambition de conquête guerrière. Les Senoï disparurent quand la partie de la forêt ou ils vivaient fut livrée au défrichement. Nous pouvons tous commencer à appliquer leur savoir. Tout d'abord, consigner chaque matin le rêve de la nuit, lui donner un titre, en préciser la date. Puis en parler avec son entourage au petit déjeuner par exemple. Aller plus loin encore en appliquant les règles de base de l'onironautique. Décider ainsi avant de s'endormir le choix de son rêve : faire pousser les montagnes, modifier la couleur du ciel, voyager dans tel ou tel endroit... Dans les rêves, chacun est omnipotent. Le premier test d'orinautique consiste à s'envoler. Etendre les bras, planer, piquer en vrille, remonter : tout est possible. Cela demande un apprentissage progressif. Les heures de "vol" apportent de l'assurance et de l'expression. Les enfants n'ont besoin que de cinq semaines pour pouvoir diriger leurs rêves. Chez les adultes plusieurs mois sont parfois nécessaires.

Auteur: Werber Bernard

Info: Encyclopédie du savoir relatif et absolu

[ songe ] [ contrôle ] [ anthropologie ] [ peuples premiers ]

 
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révolution française

Un gentilhomme, nommé M. de Châtaubrun, avait été condamné à mort par le tribunal révolutionnaire; il avait été mis sur le fatal tombereau et conduit au lieu de l'exécution. Après la Terreur, il est rencontré parmi de ses amis, qui pousse un cri d'étonnement, ne peut croire ses yeux, et lui demande l'explication d'une chose si étrange. Il la lui donna, et je la tiens de son ami. Il fut conduit au supplice avec vingt autres malheureuses victimes. Après douze ou quinze exécutions, une partie de l'horrible instrument se brisa ; on fit venir un ouvrier pour le réparer. Le condamné était avec les autres victimes, auprès de l'échafaud, les mains liées derrière le dos. La réparation fut longue. Le jour commençait à baisser; la foule très-nombreuse des spectateurs était occupée du travail qu'on faisait à la guillotine bien plus que des victimes qui attendaient la mort; tous, et les gendarmes eux-mêmes, avaient les yeux fixés sur l'échafaud. Résigné, mais affaibli, le condamné se laissait aller sur les personnes qui étaient derrière lui. Pressées par le poids de son corps, elles lui firent place machinalement; d'autres firent de même, toujours occupées du spectacle qui captivait toute leur attention. Insensiblement il se trouva dans les derniers rangs de la foule, sans l'avoir cherché, sans y avoir pensé. L'instrument rétabli, les supplices recommencèrent; on en pressait fin. Une nuit sombre dispersa les bourreaux et les spectateurs. Entraîné par la foule, il fut d'abord étonné de sa situation; mais il conçut bientôt l'espoir de se sauver. Il se rendit aux Champs-Elysées; là, il s'adressa à un homme qui lui parut être un ouvrier. Il lui dit, en riant, que des camarades avec qui il badinait lui avaient attaché les mains derrière le dos et pris son chapeau, en lui disant de l'aller chercher. Il pria cet homme de couper les cordes. L'ouvrier avait un couteau et les coupa, en riant, du tour qu'on lui racontait. M. de Châtaubrun lui proposa de le régaler dans un des cabarets qui sont aux Champs-Elysées. Pendant ce petit repas, il paraissait attendre que ses camarades vinssent lui rendre son chapeau. Ne les voyant pas arriver, il pria son convive de porter un billet à un de ses amis, qu'il voulait prier de lui apporter un chapeau, parce qu'il ne voulait pas traverser les rues la tête nue. Il ajoutait que cet ami lui apporterait de l'argent, et que ses camarades avaient pris sa bourse en jouant avec lui. Ce brave homme crut tout ce que lui disait M. de Châtaubrun se chargea du billet, et revint une demi-heure après avec, cet ami.

Auteur: Vaublanc Vincent-Marie Viénot comte de

Info: Mémoires

[ évasion ] [ anecdote ]

 

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femmes-entre-elles

Parmi les femmes qui composaient la société de***, Mélanide était la moins aimable, et l'une des plus remarquables par son esprit ; mais personne encore n'avait poussé plus loin l'enivrement et l'aveuglement de l'amour-propre. Ce qui entraîne le défaut de goût, et produit toujours les ridicules les plus saillants.
Avec des traits et une taille hommasse, Mélanide ne pouvait se trouver jolie ; mais elle se persuadait qu'elle était belle, et d'après cette opinion, elle avait toute la recherche de la parure, toutes les mines d'une coquette uniquement occupée de sa figure. Il y avait dans sa personne et dans ses manières quelque chose de si affecté, de si bizarre, que dès qu'elle paraissait, tous les yeux se fixaient sur elle. Et, prenant alors l'étonnement et la curiosité pour de l'admiration, elle se disait tout bas, "nulle femme n'a produit cet effet"; et cette comique illusion de son orgueil était parfaitement exprimée par la mâle assurance de son maintien, par son air intrépide et conquérant : elle ignorait que les hommes qui aiment le mieux les femmes, ne regardent jamais fixement celles qui sont jeunes, jolies, et modestes. La galanterie à cet égard ressemble à l'amour: elle craint de blesser et de profaner son objet ; elle n'ose le contempler qu'à la dérobée; et c'est ainsi qu'en admirant la beauté elle rend hommage à la pudeur.
Mélanide avait infiniment d'esprit, mais un esprit absolument dénué de grâce; et le désir ardent et continuel de briller le rendait souvent faux. Ne pensant qu'à elle, rapportant tout à elle, ne parlant que d'elle, directement ou indirectement, elle ne savait ni écouler, ni répondre. Quand on ne voyait pas clairement sa vanité, on la sentait; on en était toujours ou frappé ou importuné. Les amis de Mélanide faisaient d'elle, sans le vouloir, la critique la plus piquante; ils avouaient qu'elle contait mal, qu'elle était dépourvue du charme, du naturel et de la naïveté, de celui de la gaîté. Mais ils prétendaient qu'elle avait dans la conversation "de la force et de l'éloquence".
Cette singulière admiration ressemblait plus à une épigramme qu'à un éloge. Sans doute on peut être éloquent en tête-à-tête avec ce qu'on aime, tandis que dans la conversation il faut, non les talents d'un orateur, mais de la grâce et du naturel. Dans la société la plus intime, un entretien agréable est toujours un dialogue vif et serré : l'usage du monde en exclut les "longues tirades", et par conséquent l'éloquence; rien n'y doit être approfondi : la variété, la légèreté en font le charme ; la force y serait déplacée, elle n'y paraîtrait que comme de la pesanteur.

Auteur: Genlis Madame de

Info: à propos de Mme de Staël

[ vacherie ] [ haine ] [ mondanités ]

 

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beaux-arts

La communication, c’est la transmission et la propagation d’une information. Or, une information, c’est quoi ? Ce n’est pas très compliqué, tout le monde le sait : une information, c’est un ensemble de mots d’ordre. Quand on vous informe, on vous dit ce que vous êtes censés devoir croire. En d’autres termes : informer c’est faire circuler un mot d’ordre. Les déclarations de police sont dites, à juste titre, des communiqués ; on nous communique de l’information, c’est-à-dire, on nous dit ce que nous sommes censés être en état ou devoir croire, ce que nous sommes tenus de croire. Ou même pas de croire, mais de faire comme si l’on croyait, on ne nous demande pas de croire, on nous demande de nous comporter comme si nous le croyions. (…) Ce qui revient à dire : que l’information, c’est exactement le système du contrôle. (…)

Quel est le rapport de l’œuvre d’art avec la communication ? Aucun. L’œuvre d’art n’est pas un instrument de communication. L’œuvre d’art n’a rien à faire avec la communication. L’œuvre d’art ne contient strictement pas la moindre information. En revanche, il y a une affinité fondamentale entre l’œuvre d’art et l’acte de résistance. Alors là, oui. Elle a quelque chose à faire avec l’information et la communication, oui, à titre d’acte de résistance. Quel est ce rapport mystérieux entre une œuvre d’art et un acte de résistance, alors même que les hommes qui résistent n’ont ni le temps ni parfois la culture nécessaire pour avoir le moindre rapport avec l’art ? Je ne sais pas. Malraux développe un bon concept philosophique. Il dit une chose très simple sur l’art : "C’est la seule chose qui résiste à la mort." (…) Oui, sans doute, il suffit de voir une statuette de trois mille ans avant notre ère pour trouver que la réponse de Malraux est une plutôt bonne réponse. Alors on pourrait dire, oui, l’art c’est ce qui résiste. Tout acte de résistance n’est pas une œuvre d’art, bien que, d’une certaine manière il le soit. Toute œuvre d’art n’est pas un acte de résistance et pourtant, d’une certaine manière, elle l’est… (…) L’acte de résistance, il me semble, a ces deux faces : seul il résiste à la mort, soit sous la forme d’une œuvre d’art, soit sous la forme d’une lutte des hommes. 

Et quel rapport y a-t-il entre la lutte des hommes et l’œuvre d’art ?

Le rapport le plus étroit et pour moi le plus mystérieux. Exactement ce que Paul Klee voulait dire quand il disait : "Vous savez, le peuple manque." (…) Il n’y a pas d’œuvre d’art qui ne fasse appel à un peuple qui n’existe pas encore.  

Auteur: Deleuze Gilles

Info: Extrait de la conférence "Qu’est-ce que l’acte de création ?" donnée dans le cadre des Mardis de la fondation Femis, 17 mai 1987.

[ imagination ] [ ouverture ] [  prophétie   ] [ prescience ]

 

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fraicheur juvénile

"Il y a des êtres qui font d’un soleil une simple tache jaune, mais il y en a aussi qui font d’une simple tache jaune, un véritable soleil" (Pablo Picasso)

Un jour où j’ai montré à l’un de mes petits-fils quelques plantes en pots sur le balcon de l’appartement familial, j’ai été un peu décontenancé et très agréablement impressionné de le surprendre, peu après, en train d’expliquer à son frère : "C’est incroyable, la plus belle fleur dans les pots de Papy, c’en est une qu’il n’a pas plantée !". Il parlait d’une fleur de pissenlit qui s’était développée à partir d’une graine amenée par le vent. Nombre d’adultes n’y auraient vu qu’une "mauvaise herbe" qu’il fallait arracher pour préserver la prétendue harmonie des plantations artificielles. Pourtant, un enfant, dont la perception n’était pas encore émoussée, était capable de s’émerveiller de ce qu’un adulte un peu trop "mûr" finit par trouver banal. Cet émoussement n’est pas une fatalité : je pense qu’un François d’Assise, par exemple, montrait qu’il avait su conserver cette aptitude naturelle des enfants quand il recommandait de ne pas cultiver tout le jardin, mais d’accepter d’en laisser une partie en friche, pour garder intacte notre capacité à nous émerveiller devant la beauté des herbes sauvages.

Je trouve que la remarque de mon petit-fils exprimait une vérité très profonde et nous donnait une leçon très importante. Jésus-Christ ne disait-il pas, paraît-il : "Si vous ne changez pas d'attitude et ne devenez pas comme de petits enfants, vous n'entrerez pas dans le royaume des cieux" (Nouveau Testament, Matthieu 18:3). Je ne sais pas ce qu’est le "royaume des cieux", encore moins ce qu’il faut faire pour y entrer. Par contre, ce dont je suis convaincu, c’est que nous ne pouvons pas être vraiment heureux si nous ne retrouvons pas ou  n’entretenons pas la pureté du regard qu’on avait quand on était enfant. Il faut parvenir à comprendre et ressentir en profondeur, avec son esprit, son cœur et son corps, que rien n’est banal !

Heureusement, cela s’apprend (comme beaucoup d’autres choses) ! Il faut, patiemment, entretenir la flamme au fond de soi, rejeter les tendances "adultes" à considérer comme "puéril" l’émerveillement, mais au contraire, adresser régulièrement à ce soleil intérieur, la même louange que celle adressée par Edmond Rostand au soleil extérieur : "Ô Soleil ! toi sans qui les choses ne seraient que ce qu'elles sont !" (Hymne au soleil dans Chantecler).

Mais si jamais vous n’y parveniez pas, au moins, par pitié, abstenez-vous d’étouffer l’émerveillement des autres ! Ne dites jamais, surtout à un enfant, quelque chose comme : "Ce n’est que le soleil " ou "Ce n’est qu’une fleur". Rien n’est banal !

Auteur: Santarini Gérard

Info: Extrait de "Croire ou savoir ? Petites graines de réflexion pour un monde meilleur", Librinova, 2019

[ émerveillement ] [ spiritualité ] [ chiasme ]

 
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