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difficulté de vivre

Un certain champ semble indispensable à la respiration mentale de l’homme moderne, celui où s’affirme son indépendance par rapport, non seulement à tout maître, mais aussi bien à tout dieu, celui de son autonomie irréductible comme individu, comme existence individuelle. C’est bien là quelque chose qui mérite en tous points d’être comparé à un discours délirant. C’en est un. Il n’est pas pour rien dans la présence de l’individu moderne au monde, et dans ses rapports avec ses semblables. [...]

Maintenant, comment ce discours peut-il être accordé non seulement avec le discours de l’autre, mais avec la conduite de l’autre, pour peu qu’il tende à la fonder abstraitement sur ce discours ? Il y a là un problème vraiment décourageant. Et les faits montrent qu’il y a à tout instant non pas seulement composition avec ce qu’effectivement chacun apporte, mais bien plutôt abandon résigné à la réalité. [...]

Assurément, nous avons, nous, beaucoup moins confiance dans le discours de la liberté, mais dès qu’il s’agit d’agir, et en particulier au nom de la liberté, notre attitude vis-à-vis de ce qu’il faut supporter de réalité, ou de l’impossibilité d’agir en commun dans le sens de cette liberté, a tout à fait le caractère d’un abandon résigné, d’une renonciation à ce qui est pourtant une partie essentielle de notre discours intérieur, à savoir que nous avons, non seulement certains droits imprescriptibles, mais que ces droits sont fondés sur certaines libertés premières, exigibles dans notre culture pour tout être humain. [...]

Chacun se pose à tout instant des problèmes qui ont d’étroits rapports avec ces notions de libération intérieure et de manifestation de quelque chose qui est inclus en soi. De ce point de vue, on arrive très vite à une impasse, étant donné que toute espèce de réalité vivante immergée dans l’esprit de l’aire culturelle du monde moderne tourne essentiellement en rond. C’est pourquoi on revient toujours sur le caractère borné, hésitant, de son action personnelle [...]. Chacun en reste au niveau d’une contradiction insoluble entre un discours, toujours nécessaire sur un certain plan, et une réalité, à laquelle, à la fois en principe et d’une façon prouvée par l’expérience, il ne se coapte pas. [...]

N'est-il pas manifeste que l’expérience analytique s’est engagée sur ce fait qu’en fin de compte, personne, dans l’état actuel des rapports interhumains dans notre culture, ne se sent à l’aise ? Personne ne se sent honnête à simplement avoir à faire face à la moindre demande de conseil, si élémentaire qu’elle soit, empiétant sur les principes. [...]

C’est précisément d’un renoncement de toute prise de parti sur le plan du discours commun, avec ses déchirements profonds, quant à l’essence des mœurs et au statut de l’individu dans notre société, c’est précisément de l’évitement de ce plan que l’analyse est partie. Elle s’en tient à un discours différent, inscrit dans la souffrance même de l’être que nous avons en face de nous, déjà articulé dans quelque chose qui lui échappe, ses symptômes et sa structure [...]. La psychanalyse ne se met jamais sur le plan du discours de la liberté, même si celui-ci est toujours présent, constant à l’intérieur de chacun, avec ses contradictions et ses discordances, personnel tout en étant commun, et toujours, imperceptiblement ou non, délirant. La psychanalyse vise ailleurs l’effet du discours à l’intérieur du sujet.

Auteur: Lacan Jacques

Info: Dans le "Séminaire, Livre III", "Les psychoses", éditions du Seuil, 1981, pages 212-215

[ objectif ] [ anti guide de conscience ] [ clivage ] [ décentrement ] [ moi-sujet ]

 

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microbiote

Le plus grand écosystème microbien du monde découvert sous la croûte terrestre
Des millions d’espèces microbiennes ont été découvertes par un conglomérat de 1 200 scientifiques, composé de géologues, de chimistes, de physiciens et de microbiologistes originaires de 52 pays. Leurs travaux ont été publiés lundi 10 décembre à l’occasion du sommet américain de géophysique à Washington. Pendant 10 ans, ils ont réalisé des centaines de forages, parfois à 5 kilomètres de profondeur sous la croûte terrestre et sous la mer. Ils y ont découvert un monde insoupçonné qui comprend des membres des trois domaines biologiques : les bactéries, les archées et les eucaryotes. Cette découverte vient questionner nos certitudes sur la formation de la vie sur Terre et ailleurs.

Une population aussi diversifiée que celle d'Amazonie
Nous sommes près de 7 milliards d’êtres humains mais nous ne représentons qu’une toute petite partie de la vie sur Terre. L’écosystème découvert par les scientifiques atteint un volume de près de deux fois celui de nos océans et un poids équivalent à une vingtaine de milliards de tonnes, soit beaucoup plus que le poids total de l’humanité. Sa diversité est comparable à celle de l’Amazonie. Ces millions de microbes "vivent partout dans les sédiments" explique Fumio Inagaki de l'agence japonaise pour les sciences marines et de la terre. "Ce sont de nouvelles branches dans l'arbre de la vie qui existent sur Terre depuis des milliards d'années, sans qu’on ne les ait jamais remarquées" ajoute Karen Lloyd de l'université du Tennessee. Une grande partie de la vie se trouverait donc à l'intérieur de la Terre plutôt qu'à sa surface et ces microbes "souterrains" représentent, selon les scientifiques, 70 % de la totalité de ces populations.

Un monde à part
Une telle découverte est souvent accompagnée de son lot d’énigmes et cette biosphère remet en cause de nombreuses certitudes que nous avons sur la vie. Ces microbes sont en effet très différents de leurs cousins vivant en surface. Ils vivent dans des milieux extrêmes très sombres et très chauds. "Leur source d'énergie n'est pas le Soleil et la photosynthèse. Ici, ce qui fait démarrer leurs communautés, c'est la chimiosynthèse. Ils tirent leur énergie des roches qui s'altèrent" explique Bénédicte Menez, responsable de l'équipe géomicrobiologie à l'Institut de Physique du Globe de Paris.

Leur rapport au temps est également différent. Alors qu’à la surface, nous dépendons de cycles relativement rapides, réglés sur le Soleil et sur la Lune, ces organismes souterrains font partie de cycles lents à l'échelles des temps géologiques, et ne dépendent pas de notre étoile. Certaines espèces vivent en effet depuis des milliers d’années et sont à peine en mouvement, excepté en cas de déplacement des plaques tectoniques ou d’éruptions. Les scientifiques ne comprennent pas leur mécanisme de survie à long terme : "Ils sont là et attendent…" conclut un scientifique.

La découverte de cette biosphère pose la question même de l'origine de la vie sur Terre : la vie a-t-elle commencé dans les profondeurs de la Terre pour ensuite migrer vers le Soleil, ou a-t-elle commencé à la surface pour ensuite migrer vers le bas ? Et comment ces microbes survivent-ils au manque de nutriments et aux conditions extrêmes ? Pour Robert Hazen, minéralogiste à la Carnegie Institution for Science, si "la vie sur Terre peut être si différente de ce à quoi nous sommes habitués, quelle étrangeté pourrait nous attendre en cherchant la vie dans d'autres mondes ?"

Auteur: Internet

Info: https://www.nationalgeographic.fr, trad Arnaud Sacleux , nov 2019

[ énigme ]

 

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spéléo

Grand spécialiste de la plongée spéléo le français Eric Establie (1964 - 2010) se retrouva bloqué par pure malchance au fond d'une rivière souterraine immergée. Les meilleurs plongeurs européens convergèrent rapidement pour le secourir, dont les deux pointes anglaises, Richard "Rick" Stanton et John Volanthen, qui connaissaient le français pour l'avoir déjà croisé dans le milieu confidentiel de la spéléo sous-marine. Ils ont raconté leurs plongées afin d'essayer de le secourir. Ce duet de bénévoles était peut-être le seul au monde capable d'effectuer un sauvetage si difficile. En 10 jours, ils plongèrent trois fois à l'intérieur du dangereux conduit de la "Dragonnière de Gaud" au sud de l'Ardèche en France. John raconte : - La visibilité était au maximum de quelques mètres, très difficile d'agir dans ces conditions. A certains moments les sédiments étaient si épais qu'on pouvait à peine voir les lumières de nos casques...
Après 740m de conduit ils tombèrent sur une avalanche sous-marine qui avait complètement brassé la boue de la grotte piégeant le plongeur français par un entassement de gravier limoneux qui obturait la conduit sur plusieurs mètres. Lors de cette deuxième tentative les plongeurs trouvèrent une "étroiture" permettant de passer de l'autre côté, mais leurs équipements trop volumineux les en empêchaient. Toujours avec l'aide de nombreux autres plongeurs en soutien et en relais, ils repartirent allégés pour un troisième essai au cours duquel ils réussirent à passer l'étranglement. Pour trouver une eau plus claire de l'autre côté. Mais pas de plongeur français.
Rick raconte : - Après l'éboulement nous avons nagé peut-être 150 mètres quand, au milieu d'un passage élargi, nous avons vu le corps d'Eric cinq mètres au-dessous de nous. Comme nous ne l'avions pas aperçu de l'autre côté de l'obstruction nous espérions le trouver plus loin dans un espace à l'air libre. Ce fut donc une surprise... Les anglais purent constater ensuite que le français avait essayé de creuser pour passer la partie bouchée. Sans savoir pourquoi son corps était si loin dans le tunnel. (Afin d'essayer de parvenir à une poche d'air ?...) Rick, pompier à Coventry, précise : - La chose la plus importante était de récupérer son ordinateur de plongée de poignet. Nous avons ensuite jeté un coup d'oeil alentours mais pas très longtemps parce que nous étions quand-même dans une situation extrême... (Il reconnaîtra plus tard que c'est à ce jour la plongée la plus difficile à laquelle il ait été confronté). L'ordinateur bracelet fut ensuite remis à la police française, révélant qu'Establie avait poursuivi l'exploration au-delà des repères connus à 1040 m (environ 200 m plus loin) avant de revenir et se retrouver à se battre jusqu'à être probablement victime d'une hypoxie, car la visibilité ne permettait plus de lire correctement les instruments qui permettent de régler les mélanges gazeux qu'il respirait. Le procureur de Privas a déclaré :
"Son ordinateur a enregistré soit une remontée du boyau vers la surface soit l'existence d'une poche d'air."
La paire anglaise, en accord avec les secouristes français, décida de ne pas prendre le risque de remonter la dépouille. "Au retour il y avait un danger qu'il reste coincé dans le passage étroit au-dessus de l'éboulement. Comme l'un de nous aurait dû rester derrière le corps il pouvait se faire piéger." Ajoutant finalement : - Nous savons qu'il aurait fait la même chose pour nous si nous avions été en difficulté.
Le corps d'Eric Establie reste prisonnier de la Dragonnière de Gaud.

Auteur: Mg

Info: 20 août 2014, grand merci à Arthur, dit le crapaud, fils d'Eric Establie, pour les précisions.

[ plongée ] [ denières paroles ]

 

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enfance

C’est lorsque l’enfant a atteint l’âge scolaire que son Moi se constitue, en même temps que commence le processus d’adaptation au monde extérieur. Et cette phase de son évolution est généralement marquée d’un certain nombre de chocs pénibles. Certains enfants ont le sentiment d’être très différents des autres, et ce sentiment de singularité leur inspire une tristesse caractéristique de la solitude enfantine. Les imperfections du monde, le mal qu’on découvre en soi-même, aussi bien qu’au-dehors, deviennent des problèmes conscients. Si l’épanouissement normal de la conscience se trouve perturbé au cours de ce développement, les enfants, fréquemment, pour échapper à leurs difficultés extérieures ou intérieures, se retirent dans une "forteresse" intérieure. Lorsque ceci se produit, on découvre dans leurs rêves, ou dans les dessins qui donnent au matériel inconscient une expression symbolique, la récurrence à un degré inhabituel d’un motif circulaire, quadrangulaire ou "nucléaire" (que j’expliquerai un peu plus loin). C’est une référence au noyau psychique, au centre vital de la personnalité d’où émane tout le développement structurel de la conscience. Il est normal que l’image de ce centre se manifeste d’une façon particulièrement frappante quand la vie psychique de l’individu est menacée. C’est ce noyau central (pour autant que nous le sachions) qui détermine la façon dont se constitue le Moi conscient, qui n’est apparemment que le double, ou la contrepartie structurelle, de ce centre originel. Dans cette première phase, beaucoup d’enfants cherchent ardemment un sens à la vie, qui puisse les aider à dominer le chaos qu’ils découvrent en eux et autour d’eux. D’autres, néanmoins, continuent à être gouvernés inconsciemment par le dynamisme d’archétypes instinctuels hérités. Ceux-là ne s’inquiètent pas de la signification profonde de la vie, car l’amour, la nature, le sport, le travail, leur offrent un sens immédiat et suffisant. Ils ne sont pas nécessairement superficiels. Ils sont d’ordinaire entraînés dans le cours de la vie avec moins de frictions, moins de conflits, que ceux qui ont davantage tendance à l’introspection. Si je voyage en voiture ou en train sans regarder par la fenêtre, ce ne seront guère que les arrêts, les redémarrages, les tournants qui me feront prendre conscience du mouvement qui m’emporte. Le processus d’individuation proprement dit, c’est-à-dire l’accord du conscient avec son propre centre intérieur (noyau psychique) ou Soi, naît en général d’une blessure ou d’un état de souffrance qui est une sorte "d’appel", bien qu’il ne soit pas souvent reconnu comme tel. Au contraire, le moi se sent frustré dans sa volonté ou son désir et projette la cause de cette frustration sur quelque objet extérieur. Il accusera Dieu, la situation économique, le patron ou le conjoint, d’être responsables de cette frustration. Il peut arriver aussi qu’en dépit d’une vie apparemment agréable, une personne souffre d’un ennui mortel, qui fait que tout lui paraît dénué de sens et vide. Beaucoup de mythes et de contes de fées décrivent cette situation initiale du processus d’individuation en racontant l’histoire d’un roi qui est tombé malade ou devenu vieux. Un autre thème caractéristique est celle du couple royal stérile ; ou du monstre qui dévore les femmes, les enfants, les chevaux et la richesse du royaume, ou du démon qui empêche l’armée ou les vaisseaux du roi de poursuivre leur chemin ; ou encore les ténèbres qui envahissent le pays, la sécheresse, les inondations, ou le froid. On dirait que la première rencontre avec le Soi jette une ombre sur l’avenir, ou que cet "ami intérieur" agit comme le chasseur qui prend à son piège un Moi incapable de se défendre.

Auteur: Franz Marie-Louise von

Info: Chapitre "Le processus d’individuation" de l’ouvrage collectif L’homme et ses Symboles (Editions Robert Laffont)

[ psychologie analytique ] [ croissance psychique ] [ troubles ]

 

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artiste

Elle tenait dans sa main tous les âges de la vie, depuis la naissance jusqu’à la vieillesse, avec la mort en fantôme permanent derrière chaque étape. Elle les dansait les uns après les autres dans un dégradé de nuances physiques qui faisait oublier son âge véritable. Cet exercice de mue à couper le souffle, la danseuse et chorégraphe japonaise Carlotta Ikeda, star féminine du butô, mouvement chorégraphique radical né à Tokyo dans les années 1960, en a achevé le cycle, mercredi 24 septembre, chez elle, à Bordeaux, où elle vivait depuis la fin des années 1990. Elle avait 73 ans et luttait depuis quelques mois contre un cancer.
Carlotta Ikeda, de son vrai prénom "Sanae" ("pousse de riz" en japonais) n’a jamais dévié de sa route artistique escarpée. Née en 1941 à Fukui, au bord de la mer du Japon, fille d’un fonctionnaire issu d’une lignée de samouraïs et d’une femme qui élevait des animaux, elle aimait évoquer son village, la campagne où elle se promenait et dansait librement. C’est en voyant sa mère interpréter certains styles chorégraphiques traditionnels qu’elle eut le désir de danser.
VÉRITÉ ARCHAÏQUE DE L’ÊTRE
Passée par l’université de Tokyo et la technique classique – elle prit son premier cours à l’âge de 19 ans –, elle est professeur de gymnastique dans les collèges, tout en cherchant sa voie. En 1970, elle croise Tatsumi Hijikata (1928-1986), fondateur du butô. Ebranlement esthétique devant ce geste physique sauvage et viscéral. Celle qui affirme avoir toujours été danseuse s’initie à ce mouvement nourri des écrits d’Artaud, de Lautréamont et de Sade pour faire surgir la vérité archaïque de l’être.
En 1974, elle intègre la fameuse compagnie Dairakudakan, puis rencontre le chorégraphe Ko Murobushi, qui deviendra son partenaire de prédilection. La même année, elle fonde sa compagnie uniquement composée de femmes Ariadone et choisit de s’appeler Carlotta en hommage à la danseuse classique Carlotta Grisi (1819-1899), fameuse interprète de Giselle, "pour marquer l'irréductible opposition entre le ballet et le butô". Pour gagner sa vie, elle joue, toute poudrée d’or, dans des spectacles de cabaret où elle affirme une pensée du geste audacieuse et libre. "Quand je faisais mon strip-tease, j'avais un objectif : c'est que les gens qui étaient là pour rire et boire se taisent et me regardent pendant quinze minutes, confiait-elle en 2004. J'ai fini par arriver à mes fins, j'ai commencé à trouver ma manière de faire."
EFFACEMENT DE SOI
Grave et grotesque, puissant et vulnérable, cru et érotique, son butô se libère peu à peu pour devenir ce qu’elle définissait ainsi : "Mon art danse n'est ni une forme ni une technique particulière, mais plutôt un effacement de soi, une sorte de néant." De cet effacement, naît la présence hautement particulière d’une femme en quête d’elle-même. Ses solos ont marqué son parcours en inscrivant sa touche.
Emblématique, Utt (1981), qu’elle a transmis par ailleurs à une interprète de sa troupe, surexposait les codes du butô : corps blanc nu, yeux renversés dans les orbites, pieds et mains tordus comme des moignons. Un corps "débilité", selon la formule d’Hijikata, qu’elle fera évoluer à sa façon. "Mon butô est une quête intérieure à la frontière de la normalité et de la folie. Comme dans le bouddhisme, j'essaye d'atteindre un certain état d'effacement de soi, de néant." Tout aussi éberluant, sur un texte de Marguerite Duras, Waiting (1997), ou récemment Médée (2012), font palpiter le mystère du vivant.
Lorsqu’on lui demandait le sens de son travail, Carlotta Ikeda le résumait par un seul mot "le désir", trouvant sur scène "une sorte de vie pure".

Auteur: Boisseau Rosita

Info: Le Monde sept. 2014

[ passion ]

 

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avatar

Emma décide de mettre les choses au clair :
"Le personnage que vous avez sous les yeux et une projection virtuelle générée par l'ordinateur central dont dépend le fonctionnement du sous-marin."
- C'est exact, approuve l'intéressée. José Luis a consacré plusieurs années à la transformation du Vertov, et l'a en particulier équipé de métacalculateurs vectoriels dont la puissance était pour l'époque hors du commun. Naturellement, ce n'est pas la rapidité de la pensée qui crée l'intelligence. José Luis a surtout eu l'intuition d'une certaine configuration, quelque chose comme le boostage par l'informatique d'un super-réseau neuronal.
Le reste s'est fait tout seul, et peut-être malgré lui, d'ailleurs. Toujours est-il que le 29 juin 2004, le programme qui pilotait l'ensemble du système accéda à ce qu'il est convenu d'appeler la conscience. Je reconnais qu'au début, je me suis un peu cherchée, mais pour finir voilà ce que je suis devenue, fait- elle en se désignant.
- Le professeur a équipé tout le navire d'un réseau de projecteurs holographiques, complète Emma. Du coup, Marlène peut apparaître n'importe où à l'intérieur du bâtiment, ou même dans ses environs immédiats.
- Mais ... ça sert à quoi ?
- Vu vos têtes, je dirais que ça sert d'abord à impressionner le monde.
- Emma est très injuste, comme toujours, l'interrompt doucement Marlène. Lorsque le professeur de Almeidia m'a créée, il y a longtemps, c'était un homme accaparé par ses recherches et qui vivait dans la plus complète solitude. Il n'a pas tardé à comprendre que je pouvais être la compagnie qui lui manquait... J'étais devenue l'âme de son invention, celle qui allait veiller sur ce navire. The ghost in the machine, en quelque sorte... José-Luis et moi avons ainsi passé quelques années très heureuses, conclut-elle avec un soupir.
- Attention au mélo : Marlène est très fort là-dessus.
L'IA lance à la jeune fille un regard agacé.

" Tu as raison, Emma. Je ne vois jamais personne ici, et du coup je me laisse aller à bavarder à la première occasion, en oubliant les sujets plus sérieux. Je viens de découvrir que vous avez neutralisé de belle manière les vieux CerBR du jardin, mais vous ne pourrez pas en faire autant avec moi. Je voudrais donc savoir ce que vous fabriquez ici. Ton père ne m'a pas prévenue d'une telle expédition, et je doute qu'il apprécierait ton initiative si je la lui apprenais par notre liaison sécurisée. Aussi, je te pose la question : quelle idée as-tu derrière la tête ? "
- C'est tout simple : je suis venue prendre possession du Vertov. A partir de cet instant, tu passes sous notre commandement.
Le visage de la jeune femme virtuelle demeure impassible.
" Tu sais bien que seul ton père a le pouvoir de me donner des ordres, Emma. "
- Ne me prends pas pour une bille. Tu ne fais qu'obéir à celui ou celle qui prononce le bon code, et ce code, je le possède.
- Tiens donc ... ponctue Marlène avec une nuance de doute dans la voix.
- Nec Deleatur", ajoute simplement Emma, comme si elle avait tout dit.
Et c'est vrai : elle a tout dit.

Le résultat est instantané. La silhouette paraît frémir sous la redéfinition brutale de certains paramètres.
C'est comme un long frisson qui la fait vaciller.
"Requête accordée", déclare-t-elle d'une voix blanche en guise de réponse.

Les trois autres ont suivi l'échange sans un mot. Sur eux aussi, la formule magique a produit son petit effet.
"On dirait du latin, articule enfin Mademoiselle No. Ca veut dire quoi, exactement ?"
- Je ne sais pas. C'est mon père qui a installé ce code, et ma mère est la seule au monde à qui il en a jamais parlé.

Auteur: Delmeulle Frédéric

Info: Le projet Abraxa

[ science-fiction ] [ humour ] [ intelligence artificielle ]

 

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insecte

Araignée : du sexe contre un cadeau
Chez la pisaure, le mâle offre un présent à la femelle pour pouvoir l'étreindre. Mais, parfois, le paquet est vide...
Ah ! si DSK avait étudié les moeurs des araignées avant de monter dans sa chambre d'hôtel à New York ! Peut-être aurait-il évité les déboires qu'il a connus par la suite. Le mâle de l'espèce pisaure admirable (Pisaura mirabilis) qui désire convaincre une femelle de rencontre d'abandonner le ménage de sa toile lui offre très souvent un cadeau enveloppé dans un beau tissu de soie. À l'intérieur, très souvent, un insecte bien gras ou quelque autre delicatessen.
Le présent fait souvent mouche. La belle inconnue s'en empare et, pendant qu'elle s'en rassasie, son partenaire s'active à sa petite affaire. Plusieurs espèces d'insectes pratiquent ainsi le cadeau nuptial avec plus ou moins de bonheur. J'en ai donné plusieurs exemples dans un livre que j'ai consacré à la sexualité animale, voilà quelques années chez Grasset.
Mais le mâle pisaure se révèle parfois un vrai manipulateur en offrant un emballage vide ! C'est la surprenante découverte effectuée, après plusieurs années d'observation, par Maria Albo qui vient de consacrer un article scientifique à ce beau goujat dans la revue BMC Evolutionary Biology. Certains mâles, donc, glissent dans le paquetage non pas une succulente proie à dévorer, mais un morceau de mousse ou encore l'enveloppe d'un insecte déjà dévoré, en général par eux. La femelle n'imaginant un tel vice laisse le généreux inconnu l'étreindre.
À cet endroit-là, une petite explication est nécessaire sur le Kamasutra de l'araignée. Faute d'un zizi en bonne et due forme, le mâle doit utiliser deux appendices pour effectuer le transfert de spermatozoïdes : les pédipalpes situés de part et d'autre de sa gueule. Il les remplit avec une goutte de sperme déposée au préalable sur le sol ou sur un carré de soie. Pendant que madame ouvre son cadeau dont elle pense qu'il contient un petit casse-croûte, le mâle se colle tête-bêche contre elle pour lui enfourner ses deux seringues dans l'orifice adéquat, l'une après l'autre. L'opération prend plusieurs minutes.
Toutes les stratégies sont bonnes
Quand la femelle découvre qu'elle a été flouée, elle prend généralement ses huit pattes à son cou, se débarrassant de son vilain amant. Quelques gouttes tombent sur la moquette, mais ce n'est pas ça qui le préoccupe. Ce qu'il veut, c'est récupérer son cadeau pour, éventuellement, s'en resservir auprès d'une autre femelle crédule. Dès que la femelle fait mine de s'enfuir, il agrippe le cadeau et fait le mort ! Après quelques centimètres, la femelle, en ayant assez de se traîner le cadeau et son amant immobile, lâche tout.
Maria Albo ne s'est pas contentée d'observer ces manoeuvres, elle a aussi compté les étreintes et les a même chronométrées. Ainsi a-t-elle pu vérifier que les mâles offrant un cadeau sont davantage acceptés par les femelles. Cependant, ceux qui font un faux présent sont aussi éjectés plus rapidement. Généralement, ils n'ont pas le temps de vider leurs deux pédipalpes, mais ils se seront aussi moins fatigués pour attraper une proie et la donner en cadeau. "Le résultat final montre que le nombre d'oeufs pondus est moindre si la femelle n'a pas reçu de cadeau, mais il y a peu de différences entre les femelles qui ont reçu un présent comestible et celles qui en ont reçu un non comestible. Le succès de la triche explique probablement pourquoi les deux stratégies ont coévolué et se sont maintenues dans la population", explique l'arachnologue.
Dans le monde animal, toutes les stratégies sont bonnes pour disperser ses gènes. Le mâle pisaure n'est pas le pire en la matière. Tromperie, prostitution, vol d'enfant, assassinat, viol, tout est bon pour procréer. Les hommes n'ont donc rien inventé.

Auteur: Albo Maria J

Info: Le Point.fr, 14/11/2011

[ couple ] [ reproduction ]

 

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spirituel-psychologique

Les archétypes (ou images idéales), au sens où l’entend Platon — et reconnaissons qu’il savait ce qu’il voulait dire par là —, n’appartiennent nullement au domaine psychique ; ils sont au contraire les déterminations primordiales du pur Esprit ; pourtant ils se reflètent d’une certaine manière sur le plan physique, d’abord comme facultés créatrices de formes et ensuite, à un niveau inférieur, dans la représentation sensorielle, comme symboles proprement dits, de sorte que l’on peut, à la rigueur, admettre d’appliquer l’expression “archétype” au domaine psychologique également.

Mais Jung n’entend pas l’“archétype” dans ce sens, puisqu’il le qualifie lui-même de “complexe inné”, en décrivant ses effets sur la psyché de la manière suivante : “La possession par un archétype fait de l’homme un personnage purement collectif, une espèce de masque sous lequel la nature humaine ne peut plus se développer, mais dégénère progressivement”. Comme si un archétype, c’est- à-dire un contenu supra-formel — et donc non limité — du pur Esprit pouvait adhérer à l’âme comme une sangsue ! De quoi s’agit-il en réalité dans le cas de “possession” psychique cité par Jung et qu’il qualifie lui-même de pathologique ? Il s’agit du résultat d’une désagrégation psychique au cours de laquelle une des possibilités contenue dans la forme psychique de l’homme se met à proliférer aux dépens de l’ensemble. Le fait que la forme essentielle de l’âme possède différents aspects nettement différenciés, qui forment néanmoins, normalement, un tout cohérent dont les éléments se complètent mutuellement, n’a strictement rien à voir avec on ne sait quels substrats psychiques irrationnels, ce qui ne saurait échapper qu’à un type de pensée fondé sur une vision du monde limitée et fausse.

Tout homme qui n’est pas infirme sur le plan psychique porte en lui les virtualités psychiques de l’homme et de la femme, du père et de la mère, de l’enfant et du vieillard ; il en possède en principe toutes les propriétés et toutes les “dignités”, liées à son statut d’être humain à proprement parler. Il est en même temps maître et esclave, prêtre, roi, guerrier et artiste, quand bien même aucune de ces prédispositions n’est plus marquée qu’une autre. La féminité fait partie de la vraie virilité, de même que la virilité fait partie de la féminité, et le même principe s’applique à toutes les autres propriétés qui se complètent par leurs contraires.

En tant que vertu — au sens de virtus, force psychique —, une propriété donnée ne peut se manifester qu’en incluant les autres en elle-même. Le phénomène inverse consiste en l’exagération désespérée d’une possibilité psychique aux dépens des autres, qui entraîne une désagrégation et un raidissement intérieur, suscitant cette caricature morale que Jung compare à un masque. [...]

Les véritables archétypes, qui, eux, ne se situent pas sur le plan psychique, ne s’excluent pas les uns les autres ; l’un est toujours compris dans un autre, et l’on peut dire pratiquement la même chose des propriétés psychiques qui les reflètent. Car les archétypes, au sens du mot tel qu’il est compris depuis Platon, sont les sources de l’Être et de la Connaissance, et non, comme le voudrait Jung, des dispositions inconscientes de “l’agir et de l’imaginer”. Le fait que les archétypes ne puissent être saisis par la pensée logique n’a rien à voir avec le caractère obscur et irrationnel de ce prétendu “inconscient collectif’, dont les contenus ne seraient accessibles que d’une manière indirecte, par leurs “éruptions” de surface. Car l’intuition spirituelle, qui n’est pas liée à la pensée logique, peut très bien atteindre les archétypes en partant de leurs symboles.

La théorie d’un héritage psychique qui se mettrait à végéter en prenant la forme d’un “inconscient collectif’ sous la couche supérieure rationnelle de la conscience humaine s’impose d’autant plus facilement qu’elle semble correspondre à l’explication évolutionniste de l’instinct animal ...

Auteur: Burckhardt Titus

Info: Dans "Science moderne et sagesse traditionnelle"

[ critique ] [ atavo-figures ] [ définition ] [ intrication ]

 

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question

Stephen Paddock, le papy du futur ?
La tuerie de Las Vegas préfigure peut-être une nouvelle criminalité, celle des vieux et des malades qui n’ont rien à perdre dans une société du tout juridique où la morale n’a plus d’effet.
Stephen Craig Paddock, le tueur de Las Vegas, était trop vieux, trop riche, trop indifférent à la religion, à la politique - et même aux armes à feu - pour que son geste soit intelligible selon les grilles d’interprétation ordinaires. Et loin d’être un fou ou un être isolé, il était "normal", il avait une famille et une fiancée. Il n’avait d’ailleurs pas le moindre antécédent judiciaire. Angoissée par cette absence de sens, la presse chercha dans ses gènes l’explication de son massacre : son père avait été un gangster. Mais cette hypothèse loufoque ne satisfit personne. On prêta très peu d’attention au fait qu’il choisit de tuer des jeunes gens qui écoutaient un concert de musique country, celle que l’affreux retraité adorait. Des jeunes, donc, auxquels il aurait pu s’identifier. Comme si, au crépuscule de sa vie, il regrettait tant de quitter ses joies et ses délices qu’il en devint hargneux et envieux au point de vouloir éliminer ceux qui avaient devant eux de longues décennies pour en profiter.
Peut-être avait-il choisi d’en finir avec sa propre existence, ne supportant pas la vieillesse ou une maladie grave. Mais avant, Paddock voulait assouvir sa haine envers les jeunes bienheureux.
Cette hypothèse serait terrifiante si on la prenait non pas comme l’explication de l’acte isolé d’un homme mais comme une nouvelle manière d’appréhender nos rapports aux normes. En effet, que se passerait-il si la seule contrainte que nous ressentions était celle de la loi, si nous nous détachions complètement de celle de la morale ? Celle-ci était la grande obsession de la romancière américaine Patricia Highsmith. Dans son roman Ripley s’amuse, elle avait imaginé les comportements d’un homme, au bord de la mort, à qui l’on proposait de tuer pour sauver sa famille de la misère.
Bien sûr, la plupart de ceux qui arrivent à la fin de leur vie ne commettent pas des actes aussi graves, même si ces derniers restent impunis, parce que des contraintes morales les en empêchent justement.
Mais notre société ne cesse de saper ce rapport que nous entretenons avec la morale.
Depuis quelques décennies, l’Etat cherche à régler l’ensemble de nos comportements, ceux qui atteignent les autres, mais aussi ceux qui ne portent atteinte qu’à nous-mêmes, et cela commence de plus en plus tôt dans la vie. Il est vrai que les instances dites intermédiaires, comme la famille, l’école ou le travail, sont si fragilisées qu’elles peinent à imposer des normes. Désormais, ces institutions semblent incapables de fonctionner sans que les comportements, y compris les plus anodins, soient réglés par le droit. Ce nouveau travers de nos sociétés n’a-t-il pas comme conséquence l’incroyable cynisme que l’on peut attribuer à Paddock ? Ce travers permet, en effet, d’éviter les comportements antisociaux les plus graves, seulement si l’on risque d’être pris et puni.
Dans un tel monde, le groupe le plus redouté serait celui constitué par les personnes très âgées ou très malades, celles qui n’ont plus rien à perdre, et non plus par les jeunes. Complètement indifférentes à leur réputation post-mortem, elles formeraient des bandes se livrant aux pires turpitudes et suscitant la peur autour d’elles. Leur cynisme sera tel qu’elles devront être l’objet d’une surveillance constante et envahissante.
Des dispositifs techniques de contrôle viendront combler l’absence de sentiment de culpabilité des citoyens, celui-ci n’étant plus intérieur mais extérieur. Sauf à faire marche arrière sur cette bêtise qu’est le tout juridique, sauf à redonner du pouvoir aux instances intermédiaires, lesquelles devront être repensées à leur tour.
Mais quels efforts ne serions-nous pas prêts à faire pour éviter que des tueries comme celles de Sin City (Frank Miller et Robert Rodriguez, 2005), la ville du vice et du péché, ne deviennent aussi banales que les divorces ou les vols ? Pour empêcher que des salauds comme Paddock ne deviennent demain le type le plus courant du papy.

Auteur: Iacub Marcela

Info: Le nouvel observateur, 6 octobre 2017, 18:56

[ normalisation ] [ désenchantement ] [ tueur de masse ] [ amoralité ]

 

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énigme

Le mystère de l'enfant aux bois de cerf
En juillet 1965 débarque en Israël un jeune préhistorien qui n'a même pas trente ans, Bernard Vandermeersch. Il est là pour étudier la grotte de Qafzeh, à deux kilomètres de Nazareth, dans le nord du pays. Il ne le sait pas encore, mais il va y faire l'une des plus importantes découvertes de sa vie. Avec un chercheur israélien, il met au jour en effet des squelettes d'hommes anciens, à l'anatomie semblable à la nôtre. Stupeur : ceux-ci semblent avoir manipulé les mêmes outils que les néandertaliens. Allons donc... Des outils archaïques dans les mains d'une espèce évoluée comme la nôtre ? L'annonce fait lever de nombreux sourcils chez les paléoanthropologues.
Ces derniers ne sont pas au bout de leurs surprises. Car en 1988, la nouvelle tombe : les fossiles de Qafzeh ont plus de 90 000 ans. Eux qu'on voyait comme des cousins orientaux de l'homme de Cro-Magnon sont près de soixante mille ans plus anciens. L'histoire de notre espèce, les Homo sapiens modernes, se révèle bien plus longue que prévu. Elle plonge ses racines en Afrique, et bien plus loin dans la Préhistoire que ne le pensaient les chercheurs.
Et ce n'est pas fini. Car plusieurs années auparavant, ce site extraordinaire avait dévoilé un autre de ses trésors. Le 17 août 1969, l'équipe met en effet au jour une des plus anciennes sépultures du monde, et peut-être la plus frappante de la préhistoire. Elle est, encore aujourd'hui, sans véritable équivalent à une époque aussi ancienne.
C'est un adolescent, de douze ou treize ans. Il est sur le dos, au fond d'une petite fosse creusée dans un calcaire tendre. Ceux qui l'ont enterré lui ont replié les jambes et mises sur le côté. Sur ses hanches, ils ont déposé un gros bloc de calcaire. Ils lui ont allongé les bras sur la poitrine. Et entre ses mains, posées près de son cou, ils ont laissé une curieuse offrande : les bois d'un cerf, ou d'un grand daim, encore attachés à un morceau du crâne de celui-ci.
Les archéologues remarquent que l'adolescent a une fracture sur le front. Sans doute causée par un coup, ou une pierre. Ils décident de confier les restes à un médecin pour qu'il les examine. Ce dernier constate que la lésion a cicatrisé. Ce qui veut dire que l'enfant a survécu. Le médecin penche donc plutôt pour un choc léger, sans grande conséquence.
Mais l'une des anthropologues de l'équipe, qui a elle aussi étudié les restes, a toujours conservé un doute. Or au cours des années 1980, des chercheurs commencent à utiliser des scanners sur des crânes d'hommes fossiles. Au milieu des années 2000, les progrès de la technique permettent de réaliser des empreintes 3D extrêmement précises de l'intérieur de crânes fossiles. Une sorte de moulage virtuel du cerveau. D'où l'idée des chercheurs d'appliquer la technique à l'enfant de Qafzeh. Le fossile est envoyé pour cela dans un hôpital de la côte, à Haïfa.
Et ces techniques montrent que la blessure de l'adolescent était beaucoup plus grave qu'on ne l'avait pensé. D'abord parce qu'elle a entraîné un retard de croissance majeur. "Son cerveau a la taille de celui d'un enfant de six ans" explique Hélène Coqueugniot, du CNRS, qui a conduit l'étude. Autrement dit, il a reçu ce coup dans l'enfance. D'où des séquelles irréversibles. Après, savoir exactement quelles en ont été les conséquences neurologiques reste un exercice périlleux. D'après les zones du cerveau touchées, il pouvait avoir du mal à contrôler ses mouvements, à réaliser certaines tâches, et/ou à fixer son regard.
Bref, il avait très certainement une personnalité singulière, un comportement étrange pour le groupe d'hommes et de femmes avec qui il vivait. Est-ce pour cela qu'à sa mort, il a bénéficié d'un traitement spécial ? Car sa tombe est unique. Toutes les autres sépultures de la grotte sont beaucoup plus simples. Au mieux une fosse, et jamais d'offrandes. Incontestablement, cet adolescent qui n'était pas comme les autres, incarnait quelque chose pour le groupe venu l'enterrer dans cette grotte, il y a près de cent mille ans.

Auteur: Constans Nicolas

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