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syncrétisme

Les modernes ont développé quatre répertoires différents qu’ils croient incompatibles pour accommoder la prolifération des quasi-objets*.

Le premier répertoire traite de la réalité extérieure d’une nature dont nous ne sommes pas maîtres, qui existe en dehors de nous et qui n’a ni nos passions ni nos désirs, bien que nous soyons capables de la mobiliser et de la construire.

Le deuxième répertoire traite du lien social, de ce qui attache les humains entre eux, des passions et des désirs qui nous agitent, des forces personnifiées qui structurent la société, laquelle nous dépasse tous bien que nous la construisions.

Le troisième traite de la signification et du sens, des actants qui composent les histoires que nous nous racontons, des épreuves qu’ils subissent, des aventures qu’ils traversent, des tropes et des genres qui les organisent, des grands récits qui nous dominent infiniment, bien qu’ils soient en même temps simple texte et discours.

Le quatrième enfin parle de l'Être et déconstruit ce que nous oublions toujours lorsque nous avons le seul souci de l’étant, bien que la différence de l’Être soit distribuée à travers les étants, coextensifs à leur existence même.

Ces ressources ne sont incompatibles que dans la vision officielle de la Constitution. En pratique, nous sommes bien en peine de distinguer les quatre. Nous mêlons sans vergogne nos désirs aux choses, le sens au social, le collectif aux récits. Dès que nous suivons à la trace quelque quasi-objet, il nous apparaît tantôt chose, tantôt récit, tantôt lien social, sans se réduire jamais à un simple étant. Notre pompe à vide dessine le ressort de l’air, mais trace aussi la société du XVIIe siècle et définit également un nouveau genre littéraire, celui du récit d’expérience en laboratoire. Faut-il, en la suivant, prétendre que tout est rhétorique, ou que tout est naturel, ou que tout est construit socialement, ou que tout est arraisonnement ? Faut-il supposer que la même pompe est dans son essence parfois objet, parfois lien social et parfois discours ? Ou qu’elle est un peu des trois ? Qu’elle est parfois un simple étant, et parfois marquée, décalée, brisée par la différence ? Et si c’était nous, les modernes, qui divisions artificiellement une trajectoire unique, laquelle ne serait d’abord ni objet, ni sujet, ni effet de sens, ni pur étant ? Si la séparation des quatre répertoires ne s’appliquait qu’à des états stabilisés et tardifs ?

Rien ne prouve que ces ressources demeurent incompatibles lorsque nous passons des essences aux événements, de la purification à la médiation, de la dimension moderne à la dimension non moderne, de la révolution à la contre-révolution copernicienne. Des quasi-objets quasi-sujets, nous dirons simplement qu’ils tracent des réseaux. Ils sont réels, bien réels, et nous les humains nous ne les avons pas faits. Mais ils sont collectifs puisqu’ils nous attachent les uns aux autres, qu’ils circulent entre nos mains et nous définissent par leur circulation même. Ils sont discursifs pourtant, narrés, historiques, passionnés, et peuplés d’actants aux formes autonomes. Ils sont instables et risqués, existentiels et porteurs d’être. Cette liaison des quatre répertoires nous permet de construire une demeure assez vaste pour y abriter l’Empire du Milieu, la véritable maison commune du monde non moderne en même temps que sa Constitution.

La synthèse est impossible tant que nous demeurons modernes pour de bon, puisque la nature, le discours, la société, l’Être nous dépassent infiniment et que ces quatre ensembles ne se définissent que par leur séparation, laquelle maintient nos garanties constitutionnelles. Mais la continuité devient possible si nous ajoutons aux garanties la pratique qu’elle permet parce qu’elle la dénie. Les modernes ont bien raison de vouloir à la fois la réalité, le langage, la société et l’être. Ils n’ont tort que de les croire à jamais contradictoires. Au lieu de toujours analyser le parcours des quasi-objets en séparant ces ressources, ne pouvons-nous pas écrire comme si elles devaient se lier continûment les unes aux autres ? Nous sortirions probablement de la prostration postmoderne.

J’avoue que j’en ai par-dessus la tête de me retrouver pour toujours enfermé dans le seul langage ou prisonnier des seules représentations sociales. Je veux accéder aux choses mêmes et non à leurs phénomènes. Le réel n’est pas lointain, mais accessible en tous les objets mobilisés de par le monde. La réalité extérieure n’abonde-t-elle pas au beau milieu de nous ?

Nous en avons plus qu’assez d’être pour toujours dominés par une nature transcendante, inconnaissable, inaccessible, exacte, et simplement vraie, peuplée d’entités assoupies comme la Belle au bois dormant jusqu’au jour où les charmants savants les découvrent enfin. Nos collectifs sont plus actifs, plus productifs, plus socialisés que les ennuyeuses choses-en-soi ne nous le laissaient prévoir.

N’êtes-vous pas un peu lassés de ces sociologies construites sur du social, et qui se tiennent par la seule répétition des mots "pouvoir" et "légitimité" parce qu’elles ne peuvent encaisser ni le monde des objets ni celui des langages qui les construisent pourtant ? Nos collectifs sont plus réels, plus naturalisés, plus discursifs que les ennuyeux hommes-entre-eux ne nous le laissaient prévoir.

Nous sommes fatigués des jeux de langage et de l’éternel scepticisme de la déconstruction du sens. Le discours n’est pas un monde en soi, mais une population d’actants qui se mêlent aux choses comme aux sociétés, qui font tenir les unes et les autres, et qui les tiennent. S’intéresser aux textes ne nous éloigne pas de la réalité car les choses ont droit, elles aussi, à la dignité d’être des récits. Quant aux textes, pourquoi leur dénier la grandeur d’être le lien social qui nous fait tenir ensemble ? 

Je n’en puis plus d’être accusé, moi et mes contemporains, d’avoir oublié l’Être, de vivre dans un bas monde vidé de toute sa substance, de tout son sacré, de tout son art, ou de devoir, afin de retrouver ces trésors, perdre le monde historique, scientifique et social dans lequel je vis. S’appliquer aux sciences, aux techniques, aux marchés, aux choses, ne nous éloigne pas plus de la différence de l’Être et des étants, que de la société, de la politique, ou du langage.

Réels comme la nature, narrés comme le discours, collectifs comme la société, existentiels comme l’Être, tels sont les quasi-objets que les modernes ont fait proliférer, tels il convient de les suivre en redevenant simplement ce que nous n’avons jamais cessé d’être, des non-modernes.

Auteur: Latour Bruno

Info: Nous n'avons jamais été modernes. Essai d'anthropologie symétrique. Lier les quatre répertoires modernes. pp 57-59 *hybrides nature-culture, des collectifs où les choses ne sont pas séparés de la société mais s'y combinent en collectifs de toutes sortes.

[ géolinguistique ] [ taxonomies intriquées ] [ tétravalence sociale ] [ psycho-sociologie ]

 
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proto-biologie

Suzan Mazur : Donc, avec cette donation, vous allez tenter de déterminer les principes généraux de la vie. Comment définissez-vous la vie ?

C W : C'est le problème, nous ne pouvons pas. Nous n'avons pas encore répondu aux questions centrales sur l'origine de la vie. Nous devons encore obtenir des preuves plus directes de ce que j'appelle une condition pré-Darwinienne, une condition progénote de la vie. C'est l'une des choses sur lesquelles nous travaillons, en essayant d'obtenir autant de preuves directes que possible. Évidemment, comme il s'agit d'un stade de l'évolution qui s'est déroulé il y a trois milliards d'années ou plus, nous n'allons pas obtenir beaucoup de preuves directes. Nous pouvons obtenir des archives fossiles, mais elles ne sont pas fiables. Il faut déduire tout ce qu'on peut de l'analyse intelligente et perspicace des données de la séquence du génome.

SM : Que considérez-vous comme l'évolution ?

CW : L'évolution est en fait ce que la biologie devrait être. Qu'est-ce que la biologie ? Est-ce une description de formes sous le microscope ? Cela ne peut pas être cela. L'évolution est un processus. C'est le processus que nous appelons maintenant biologie, et  qui est très statique. L'évolution, en revanche, est dynamique. Et nous devons comprendre quelles sont les règles que suit cette dynamique.

Alfred North Whitehead disait qu'en biologie et dans d'autres domaines, nous n'avons pas affaire à une procession de formes (ce qui résume le point de vue de Lazcano), nous avons affaire à la forme ou aux formes du processus. C'est dans cette distinction que réside l'essence même de l'institut d'astrobiologie de l'Illinois. Nous allons réellement étudier l'origine évolutive de la vie. Toute personne ayant une intuition biologique peut sentir - que la vie est un processus évolutif. Comme je l'ai dit, ce n'est pas seulement une procession de formes.

SM : Avez-vous des inquiétudes concernant la création d'une protocellule ?

CW : Oh oui. Il y en a, comme vous le savez, Craig Venter bat le tambour sur ce sujet tout le temps, juste pour être à l'avant-garde. Le pouvoir.

SM : Il y a aussi les chercheurs de Harry Lonsdale, qui l'abordent de manière ascendante. David Deamer, scientifique à l'origine de la vie à l'Université de Santa Cruz, par exemple, dit qu'il prévoit de fabriquer une protocellule d'ici une dizaine d'années.

CW : Bonne chance.

SM : ça vous préoccupe, la protocellule ?

CW : Je suis préoccupé par les scientifiques qui pensent qu'ils sont Dieu quand il s'agit de biologie. Les scientifiques devraient essayer d'étudier les expériences que la nature a déjà faites sous la forme du processus d'évolution.

SM : Vous avez décrit la "déconnexion entre les darwinistes, qui avaient pris le contrôle de l'évolution, et les microbiologistes, qui ne trouvaient aucune utilité à la sélection naturelle darwinienne." Avez-vous quelque chose à dire sur la récente décision du Huffington Post de bloquer la publication de la réponse du microbiologiste James Shapiro au darwiniste Jerry Coyne suite à la récente attaque de Coyne sur la pensée de Shapiro concernant un rôle réduit de la sélection naturelle dans l'évolution ?

CW : Je pense que c'est immoral. La science doit être libre d'examiner ce qu'elle voit. Si vous dites que tout le monde doit suivre la ligne darwinienne, ce n'est pas de la science libre. Le Huffington Post est passé de droite/gauche à gauche/droite. Je ne sais pas où il est maintenant. Cela n'appartient pas à la science.

Je pense que Shapiro a le doigt sur l'avenir. Il voit que nous devrions étudier la régulation. L'épigénétique est très importante.

SM : Vous avez également remarqué que la pensée de Darwin sur la descendance commune est "principalement fondée sur l'analogie" et que l'évolution qui émerge maintenant ne découle pas de Darwin. Je vous cite "Il me semble qu'une biologie future ne peut être construite dans les superstructures conceptuelles du passé. L'ancienne superstructure doit être remplacée par une nouvelle pour que les problèmes holistiques puissent émerger comme le nouveau courant dominant de la biologie". Vous attendriez-vous à ce que Darwin suive la voie de Freud si la biologie entre dans le monde non linéaire et que l'évolution est redéfinie ?

CW : Cela pourrait bien être le cas. J'ai longtemps soutenu, jusqu'à la fin du XXe siècle, que le problème du processus d'évolution est un problème antérieur à son époque. Darwin a essayé d'obtenir un crédit personnel en faisant irruption avec ça à un certain moment. La pensée conceptuelle sur l'évolution a d'abord été établie par des gens comme Buffon et le propre grand-père de Darwin, Erasmus Darwin - que Darwin ne mentionne jamais dans l'Origine des espèces, sauf dans une note de bas de page lorsqu'il y fut contraint, dans la troisième édition, de l'ajouter au bas de la préface.

Il l'a nommé d'une manière dédaigneuse. Disant en gros, oh oui, beaucoup de gens ont pensé à cela et a nommé des gens comme Buffon et Lamarck. Mais il n'a pas nommé son propre grand-père, Erasmus Darwin, sauf pour dire que son grand-père avait les mêmes idées fausses que Lamarck et Goethe. Et il n'a pas dit quelles étaient ces idées ou ce qu'il leur reprochait. Il voulait se distancer de son grand-père autant qu'il le pouvait.

SM : J'ai été intrigué par l'interview que vous avez donné au magazine Wired il y a quelques années où vous avez parlé de "l'interaction distribuée" agissant au sein de diverses communautés en réseau de la vie précoce avant la cellule moderne. Et puis vous avez dit que cette dynamique pré-darwinienne se retrouve dans la société. Je me demandais si vous vouliez dire que nous continuons en quelque sorte à reconstituer notre ancien passé organisationnel ?

CW : Non, je ne pense pas que nous tournons dans les mêmes cercles. Il s'agit d'une spirale toujours plus grande, parce que c'est ainsi que l'on peut définir un système complexe dynamique.

SM : Nigel Goldenfeld a fait des conférences sur les "trois régimes dynamiques". Fait-il référence à ce que vous avez décrit dans votre article de 2006 - une faible évolution communautaire, une puissante évolution communautaire et une évolution individuelle ?

CW : Oui, je crois qu'il le fait. Je suis presque sûr que c'est le cas. Et dans un article que j'ai écrit sur les archées, je parle de l'évolution de l'individualité. Il y avait un stade communautaire au départ. C'est ce que j'appelle habituellement le progénote. J'utilise le terme "trois domaines". J'ai écrit quelque chose en 2004 pour Microbiology and Molecular Biology Review. Freeman Dyson a été séduit par ce texte et a demandé la permission de l'utiliser dans un article qu'il a écrit pour la New York Review of Books. Nigel essaie de définir pour les physiciens ce que sont ces trois domaines. C'est l'un des rares points sur lesquels je diffère de Nigel Goldenfeld. C'est un amicale différent dans nos dialogues.

SM : C'est merveilleux que vous fassiez ces percées sans rencontrer trop d'hostilité de la part de la communauté de la biologie classique.

CW : Mais je n'ai pas détrôné l'hégémonie de la culture de Darwin.

Auteur: Woese Carl

Info: interviewé par Suzan Mazur, 4 October 2012, https://www.scoop.co.nz/. Trad Mg

[ triade ] [ pré-mémétique ] [ apprentis sorciers ] [ changement de paradigme ] [ éthique ] [ prébiotique ]

 

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intermédiaire

Hier, je me suis cultivée. Je vous préviens tout de suite, si vous vous attendez au récit d'une visite passionnante dans un musée consacré à la période Momoyama, vous allez être déçus (ou soulagés, c'est selon). Au fait, la période Momoyama a réellement existé au Japon (1573 - 1603). Je ne sais pas si un musée lui a été consacré, mais j'aime bien ce nom.

Non, hier, je lisais "Le Monde" sur Internet. Soudain, dans la colonne de droite, là où se trouvent les liens vers les sites des cabinets de recrutement, je vois dans une liste d'offres d'emploi le mot "Dumiste". Le terminologue en herbe qui sommeille dans tout traducteur s'éveille instantanément, car je n'ai aucune idée de ce que peut être un ou une dumiste, qui peut être h/f, précise l'intitulé de l'annonce, montrant par là que le (ou la, parce que là aussi, je ne sais pas ce que c'est) CA du pays de Montbéliard n'est pas sexiste (la loi le lui défend, de toute façon). Décidément, il y a trop longtemps que j'ai quitté la France.

Dumiste, là, à brûle-pourpoint, ça me fait penser à une seule chose, cette collection d'ouvrages pratiques sur l'informatique qui a été traduite en français par "(logiciel x) pour les nuls" et dont le titre orginal en anglais est "(XXX) for dummies". Pas très flatteur, donc, et ça ne doit pas être ça. J'envisage ensuite un(e) spécialiste d'une étape particulière d'un processus technique industriel complexe, mais comme ces annonces sont en principe classées par thème et que je me trouve dans la rubrique culture du journal, je doute que ce soit ça. Je subodore plutôt quelque substantif dérivé d'un acronyme, mais lequel?

Je clique donc sur l'annonce, mais ça ne donne pas grand-chose, car si j'atterris bien sur un site web  regorgeant d'"espaces ceci" et d'"espaces cela" et garantissant pourtant un "référencement optimal" des offres d'emploi, je ne retrouve même pas l'intitulé de l'annonce, j'ai dû me tromper d'espace quelque part. Je me tourne donc vers l'internet et je donne "dumiste" en pâture à Google. (Vous savez qu'en anglais, to google est devenu un verbe, "just google it", qu'on dit). Pas de problème, il connaît, et il connaît même très bien, car il me fournit obligeamment un tas de documents en français dans lesquels apparaît le mot "dumiste"".

En français, car le dumiste, c'est une invention purement hexagonale, jugez plutôt! Grâce à un passionnant document du Centre de formation des musiciens intervenants de l'université de Poitiers, je comprends assez vite que ça a un rapport avec l'enseignement de la musique, et aussi que le dumiste n'est absolument pas un professeur de musique, mais un "musicien intervenant", ou plus exactement "une personne-ressource dans la cité", qui "fait vivre des situations visant au développement de l'éducation artistique de l'enfant en temps scolaire et hors temps scolaire. Il intervient à long terme dans l'accompagnement d'un projet éducatif et se soucie de la cohérence des parcours artistiques musicaux des enfants". Les activités qu'il/elle organise doivent permettre aux enfants de "vivre des démarches artistiques collectives innovantes", "d'acquérir des savoirs et des savoir-faire fondamentaux, de développer une attitude d'écoute et se construire un jugement esthétique personnel". Il ou elle doit aussi aider les enseignants à devenir les "garants de la cohérence et de la transversalité des apprentissages".

Dans le même document se trouve un "référentiel de compétences" qui énumère toutes les qualifications, aptitudes et qualités qu'un dumiste digne de ce nom se doit de posséder, et elles sont nombreuses. J'apprends également que le dumiste exerce principalement son activité dans les écoles maternelles ou élémentaires, mais "en s'intégrant à des dispositifs institutionnels partenariaux", ce qui, vous en conviendrez, change tout. Je crois que ça veut dire qu'il/elle peut aussi être amené à travailler "en zone rural" (sans e) ou "dans des centres socioculturel" (sans s).

Tout cela ne me dit pas d'où on a sorti ce mot "dumiste". Je consulte ensuite une étude sur les situations d'emploi des musiciens intervenants diplômés des CFMI, et il me paraît désormais assez clair que le mot "dumiste" a été forgé sur DUMI, le MI signifiant musicien intervenant, mais d'où diable sort ce "DU"? En gros, cette étude dit que c'est drôlement difficile de comprendre ce que fait un dumiste, qu'elle qualifie de "musicien d’un troisième type d’abord et surtout itinérant avant d’être intermittent ou permanent". J'avoue que, de mon côté, je commence à m'y perdre un peu entre ces "intervenant" et ces "itinérant", et si en plus il est du troisième type, ce musicien... Lyrique, l'étude nous décrit aussi les dumistes comme des "colporteurs de musiques à la croisée de bien des chemins", mais enfin, comme elle a dû être rédigée pour l'administration, elle se reprend bien vite et nous précise que (je coupe, parce que la phrase fait dix lignes) "la diversité et la transversalité de ses savoir-faire musicaux, la multiplicité des compétences mobilisées (...), la diversification de ses activités et de ses lieux d’intervention (...), la multiplicité de ses partenaires (...) pour un même projet viennent singulièrement complexifier les concepts de spécialisation/ diversification musicale et professionnelle et, plus largement, l’élaboration d’une vision claire et pertinente d’un métier pluriel ..." Bref, comme le malheureux dumiste doit savoir faire des tas de choses, travailler dans un tas d'endroits et pour des tas de gens différents, eh bien ça "complexifie singulièrement" les choses. Le texte nous rappelle que le "dumiste" est une "personne-ressource", et insiste d'ailleurs sur la nécessité de "favoriser la lisibilité de la dimension de la personne-ressource" (je n'invente rien, c'est là, allez voir et estimez vous heureux de ne pas être à la place de nos collègues anglophones quand ce genre de texte atterrit sur leur bureau!).

Je tombe enfin sur un document scandaleusement simple de l’addm 22, association départementale pour le développement de la musique et de la danse en Côtes d'Armor, qui explique dès le début qu'un "dumiste" est le titulaire d'un Diplôme universitaire de musicien intervenant (c'est le fameux DUMI!), que ce n'est pas un salarié de l'Education nationale car il n'intervient pas qu'en milieu scolaire, mais aussi dans des écoles de musique, des crèches, des foyers de personnes handicapées, etc. Comme le dumiste est au service des collectivités territoriales, l'addm22 aime bien dire que c'est un "acteur culturel du territoire".  Bon, je commence à voir de quoi il retourne. Un dumiste, c'est un malheureux qui a fait des études de musique et qui s'est tapé le Conservatoire pendant 10 ans, à qui, avec beaucoup de chance (ça représente apparemment 50% des diplômés), le Conseil général ou une communauté d'agglomérations (c'est la fameuse CA du début!) va offrir un mirobolant "équivalent plein temps" de 20 heures hebdomadaires probablement distribuées entre établissements scolaires et écoles de musique, atomisées dans tous les coins du département, avec déplacements et contraintes horaires à la clé. Et j'imagine, que, lors de leurs interventions, déterminer ce qui est du ressort de l'établissement et ce qui relève de la collectivité locale, notamment quand il s'agit de financer quelque chose, ne doit pas être de tout repos non plus. Les 50% des dumistes restants devront, selon l'étude sur les "situations d'emploi" citée plus haut, se contenter de contrats portant sur des "durées inférieures à 10 heures hebdomadaires", peut-être parce que leur dimension de personne-ressource n'est pas suffisamment lisible?

Je voudrais dire toute mon admiration aux dumistes, dont j'ignorais l'existence jusqu'à hier. Ils font un bien beau métier, qu'ils ont l'air d'exercer dans des conditions pas particulièrement favorables. Les quelques témoignages de dumistes que j'ai lus sur l'internet montrent qu'ils s'acquittent de leur tâche avec passion, conviction et sincérité. Certes, ils emploient des mots comme "envie", "plaisir", "jeu" et "découverte" mais ce n'est pas très grave car la "capacité de rédiger des circulaires administratives" ne figure pas dans leur "référentiel de compétences"!

Auteur: Internet

Info: http://scrapojapon.canalblog.com, Recherche dumiste, désespérément. 19 février 2008

[ marginal sécant ]

 

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homme-animal

Les insectes et autres animaux ont une conscience, déclarent les experts

Un groupe d'éminents biologistes et philosophes a annoncé un nouveau consensus : il existe " une possibilité réaliste " que les insectes, les poulpes, les crustacés, les poissons et d'autres animaux négligés fassent l'expérience de la conscience.  

En 2022, des chercheurs du Bee Sensory and Behavioral Ecology Lab de l’Université Queen Mary de Londres ont observé des bourdons faire quelque chose de remarquable : ces petites créatures floues se livraient à une activité qui ne pouvait être décrite que comme un jeu. Une fois face à de minuscules boules de bois, les abeilles les poussent et les font tourner. Ce comportement n’avait aucun lien évident avec l’accouplement ou la survie, et n’était pas non plus récompensé par les scientifiques. Apparemment, c'était juste pour s'amuser.

L’étude sur les abeilles joueuses fait partie d’un ensemble de recherches citées aujourd’hui par un groupe d’éminents spécialistes de l’esprit animal, étayant une nouvelle déclaration qui étend le soutien scientifique à la conscience à un plus grand nombre d’animaux que ce qui avait été formellement reconnu auparavant. Depuis des décennies, les scientifiques s’accordent largement sur le fait que les animaux semblables à nous – les grands singes, par exemple – ont une expérience consciente, même si leur conscience diffère de la nôtre. Ces dernières années, cependant, les chercheurs ont commencé à reconnaître que la conscience pourrait également être répandue chez des animaux très différents de nous, notamment des invertébrés dotés d’un système nerveux complètement différent et bien plus simple.

La nouvelle déclaration, signée par des biologistes et des philosophes, adhère formellement à ce point de vue. On y lit notamment : " Les preuves empiriques indiquent au moins une possibilité réaliste d’expérience consciente chez tous les vertébrés (y compris tous les reptiles, amphibiens et poissons) et de nombreux invertébrés (y compris, au minimum, les mollusques céphalopodes, les crustacés décapodes et les insectes). " Inspiré par les résultats de recherches récentes décrivant des comportements cognitifs complexes chez ces animaux et chez d'autres animaux, le document représente un nouveau consensus et suggère que les chercheurs ont peut-être surestimé le degré de complexité neuronale requis pour la conscience.

La Déclaration de New York sur la conscience animale en quatre paragraphes a été dévoilée aujourd'hui, le 19 avril, lors d'une conférence d'une journée intitulée " La science émergente de la conscience animale " qui s'est tenue à l'Université de New York. Menée par la philosophe et spécialiste des sciences cognitives Kristin Andrews de l'Université York en Ontario, le philosophe et spécialiste de l'environnement Jeff Sebo de l'Université de New York et le philosophe Jonathan Birch de la London School of Economics and Political Science, la déclaration a jusqu'à présent été signée par 39 chercheurs, dont les psychologues Nicola Clayton et Irene Pepperberg, les neuroscientifiques Anil Seth et Christof Koch , le zoologiste Lars Chittka et les philosophes David Chalmers et Peter Godfrey-Smith .

La déclaration se concentre sur le type de conscience le plus fondamental, connu sous le nom de conscience phénoménale. En gros, si une créature a une conscience phénoménale, alors c'est " comme quelque chose " qu'être cette créature — une idée énoncée par le philosophe Thomas Nagel dans son essai influent de 1974, " Qu'est-ce que ça fait d'être une chauve-souris ? " Même si une créature est très différente de nous, écrit Nagel, " " Un organisme a fondamentalement des états mentaux conscients qui correspondent à ce qu'est cet organisme, si et seulement si. ... Nous pouvons appeler cela le caractère subjectif de l'expérience. Si une créature est ainsi consciente, elle a la capacité d’éprouver des sentiments tels que la douleur, le plaisir ou la faim, mais pas nécessairement des états mentaux plus complexes comme la conscience de soi.

" J'espère que celà attire une plus grande attention aux problèmes de la conscience non humaine et aux défis éthiques qui accompagnent la possibilité d'expériences conscientes bien au-delà de l'humain", a écrit Seth, neuroscientifique à l'Université du Sussex, dans un e-mail. " J'espère que cela suscitera des discussions, éclairera les politiques et les pratiques en matière de bien-être animal et galvanisera la compréhension et l'appréciation du fait que nous avons beaucoup plus en commun avec d'autres animaux qu'avec des choses comme ChatGPT. "

Une prise de conscience croissante

La déclaration a commencé à prendre forme l’automne dernier, à la suite de conversations entre Sebo, Andrews et Birch. " Nous parlions tous les trois de tout ce qui s'est passé au cours des 10 ou 15 dernières années dans la science de la conscience animale", se souvient Sebo. Nous savons maintenant, par exemple, que les poulpes ressentent de la douleur et que les seiches se souviennent des détails d'événements passés spécifiques. Des études sur les poissons ont montré que les labres (Labroides dimidiatus) semblent réussir une version du " test du miroir ", qui indique un certain degré d'auto-reconnaissance, et que les poissons zèbres montrent des signes de curiosité. Dans le monde des insectes, les abeilles présentent un comportement de jeu apparent, tandis que les mouches des fruits de la drosophile ont des habitudes de sommeil distinctes influencées par leur environnement social. Pendant ce temps, les écrevisses présentent des états de type anxiété – et ces états peuvent être modifiés par des médicaments anti-anxiété.

Ces signes, ainsi que d’autres, d’états de conscience chez des animaux qui ont longtemps été considérés comme moins conscients ont excité et interpellé les biologistes, les spécialistes des sciences cognitives et les philosophes de l’esprit. "Beaucoup de gens acceptent depuis un certain temps que, par exemple, les mammifères et les oiseaux sont soit conscients, soit très susceptibles de l'être, mais moins d'attention a été accordée aux autres taxons de vertébrés et en particulier d'invertébrés", a déclaré Sebo. Lors de conversations et de réunions, les experts ont largement convenu que ces animaux devaient avoir une conscience. Cependant, ce consensus nouvellement formé n’a pas été communiqué au grand public, notamment aux autres scientifiques et décideurs politiques. Les trois chercheurs ont donc décidé de rédiger une déclaration claire et concise et de la faire circuler parmi leurs collègues pour approbation. La déclaration n’est pas censée être exhaustive mais plutôt " indiquer où nous pensons que le domaine se trouve actuellement et où il se dirige ", a déclaré Sebo.

La nouvelle déclaration met à jour les efforts les plus récents visant à établir un consensus scientifique sur la conscience animale. En 2012, des chercheurs ont publié la Déclaration de Cambridge sur la conscience, qui affirmait qu'un grand nombre d'animaux non humains, y compris, mais sans s'y limiter, les mammifères et les oiseaux, ont " la capacité de manifester des comportements intentionnels " et que " les humains ne sont pas les seuls à posséder les substrats neurologiques " qui génèrent la conscience.

La nouvelle déclaration élargit la portée de son prédécesseur et est également rédigée avec plus de soin, a écrit Seth. " Elle n'essaie pas de faire de la science par diktat, mais souligne plutôt ce que nous devrions prendre au sérieux concernant la conscience animale et l'éthique pertinente, compte tenu des preuves et des théories dont nous disposons." Il a écrit qu’il n’était " pas favorable aux avalanches de lettres ouvertes et autres ", mais qu’il était finalement " parvenu à la conclusion que cette déclaration méritait vraiment d’être soutenue ".

Godfrey-Smith, philosophe des sciences à l'Université de Sydney qui a beaucoup travaillé avec les poulpes, estime que les comportements complexes que présentent ces créatures – notamment la résolution de problèmes, l'utilisation d'outils et le comportement de jeu – ne peuvent être interprétés que comme des indicateurs de conscience. "Elles ont cet engagement attentif avec les choses, avec nous et avec de nouveaux objets qui fait qu'il est très difficile de ne pas penser qu'il se passe beaucoup de choses à l'intérieur d'elles", a-t-il déclaré. Il a noté que des articles récents portant sur la douleur et les états oniriques chez les poulpes et les seiches " vont dans la même direction… ".

Même si de nombreux animaux mentionnés dans la déclaration ont un cerveau et un système nerveux très différents de ceux des humains, les chercheurs affirment que cela ne constitue pas nécessairement un obstacle à la conscience. Par exemple, le cerveau d’une abeille ne contient qu’environ un million de neurones, contre environ 86 milliards dans le cas des humains. Mais chacun de ces neurones d’abeille peut être structurellement aussi complexe qu’un chêne. Le réseau de connexions qu’ils forment est également incroyablement dense, chaque neurone en contactant peut-être 10 000 ou 100 000 autres. Le système nerveux d’une pieuvre, en revanche, est complexe à d’autres égards. Son organisation est hautement distribuée plutôt que centralisée ; un bras coupé peut présenter de nombreux comportements de l'animal intact.

(4 photos : Des recherches récentes sur l’esprit des animaux – notamment ceux des écrevisses, des poulpes, des serpents et des poissons – suggèrent que la conscience " peut exister dans une architecture neurale qui semble complètement étrangère " à la nôtre, a déclaré Peter Godfrey-Smith.)

Le résultat, a déclaré Andrews, est que "  nous n’avons peut-être pas besoin d’autant d’équipement que nous le pensions " pour atteindre la conscience. Elle note, par exemple, que même un cortex cérébral – la couche externe du cerveau des mammifères, censée jouer un rôle dans l’attention, la perception, la mémoire et d’autres aspects clés de la conscience – n’est peut-être pas nécessaire pour une conscience phénoménale plus simple comme celle ciblée dans la déclaration.

"Il y a eu un grand débat sur la question de savoir si les poissons sont conscients, et cela était en grande partie dû au fait qu'ils n'avaient pas les structures cérébrales que nous observons chez les mammifères", a-t-elle déclaré. "Mais quand vous regardez les oiseaux, les reptiles et les amphibiens, ils ont des structures cérébrales très différentes et des pressions évolutives différentes - et pourtant certaines de ces structures cérébrales, comme nous le constatons, font le même genre de travail qu'un cortex cérébral chez l'homme. " Godfrey-Smith est d’accord, notant que des comportements révélateurs de conscience " peuvent exister dans une architecture qui semble complètement étrangère à l’architecture des vertébrés ou des humains ".

Relations conscientes

Bien que la déclaration ait des implications pour le traitement des animaux, et en particulier pour la prévention de la souffrance animale, Sebo a noté que l'accent devrait aller au-delà de la douleur. Il ne suffit pas d'empêcher les animaux en captivité de ressentir des douleurs et des inconforts corporels, a-t-il déclaré. " Nous devons également leur offrir le type d’enrichissement et d’opportunités qui leur permettent d’exprimer leurs instincts, d’explorer leur environnement, de s’engager dans les systèmes sociaux et d’être par ailleurs le genre d’agents complexes qu’ils sont. "

Mais les conséquences de l’attribution du label " conscient " à un plus grand nombre d’animaux – en particulier à des animaux dont nous n’avons pas l’habitude de prendre en compte les intérêts – ne sont pas simples. Par exemple, notre relation avec les insectes peut être " inévitablement quelque peu antagoniste ", a déclaré Godfrey-Smith. Certains ravageurs dévorent les récoltes et les moustiques peuvent être porteurs de maladies. " L'idée selon laquelle nous pourrions simplement faire la paix avec les moustiques est une pensée très différente de l'idée selon laquelle nous pourrions faire la paix avec les poissons et les poulpes", a-t-il déclaré.

De même, peu d’attention est accordée au bien-être des insectes comme la drosophile, largement utilisés dans la recherche en biologie. " Dans la recherche, nous pensons au bien-être du bétail et des souris, mais nous ne pensons jamais au bien-être des insectes ", a déclaré Matilda Gibbons , qui étudie les bases neuronales de la conscience à l'Université de Pennsylvanie et a signé la déclaration.

Même si les organismes scientifiques ont créé certaines normes pour le traitement des souris de laboratoire, il n'est pas clair si la déclaration d'aujourd'hui mènera à de nouvelles normes pour le traitement des insectes. Mais les nouvelles découvertes scientifiques suscitent parfois de nouvelles politiques. La Grande-Bretagne, par exemple, a adopté une législation visant à accroître la protection des poulpes, des crabes et des homards après qu'un rapport de la London School of Economics  ait indiqué que ces animaux pouvaient ressentir de la douleur, de la détresse ou être blessés.

Bien que la déclaration ne fasse aucune mention de l’intelligence artificielle, la question d’une éventuelle conscience de l’IA préoccupe les chercheurs en conscience animale. "Il est très peu probable que les systèmes d'IA actuels soient conscients", a déclaré Sebo. Cependant, ce qu’il a appris sur l’esprit animal " me fait réfléchir et me donne envie d’aborder le sujet avec prudence et humilité ".

 

Auteur: Internet

Info: https://www.quantamagazine.org/ - Dan Falk  19 avril 2024

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Chat GPT ou le perroquet grammairien

L’irruption des IA conversationnelles dans la sphère publique a conféré une pertinence supplémentaire aux débats sur le langage humain et sur ce qu’on appelle parler. Notamment, les IA redonnent naissance à un débat ancien sur la grammaire générative et sur l’innéisme des facultés langagières. Mais les grands modèles de langage et les IA neuronales nous offrent peut-être l’occasion d’étendre le domaine de la réflexion sur l’architecture des systèmes possibles de cognition, de communication et d’interaction, et considérant aussi la façon dont les animaux communiquent.

a capacité de ChatGPT à produire des textes en réponse à n’importe quelle requête a immédiatement attiré l’attention plus ou moins inquiète d’un grand nombre de personnes, les unes animées par une force de curiosité ou de fascination, et les autres, par un intérêt professionnel.

L’intérêt professionnel scientifique que les spécialistes du langage humain peuvent trouver aux Large Language Models ne date pas d’hier : à bien des égards, des outils de traduction automatique comme DeepL posaient déjà des questions fondamentales en des termes assez proches. Mais l’irruption des IA conversationnelles dans la sphère publique a conféré une pertinence supplémentaire aux débats sur ce que les Large Language Models sont susceptibles de nous dire sur le langage humain et sur ce qu’on appelle parler.

L’outil de traduction DeepL (ou les versions récentes de Google Translate) ainsi que les grands modèles de langage reposent sur des techniques d’" apprentissage profond " issues de l’approche " neuronale " de l’Intelligence Artificielle : on travaille ici sur des modèles d’IA qui organisent des entités d’information minimales en les connectant par réseaux ; ces réseaux de connexion sont entraînés sur des jeux de données considérables, permettant aux liaisons " neuronales " de se renforcer en proportion des probabilités de connexion observées dans le jeu de données réelles – c’est ce rôle crucial de l’entraînement sur un grand jeu de données qui vaut aux grands modèles de langage le sobriquet de " perroquets stochastiques ". Ces mécanismes probabilistes sont ce qui permet aussi à l’IA de gagner en fiabilité et en précision au fil de l’usage. Ce modèle est qualifié de " neuronal " car initialement inspiré du fonctionnement des réseaux synaptiques. Dans le cas de données langagières, à partir d’une requête elle-même formulée en langue naturelle, cette technique permet aux agents conversationnels ou aux traducteurs neuronaux de produire très rapidement des textes généralement idiomatiques, qui pour des humains attesteraient d’un bon apprentissage de la langue.

IA neuronales et acquisition du langage humain

Au-delà de l’analogie " neuronale ", ce mécanisme d’entraînement et les résultats qu’il produit reproduisent les théories de l’acquisition du langage fondées sur l’interaction avec le milieu. Selon ces modèles, généralement qualifiés de comportementalistes ou behavioristes car étroitement associés aux théories psychologiques du même nom, l’enfant acquiert le langage par l’exposition aux stimuli linguistiques environnants et par l’interaction (d’abord tâtonnante, puis assurée) avec les autres. Progressivement, la prononciation s’aligne sur la norme majoritaire dans l’environnement individuel de la personne apprenante ; le vocabulaire s’élargit en fonction des stimuli ; l’enfant s’approprie des structures grammaticales de plus en plus contextes ; et en milieu bilingue, les enfants apprennent peu à peu à discriminer les deux ou plusieurs systèmes auxquels ils sont exposés. Cette conception essentiellement probabiliste de l’acquisition va assez spontanément de pair avec des théories grammaticales prenant comme point de départ l’existence de patrons (" constructions ") dont la combinatoire constitue le système. Dans une telle perspective, il n’est pas pertinent qu’un outil comme ChatGPT ne soit pas capable de référer, ou plus exactement qu’il renvoie d’office à un monde possible stochastiquement moyen qui ne coïncide pas forcément avec le monde réel. Cela ne change rien au fait que ChatGPT, DeepL ou autres maîtrisent le langage et que leur production dans une langue puisse être qualifiée de langage : ChatGPT parle.

Mais ce point de vue repose en réalité sur un certain nombre de prémisses en théorie de l’acquisition, et fait intervenir un clivage lancinant au sein des sciences du langage. L’actualité de ces dernières années et surtout de ces derniers mois autour des IA neuronales et génératives redonne à ce clivage une acuité particulière, ainsi qu’une pertinence nouvelle pour l’appréhension de ces outils qui transforment notre rapport au texte et au discours. La polémique, comme souvent (trop souvent ?) quand il est question de théorie du langage et des langues, se cristallise – en partie abusivement – autour de la figure de Noam Chomsky et de la famille de pensée linguistique très hétérogène qui se revendique de son œuvre, généralement qualifiée de " grammaire générative " même si le pluriel (les grammaires génératives) serait plus approprié.

IA générative contre grammaire générative

Chomsky est à la fois l’enfant du structuralisme dans sa variante états-unienne et celui de la philosophie logique rationaliste d’inspiration allemande et autrichienne implantée sur les campus américains après 1933. Chomsky est attaché à une conception forte de la logique mathématisée, perçue comme un outil d’appréhension des lois universelles de la pensée humaine, que la science du langage doit contribuer à éclairer. Ce parti-pris que Chomsky qualifiera lui-même de " cartésien " le conduit à fonder sa linguistique sur quelques postulats psychologiques et philosophiques, dont le plus important est l’innéisme, avec son corollaire, l’universalisme. Selon Chomsky et les courants de la psychologie cognitive influencée par lui, la faculté de langage s’appuie sur un substrat génétique commun à toute l’espèce humaine, qui s’exprime à la fois par un " instinct de langage " mais aussi par l’existence d’invariants grammaticaux, identifiables (via un certain niveau d’abstraction) dans toutes les langues du monde.

La nature de ces universaux fluctue énormément selon quelle période et quelle école du " générativisme " on étudie, et ce double postulat radicalement innéiste et universaliste reste très disputé aujourd’hui. Ces controverses mettent notamment en jeu des conceptions très différentes de l’acquisition du langage et des langues. Le moment fondateur de la théorie chomskyste de l’acquisition dans son lien avec la définition même de la faculté de langage est un violent compte-rendu critique de Verbal Behavior, un ouvrage de synthèse des théories comportementalistes en acquisition du langage signé par le psychologue B.F. Skinner. Dans ce compte-rendu publié en 1959, Chomsky élabore des arguments qui restent structurants jusqu’à aujourd’hui et qui définissent le clivage entre l’innéisme radical et des théories fondées sur l’acquisition progressive du langage par exposition à des stimuli environnementaux. C’est ce clivage qui préside aux polémiques entre linguistes et psycholinguistes confrontés aux Large Language Models.

On comprend dès lors que Noam Chomsky et deux collègues issus de la tradition générativiste, Ian Roberts, professeur de linguistique à Cambridge, et Jeffrey Watumull, chercheur en intelligence artificielle, soient intervenus dans le New York Times dès le 8 mars 2023 pour exposer un point de vue extrêmement critique intitulée " La fausse promesse de ChatGPT ". En laissant ici de côté les arguments éthiques utilisés dans leur tribune, on retiendra surtout l’affirmation selon laquelle la production de ChatGPT en langue naturelle ne pourrait pas être qualifiée de " langage " ; ChatGPT, selon eux, ne parle pas, car ChatGPT ne peut pas avoir acquis la faculté de langage. La raison en est simple : si les Grands Modèles de Langage reposent intégralement sur un modèle behaviouriste de l’acquisition, dès lors que ce modèle, selon eux, est réfuté depuis soixante ans, alors ce que font les Grands Modèles de Langage ne peut être qualifié de " langage ".

Chomsky, trop têtu pour qu’on lui parle ?

Le point de vue de Chomsky, Roberts et Watumull a été instantanément tourné en ridicule du fait d’un choix d’exemple particulièrement malheureux : les trois auteurs avançaient en effet que certaines constructions syntaxiques complexes, impliquant (dans le cadre générativiste, du moins) un certain nombre d’opérations sur plusieurs niveaux, ne peuvent être acquises sur la base de l’exposition à des stimuli environnementaux, car la fréquence relativement faible de ces phénomènes échouerait à contrebalancer des analogies formelles superficielles avec d’autres tournures au sens radicalement différent. Dans la tribune au New York Times, l’exemple pris est l’anglais John is too stubborn to talk to, " John est trop entêté pour qu’on lui parle ", mais en anglais on a littéralement " trop têtu pour parler à " ; la préposition isolée (ou " échouée ") en position finale est le signe qu’un constituant a été supprimé et doit être reconstitué aux vues de la structure syntaxique d’ensemble. Ici, " John est trop têtu pour qu’on parle à [John] " : le complément supprimé en anglais l’a été parce qu’il est identique au sujet de la phrase.

Ce type d’opérations impliquant la reconstruction d’un complément d’objet supprimé car identique au sujet du verbe principal revient dans la plupart des articles de polémique de Chomsky contre la psychologie behaviouriste et contre Skinner dans les années 1950 et 1960. On retrouve même l’exemple exact de 2023 dans un texte du début des années 1980. C’est en réalité un exemple-type au service de l’argument selon lequel l’existence d’opérations minimales universelles prévues par les mécanismes cérébraux humains est nécessaire pour l’acquisition complète du langage. Il a presque valeur de shibboleth permettant de séparer les innéistes et les comportementalistes. Il est donc logique que Chomsky, Roberts et Watumull avancent un tel exemple pour énoncer que le modèle probabiliste de l’IA neuronale est voué à échouer à acquérir complètement le langage.

On l’aura deviné : il suffit de demander à ChatGPT de paraphraser cette phrase pour obtenir un résultat suggérant que l’agent conversationnel a parfaitement " compris " le stimulus. DeepL, quand on lui demande de traduire cette phrase en français, donne deux solutions : " John est trop têtu pour qu’on lui parle " en solution préférée et " John est trop têtu pour parler avec lui " en solution de remplacement. Hors contexte, donc sans qu’on sache qui est " lui ", cette seconde solution n’est guère satisfaisante. La première, en revanche, fait totalement l’affaire.

Le détour par DeepL nous montre toutefois la limite de ce petit test qui a pourtant réfuté Chomsky, Roberts et Watumull : comprendre, ici, ne veut rien dire d’autre que " fournir une paraphrase équivalente ", dans la même langue (dans le cas de l’objection qui a immédiatement été faite aux trois auteurs) ou dans une autre (avec DeepL), le problème étant que les deux équivalents fournis par DeepL ne sont justement pas équivalents entre eux, puisque l’un est non-ambigu référentiellement et correct, tandis que l’autre est potentiellement ambigu référentiellement, selon comment on comprend " lui ". Or l’argument de Chomsky, Roberts et Watumull est justement celui de l’opacité du complément d’objet… Les trois auteurs ont bien sûr été pris à défaut ; reste que le test employé, précisément parce qu’il est typiquement behaviouriste (observer extérieurement l’adéquation d’une réaction à un stimulus), laisse ouverte une question de taille et pourtant peu présente dans les discussions entre linguistes : y a-t-il une sémantique des énoncés produits par ChatGPT, et si oui, laquelle ? Chomsky et ses co-auteurs ne disent pas que ChatGPT " comprend " ou " ne comprend pas " le stimulus, mais qu’il en " prédit le sens " (bien ou mal). La question de la référence, présente dans la discussion philosophique sur ChatGPT mais peu mise en avant dans le débat linguistique, n’est pas si loin.

Syntaxe et sémantique de ChatGPT

ChatGPT a une syntaxe et une sémantique : sa syntaxe est homologue aux modèles proposés pour le langage naturel invoquant des patrons formels quantitativement observables. Dans ce champ des " grammaires de construction ", le recours aux données quantitatives est aujourd’hui standard, en particulier en utilisant les ressources fournies par les " grand corpus " de plusieurs dizaines de millions voire milliards de mots (quinze milliards de mots pour le corpus TenTen francophone, cinquante-deux milliards pour son équivalent anglophone). D’un certain point de vue, ChatGPT ne fait que répéter la démarche des modèles constructionalistes les plus radicaux, qui partent de co-occurrences statistiques dans les grands corpus pour isoler des patrons, et il la reproduit en sens inverse, en produisant des données à partir de ces patrons.

Corrélativement, ChatGPT a aussi une sémantique, puisque ces théories de la syntaxe sont majoritairement adossées à des modèles sémantiques dits " des cadres " (frame semantics), dont l’un des inspirateurs n’est autre que Marvin Minsky, pionnier de l’intelligence artificielle s’il en est : la circulation entre linguistique et intelligence artificielle s’inscrit donc sur le temps long et n’est pas unilatérale. Là encore, la question est plutôt celle de la référence : la sémantique en question est très largement notionnelle et ne permet de construire un énoncé susceptible d’être vrai ou faux qu’en l’actualisant par des opérations de repérage (ne serait-ce que temporel) impliquant de saturer grammaticalement ou contextuellement un certain nombre de variables " déictiques ", c’est-à-dire qui ne se chargent de sens que mises en relation à un moi-ici-maintenant dans le discours.

On touche ici à un problème transversal aux clivages dessinés précédemment : les modèles " constructionnalistes " sont plus enclins à ménager des places à la variation contextuelle, mais sous la forme de variables situationnelles dont l’intégration à la description ne fait pas consensus ; les grammaires génératives ont très longtemps évacué ces questions hors de leur sphère d’intérêt, mais les considérations pragmatiques y fleurissent depuis une vingtaine d’années, au prix d’une convocation croissante du moi-ici-maintenant dans l’analyse grammaticale, du moins dans certains courants. De ce fait, l’inscription ou non des enjeux référentiels et déictiques dans la définition même du langage comme faculté humaine représente un clivage en grande partie indépendant de celui qui prévaut en matière de théorie de l’acquisition.

À l’école du perroquet

La bonne question, en tout cas la plus féconde pour la comparaison entre les productions langagières humaines et les productions des grands modèles de langage, n’est sans doute pas de savoir si " ChatGPT parle " ni si les performances de l’IA neuronale valident ou invalident en bloc tel ou tel cadre théorique. Une piste plus intéressante, du point de vue de l’étude de la cognition et du langage humains, consiste à comparer ces productions sur plusieurs niveaux : les mécanismes d’acquisition ; les régularités sémantiques dans leur diversité, sans les réduire aux questions de référence et faisant par exemple intervenir la conceptualisation métaphorique des entités et situations désignées ; la capacité à naviguer entre les registres et les variétés d’une même langue, qui fait partie intégrante de la maîtrise d’un système ; l’adaptation à des ontologies spécifiques ou à des contraintes communicatives circonstancielles… La formule du " perroquet stochastique ", prise au pied de la lettre, indique un modèle de ce que peut être une comparaison scientifique du langage des IA et du langage humain.

Il existe en effet depuis plusieurs décennies maintenant une linguistique, une psycholinguistique et une pragmatique de la communication animale, qui inclut des recherches comparant l’humain et l’animal. Les progrès de l’étude de la communication animale ont permis d’affiner la compréhension de la faculté de langage, des modules qui la composent, de ses prérequis cognitifs et physiologiques. Ces travaux ne nous disent pas si " les animaux parlent ", pas plus qu’ils ne nous disent si la communication des corbeaux est plus proche de celle des humains que celle des perroquets. En revanche ils nous disent comment diverses caractéristiques éthologiques, génétiques et cognitives sont distribuées entre espèces et comment leur agencement produit des modes de communication spécifiques. Ces travaux nous renseignent, en nous offrant un terrain d’expérimentation inédit, sur ce qui fait toujours système et sur ce qui peut être disjoint dans la faculté de langage. Loin des " fausses promesses ", les grands modèles de langage et les IA neuronales nous offrent peut-être l’occasion d’étendre le domaine de la réflexion sur l’architecture des systèmes possibles de cognition, de communication et d’interaction. 



 

Auteur: Modicom Pierre-Yves

Info: https://aoc.media/ 14 nov 2023

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univers protonique

Forces tourbillonnantes et pressions d’écrasement mesurées dans le proton

Des expériences très attendues qui utilisent la lumière pour imiter la gravité révèlent pour la première fois la répartition des énergies, des forces et des pressions à l’intérieur d’une particule subatomique.

(Image : Les forces poussent dans un sens près du centre du proton et dans l’autre sens près de sa surface.)

Les physiciens ont commencé à explorer le proton comme s’il s’agissait d’une planète subatomique. Les cartes en coupe affichent de nouveaux détails de l'intérieur de la particule. Le noyau du proton présente des pressions plus intenses que dans toute autre forme connue de matière. À mi-chemin de la surface, des tourbillons de force s’affrontent les uns contre les autres. Et la " planète " dans son ensemble est plus petite que ne le suggéraient les expériences précédentes.

Les recherches expérimentales marquent la prochaine étape dans la quête visant à comprendre la particule qui ancre chaque atome et constitue la majeure partie de notre monde.

"Nous y voyons vraiment l'ouverture d'une direction complètement nouvelle qui changera notre façon de considérer la structure fondamentale de la matière", a déclaré Latifa Elouadrhiri , physicienne au Thomas Jefferson National Accelerator Facility à Newport News, en Virginie, qui participe à l'effort.

Les expériences jettent littéralement un nouvel éclairage sur le proton. Au fil des décennies, les chercheurs ont méticuleusement cartographié l’influence électromagnétique de la particule chargée positivement. Mais dans la nouvelle recherche, les physiciens du Jefferson Lab cartographient plutôt l'influence gravitationnelle du proton, à savoir la répartition des énergies, des pressions et des contraintes de cisaillement, qui courbent le tissu espace-temps dans et autour de la particule. Pour ce faire, les chercheurs exploitent une manière particulière par laquelle des paires de photons, des particules de lumière, peuvent imiter un graviton, la particule supposée qui transmet la force de gravité. En envoyant un ping au proton avec des photons, ils déduisent indirectement comment la gravité interagirait avec lui, réalisant ainsi un rêve vieux de plusieurs décennies consistant à interroger le proton de cette manière alternative.

"C'est un tour de force", a déclaré Cédric Lorcé , physicien à l'Ecole Polytechnique en France, qui n'a pas participé aux travaux. "Expérimentalement, c'est extrêmement compliqué." 

Des photons aux gravitons


Les physiciens ont appris énormément sur le proton au cours des 70 dernières années en le frappant à plusieurs reprises avec des électrons. Ils savent que sa charge électrique s’étend sur environ 0,8 femtomètre, ou quadrillionièmes de mètre, à partir de son centre. Ils savent que les électrons entrants ont tendance à être projetés sur l’un des trois quarks – des particules élémentaires avec des fractions de charge – qui bourdonnent à l’intérieur. Ils ont également observé la conséquence profondément étrange de la théorie quantique où, lors de collisions plus violentes, les électrons semblent rencontrer une mer mousseuse composée de bien plus de quarks ainsi que de gluons, porteurs de la force dite forte, qui colle les quarks ensemble.

Toutes ces informations proviennent d’une seule configuration : vous lancez un électron sur un proton, et les particules échangent un seul photon – le porteur de la force électromagnétique – et se repoussent. Cette interaction électromagnétique indique aux physiciens comment les quarks, en tant qu'objets chargés, ont tendance à s'organiser. Mais le proton a bien plus à offrir que sa charge électrique.

(Photo : Latifa Elouadrhiri, scientifique principale du laboratoire Jefferson, a dirigé la collecte de données à partir desquelles elle et ses collaborateurs calculent désormais les propriétés mécaniques du proton.) 

" Comment la matière et l'énergie sont-elles distribuées ? " a demandé Peter Schweitzer , physicien théoricien à l'Université du Connecticut. "Nous ne savons pas."

Schweitzer a passé la majeure partie de sa carrière à réfléchir au côté gravitationnel du proton. Plus précisément, il s'intéresse à une matrice de propriétés du proton appelée tenseur énergie-impulsion. " Le tenseur énergie-impulsion sait tout ce qu'il y a à savoir sur la particule ", a-t-il déclaré.

Dans la théorie de la relativité générale d'Albert Einstein, qui présente l'attraction gravitationnelle comme des objets suivant des courbes dans l'espace-temps, le tenseur énergie-impulsion indique à l'espace-temps comment se plier. Elle décrit, par exemple, la disposition de l'énergie (ou, de manière équivalente, de la masse) – la source de ce qui est la part du lion de la torsion de l'espace-temps. Elle permet également d'obtenir des informations sur la répartition de la dynamique, ainsi que sur les zones de compression ou d'expansion, ce qui peut également donner une légère courbure à l'espace-temps.

Si nous pouvions connaître la forme de l'espace-temps entourant un proton, élaborée indépendamment par des physiciens russes et   américains dans les années 1960, nous pourrions en déduire toutes les propriétés indexées dans son tenseur énergie-impulsion. Celles-ci incluent la masse et le spin du proton, qui sont déjà connus, ainsi que l'agencement des pressions et des forces du proton, une propriété collective que les physiciens nomment " Druck term ", d'après le mot " pression"  en allemand. Ce terme est " aussi important que la masse et la rotation, et personne ne sait ce que c'est ", a déclaré Schweitzer – même si cela commence à changer.

Dans les années 60, il semblait que la mesure du tenseur énergie-momentum et le calcul du terme de Druck nécessiteraient une version gravitationnelle de l'expérience de diffusion habituelle : On envoie une particule massive sur un proton et on laisse les deux s'échanger un graviton - la particule hypothétique qui constitue les ondes gravitationnelles - plutôt qu'un photon. Mais en raison de l'extrême subtilité de la gravité, les physiciens s'attendent à ce que la diffusion de gravitons se produise 39 fois plus rarement que la diffusion de photons. Les expériences ne peuvent pas détecter un effet aussi faible.

"Je me souviens avoir lu quelque chose à ce sujet quand j'étais étudiant", a déclaré Volker Burkert , membre de l'équipe du Jefferson Lab. Ce qu’il faut retenir, c’est que " nous ne pourrons probablement jamais rien apprendre sur les propriétés mécaniques des particules ".Gravitation sans gravité

Les expériences gravitationnelles sont encore inimaginables aujourd’hui. Mais les recherches menées en fin des années 1990 et au début des années 2000 par les physiciens Xiangdong Ji et, travaillant séparément, feu Maxim Polyakov, ont révélé une solution de contournement.

Le schéma général est le suivant. Lorsque vous tirez légèrement un électron sur un proton, il délivre généralement un photon à l'un des quarks et le détourne. Mais lors d’un événement sur un milliard, quelque chose de spécial se produit. L’électron entrant envoie un photon. Un quark l'absorbe puis émet un autre photon un battement de cœur plus tard. La principale différence est que cet événement rare implique deux photons au lieu d’un : des photons entrants et sortants. Les calculs de Ji et Polyakov ont montré que si les expérimentateurs pouvaient collecter les électrons, protons et photons résultants, ils pourraient déduire des énergies et des impulsions de ces particules ce qui s'est passé avec les deux photons. Et cette expérience à deux photons serait essentiellement aussi informative que l’impossible expérience de diffusion de gravitons.

Comment deux photons pourraient-ils connaître la gravité ? La réponse fait appel à des mathématiques très complexes. Mais les physiciens proposent deux façons de comprendre pourquoi cette astuce fonctionne.

Les photons sont des ondulations dans le champ électromagnétique, qui peuvent être décrites par une seule flèche, ou vecteur, à chaque emplacement de l'espace indiquant la valeur et la direction du champ. Les gravitons seraient des ondulations dans la géométrie de l’espace-temps, un domaine plus complexe représenté par une combinaison de deux vecteurs en chaque point. Capturer un graviton donnerait aux physiciens deux vecteurs d’informations. En dehors de cela, deux photons peuvent remplacer un graviton, puisqu’ils transportent également collectivement deux vecteurs d’information.

Une interprétation mathématiques alternative est celle-ci. Pendant le moment qui s'écoule entre le moment où un quark absorbe le premier photon et celui où il émet le second, le quark suit un chemin à travers l'espace. En sondant ce chemin, nous pouvons en apprendre davantage sur des propriétés telles que les pressions et les forces qui entourent le chemin.

"Nous ne faisons pas d'expérience gravitationnelle", a déclaré Lorcé. Mais " nous devrions obtenir un accès indirect à la manière dont un proton devrait interagir avec un graviton ". 

Sonder la planète Proton
En 2000, les physiciens du Jefferson Lab ont réussi à obtenir quelques résultats de diffusion à deux photons. Cette démonstration de faisabilité les a incités à construire une nouvelle expérience et, en 2007, ils ont fait entrer des électrons dans des protons suffisamment de fois pour obtenir environ 500 000 collisions imitant les gravitons. L'analyse des données expérimentales a pris une décennie de plus.

À partir de leur index des propriétés de flexion de l’espace-temps, l’équipe a extrait le terme insaisissable de Druck, publiant son estimation des pressions internes du proton dans Nature en 2018.

Ils ont découvert qu’au cœur du proton, la force puissante génère des pressions d’une intensité inimaginable : 100 milliards de milliards de milliards de pascals, soit environ 10 fois la pression au cœur d’une étoile à neutrons. Plus loin du centre, la pression chute et finit par se retourner vers l'intérieur, comme c'est nécessaire pour que le proton ne se brise pas. "Voilà qui résulte de l'expérience", a déclaré Burkert. "Oui, un proton est réellement stable." (Cette découverte n’a cependant aucune incidence sur la désintégration des protons , ce qui implique un type d’instabilité différent prédit par certaines théories spéculatives.)

Le groupe Jefferson Lab a continué à analyser le terme Druck. Ils ont publié une estimation des forces de cisaillement (forces internes poussant parallèlement à la surface du proton) dans le cadre d'une étude publiée en décembre. Les physiciens ont montré que près de son noyau, le proton subit une force de torsion qui est neutralisée par une torsion dans l’autre sens plus près de la surface. Ces mesures soulignent également la stabilité de la particule. Les rebondissements étaient attendus sur la base des travaux théoriques de Schweitzer et Polyakov. "Néanmoins, le voir émerger de l'expérience pour la première fois est vraiment stupéfiant", a déclaré Elouadrhiri.

Ils utilisent désormais ces outils pour calculer la taille du proton d'une nouvelle manière. Dans les expériences de diffusion traditionnelles, les physiciens avaient observé que la charge électrique de la particule s'étendait à environ 0,8 femtomètre de son centre (c'est-à-dire que les quarks qui la composent bourdonnent dans cette région). Mais ce " rayon de charge " présente quelques bizarreries. Dans le cas du neutron, par exemple — l'équivalent neutre du proton, dans lequel deux quarks chargés négativement ont tendance à rester profondément à l'intérieur de la particule tandis qu'un quark chargé positivement passe plus de temps près de la surface — le rayon de charge apparaît comme un nombre négatif.  "Cela ne veut pas dire que la taille est négative ; ce n'est tout simplement pas une mesure fiable ", a déclaré Schweitzer.

La nouvelle approche mesure la région de l’espace-temps considérablement courbée par le proton. Dans une prépublication qui n'a pas encore été évaluée par des pairs, l'équipe du Jefferson Lab a calculé que ce rayon pourrait être environ 25 % plus petit que le rayon de charge, soit seulement 0,6 femtomètre.

Les limites de la planète Proton

D'un point de vue conceptuel, ce type d'analyse adoucit la danse floue des quarks pour en faire un objet solide, semblable à une planète, avec des pressions et des forces agissant sur chaque point de volume. Cette planète gelée ne reflète pas entièrement le proton bouillonnant dans toute sa gloire quantique, mais c'est un modèle utile. "C'est une interprétation", a déclaré M. Schweitzer.

Et les physiciens soulignent que ces cartes initiales sont approximatives, pour plusieurs raisons.

Premièrement, mesurer avec précision le tenseur énergie-impulsion nécessiterait des énergies de collision beaucoup plus élevées que celles que Jefferson Lab peut produire. L’équipe a travaillé dur pour extrapoler soigneusement les tendances à partir des énergies relativement faibles auxquelles elles peuvent accéder, mais les physiciens ne sont toujours pas sûrs de la précision de ces extrapolations.

(Photo : Lorsqu'il était étudiant, Volker Burkert a lu qu'il était impossible de mesurer directement les propriétés gravitationnelles du proton. Aujourd'hui, il participe à une collaboration au laboratoire Jefferson qui est en train de découvrir indirectement ces mêmes propriétés.)

De plus, le proton est plus que ses quarks ; il contient également des gluons, qui se déplacent sous leurs propres pressions et forces. L'astuce à deux photons ne peut pas détecter les effets des gluons. Une autre équipe du Jefferson Lab a utilisé une astuce analogue ( impliquant une interaction double-gluon ) pour publier l'année dernière une carte gravitationnelle préliminaire de ces effets des gluons dans Nature, mais elle était également basée sur des données limitées et à faible énergie.

"C'est une première étape", a déclaré Yoshitaka Hatta, physicien au Brookhaven National Laboratory qui a eu l'idée de commencer à étudier le proton gravitationnel après les travaux du groupe Jefferson Lab en 2018.

Des cartes gravitationnelles plus précises des quarks du proton et de ses gluons pourraient être disponibles dans les années 2030, lorsque le collisionneur électron-ion, une expérience actuellement en construction à Brookhaven, entrera en activité.

Pendant ce temps, les physiciens poursuivent leurs expériences numériques. Phiala Shanahan, physicienne nucléaire et des particules au Massachusetts Institute of Technology, dirige une équipe qui calcule le comportement des quarks et des gluons à partir des équations de la force forte. En 2019, elle et ses collaborateurs ont estimé les pressions et les forces de cisaillement, et en octobre, en ont estimé le rayon, entre autres propriétés. Jusqu'à présent, leurs résultats numériques ont été largement alignés sur les résultats physiques du Jefferson Lab. "Je suis certainement très excitée par la cohérence entre les résultats expérimentaux récents et nos données", a déclaré Mme Shanahan.

Même les aperçus flous du proton obtenus jusqu'à présent ont légèrement remodelé la compréhension des chercheurs sur la particule.

Certaines conséquences sont pratiques. Au CERN, l'organisation européenne qui gère le Grand collisionneur de hadrons, le plus grand broyeur de protons au monde, les physiciens pensaient auparavant que dans certaines collisions rares, les quarks pouvaient se trouver n'importe où dans les protons en collision. Mais les cartes inspirées par la gravitation suggèrent que les quarks ont tendance à rester près du centre dans de tels cas.

"Les modèles utilisés au CERN ont déjà été mis à jour", a déclaré François-Xavier Girod, physicien du Jefferson Lab qui a travaillé sur les expériences.

Les nouvelles cartes pourraient également offrir des pistes pour résoudre l’un des mystères les plus profonds du proton : pourquoi les quarks se lient en protons. Il existe un argument intuitif selon lequel, comme la force puissante entre chaque paire de quarks s'intensifie à mesure qu'ils s'éloignent, comme un élastique, les quarks ne peuvent jamais échapper à leurs camarades.

Mais les protons sont fabriqués à partir des membres les plus légers de la famille des quarks. Et les quarks légers peuvent également être considérés comme de longues ondes s'étendant au-delà de la surface du proton. Cette image suggère que la liaison du proton pourrait se produire non pas via la traction interne de bandes élastiques, mais par une interaction externe entre ces quarks ondulés et étirés. La cartographie de pression montre l’attraction de la force forte s’étendant jusqu’à 1,4 femtomètres et au-delà, renforçant ainsi l’argument en faveur de ces théories alternatives.

"Ce n'est pas une réponse définitive", a déclaré Girod, "mais cela indique que ces simples images avec des bandes élastiques ne sont pas pertinentes pour les quarks légers."



Auteur: Internet

Info: https://filsdelapensee.ch - Charlie Bois, 14 mars 2024

[ chromodynamique quantique ]

 

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Ajouté à la BD par miguel