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pluie

Des gouttes tombaient à terre, jamais l'une sur l'autre.

Auteur: Bove Emmanuel Bobovnikoff Dugast Vallois

Info: Mes amis

[ répartition aléatoire ]

 

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effet rateau

Prenons 12 dates réparties au hasard dans une année de 365 jours. Si ces dates étaient distribuées de façon uniforme, l’écart moyen entre elles serait de 30 jours. La question est la suivante : 100 000 répartitions aléatoires ont été effectuées. A votre avis, quelle est la moyenne des écarts minimum que l’on recueille entre deux dates ? Vous avez sans doute compris que la bonne réponse consiste à sous-estimer ce que nous suggère notre intuition qui est inspirée par la croyance en l’hétérogénéité du hasard. Le résultat obtenu à partir de ces 100 000 répartitions est de 2.53 jours (ce qui est très différent des 30 jours qu’aurait générés l’équi-répartition).

Auteur: Bronner Gérald

Info: Dans "La démocratie des crédules" pages 172-173

[ exemple ] [ coïncidence ] [ psychologie statistique ]

 
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Ajouté à la BD par Coli Masson

immanence

Rien n'est aléatoire, et ne le sera jamais, qu'il s'agisse d'une longue suite de jours d'un azur parfait qui commencent et se terminent dans une pénombre dorée, des actes politiques les plus chaotiques en apparence, de l'essor d'une grande ville, de la structure cristalline d'un joyau qui n'a jamais vu la lumière, des répartitions de la fortune, de l'heure à laquelle le laitier se lève, de la position de l'électron ou de l'apparition d'un hiver glacial surprenant qui se répète. Même les électrons, censés être les parangons de l'imprévisibilité, sont des petites créatures apprivoisées et obséquieuses qui se déplacent à la vitesse de la lumière, allant précisément là où elles sont censées aller. Ils émettent de faibles sifflements qui, lorsqu'ils sont appréhendés dans des combinaisons variées, sont aussi agréables que le vent qui traverse une forêt, et ils font exactement ce qu'on leur dit. De cela, on est certain.

Et pourtant, il existe une merveilleuse anarchie, en ce sens que le laitier choisit le moment où il se lève, le rat choisit le trou dans lequel il va plonger lorsque le métro dévalera la voie depuis Borough Hall, et le flocon de neige tombera comme il veut. Comment est-ce possible ? Si rien n'est aléatoire et que tout est prédéterminé, comment le libre arbitre peut-il exister ? La réponse à cette question est simple. Rien n'est prédéterminé, tout est déterminé, ou était déterminé, ou sera déterminé. Peu importe, tout s'est passé en même temps, en moins d'un instant, et le temps fut inventé parce que nous ne pouvons pas comprendre d'un seul coup d'œil l'énorme toile détaillée qui nous a été donnée - alors nous la suivons, de façon linéaire, morceau par morceau. Cependant, le temps peut être facilement maitrisé, non pas en chassant la lumière, mais en prenant suffisamment de recul pour le voir dans son intégralité. L'univers est immobile et complet. Tout ce qui a été est, tout ce qui sera est, et ainsi de suite, dans toutes les combinaisons possibles. Alors qu'en le percevant nous nous imaginons qu'il est en mouvement et non terminé, il est tout à fait achevé et d'une étonnante beauté. En fin de compte, ou plutôt, comme les choses sont réellement, tout événement, aussi petit soit-il, est intimement et sensiblement lié à tous les autres. Toutes les rivières coulent à pleins flots vers la mer ; ceux qui sont séparés sont réunis ; les perdus sont rachetés ; les morts reviennent à la vie ; les jours au parfait azur qui  débutèrent pour se terminer pareillement dans une pénombre dorée continuent, immobiles et accessibles ; et, lorsque tout est perçu de manière à faire fi du temps, la justice devient apparente non pas comme quelque chose qui sera, mais comme quelque chose qui est.

Auteur: Helprin Mark

Info: Winter's Tale. Trad Mg

[ présent perpétuel ] [ maintenant éternel ]

 

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distributions naturelles

Les équations physiques semblent suivre un mystérieux modèle mathématique basé sur la linguistique

Cela pourrait révéler des mécanismes permettant le fonctionnement de l'Univers, voire de notre cerveau.

Une étude récente révèle que les équations mathématiques imposent les lois de la physique suivent étrangement un schéma précis en accord avec la loi de Zipf, décrivant la fréquence des mots dans les textes. En clair, les éléments constitutifs de ces équations sont systématiquement agencés de manière similaire, quel que soit le phénomène étudié. Ce constat pourrait éclairer non seulement le fonctionnement de l'Univers, mais aussi celui du cerveau humain, voire les deux simultanément.

Énoncée en 1949 par le linguiste et philologue américain George Kingsley Zipf, cette loi éponyme régit la distribution des fréquences des mots dans les textes ou les langues naturelles. Selon ce principe, le mot le plus courant dans une langue apparaît deux fois plus fréquemment que le second, trois fois plus que le troisième et ainsi de suite. Dans un texte en anglais, par exemple, le mot " le " représente 7 % du texte entier, alors que " le " en occupe 3,5 %.

Cette loi trouve également des applications dans d'autres domaines, tels que la répartition des tailles de villes en fonction de leur population, où la plus grande ville est plus peuplée que la deuxième et la troisième, selon une proportion universelle à travers le temps et l'espace. Les analystes l'utilisent également pour d'autres paramètres sociodémographiques, comme la répartition des revenus par habitant et la prévalence des métiers selon la population.

(Image : fréquence des mots en fonction du rang dans la version originale du roman " Ulysse " (en anglais) de James Joyce, selon la loi de Zipf. "

Des chercheurs de l'Université d'Oxford postulent que ce principe peut également s 'appliquer aux équations mathématiques décrivant les lois physiques, et ce, malgré leurs différences apparentes. "  Au-delà de leurs principes fondamentaux, il est légitime de se demander si les formules physiques ne cachent pas des motifs plus subtils  ", expliquent les auteurs dans leur étude, publiée sur la plateforme  arXiv . «  Nous confirmons cette hypothèse en examinant la distribution statistique des opérateurs dans trois corpus de formules  », ajoute-ils

Un miroir du fonctionnement de l'Univers et de notre esprit ?

En physique, les mathématiques servent à décrire des phénomènes divers et variés tels que la loi de la gravité de Newton (F = GmM/r²), la relativité générale d'Einstein (E = mc²) et la formule de Hawking–Bekenstein pour l 'entropie d'un trou noir (S = kBAc³/4Gℏ). La partie droite de ces équations évoque en quelque sorte un texte, où les mots correspondraient aux opérateurs et aux opérandes. Par ailleurs, toutes les équations comportent des variables représentées par des lettres (G, m, c, etc.), ainsi que des facteurs numériques qui, bien que jouant un rôle moindre, restent importants.

L'équipe de recherche d'Oxford a émis l'hypothèse que ces composants pourraient être modélisés selon la loi de Zipf. Pour tester cette dernière, ils ont analysé un vaste ensemble d'équations physiques provenant de trois sources : les Conférences de Feynman sur la physique, des équations nommées d'après des experts sur Wikipédia, et celles décrivant l'inflation de l'univers primitif. . Chaque symbole et opérateur a ensuite été classé selon sa fréquence d'apparition.

On aurait pu s'attendre à ce que cette distribution varie considérablement, compte tenu des différences entre les équations et les lois physiques qu'elles déterminent. Pourtant, les analyses montrent que ces équations conservent une configuration constante. Certains symboles et opérateurs se répètent plus fréquemment que d'autres, quel que soit le sous-ensemble examiné.

(Image : Distribution de la complexité de l'expression dans les trois corpus, qui correspondent approximativement au nombre d'opérateurs apparaissant dans l'équation)

Cependant, cette configuration de Zipf disparaît lorsqu'on applique l'analyse à des équations apparaît aléatoirement. Cela suggère l'existence d'une cohérence particulière dans les motifs des équations étudiées, même pour les symboles rarement récurrents, tels que le logarithme (log) et l'exponentiel (exp), souligne l'étude. 

Étant donné que ces équations servent à décrire les phénomènes physiques structurant notre univers, cette cohérence pourrait révéler la manière dont celui-ci fonctionne dans sa globalité. "  Comprendre les raisons sous-tendant ce modèle statistique pourrait éclairer le modus operandi de la nature ou mettre en évidence des schémas récurrents dans les tentatives des médecins de formaliser les lois naturelles  ", avancent les chercheurs.

D'autre part, ces résultats pourraient également refléter notre tendance à choisir la voie la plus simple pour résoudre un problème. Selon la loi linguistique de Zipf, nous cherchons à transmettre le maximum d'informations avec le moins de mots et le plus rapidement possible. Les chercheurs montrent que les équations physiques semblent suivre cette même logique, ce qui pourrait illustrer le mode de fonctionnement de notre esprit, notamment une tendance à écarter les explications complexes. Il se pourrait aussi que ces deux interprétations soient correctes.

Quelle que soit l'interprétation de ces résultats, les chercheurs estiment qu'ils pourraient influencer les recherches futures en physique. "  En pionniers dans l'étude des régularités statistiques des équations de la physique, nos résultats ouvrent la voie à une méta-loi de la nature, une loi (probabiliste) à laquelle toutes les lois physiques se conforment  ", concluent-ils. Ces travaux pourraient également être exploités pour développer des modèles d'apprentissage automatique et améliorer leur capacité à prédire de nouvelles lois physiques.



 

Auteur: Internet

Info: https://trustmyscience.com/, Valisoa Rasolofo & J. Paiano,·22 octobre 2024 - source : Modèles statistiques dans les équations de la physique et émergence d'une méta-loi de la nature - https://arxiv.org/pdf/2408.11065

[ méta-moteur ] [ probabilité a priori ] [ principe universel ] [ reflet solipsiste anthropique ]

 
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dichotomie

Un nouvel opus magnum postule l'existence d'un lien mathématique caché, semblable à la connexion entre l'électricité et le magnétisme.

En 2018, alors qu'il s'apprêtait à recevoir la médaille Fields, la plus haute distinction en mathématiques, Akshay Venkatesh avait un morceau de papier dans sa poche. Il y avait inscrit un tableau d'expressions mathématiques qui, depuis des siècles, jouent un rôle clé dans la théorie des nombres.

Bien que ces expressions aient occupé une place prépondérante dans les recherches de Venkatesh au cours de la dernière décennie, il les gardait sur lui non pas comme un souvenir de ce qu'il avait accompli, mais comme un rappel de quelque chose qu'il ne comprenait toujours pas.

Les colonnes du tableau étaient remplies d'expressions mathématiques à l'allure énigmatique : À l'extrême gauche se trouvaient des objets appelés périodes, et à droite, des objets appelés fonctions L, qui pourraient être la clé pour répondre à certaines des questions les plus importantes des mathématiques modernes. Le tableau suggérait une sorte de relation entre les deux. Dans un livre publié en 2012 avec Yiannis Sakellaridis, de l'université Johns Hopkins, Venkatesh avait trouvé un sens à cette relation : Si on leur donne une période, ils peuvent déterminer s'il existe une fonction L associée.

Mais ils ne pouvaient pas encore comprendre la relation inverse. Il était impossible de prédire si une fonction L donnée avait une période correspondante. Lorsqu'ils ont examiné les fonctions L, ils ont surtout constaté un certain désordre.

C'est pourquoi Venkatesh a gardé le papier dans sa poche. Il espérait que s'il fixait la liste suffisamment longtemps, les traits communs de cette collection apparemment aléatoire de fonctions L lui apparaîtraient clairement. Au bout d'un an, ce n'était pas le cas.

"Je n'arrivais pas à comprendre le principe qui sous-tendait ce tableau", a-t-il déclaré.

2018 fut une année importante pour Venkatesh à plus d'un titre. En plus de recevoir la médaille Fields, il a également quitté l'université de Stanford, où il se trouvait depuis une dizaine d'années, pour rejoindre l'Institute for Advanced Study à Princeton, dans le New Jersey.

Sakellaridis et lui ont également commencé à discuter avec David Ben-Zvi, un mathématicien de l'université du Texas, à Austin, qui passait le semestre à l'institut. Ben-Zvi avait construit sa carrière dans un domaine parallèle des mathématiques, en étudiant le même type de questions sur les nombres que Sakellaridis et Venkatesh, mais d'un point de vue géométrique. Lorsqu'il a entendu Venkatesh parler de cette table mystérieuse qu'il emportait partout avec lui, Ben-Zvi a presque immédiatement commencé à voir une nouvelle façon de faire communiquer les périodes et les fonctions L entre elles.

Ce moment de reconnaissance a été à l'origine d'une collaboration de plusieurs années qui s'est concrétisée en juillet dernier, lorsque Ben-Zvi, Sakellaridis et Venkatesh ont publié un manuscrit de 451 pages. L'article crée une traduction dans les deux sens entre les périodes et les fonctions L en refondant les périodes et les fonctions L en termes d'une paire d'espaces géométriques utilisés pour étudier des questions fondamentales en physique.

Ce faisant, il réalise un rêve de longue date dans le cadre d'une vaste initiative de recherche en mathématiques appelée "programme Langlands". Les mathématiciens qui travaillent sur des questions dans le cadre de ce programme cherchent à jeter des ponts entre des domaines disparates pour montrer comment des formes avancées de calcul (d'où proviennent les périodes) peuvent être utilisées pour répondre à des questions ouvertes fondamentales en théorie des nombres (d'où proviennent les fonctions L), ou comment la géométrie peut être utilisée pour répondre à des questions fondamentales en arithmétique.

Ils espèrent qu'une fois ces ponts établis, les techniques pourront être portées d'un domaine mathématique à un autre afin de répondre à des questions importantes qui semblent insolubles dans leur propre domaine.

Le nouvel article est l'un des premiers à relier les aspects géométriques et arithmétiques du programme, qui, pendant des décennies, ont progressé de manière largement isolée. En créant ce lien et en élargissant effectivement le champ d'application du programme Langlands tel qu'il a été conçu à l'origine, le nouvel article fournit un cadre conceptuel unique pour une multitude de connexions mathématiques.

"Il unifie un grand nombre de phénomènes disparates, ce qui réjouit toujours les mathématiciens", a déclaré Minhyong Kim, directeur du Centre international des sciences mathématiques d'Édimbourg, en Écosse.

Connecter eulement  

Le programme Langlands a été lancé par Robert Langlands, aujourd'hui professeur émérite à l'Institute for Advanced Study. Il a débuté en 1967 par une lettre manuscrite de 17 pages adressée par Langlands, alors jeune professeur à l'université de Princeton, à Andre Weil, l'un des mathématiciens les plus connus au monde. Langlands proposait d'associer des objets importants du calcul, appelés formes automorphes, à des objets de l'algèbre, appelés groupes de Galois. Les formes automorphes sont une généralisation des fonctions périodiques telles que le sinus en trigonométrie, dont les sorties se répètent à l'infini lorsque les entrées augmentent. Les groupes de Galois sont des objets mathématiques qui décrivent comment des entités appelées champs (comme les nombres réels ou rationnels) changent lorsqu'on leur ajoute de nouveaux éléments.

Les paires comme celle entre les formes automorphes et les groupes de Galois sont appelées dualités. Elles suggèrent que différentes classes d'objets se reflètent l'une l'autre, ce qui permet aux mathématiciens d'étudier l'une en fonction de l'autre.

Des générations de mathématiciens se sont efforcées de prouver l'existence de la dualité supposée de Langlands. Bien qu'ils n'aient réussi à l'établir que pour des cas limités, même ces cas limités ont souvent donné des résultats spectaculaires. Par exemple, en 1994, lorsque Andrew Wiles a démontré que la dualité proposée par Langlands était valable pour une classe particulière d'exemples, il a prouvé le dernier théorème de Fermat, l'un des résultats les plus célèbres de l'histoire des mathématiques.

En poursuivant le programme de Langlands, les mathématiciens l'ont également élargi dans de nombreuses directions.

L'une de ces directions a été l'étude de dualités entre des objets arithmétiques apparentés, mais distincts, de ceux qui intéressaient Langlands. Dans leur livre de 2012, Sakellaridis et Venkatesh ont étudié une dualité entre les périodes, qui sont étroitement liées aux formes automorphes, et les fonctions L, qui sont des sommes infinies attachées aux groupes de Galois. D'un point de vue mathématique, les périodes et les L-fonctions sont des objets d'espèces totalement différentes, sans traits communs évidents.

Les périodes sont devenues des objets d'intérêt mathématique dans les travaux d'Erich Hecke dans les années 1930.

Les fonctions L sont des sommes infinies utilisées depuis les travaux de Leonhard Euler au milieu du 18e siècle pour étudier des questions fondamentales sur les nombres. La fonction L la plus célèbre, la fonction zêta de Riemann, est au cœur de l'hypothèse de Riemann, qui peut être considérée comme une prédiction sur la répartition des nombres premiers. L'hypothèse de Riemann est sans doute le plus important problème non résolu en mathématiques.

Langlands était conscient des liens possibles entre les fonctions L et les périodes, mais il les considérait comme une question secondaire dans son projet de relier différents domaines des mathématiques.

"Dans un article, [Langlands] considérait que l'étude des périodes et des fonctions L ne valait pas la peine d'être étudiée", a déclaré M. Sakellaridis.

Bienvenue dans la machine

Bien que Robert Langlands n'ait pas insisté sur le lien entre les périodes et les fonctions L, Sakellaridis et Venkatesh les considéraient comme essentiels pour élargir et approfondir les liens entre des domaines mathématiques apparemment éloignés, comme l'avait proposé Langlands.

Dans leur livre de 2012, ils ont développé une sorte de machine qui prend une période en entrée, effectue un long calcul et produit une fonction L. Cependant, toutes les périodes ne produisent pas des L-fonctions correspondantes, et la principale avancée théorique de leur livre était de comprendre lesquelles le font. (Ce travail s'appuie sur des travaux antérieurs d'Atsushi Ichino et de Tamotsu Ikeda à l'université de Kyoto).

Mais leur approche avait deux limites. Premièrement, elle n'explique pas pourquoi une période donnée produit une fonction L donnée. La machine qui transforme l'une en l'autre était une boîte noire. C'était comme s'ils avaient construit un distributeur automatique qui produisait souvent de manière fiable quelque chose à manger chaque fois que vous mettiez de l'argent, sauf qu'il était impossible de savoir ce que ce serait à l'avance, ou si la machine mangerait l'argent sans distribuer d'en-cas.

Dans tous les cas, vous deviez déposer votre argent - votre période - puis "faire un long calcul et voir quelle fonction L vous obteniez parmi un zoo de fonctions", a déclaré M. Venkatesh.

La deuxième chose qu'ils n'ont pas réussi à faire dans leur livre, c'est de comprendre quelles fonctions L ont des périodes associées. Certaines en ont. D'autres non. Ils n'ont pas réussi à comprendre pourquoi.

Ils ont continué à travailler après la publication du livre, en essayant de comprendre pourquoi la connexion fonctionnait et comment faire fonctionner la machine dans les deux sens - non seulement en obtenant une fonction L à partir d'une période, mais aussi dans l'autre sens.

En d'autres termes, ils voulaient savoir que s'ils mettaient 1,50 $ dans le distributeur automatique, cela signifiait qu'ils allaient recevoir un sachet de Cheetos. De plus, ils voulaient pouvoir dire que s'ils tenaient un sachet de Cheetos, cela signifiait qu'ils avaient mis 1,50 $ dans le distributeur automatique.

Parce qu'elles relient des objets qui, à première vue, n'ont rien en commun, les dualités sont puissantes. Vous pourriez fixer un alignement d'objets mathématiques pendant une éternité sans percevoir la correspondance entre les fonctions L et les périodes.

"La manière dont elles sont définies et données, cette période et cette fonction L, n'a rien d'évident", explique Wee Teck Gan, de l'université nationale de Singapour.

Pour traduire des choses superficiellement incommensurables, il faut trouver un terrain d'entente. L'un des moyens d'y parvenir pour des objets tels que les fonctions L et les périodes, qui trouvent leur origine dans la théorie des nombres, est de les associer à des objets géométriques.

Pour prendre un exemple ludique, imaginez que vous avez un triangle. Mesurez la longueur de chaque côté et vous obtiendrez un ensemble de nombres qui vous indiquera comment écrire une fonction L. Prenez un autre triangle et, au lieu de mesurer les longueurs, regardez les trois angles intérieurs - vous pouvez utiliser ces angles pour définir une période. Ainsi, au lieu de comparer directement les fonctions L et les périodes, vous pouvez comparer les triangles qui leur sont associés. On peut dire que les triangles "indexent" les L-fonctions et les périodes - si une période correspond à un triangle avec certains angles, alors les longueurs de ce triangle correspondent à une L-fonction correspondante.

Si une période correspond à un triangle avec certains angles, les longueurs de ce triangle correspondent à une fonction L. "Cette période et cette fonction L, il n'y a pas de relation évidente dans la façon dont elles vous sont données. L'idée était donc que si vous pouviez comprendre chacune d'entre elles d'une autre manière, d'une manière différente, vous pourriez découvrir qu'elles sont très comparables", a déclaré M. Gan.

Dans leur ouvrage de 2012, Sakellaridis et Venkatesh ont réalisé une partie de cette traduction. Ils ont trouvé un moyen satisfaisant d'indexer des périodes en utilisant un certain type d'objet géométrique. Mais ils n'ont pas pu trouver une façon similaire de penser aux fonctions L.

Ben-Zvi pensait pouvoir le faire.

Le double marteau de Maxwell

Alors que les travaux de Sakellaridis et Venkatesh se situaient légèrement à côté de la vision de Langlands, Ben-Zvi travaillait dans un domaine des mathématiques qui se situait dans un univers totalement différent - une version géométrique du programme de Langlands.

Le programme géométrique de Langlands a débuté au début des années 1980, lorsque Vladimir Drinfeld et Alexander Beilinson ont suggéré une sorte de dualité de second ordre. Drinfeld et Beilinson ont proposé que la dualité de Langlands entre les groupes de Galois et les formes automorphes puisse être interprétée comme une dualité analogue entre deux types d'objets géométriques. Mais lorsque Ben-Zvi a commencé à travailler dans le programme géométrique de Langlands en tant qu'étudiant diplômé à l'université de Harvard dans les années 1990, le lien entre le programme géométrique et le programme original de Langlands était quelque peu ambitieux.

"Lorsque le programme géométrique de Langlands a été introduit pour la première fois, il s'agissait d'une séquence d'étapes psychologiques pour passer du programme original de Langlands à cet énoncé géométrique qui semblait être un tout autre genre d'animal", a déclaré M. Ben-Zvi.

En 2018, lorsque M. Ben-Zvi a passé une année sabbatique à l'Institute for Advanced Study, les deux parties se sont rapprochées, notamment dans les travaux publiés la même année par Vincent Lafforgue, chercheur à l'Institut Fourier de Grenoble. Pourtant, M. Ben-Zvi prévoyait d'utiliser son séjour sabbatique de 2018 à l'IAS pour effectuer des recherches sur l'aspect géométrique du programme Langlands. Son plan a été perturbé lorsqu'il est allé écouter un exposé de Venkatesh.

"Mon fils et la fille d'Akshay étaient des camarades de jeu, et nous étions amis sur le plan social, et j'ai pensé que je devrais assister à certaines des conférences qu'Akshay a données au début du semestre", a déclaré Ben-Zvi.

Lors de l'une de ces premières conférences, Venkatesh a expliqué qu'il fallait trouver un type d'objet géométrique capable d'indexer à la fois les périodes et les fonctions L, et il a décrit certains de ses récents progrès dans cette direction. Il s'agissait d'essayer d'utiliser des espaces géométriques issus d'un domaine des mathématiques appelé géométrie symplectique, que Ben-Zvi connaissait bien pour avoir travaillé dans le cadre du programme géométrique de Langlands.

"Akshay et Yiannis ont poussé dans une direction où ils ont commencé à voir des choses dans la géométrie symplectique, et cela m'a fait penser à plusieurs choses", a déclaré M. Ben-Zvi.

L'étape suivante est venue de la physique.

Pendant des décennies, les physiciens et les mathématiciens ont utilisé les dualités pour trouver de nouvelles descriptions du fonctionnement des forces de la nature. Le premier exemple, et le plus célèbre, est celui des équations de Maxwell, écrites pour la première fois à la fin du XIXe siècle, qui relient les champs électriques et magnétiques. Ces équations décrivent comment un champ électrique changeant crée un champ magnétique, et comment un champ magnétique changeant crée à son tour un champ électrique. Ils peuvent être décrits conjointement comme un champ électromagnétique unique. Dans le vide, "ces équations présentent une merveilleuse symétrie", a déclaré M. Ben-Zvi. Mathématiquement, l'électricité et le magnétisme peuvent changer de place sans modifier le comportement du champ électromagnétique commun.

Parfois, les chercheurs s'inspirent de la physique pour prouver des résultats purement mathématiques. Par exemple, dans un article de 2008, les physiciens Davide Gaiotto et Edward Witten ont montré comment les espaces géométriques liés aux théories quantiques des champs de l'électromagnétisme s'intègrent dans le programme géométrique de Langlands. Ces espaces sont présentés par paires, une pour chaque côté de la dualité électromagnétique : les espaces G hamiltoniens et leur dual : Les espaces Ğ hamiltoniens (prononcés espaces G-hat).

Ben-Zvi avait pris connaissance de l'article de Gaiotto-Witten lors de sa publication, et il avait utilisé le cadre physique qu'il fournissait pour réfléchir à des questions relatives à la géométrie de Langlands. Mais ce travail - sans parler de l'article de physique qui l'a motivé - n'avait aucun lien avec le programme original de Langlands.

Jusqu'à ce que Ben-Zvi se retrouve dans le public de l'IAS en train d'écouter Venkatesh. Il a entendu Venkatesh expliquer qu'à la suite de leur livre de 2012, lui et Sakellaridis en étaient venus à penser que la bonne façon géométrique d'envisager les périodes était en termes d'espaces Hamiltoniens G. Mais Venkatesh a admis qu'ils ne savaient pas quel type d'objet géométrique associer aux L-fonctions. 

Cela a mis la puce à l'oreille de Ben-Zvi. Une fois que Sakellaridis et Venkatesh ont relié les périodes aux espaces G hamiltoniens, les objets géométriques duaux des fonctions L sont devenus immédiatement clairs : les espaces Ğ dont Gaiotto et Witten avaient dit qu'ils étaient les duaux des espaces G. Pour Ben-Zvi, toutes ces dualités, entre l'arithmétique, la géométrie et la physique, semblaient converger. Même s'il ne comprenait pas toute la théorie des nombres, il était convaincu que tout cela faisait partie d'une "grande et belle image".

To G or Not to Ğ

Au printemps 2018, Ben-Zvi, Sakellaridis et Venkatesh se sont rencontrés régulièrement au restaurant du campus de l'Institute for Advanced Study ; pendant quelques mois, ils ont cherché à savoir comment interpréter les données extraites des L-fonctions comme une recette pour construire des Ğ-espaces hamiltoniens. Dans l'image qu'ils ont établie, la dualité entre les périodes et les fonctions L se traduit par une dualité géométrique qui prend tout son sens dans le programme géométrique de Langlands et trouve son origine dans la dualité entre l'électricité et le magnétisme. La physique et l'arithmétique deviennent des échos l'une de l'autre, d'une manière qui se répercute sur l'ensemble du programme de Langlands.

"On pourrait dire que le cadre original de Langlands est maintenant un cas particulier de ce nouveau cadre", a déclaré M. Gan.

En unifiant des phénomènes disparates, les trois mathématiciens ont apporté une partie de l'ordre intrinsèque à la relation entre l'électricité et le magnétisme à la relation entre les périodes et les fonctions L.

"L'interprétation physique de la correspondance géométrique de Langlands la rend beaucoup plus naturelle ; elle s'inscrit dans cette image générale des dualités", a déclaré Kim. "D'une certaine manière, ce que [ce nouveau travail] fait est un moyen d'interpréter la correspondance arithmétique en utilisant le même type de langage.

Le travail a ses limites. Les trois mathématiciens prouvent en particulier  la dualité entre les périodes et les fonctions L sur des systèmes de nombres qui apparaissent en géométrie, appelés champs de fonctions, plutôt que sur des champs de nombres - comme les nombres réels - qui sont le véritable domaine d'application du programme de Langlands.

"L'image de base est censée s'appliquer aux corps de nombres. Je pense que tout cela sera finalement développé pour les corps de nombres", a déclaré M. Venkatesh.

Même sur les champs de fonctions, le travail met de l'ordre dans la relation entre les périodes et les fonctions L. Pendant les mois où Venkatesh a transporté un imprimé dans sa poche, lui et Sakellaridis n'avaient aucune idée de la raison pour laquelle ces fonctions L devraient être celles qui sont associées aux périodes. Aujourd'hui, la relation est logique dans les deux sens. Ils peuvent la traduire librement en utilisant un langage commun.

"J'ai connu toutes ces périodes et j'ai soudain appris que je pouvais retourner chacune d'entre elles et qu'elle se transformait en une autre que je connaissais également. C'est une prise de conscience très choquante", a déclaré M. Venkatesh.



 

Auteur: Internet

Info: https://www.quantamagazine.org. Kevin Hartnett, contributing Writer, October 12, 2023 https://www.quantamagazine.org/echoes-of-electromagnetism-found-in-number-theory-20231012/?mc_cid=cc4eb576af&mc_eid=78bedba296

[ fonction L p-adique ] [ fonction périodique ]

 

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physionomies reconnues

Comment le cerveau code les visages

Nous repérons et distinguons très facilement des milliers de visages. Comment notre cerveau réussit-il cet exploit ? L’étude de l’activité neuronale chez le singe suggère que cette étonnante faculté repose sur des opérations assez simples.

Un jour, au lycée, j’ai découvert la notion de densité de courbes lors d’un cours d’introduction au calcul différentiel. Une simple paire d’équations différentielles, qui modélisent l’interaction entre la population d’un prédateur et celle d’une proie, peut donner lieu à une infinité de courbes fermées (imaginez par exemple une infinité de cercles concentriques nichés les uns dans les autres, comme sur une cible). De plus, la densité de ces courbes sur le plan varie de point en point.

Cela m’a semblé très étrange. Je pouvais facilement imaginer un nombre fini de courbes qui se rapprochent ou s’écartent. Mais comment une infinité de courbes peut-elle être plus dense à un endroit et moins dense à un autre ? J’ai vite appris qu’il existe différents types d’infini, aux propriétés paradoxales, comme avec l’" hôtel de Hilbert " (dont toutes les chambres sont occupées, mais qui peut toujours héberger de nouveaux clients) ou avec le paradoxe de Banach-Tarski (on peut diviser une boule en cinq morceaux qui, réarrangés, donnent deux boules ayant chacune le même volume que l’originale). J’ai passé des heures à me pencher sur les démonstrations de ces propriétés. Je les ai finalement acceptées comme une magie symbolique sans conséquences réelles, mais ma curiosité était piquée.

Plus tard, étudiante à l’institut de technologie de Californie (Caltech), j’ai pris connaissance des expériences de David Hubel et Torsten Wiesel (lauréats du Nobel en 1981) et de leur découverte historique sur la façon dont le cortex visuel primaire, une aire du cerveau, extrait des contours à partir d’images transmises par les yeux. Je me suis rendu compte que ce qui m’avait réellement mystifiée au lycée, c’était le fait d’essayer d’imaginer différentes densités d’infini. Contrairement aux courbes mathématiques que j’évoquais plus haut, les contours décrits par Hubel et Wiesel résultent d’un traitement par les neurones de la vision et existent donc bel et bien dans le cerveau. J’ai ainsi acquis la conviction que la neurobiologie de la vision était un moyen de comprendre comment on perçoit consciemment une courbe.

Captivée par ce défi, j’ai entrepris de découvrir comment les profils d’activité électrique dans le cerveau codent la perception d’objets visuels – pas seulement des lignes et des courbes, mais aussi des objets difficiles à définir tels que des visages. Pour ce faire, il fallait repérer les régions du cerveau dédiées à la reconnaissance faciale et déchiffrer leur code neuronal, c’est-à-dire les profils d’impulsions électriques qui nous permettent d’identifier les personnes de notre entourage.

Cette quête a débuté en 2002 à l’université Harvard, où j’ai étudié le mécanisme de la vision en relief, qui exploite les différences entre les images fournies par les deux yeux. Un jour, je suis tombée sur un article de Nancy Kanwisher, du MIT (l’institut de technologie du Massachusetts), et de ses collègues ; cet article relatait la découverte d’une région du cerveau humain qui réagit beaucoup plus fortement aux images de visages qu’aux images de tout autre objet, lors d’enregistrements de l’activité cérébrale en imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf). Cela me semblait bizarre. La notion de zone spécifiquement consacrée au traitement des visages semblait trop simple pour être vraie.

Des zones du cerveau dédiées aux visages

Au cours de mes travaux de doctorat, j’avais utilisé l’IRMf sur des singes pour identifier les zones activées par la perception du relief. J’ai décidé de montrer des images de visages ainsi que d’autres objets à un singe. En comparant l’activité du cerveau du singe en réaction aux différentes images, j’ai repéré plusieurs zones du lobe temporal (la zone située sous les tempes), en particulier dans une région nommée cortex inférotemporal (IT), qui s’activaient seulement à la vue de visages. Au début des années 1970, Charles Gross, pionnier dans le domaine de la vision, avait découvert des neurones spécifiques des visages dans le cortex IT des macaques. D’autres travaux ont par la suite montré que ces cellules ne se répartissaient pas au hasard dans le cortex IT, mais se concentraient dans certaines sous-régions.

Après avoir publié, en 2006, une telle étude effectuée par IRMf, on m’a invitée à donner une conférence là-dessus, dans le cadre d’une candidature à un poste de professeur à Caltech. Cette candidature n’a pas abouti. L’IRMf, qui mesure localement le flux sanguin, suscitait à l’époque beaucoup de scepticisme. On faisait valoir que le fait de montrer une augmentation du flux sanguin dans une zone cérébrale lorsqu’un sujet regarde des visages est bien loin de clarifier ce que les neurones de cette zone codent vraiment, car la relation entre le flux sanguin et l’activité électrique n’est pas claire. Peut-être était-ce simplement par hasard que ces zones contenaient un nombre légèrement plus grand de neurones sensibles aux visages ?

Comme j’avais réalisé l’expérience d’imagerie sur le singe, je pouvais directement répondre à cette préoccupation en insérant une électrode dans une zone identifiée par IRMf et en déterminant quelles images déclenchent le plus efficacement les neurones de cette région. J’ai effectué cette expérience avec Winrich Freiwald, alors postdoctorant dans le laboratoire de Margaret Livingstone à Harvard, où j’avais été doctorante. Nous avons présenté des visages et d’autres objets à un singe. Une électrode enregistrait l’activité électrique de neurones individuels ; ces signaux électriques étaient amplifiés, puis convertis en un signal sonore pour suivre les réponses en temps réel.

Cette expérience a révélé un résultat étonnant : presque toutes les cellules de la zone identifiée par IRMf étaient dédiées au traitement des visages. Je me souviens de l’enthousiasme suscité par notre premier enregistrement, en entendant le " pop " que faisait, l’une après l’autre, chaque cellule réagissant fortement aux visages et très peu aux autres objets. Nous avons senti que nous tenions là quelque chose d’important, un morceau de cortex susceptible de révéler comment le cerveau code les objets visuels.

Je me souviens aussi d’avoir été surprise. Je m’étais attendue à ce que la " zone faciale " contienne des cellules réagissant sélectivement à des individus particuliers, de façon analogue aux cellules d’orientation du cortex visuel primaire qui répondent chacune à une orientation particulière d’un bord dans une image. En fait, plusieurs études bien connues avaient suggéré que des neurones individuels peuvent être remarquablement sélectifs pour les visages de personnes familières. Or, au contraire, chaque cellule semblait s’activer fortement pour presque tous les visages.

Au cours de ces premières expériences, j’ai découvert que les cellules réagissaient non seulement aux visages d’humains et de singes, mais également à des dessins très simplifiés de visages.

J’ai alors décidé de créer des dessins simples de visages dotés de 19 caractéristiques qui semblaient pertinentes pour définir l’identité d’un visage, par exemple la distance entre les yeux, le rapport hauteur/largeur du visage, la hauteur de la bouche, caractéristiques que nous faisions varier. Chaque cellule répondait à la plupart des visages, mais pas exactement avec la même fréquence d’activation pour tous. Au lieu de cela, leur réponse variait de façon systématique : il y avait une réponse minimale pour une caractéristique extrême (la plus petite distance entre les yeux, par exemple) et une réponse maximale pour l’extrême opposé (le plus grand écart des yeux) avec des réponses intermédiaires pour les valeurs médianes.

J’ai à nouveau été invitée à donner une conférence à Caltech. Cette fois, j’avais plus à offrir que des images d’IRMf. Avec les nouveaux résultats d’enregistrements monocellulaires, il était clair pour tout le monde que ces zones faciales étaient réelles et jouaient probablement un rôle important dans la reconnaissance faciale. De plus, comprendre leurs processus neuronaux sous-jacents semblait être un moyen d’en apprendre plus sur la question plus générale de la manière dont le cerveau représente les objets visuels. Cette fois, j’ai décroché le poste

(Photo : Un ensemble de six nœuds dans le cortex inférotemporal (IT) des deux hémisphères cérébraux est spécialisé dans la perception des visages. Ces " zones faciales " fonctionnent comme une chaîne de montage : dans les zones médiane latérale et médiane du fundus, un neurone peut s’activer lorsque les visages sont vus de face ; un autre pourrait s’activer au vu de visages tournés vers la droite. À la fin de la chaîne de montage, dans la zone médiane antérieure, les différentes vues sont rassemblées. Les neurones de cette zone s’activent à la vue du visage d’un individu particulier, que la vue soit de face ou de côté. Ci-contre sont montrés les profils d’activation d’une zone faciale chez un singe. L’activité est intense à la vue d’un visage, mais pas d’autres objets (A), et les profils d’activité varient selon l’angle de vue du visage (B).)

À Caltech, mes collègues et moi avons approfondi la question de savoir comment ces cellules faciales détectent les visages. Nous nous sommes inspirés d’un article de Pawan Sinha, spécialiste de la vision et des neurosciences computationnelles au MIT, qui suggère qu’il est possible de distinguer les visages en se fiant aux relations particulières de contraste entre différentes régions du visage (si la région du front est plus lumineuse que la région de la bouche, par exemple). Pawan Sinha proposait un moyen astucieux de déterminer quels rapports de contraste utiliser pour reconnaître un visage : ils doivent être insensibles aux changements d’éclairage. Par exemple, " l’œil gauche plus sombre que le nez " est un trait utile pour détecter un visage, car peu importe la direction de l’éclairage : l’œil gauche est toujours plus foncé que le nez.

Le rôle clé des contrastes

Sur le plan théorique, cette idée fournit un mécanisme simple et élégant de reconnaissance faciale, et nous nous sommes demandé si les cellules faciales l’utilisaient. En mesurant la réponse de ces neurones à des visages dans lesquels la luminosité variait selon les régions, nous avons constaté que les cellules avaient souvent une préférence marquée pour un contraste particulier.

À notre grande surprise, presque toutes les cellules avaient les mêmes préférences de contraste (une seule cellule enregistrée préférait la polarité opposée). De plus, les caractéristiques préférées étaient précisément celles identifiées par Pawan Sinha comme étant insensibles aux changements d’éclairage. L’expérience a donc confirmé que les cellules faciales utilisent des relations de contraste pour détecter les visages.

Plus largement, ce résultat a confirmé que ces neurones étaient véritablement des cellules faciales. Auparavant, lors des discussions, les sceptiques demandaient : " Comment le savez-vous ? Vous ne pouvez pas tester tous les stimulus possibles. Comment pouvez-vous être sûrs que c’est une cellule faciale et non une cellule pour grenade ou une cellule pour tondeuse à gazon ? " Ce résultat a été décisif pour moi. La correspondance précise entre la réaction des cellules et la prédiction informatique de Pawan Sinha était spectaculaire.

Nos premières expériences avaient mis en évidence deux zones corticales proches réagissant aux visages. Mais après une analyse supplémentaire (avec l’aide d’un agent de contraste multipliant la robustesse du signal), il est apparu qu’il y avait en réalité six zones faciales dans chacun des deux hémisphères du cerveau (soit un total de douze). Elles sont réparties sur toute la longueur du lobe temporal . De plus, cette répartition dans le cortex IT n’est pas aléatoire. Les six zones sont situées à des endroits similaires dans les deux hémisphères de chaque animal. D’autres travaux ont en outre montré qu’il existe chez d’autres primates, tels que les ouistitis, un schéma similaire de zones faciales s’étendant sur le cortex IT.

Une sorte de chaîne de montage

L’existence d’un tel profil stéréotypé de zones faciales suggère que celles-ci pourraient constituer une sorte de chaîne de montage pour le traitement des visages. Si tel est le cas, on s’attendrait à ce que les six zones soient connectées les unes aux autres et que chaque zone remplisse une fonction distincte.

Pour explorer les connexions neuronales entre ces zones, nous avons stimulé électriquement des régions cérébrales avec de très faibles intensités de courant (technique appelée microstimulation) pendant que le singe était à l’intérieur d’un scanner d’IRMf. Il s’agissait de déterminer quelles autres parties du cerveau sont activées lorsqu’on stimule une zone faciale. Nous avons découvert que chaque fois que nous stimulions une zone faciale, les autres étaient activées, mais pas le cortex environnant, ce qui indique que les zones faciales sont bel et bien fortement interconnectées.

¢photo : Pour découvrir comment le cerveau code les visages, identifier les zones faciales n’était qu’un premier pas. Il a fallu ensuite explorer ce qui se passe dans les neurones au sein de chaque zone. Pour caractériser quantitativement des visages, l’équipe de l’auteure a déterminé 25 caractères de forme et 25 caractères d’aspect pouvant être utilisés par chaque neurone d’une zone faciale. Ces caractères forment un espace à 50 dimensions. Les caractères de forme peuvent être considérés comme ceux définis par le squelette (largeur de la tête, écartement des yeux…). Les caractéristiques d’aspect spécifient la texture de la surface du visage (teint, couleur des yeux, couleur des cheveux…).

De plus, nous avons constaté que chaque zone assurait une fonction différente. Nous avons présenté aux singes les photos de 25 personnes, chacune présentant huit orientations différentes de la tête, et enregistré les réponses de cellules situées dans trois régions : les zones médiane latérale et médiane du fundus (ML/MF), la zone latérale antérieure (LA) et la zone médiane antérieure (MA).

Nous avons constaté des différences frappantes entre ces trois régions. Dans les zones ML/MF, les cellules répondent sélectivement à une orientation particulière. Par exemple, une cellule réagit plutôt aux visages regardant de face, tandis qu’une autre opte pour les visages regardant à gauche. Dans la zone LA, les cellules sont moins spécifiques de l’orientation. Une partie des cellules répondent aux visages regardant vers le haut, le bas et droit devant ; une autre répond aux visages regardant à gauche ou à droite. Dans la zone MA, les cellules réagissent aux visages d’individus particuliers, qu’ils soient vus de face ou de profil. Ainsi, à la fin du réseau, dans la zone MA, les représentations spécifiques à une orientation s’assemblaient avec succès en une représentation indifférente à l’orientation.

Apparemment, c’est donc bien en agissant comme une chaîne de montage que les zones faciales relèvent l’un des grands défis de la vision : reconnaître les objets qui nous entourent malgré leur aspect variable. Une voiture peut être de n’importe quelle marque ou couleur, apparaître sous n’importe quel angle et à n’importe quelle distance, et même être partiellement masquée par des objets plus proches tels que des arbres ou d’autres voitures. Reconnaître un objet malgré ces transformations visuelles est le " problème de l’invariance ", et il nous semble clair qu’une fonction majeure du réseau des zones faciales est de surmonter cet obstacle.

(photo : On peut décrire la réponse des neurones faciaux du singe à un visage humain donné à l’aide d’un code qui utilise 50 coordonnées caractérisant la forme et l’aspect du visage présenté. Chacun de ces neurones s’active avec une intensité particulière en réponse à un certain visage (contours rouges), correspondant à une certaine position le long de l’" axe privilégié " du neurone dans l’espace à 50 dimensions. L’intensité de l’activation augmente linéairement avec la position le long de l’axe privilégié. De plus, cette réponse est la même pour tous les visages situés sur le même axe perpendiculaire à l’axe privilégié. Ce modèle de codage facial fondé sur des axes diffère du modèle précédent, où chaque neurone répond avec une intensité maximale pour un visage unique.) 

Étant donné la grande sensibilité des cellules des zones faciales aux variations de l’aspect d’un visage, on pourrait s’attendre à ce qu’une altération de la réponse de ces cellules modifie la perception des visages chez l’animal. En 2012, Jacques Jonas et ses collègues, de l’université de Lorraine et du CHRU de Nancy, avaient stimulé électriquement une zone faciale chez des sujets humains à qui on avait implanté des électrodes afin de déterminer la source des crises d’épilepsie. Ils avaient montré que cette stimulation entraînait une perte de reconnaissance du visage par le patient.

Nous nous sommes demandé si nous retrouverions le même effet chez les singes en stimulant les zones faciales. Cela n’affecterait-il que la perception des visages ou y aurait-il également une incidence sur la perception d’autres objets ? La frontière entre un visage et un autre objet est floue (on peut voir un visage dans un nuage ou dans une prise électrique). Nous voulions utiliser la microstimulation électrique comme un outil permettant de caractériser précisément ce qui définit un visage pour une zone faciale. Nous avons alors entraîné des singes à indiquer si deux visages présentés l’un après l’autre étaient identiques ou différents. Conformément aux résultats obtenus chez l’humain, nous avons constaté que la microstimulation des zones faciales déformait fortement la perception, de sorte que l’animal signalait toujours deux visages identiques comme étant différents.

Il est intéressant de noter que la microstimulation n’a pas d’effet sur la perception de nombreux objets n’ayant rien à voir avec des visages, mais qu’elle altère notablement la réponse à des objets dont la forme pourrait être associée à un visage, les pommes par exemple.

(Photo : Pour un visage donné, on peut prédire comment un neurone facial réagira en prenant une somme pondérée des 50 coordonnées décrivant le visage. Pour deviner à partir de l’activité neuronale quel visage le singe a vu, il suffit d’inverser le calcul : connaissant la réponse des 205 neurones faciaux enregistrés, on peut calculer les 50 coordonnées définissant le visage présenté et ainsi reconstituer celui-ci avec précision.) 

Pourquoi cette stimulation influe-t-elle sur la perception d’une pomme ? Il est possible que les zones faciales servent généralement à représenter non seulement des visages, mais aussi d’autres objets ronds, telles les pommes. Une autre hypothèse est que les zones faciales ne soient normalement pas utilisées pour représenter ces objets, mais que la stimulation donne à une pomme l’apparence d’un visage. Il reste à déterminer si les zones faciales sont utiles pour détecter des objets autres que les visages.

Déchiffrer le code neuronal

La découverte de l’organisation du système de zones faciales et des propriétés des neurones qui les composent était un accomplissement majeur. Mais mon rêve, quand nous avons commencé à enregistrer l’activité neuronale des zones faciales, allait bien plus loin. J’avais l’intuition que cela nous permettrait de déchiffrer le code neuronal de l’identité faciale. C’est-à-dire de comprendre comment les neurones traitent les visages, avec un niveau de détail permettant de prédire la réponse d’une cellule à un visage donné ou de décoder l’identité d’un visage en s’appuyant uniquement sur l’activité neuronale.

Le principal défi consistait à décrire les visages quantitativement et avec précision. Le Chang, alors postdoctorant dans mon laboratoire, a eu la brillante idée d’adopter une technique du domaine de la vision par ordinateur nommée " modèle actif d’apparence ". Dans cette approche, un visage est décrit par deux ensembles de caractères, un pour la forme et un autre pour l’aspect . Les caractéristiques de la forme sont, en gros, celles définies par le squelette (la largeur de la tête, l’écart des yeux…). Les caractéristiques d’aspect définissent la texture de la surface du visage (teint, couleur des yeux ou des cheveux…).

Pour générer ces caractères de forme et d’aspect, nous sommes partis d’une grande base de données de photos de visages. Pour chaque visage, nous avons placé un ensemble de marqueurs sur les traits principaux. La position de ces marqueurs décrit la forme du visage. À partir de ces formes variées, nous avons calculé un visage moyen. Nous avons ensuite transformé chaque photo de la base de données afin que ses principaux traits correspondent exactement à ceux du visage moyen.

Les images résultantes constituent l’aspect des visages indépendamment de la forme. Nous avons ensuite effectué une " analyse en composantes principales ", sur les caractères de forme et sur les caractères d’aspect, pour l’ensemble des visages. Il s’agit d’une technique mathématique qui détermine les axes, ou dimensions, décrivant le mieux la variabilité au sein d’un ensemble complexe de données.

En prenant 25 composantes principales pour la forme et 25 composantes principales pour l’aspect, nous avons créé un espace facial à 50 dimensions . Chaque visage est représenté dans cet espace par un point (ou vecteur) ayant 50 coordonnées (ou composantes), alors que dans l’espace usuel, chaque point représente une position et est repéré par 3 coordonnées.

(Extrapoler du macaque à l’humain ?

Les travaux de Doris Tsao et son équipe constituent une prouesse technique dont seuls sont capables quelques laboratoires au monde. Se pose toutefois la question de leur validité pour élucider les mécanismes neuronaux de reconnaissance des visages chez l’homme.

Celui-ci se fonde essentiellement sur le visage pour reconnaître des individus et faire la différence entre des visages connus et inconnus. Alors qu’un adulte est capable de reconnaître plusieurs milliers de visages rapidement et automatiquement, le singe rhésus ou le macaque a besoin de centaines d’essais d’entraînement avec les mêmes images pour atteindre des performances modestes. De plus, contrairement à l’homme, les performances du macaque sont identiques pour un visage présenté à l’endroit ou à l’envers et ne dépendent pas du degré de familiarité du visage .

Cela n’est guère surprenant : l’homme et le macaque diffèrent par 25-30 millions d’années d’évolution, et le cerveau humain compte 16 fois plus de neurones. Surtout, le macaque ne possède pas les structures cérébrales clés pour la reconnaissance du visage chez l’homme, en particulier le gyrus fusiforme du cortex occipitotemporal ventral, et une dominance de l’hémisphère droit. Pourquoi, dès lors, trouve-t-on des régions qui répondent spécifiquement aux visages dans la partie latérale du lobe temporal du macaque et parvient-on à y décoder des " identités faciales " ? D’une part, parce que cette espèce décode dans le visage de congénères de simples expressions faciales, l’orientation de la tête et du regard. D’autre part, parce que le bombardement d’images de visages (humains) à discriminer dans des conditions artificielles de laboratoire entraîne, ou augmente, l’activité de régions cérébrales pour ces catégories d’images dans le cerveau du macaque. Il n’est alors pas surprenant que des images physiques différentes activent des réponses de populations de neurones différentes dans ces régions, permettant un décodage fiable de leur " identité ".

Les capacités de reconnaissance du visage chez l’homme vont cependant bien au-delà de la discrimination d’images 2D ; elles se fondent sur des propriétés physiques, mais également sémantiques et contextuelles. Cela permet de reconnaître un visage familier malgré les différences importantes entre les diverses vues de ce visage, celle d’une caricature par exemple.

Malgré l’intérêt des travaux sur les singes, il nous semble que la compréhension des mécanismes de reconnaissance des visages chez l’humain passera essentiellement par l’étude de notre espèce, par exemple de patients cérébrolésés ayant perdu la capacité de reconnaissance faciale (prosopagnosie), la neuroimagerie et les enregistrements intracérébraux.

Bruno Rossion, Jacques Jonas et Laurent Koessler, CNRS (CRAN, UMR7039), université de Lorraine et service de neurologie du CHRU de Nancy). 


Dans notre expérience, nous avons pris au hasard 2 000 visages et les avons présentés à un singe tout en enregistrant les neurones de deux zones faciales. Nous avons constaté que presque chaque cellule présentait des réponses dépendant linéairement d’un sous-ensemble des 50 caractères, ce qui est cohérent avec mes expériences précédentes sur les visages dessinés. Mais nous avions une meilleure idée de la raison pour laquelle cela est important. Si une cellule faciale présente une réponse linéaire à différents traits, on peut approximer sa réponse par une simple somme pondérée des traits faciaux, les poids de cette somme caractérisant la dépendance linéaire de la réponse. En termes plus précis, les réponses des neurones sont données par la relation : Réponses des cellules faciales = (M) × (50 traits faciaux), où M est la matrice de pondération, tableau de nombres où chaque ligne correspond aux poids associés à une cellule faciale. On peut alors simplement inverser cette équation pour prédire le visage montré au sujet à partir des réponses des cellules faciales :

(50 traits faciaux) = (M–1) × (réponses des cellules faciales).

Pour tester cette relation, nous avons utilisé les réponses à tous les 2 000 visages sauf un afin de déterminer la matrice de pondération, puis nous avons calculé les 50 traits du visage exclu à partir des réponses des cellules faciales et de notre formule. Étonnamment, la prédiction s’est révélée presque indistinguable du visage réel.

Lors d’une conférence tenue en 2015 à Ascona, en Suisse, j’ai présenté nos découvertes sur la reconstitution de visages à partir de l’activité neuronale. Après mon exposé, Rodrigo Quian Quiroga, actuellement à l’université de Leicester, en Angleterre, qui avait découvert en 2005 le célèbre " neurone Jennifer Aniston " (un neurone unique qui s’active à la vue de photos de l’actrice Jennifer Aniston) dans le lobe temporal médian, m’a posé une question. Il m’a demandé comment je faisais le lien entre mes cellules et son idée selon laquelle des neurones individuels réagissent au visage de personnes particulières, comme le " neurone Jennifer Aniston ".

Un pari gagnant-gagnant

Je lui ai répondu que je pensais que nos cellules pourraient être les éléments de base de ses cellules, sans trop réfléchir à la façon dont cela fonctionnerait. Cette nuit-là, privée de sommeil à cause du décalage horaire, j’ai pris conscience d’une différence majeure entre nos cellules faciales et les siennes. J’avais décrit dans mon exposé que nos cellules faciales calculent leur réponse comme des sommes pondérées de différentes caractéristiques faciales. Or ce calcul revient à une opération mathématique nommée produit scalaire, dont la représentation géométrique est la projection d’un vecteur sur un axe (à l’instar de l’ombre d’un piquet projetée sur le sol par la lumière du soleil).

Grâce à mes souvenirs d’algèbre linéaire, je me suis rendu compte qu’il était alors possible de construire pour chaque cellule un vaste ensemble de visages distincts tous représentés dans l’espace à 50 dimensions par des vecteurs perpendiculaires à l’axe de projection, donc de projection nulle. Ainsi, tous ces visages activeraient la cellule exactement de la même façon.

Et cela suggérerait que les cellules des zones faciales sont fondamentalement différentes des cellules envisagées par Rodrigo. Cela démolissait la vague intuition que tout le monde partageait au sujet des cellules faciales, à savoir qu’elles réagiraient à des visages particuliers.

Au petit-déjeuner du lendemain matin, j’espérais trouver Rodrigo pour lui en parler. Étonnamment, quand il est arrivé, il m’a dit avoir eu exactement la même idée. Rodrigo m’a alors proposé une sorte de pari gagnant-gagnant. Si une cellule donnait effectivement la même réponse à différents visages, j’enverrais une bonne bouteille de vin à Rodrigo. Si, au contraire, la prédiction ne se vérifiait pas, il m’enverrait du vin comme prix de consolation.

De retour à notre laboratoire à Caltech, Le Chang a d’abord déterminé l’axe privilégié par un neurone donné (l’axe de projection évoqué plus haut) à partir de ses réponses aux 2 000 visages. Il a ensuite généré une gamme de visages tous représentés par des vecteurs perpendiculaires à l’axe privilégié. De façon remarquable, tous ces visages ont suscité exactement la même réponse du neurone. La semaine suivante, Rodrigo a reçu une excellente bouteille de cabernet. Cette découverte prouvait que les cellules faciales du cortex IT ne codent pas l’identité de personnes particulières. Au lieu de cela, elles effectuent une projection vectorielle sur un axe, un calcul beaucoup plus abstrait.

Il semblerait alors que le neurone Jennifer Aniston n’existe pas, du moins pas dans le cortex IT. Mais des neurones individuels répondant sélectivement à des individus familiers pourraient être à l’œuvre dans une partie du cerveau qui traite le signal de sortie des cellules faciales. Les régions de stockage de la mémoire, l’hippocampe et les zones adjacentes, pourraient contenir des cellules permettant de reconnaître un individu.

La reconnaissance faciale dans le cortex IT repose donc sur un ensemble d’environ 50 nombres représentant les mesures d’un visage le long d’un ensemble de 50 axes d’un espace abstrait. Et la découverte de ce code extrêmement simple pour l’identification des visages a des implications majeures pour notre compréhension de la représentation visuelle des objets en général. Il est possible que tout le cortex IT soit organisé selon le même principe que les zones faciales, des groupes de neurones codant différents ensembles d’axes afin de représenter un objet. Nous menons actuellement des expériences pour tester cette hypothèse.

Pierre de rosette neuronale

Si vous vous rendez au British Museum, à Londres, vous verrez un objet étonnant, la pierre de Rosette, sur laquelle le même décret de Memphis est gravé en trois langues différentes : en hiéroglyphes égyptiens, en démotique et en grec ancien. C’est grâce à cette pierre de Rosette, parce que les philologues connaissaient le grec ancien, qu’ils ont pu déchiffrer les hiéroglyphes égyptiens et démotiques.

De même, les visages, les zones faciales et le cortex IT constituent une pierre de Rosette neuronale, mais qui est encore en cours de déchiffrement. En montrant des photos de visages à des singes, nous avons découvert des zones faciales et appris comment leurs neurones détectent et identifient les visages. À son tour, la compréhension des principes de codage dans le réseau des zones faciales aidera peut-être à comprendre l’organisation de tout le cortex IT et à révéler ainsi comment le cerveau assure cette fonction essentielle consistant à identifier les objets, qu’il s’agisse d’un visage, d’un animal, d’une chaise ou d’un caillou. Peut-être même comprendra-t-on aussi comment les objets imaginés – à l’instar des courbes qui m’avaient intriguée lorsque j’étais au lycée – sont codés par le cerveau.

 

Auteur: Ying Tsao Doris

Info: Pour la sience N° 502, 29 juillet 2019

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