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vacherie

Il est d’une avarice légendaire. En dix ans, il m’a invité une fois à déjeuner. Et encore, c’est parce que je l’ai quasiment obligé à payer. Je lui ai fait gagner des millions d’euros, mais il n’arrivait pas payer une addition à 40 euros par tête de pipe. Pour mon anniversaire, il m’a offert une bouteille avec un bateau à l’intérieur, vous savez le souvenir pour les touristes à dix euros…

Auteur: Raphaël Sorin

Info: A propos de Michel Houellebecq, http://www.grand-seigneur.com/2011/03/04/houellebecq-ce-pingre/

[ économie ] [ stade anal ] [ rapiat ] [ rétention ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

sexe

Lotti l’avait pris en main et, en moins de temps qu’il n’en faut pour dire ouf, il s’était retrouvé à plat dos sur le lit de camp, couché sous la Hollandaise à califourchon.
Bairoletto était plutôt en petite forme et, dès le début de la chevauchée, il se rendit compte que cela irait trop vite. Alors il recourut au vieux truc de ses réciter les tables de multiplication. Mais il n’arrivait pas à dépasser la table de deux parce que la femme était bien mieux nue qu’habillée et que voir ses seins monter et descendre le déconcentrait.

Auteur: Argemi Raul

Info: Patagonia tchou-tchou

[ self-contrôle ] [ excitation ] [ astuce ]

 

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inaction

À quoi bon installer la 5G si l’on n’arrivait simplement plus à rentrer en contact, et à accomplir les gestes essentiels, ceux qui "permettent à l’espèce humaine de se reproduire, ceux qui permettent aussi, parfois, d’être heureux ?" Il redevenait capable de penser, sa réflexion prenait même un tour presque philosophique, constata-t-il avec dégoût. À moins que tout cela ne relève de la biologie, ou de rien du tout, il allait retourner se coucher finalement, c’était la seule chose à faire, sa réflexion était condamnée à tourner à vide, il se sentait comme une boîte de bière écrasée sous les pieds d’un hooligan britannique, ou comme un beefsteak abandonné dans le compartiment légumes d’un réfrigérateur bas de gamme, enfin il ne se sentait pas très bien. Pour ne rien arranger, il recommençait à avoir mal aux dents ; est-ce que c’était psychosomatique, finalement, tout ça ?

Auteur: Houellebecq Michel

Info: Anéantir, p.366

[ aquoibonisme ] [ laisser-aller ]

 
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Ajouté à la BD par Bandini

ambivalence

Mais je tourmentais surtout maman, c’était elle surtout qui m’irritait. J’avais été pris d’un appétit féroce et je grognais fort que mon repas était toujours en retard (ce qui n’arrivait jamais). Maman ne savait qu’imaginer pour me plaire. Une fois, elle m’apporta de la soupe et, à son habitude, me la fit manger elle-même : moi, je grognais tout en l’avalant. Tout d’un coup, je fus honteux de grogner : "Elle est peut-être la seule que j’aime, et c’est elle que je tourmente !" Mais ma méchanceté ne passait pas et tout à coup cette méchanceté me fit fondre en larmes. Elle, la pauvrette, se figura que je pleurais d’attendrissement ; elle se pencha sur moi et m’embrassa longuement. Je me raidis, je laissai passer l’orage, mas en réalité, à cette minute-là, je la détestais. Pourtant, j’ai toujours aimé maman, alors aussi je l’aimai, ce n’est pas vrai que je la détestais, seulement il se passait ce qui arrive toujours : le plus aimé est le premier offensé.

Auteur: Dostoïevski Fédor Mikhaïlovitch

Info: "L'Adolescent", éditions Gallimard, 1998, traduit par par Pierre Pascal, page 378

[ mère-par-fils ] [ amour-haine ] [ mère-fils ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

parisianisme TV

Il n'aimait pas la télévision en général, encore moins les émissions politiques qu’elle regardait avec assiduité, considérant probablement que cela faisait partie de son travail, mais "C Politique" lui inspirait une aversion particulière, et le plongeait invariablement dans le désespoir. Tous ces gens réunis à l’écran, le présentateur malicieux, l’historien chauve, l’enquêtrice aguichante lui apparaissaient comme autant de marionnettes maléfiques, il n’arrivait pas à se persuader que ces gens vivaient comme lui, respiraient comme lui, qu’ils appartenaient au même monde, à la même réalité que lui. Il y avait aussi une sorte de préposée aux interviews dans la sinistre bande, et c’était probablement à elle que s’identifiait Indy, enfin qu’elle essayait de s’identifier, la plupart du temps elle devait plutôt s’enivrer d’humiliation en assistant à la prestation télévisuelle hebdomadaire de celle qu’elle ne pouvait même pas considérer comme sa rivale, tant elle planait à des hauteurs médiatiques qui lui demeureraient à jamais inaccessibles, tant elle lui rappelait à chaque instant qu’elle n’était qu’une journaliste ratée, appartenant à la presse écrite qui plus est. C’était peut-être la pire de toutes avec son air concerné, son autosatisfaction, son évidente conscience de son appartenance au camp du bien, sa promptitude à s’aplatir devant n’importe quel VIP du même camp. Indy partageait toutes ces caractéristiques, l’autosatisfaction en moins – forcément.

Auteur: Houellebecq Michel

Info: Anéantir, p.370

[ hiérarchie ] [ cénacles ]

 
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Ajouté à la BD par Bandini

harmonie cosmique

Il était allé un jour dans la montagne, c’était une journée claire, ensoleillée. Il avait rôdé pendant longtemps, tourmenté par une pensée qui n’arrivait pas à prendre forme. Il voyait devant lui un ciel éclatant, un lac tout en bas, et tout autour un horizon clair, sans limite. Il avait contemplé tout cela avec souffrance. Il se rappela maintenant comment il avait tendu ses mains en pleurant vers ces espaces azurés. Il se tourmentait de se sentir étranger à tout cela. Qu’était-ce donc que ce festin, immense et éternel, qui ne se termine jamais, et vers lequel il se sentait attiré depuis son enfance, sans réussir à y prendre part : chaque matin, on voit se lever un soleil tout aussi éblouissant ; chaque matin, on aperçoit un arc-en-ciel au-dessus de la chute d’eau ; chaque soir, une montagne, la plus haute de toutes, couverte de neige, située très loin, là-bas, aux confins du ciel et de la terre, prend des reflets pourpres ; chaque "mouche qui bourdonne autour de lui dans un chaud rayon de soleil prend part à ce chœur, connaît sa place, l’aime et se sent heureuse". Chaque brin d’herbe pousse et trouve son bonheur. Et tous, tous connaissent leur chemin, tous viennent et repartent en chantant. Lui seul ne sait rien, ne comprend rien, ni aux hommes, ni aux sons, étranger pour tous, pauvre avorton qu’il est !

Auteur: Dostoïevski Fédor Mikhaïlovitch

Info: "L'idiot", traduit par Nicolas Poltavtzev Presses de la renaissance, Paris, 1974, page 346

[ ordre naturel ] [ exclusion ] [ souffrance ]

 

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couple

Il avait connu Geraldine quand elle habitait au collectif sur Fourth Street. A l’époque, elle faisait des trucs sexuels en public et avait des bâtonnets de poisson pané dans son sac comme d’autres ont des paquets de chewing-gums, qu’elle offrait aux inconnus comme de précieux cadeaux. Et puis Del l’avait mise enceinte, et en un seul moment de bravoure et d’extase, Geraldine avait balancé tous ses médicaments dans les chiottes. Le lendemain, elle remplissait une demande d’emploi pour Del à l’usine de plastique, et sortait une vieille alliance d’on ne sait où. Maintenant il était coincé.
(...)
Del était avec une fille dont il n’arrivait pas à se débarrasser, quoi qu’il dise ou fasse. Chaque fois qu’il la larguait quelque part, elle arrivait la première chez lui avec des munitions fraîches dans son distributeur de pilules anti-conception et une nouvelle poignée de sous-vêtements propres. Pour arranger les choses, elle n’arrêtait pas de l’emmerder avec ces bâtonnets de poisson pané qu’elle remontait de la mare sans fond de son sac à main en plastique. Ils étaient froids et graisseux, pleins de peluches grises qui leur faisaient comme du duvet dessus. Et même si elle était probablement la meilleure femme avec qui Del était jamais sorti […], il était toujours gêné d’être vu avec elle en public. Quiconque est jamais sorti avec une demeurée mentale comprendra ce qu’il lui fallait endurer.

Auteur: Pollock Donald Ray

Info: Knockemstiff

[ quart-monde ] [ états-unis ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

femmes-par-femme

Tout Châtillon défilait. Elle se disait : "Est-ce que tu aimerais être cette femme-là ? Non. Et celle-là ? Oui, mais je ne voudrais pas sa tête. Et celle-là ? Non, mais j’aimerais bien sa robe. Et les bottines de l’autre. Quant à celle-là, alors pas du tout, elle marche comme sur des œufs. L’autre non plus, on dirait un bâton." Elle imaginait très bien la vie de ces dames et de ces demoiselles. C’étaient des cuisines, des pot-au-feu, des légumes, des carnets de comptes, des boules à repriser les bas, les buscs, de l’émulsion Scott. Elle, elle était quand même partie avec Firmin à pied, en pleine nuit, après être descendue d’une fenêtre, par une échelle. Elle n’y pensait pas beaucoup mais c’était là. Elle n’avait pas beaucoup d’imagination mais, si elle multipliait seulement par dix la vie de sa mère à la ferme, elle avait la vie de cette femme-là. Si elle divisait par mille la vie des Charmasson, elle avait la vie de cette autre-là. Si elle donnait un peu de réussite à Firmin, qu’il soit seulement patron, elle avait la vie de cet autre. C’était facile. Il n’y avait pas de quoi tirer gloire.

Sauf pour une. On ne pouvait pas dire son âge. Elle était grande et souple, vêtue d’une amazone de bure et d’une palatine fourrée, coiffée d’un petit tyrolien vert à plume. Elle marchait d’un pas vif, mieux qu’un homme, mais son pas rassurait comme le pas d’un homme. Elle tenait l’ampleur de sa jupe dans son poing gauche, ondulait juste un peu des hanches. Ses yeux étaient si clairs qu’ils semblaient des trous. Celle-là, on avait beau multiplier, diviser, faire des comptes : on n’arrivait pas à sa vie. "Celle-là, j’aimerais bien l’être, se disait Thérèse. Oui, celle-là, je la voudrais toute."

Auteur: Giono Jean

Info: Les âmes fortes, Librairie Gallimard, 1949, pages 230-231

[ imagination ] [ comparaison ] [ singularité ] [ mystère ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

retour à la vie

Arrivé à Istanbul, je tombai gravement malade. On m’a dit par la suite que j’avais dû être empoisonné mais je ne trouve personne à accuser sinon moi-même qui, dans mon indifférence, pouvait manger ce qui restait dans les rues après un marché et boire des eaux qui ne coulaient pas toutes de source. Je mangeais si peu qu’à mon avis c’est dans les eaux sales du Bosphore qu’il faut chercher le microbe fatal.

On me trouva dans la rue sans connaissance. Voyant que j’étais européen, on me conduisit dans un hôpital où vivaient encore des médecins et des infirmiers français. Après les examens d’usage, dont un électro-encéphalogramme, on me déclara "mort". Je n’étais pas le premier de ces jeunes Européens qu’on retrouvait ainsi. Drogue, misère, empoisonnement, peu importe, on les déclarait vite morts et, s’ils n’avaient pas de papiers, ce qui était mon cas, on ne tardait pas à les enterrer, ce qui allait être mon cas. On décida néanmoins d’attendre un peu et de m’installer dans une chambre fraîche, à l’écart. Raconter ce que j’ai vécu alors me semble bien difficile ; d’abord parce que, avec un électro-encéphalogramme plat, on ne pense plus, ensuite parce que mon expérience n’a rien de très original lorsqu’on connaît les nombreux récits de near death experience dont on parle aujourd’hui. Je suis toujours étonné de l’abondance d’images et de lumière dont témoignent ces rescapés de la mort. Pour moi ce fut plutôt le vide. Rien, mais j’avoue n’avoir jamais connu un état de plénitude semblable à ce vide, à ce Rien. Je vais essayer d’être le plus honnête possible et te décrire avec des mots ce que je sais hors d’atteinte des mots. Les concepts en effet appartiennent à l’espace-temps, et font toujours référence à un "quelque chose" ou au monde. Or cette expérience ne s’est pas vécue dans notre espace-temps et demeure donc hors d’atteinte des instruments qui y sont forgés. D’abord, "je ne voulais pas mourir" ! J’avais souhaité la mort, je m’y étais préparé de toutes sortes de façons, conscientes et inconscientes, et, au moment où "cela" arrivait, je disais, non ! J’ai peur, et plus je dis non, plus je souffre… quelque chose d’intolérable, une révolte de tout mon corps, de tout mon psychisme, non ! Puis, devant l’inéluctable, l’intolérable surtout de la souffrance, quelque chose en moi craque, sombre, et en même temps acquiesce. À quoi bon lutter ? Oui. J’accepte… À l’instant même de ce "oui", toute douleur s’évanouit. Je ne sentais plus rien, ou quelque chose de très léger. Je comprenais le symbole de l’oiseau dont on se sert pour représenter l’âme. J’étais toujours dans ma petite boîte ou dans ma cage, mais l’oiseau déjà étendait ses ailes, prenait son vol. Sensation d’espace, "horizon non empêché", mais toujours conscience, extrêmement vive, lumineuse, que je percevais à la fois dans mon corps et hors de mon corps. Puis, pour reprendre l’image (inadéquate), "l’oiseau sortit de sa cage", sortit du corps et du monde qui l’entourait, mais l’oiseau avait encore sa conscience d’oiseau, autonome et bien différenciée de sa cage…L’"âme" existe bien en dehors du corps qu’elle informe ou qu’elle anime,cela a été rapporté par d’autres témoins. Puis… comment dire ? comme si le vol sortait de l’oiseau, un vol qui continue sans l’oiseau et qui s’unit à l’Espace… Il n’y eut plus de conscience, plus de "conscience de quelque chose", corps, âme ou oiseau : rien…Mais ce rien, ce no-thing (pas une chose, disent mieux les Anglais), c’était l’Espace qui contenait le vol, la cage et l’oiseau, cette vastitude contenait la conscience, l’âme et le corps, ce n’était rien de particulier, de déterminé, d’informé. Cela n’est Rien, cela Est… c’est tout ce que je peux dire. Pendant ce "temps-là", ou plutôt pendant cette "sortie de ce temps-là", on préparait mon enterrement…Que s’est-il passé ? Je me souviens seulement d’un homme qui a crié en français : "Il n’est pas mort !" et on entreprit alors des choses désagréables pour me réanimer. Le vol revint dans l’oiseau, l’oiseau redescendit dans sa cage, l’oiseau suffoquait, il n’arrivait pas à respirer, on lui mit dans les poumons "un air qui n’était pas le sien", on lui transfusa dans les veines toutes sortes de liquides qui n’étaient pas son sang…Quand il commença à gémir, tout le monde fut rassuré : "Il sort du coma.“

Auteur: Leloup Jean-Yves

Info: L'Absurde et la Grâce, éd. Albin Michel

[ mort imminente ]

 

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physique fondamentale

On m’a dit que je gaspillais mon temps 

Malgré son emploi du temps surchargé du à son prix Nobel de physique 2022 partagé avec l’Américain John F. Clauser et ­l’Autrichien Anton Zeilinger, le physicien nous a reçus et livré un entretien inédit sur ses recherches, avec la passion qui l’anime.

AM - Vous venez de recevoir le prix Nobel de physique 2022 pour vos travaux sur l’intrication qui ont permis d’appréhender le cœur de la théorie quantique. Avant de nous expliquer vos recherches, pouvez-vous nous donner un aperçu de la "physique quantique" ?

AA - La physique quantique a été développée au début du XXe siècle pour rendre compte des propriétés du monde microscopique : les atomes, les électrons… Ce que la physique classique n’arrivait pas à faire. À la fin du XIXe siècle, on savait, par exemple, que la matière était formée de charges positives et négatives qui s’attirent. Mais pourquoi, alors, cette matière ne s’effondrait-elle pas sur elle-même ? La physique classique ne pouvait apporter aucune explication.

Pour le comprendre, il a fallu recourir à la physique quantique, notamment à l’un de ses premiers concepts : la dualité onde/particuleAinsi, un objet, par exemple la lumière, que nous décrivons comme une onde, doit aussi être considérée comme formée de grains, à savoir les photons. Réciproquement, des objets dont nous pensons que ce sont des particules – un électron, un atome, un neutron – doivent aussi, dans certaines circonstances, être considérés comme des ondes. C’est la base de ce qu’on appelle "la première révolution quantique". Cela a permis de comprendre la stabilité de la matière, la conduction du courant électrique ou la façon dont la matière émet ou absorbe la lumière.

Et puis dans les années 1940-1960, ce fut l’invention du transistor et du laser qui s’appuyaient sur cette théorie quantique. Ces deux technologies n’ont pas été élaborées par un bricoleur dans un garage en Californie, mais par les plus grands physiciens de l’époque qui ont eu des prix Nobel. Une fois qu’on a le transistor, on a les circuits intégrés à la base des ordinateurs.

AA - Et qu’appelle-t-on deuxième révolution quantique ?

AA - Elle a été lancée par un article d’Albert Einstein, de Boris Podolsky et de Nathan Rosen en 1935. Ils découvrent dans les équations mathématiques de la physique quantique des états où deux particules qui ont interagi, mais qui n’interagissent plus, semblent continuer à former un tout inséparable. C’est ce que l’on appellera l’"intrication". Dès le début, le physicien Niels Bohr s’était opposé aux conclusions d’Einstein. Son homologue John Bell a alors proposé, en 1964, de faire des expérimentations pour trancher la discussion.

Il a ensuite fallu plusieurs décennies pour que les autres physiciens réalisent la portée des travaux de Bell. Quand j’ai commencé ma thèse en 1974, nombre d’entre eux pensaient que l’intrication n’était pas différente de la dualité onde/particule. Puis, on a pris conscience de sa nouveauté. C’est pourquoi je parle d’une "deuxième révolution quantique", d’abord sur le plan de la recherche fondamentale, mais également sur les nouvelles applications que cela a suscitées, comme la cryptographie ou les ordinateurs quantiques.

AM - Comment a-t-on validé ce phénomène "d’intrication" ?

AA - Il fallait créer une paire de photons et une méthode pour montrer que, même éloignés, les deux photons demeuraient corrélés. Le photon, c’est de la lumière et la lumière a une polarisation. Un polariseur est un instrument d’optique qui a deux sorties associées à l’orientation de son axe : tout l’objet du test est de regarder comment les résultats dépendent de cette orientation. Si les polariseurs sont parallèles, vous avez une corrélation parfaite, vous trouvez les mêmes résultats des deux côtés. Imaginez que je lance deux pièces à 10 mètres de distance l’une de l’autre, ça a l’air aléatoire, mais si j’ai pile d’un côté, j’ai pile de l’autre, et si j’ai face d’un côté, j’ai face de l’autre. C’est la corrélation prévue pour les photons intriqués. Et cette corrélation est si forte qu’on ne peut en rendre compte que par la physique quantique.

AM - Quelles expériences ont été réalisées pour établir cette intrication ?

AA - La première expérience a été faite par John Clauser et Stuart Freedman en 1964. Celles que j’ai faites dix ans plus tard et celles qu’Anton Zeilinger a effectuées seize ans après moi ont des niveaux de raffinement différents, mais portent sur des objets identiques : il s’agit de deux photons émis par la même source et qui s’éloignent l’un de l’autre dans des directions opposées. J’ai mis cinq ans à fabriquer ma source. J’ai commencé en 1974 et les premières paires de photons intriqués ont été obtenues vers 1979-1980. Pour ce faire, je prends des atomes, je tape dessus avec des lasers, je les "excite" de façon contrôlée, et ils n’ont pas d’autre choix que d’émettre les deux photons dont j’ai besoin.

Après l’émission des photons et avant leur détection, il faut que les deux polariseurs soient éloignés l’un de l’autre et que leur orientation soit déterminée au dernier moment afin qu’ils ne s’influencent pas. Ainsi, mes deux polariseurs sont distants de 6 mètres de la source et je change leur orientation pendant le temps de vol des photons qui est de 20 nanosecondes… Comment tourner un appareil en 20 milliardièmes de seconde ? C’est impossible, mais j’ai eu l’idée de construire une espèce d’aiguillage capable de le faire et l’expérience a réussi.

AM - D’où vient votre passion pour la physique ?

Je suis originaire du village d’Astaffort (Lot-et-Garonne) à une époque où les champs étaient labourés avec le cheval ou les bœufs, mais j’étais fasciné par le moindre objet technique, par exemple les outils des artisans. Je me souviens de la visite, à Fumel, d’un haut-fourneau qui fournissait de la fonte transformée en tuyaux comme ceux que j’avais vu poser dans mon village pour installer l’eau courante. À l’école primaire, les instituteurs et institutrices faisaient ce que l’on appelait des "leçons de choses". J’étais aussi un grand lecteur de Jules Verne.

Arrivé au lycée d’Agen, je me réjouissais à l’idée de faire de la physique-chimie, mais on ne commençait qu’en seconde. J’ai eu alors un professeur formidable, Maurice Hirsch, qui nous faisait des expériences extraordinaires. Il a décuplé mon intérêt pour la physique et m’a enseigné des méthodes que j’ai conservées toute ma vie.

AM - Quels conseils donneriez-vous aux jeunes qui souhaiteraient se lancer dans votre discipline ?

AA - Il est clair qu’il y a un problème de moyens financiers. La loi de programmation de la recherche fait des propositions intéressantes, mais quand on regarde les budgets associés, ils sont inférieurs à ce que l’Académie des sciences avait estimé être le minimum pour que la recherche française puisse rester au niveau des concurrents étrangers. Les crédits de base, y compris ceux de l’Agence nationale de la recherche, sont décevants, même s’ils ne sont pas négligeables. Heureusement, on peut obtenir des crédits européens pour des projets innovants jugés au meilleur niveau, mais seul un petit nombre de chercheurs peut en bénéficier.

On me demande souvent si, aujourd’hui, on pourrait faire la même chose que ce que j’ai fait dans les années 1970-1980. Certainement pas de la même façon, mais un chercheur titulaire peut se lancer dans un projet de recherche original. Au pire, sa carrière sera freinée mais, moi aussi, je courais ce risque. Comme j’avais un poste permanent, je pouvais me lancer dans une recherche à long terme sans craindre de perdre mon emploi d’enseignant-chercheur.

On m’a dit que je gaspillais mon temps, que mon sujet n’avait aucun intérêt, mais je gardais mon emploi. Il en est toujours de même. Si un scientifique du CNRS ou de l’université se lance dans une recherche ­désapprouvée par les comités, il peut persévérer s’il accepte un certain retard de carrière. Bien sûr, si au bout de dix ans son travail n’a débouché sur rien, il doit se remettre en cause, les comités n’avaient peut-être pas tort.



 

Auteur: Aspect Alain

Info: Interviewé par Anna Musso pour https://www.humanite.fr, 8 Novembre 2022

[ nano-monde ]

 

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Ajouté à la BD par Le sous-projectionniste