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érotisme

Le secret [du strip-tease] en est la célébration auto-érotique par une femme de son propre corps qui devient désirable dans cette mesure même. Sans ce mirage narcissique qui est la substance de tous les gestes, sans ce gestuel de caresses qui viennent envelopper ce corps et l’emblématiser comme objet phallique, pas d’effet érotique. Masturbation sublime dont la lenteur [...] est fondamentale. C’est cette lenteur qui marque que les gestes dont la fille s’entoure (dénuder, caresser, et jusqu’à la mimétique de la jouissance) sont ceux de "l’autre". Ses gestes tissent autour d’elle le fantôme du partenaire sexuel. Mais du coup cet autre est exclu, puisqu’elle se substitue à lui et s’approprie ses gestes selon un travail de condensation qui n’est pas loin en effet des processus du rêve.

[...] le strip-tease est lent : il devrait aller le plus vite possible, si sa fin était la dénudation sexuelle, mais il est lent parce qu’il est discours, construction de signes, élaboration minutieuse d’un sens différé. De cette transfiguration phallique, le regard témoigne là aussi. la fixité du regard est un atout essentiel de la bonne strip-teaseuse. On l’interprète habituellement comme technique de distanciation, de coolness destinée à marquer les limites de cette situation érotique. Oui et non : le regard fixe qui ne ferait que marquer l’interdit renverrait là encore le strip à une espèce de pornodrame répressif. Le bon strip n’est pas cela, cette maîtrise du regard n’est pas celle de la froideur voulue : s’il est cool, comme celui des mannequins, c’est à condition de redéfinir le cool comme une qualité très particulière de toute la culture actuelle des media et du corps, et qui n’est plus de l’ordre du chaud et du froid. Ce regard est le regard neutralisé de la fascination auto-érotique, celui de la femme/objet qui se regarde et, les yeux grands ouverts, referme les yeux sur elle-même. Ce n’est pas là l’effet d’un désir censuré : c’est le comble de la perfection et de la perversion. C’est l’accomplissement de tout le système sexuel qui veut que la femme ne soit jamais si pleinement elle-même, et donc si séduisante, que lorsqu’elle accepte de se plaire d’abord, de se complaire, d’être sans désir ni transcendance que de sa propre image.

Auteur: Baudrillard Jean

Info: Dans "L'échange symbolique et la mort", éditions Gallimard, 1976, pages 177 à 179

[ effeuillage ] [ effets signifiants ] [ narcissisme ] [ agalma ]

 

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secondéités sémantiques

"Je ne sais pas ce que je dis".

Je ne sais pas quoi ?

Je ne sais pas que ce que je dis est un signifiant et comme tel ne s’adresse pas au parlant, mais à un autre signifiant.

Il s’adresse à l’Autre.

Je parle, j’émets des sons, je construis des sens, mais le dit, lui, m’échappe.

Il m’échappe parce qu’il n’est pas du pouvoir du sujet de savoir avec quel autre dit, ce dit va se lier.

"Le signifiant s’adresse à l’Autre" veut dire qu’il va se lier à un autre signifiant, ailleurs, à côté, après...

Donc, je ne sais pas quoi ?

L’effet de ma parole sur vous, sur l’Autre.

Et de ne pas savoir ce que je dis, je dis plus que je ne voudrais.

En un mot, je ne sais pas ce que je dis parce que mon dit va ailleurs :

– à mon insu, il s’adresse à l’Autre,

– et à mon insu aussi, il me vient de l’Autre.

Il vient de l’Autre et il s’adresse à l’Autre, il part de l’Autre.

Il existe encore une raison à ce "Je ne sais pas ce que je dis", c’est que le sujet qui énonce son dit... j’insiste : "le sujet qui énonce..." n’est pas le même lorsque le message, ou dit, peut lui revenir.

Nous ne sommes plus le même parce que dans l’acte de dire, je change.

L’expression "sujet effet du signifiant" veut dire justement que le sujet change avec l’acte de dire (...)

En somme vous avez :

– d’une part le sujet fixé, suspendu à un signifiant, celui de son acte de dire,

– d’autre part les signifiants se succédant l’un derrière l’autre, le sujet, en fait, n’est nulle part.

Je répète, car c’est la conclusion à laquelle je voulais aboutir : le sujet est dans l’acte, son acte d’énoncer le dit, mais étant donné que celui-ci vient de l’Autre et s’adresse à l’Autre, que tout se passe entre des dits, le sujet reste suspendu, perdu, effacé dans l'ensemble ouvert des signifiants enchaînés :

– nous sommes le sujet de l’acte et avec cet acte, cependant nous disparaissons.

– nous sommes le sujet de l’acte et nous ne sommes pas.

Voilà ce qu’on pourrait appeler l’antinomie du sujet.

Auteur: Nasio Juan David

Info: intervention au Séminaire de Lacan du 15 mai 1979

[ éphémères ] [ perdues ]

 
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femme-par-femme

La singularité est paradoxale. Synonyme du terme "original", la singularité semble être à la fois "à l’origine de toute chose" et "différente de la norme". C’est cette dualité qu’explore Mai Tabakian, au travers d’une oeuvre complexe, qui entremêle les signifiants et les références. Une œuvre unique, avec des spécificités tant techniques qu’esthétiques, qui tranche dans le paysage de l’art contemporain et invite à visiter de nouvelles frontières. "Singularité" est une invitation au voyage. Mai Tabakian crée des œuvres singulières qui mettent en dialogue par le biais d’un langage fait de signifiants asiatiques et de signifiés européens; à l’image de l’œuvre (...) Comme chez les Grecs, le mythe se mêle aux mathématiques dans l’œuvre de Mai Tabakian. Les cibles de "Flying Targets" sont une mise en abîme de la spirale de l’œuvre. Elles semblent comme aspirées par un invisible trou noir, au centre duquel se trouve la "singularité", selon les termes scientifiques de l’astronomie. La singularité est le point infinitésimal où est concentrée toute la matière de l’étoile ; ou pourrait-on dire de "L’étoile noire", cette œuvre forte de l’exposition, qui domine l’ensemble des "Nucleus". Autour de la singularité se trouve "l’horizon des événements", une région de l’espace où rien ne peut échapper à sa gravité, pas même la lumière. Une région mouvante et aspirante qui nous captive, qui nous hypnotise et nous amène, tel un cycle cinétique perpétuel à la spirale de "Spectrum Invaders". (...) En littérature, la "singularité" c’est l’être au monde de l’auteur, c’est cette permanence qui le rend tout à la fois en rapport avec le monde et hors du monde. Cette singularité s’incarne dans le style*. Le style dit à la fois tout du monde, tout d’un monde, et tout de l’impossible compréhension globale du monde. D’aucun pense souvent que le style se donne à voir immédiatement. Mais ici, le "style" est un mystère. Le fil ne tisse pas l’œuvre, il ne joue pas un rôle de l’ombre entre les étoffes, mais il s’affirme comme le trait du dessin, comme acte créateur, visible, existant à part entière. L’œuvre de Mai Tabakian est aussi singulière en ce sens qu’elle affirme un acte d’existence, un féminisme assumé, sans en faire pour autant un sujet à traiter. Sa technique spécifique, son traitement du tissu et son usage du fil, son goût pour l’éclatement des couleurs est un langage de la singularité féminine dans la création, notamment contemporaine, qui n’est pas sans rappeler les œuvres de Louise Bourgeois ou de Nikki de Saint Phalle. Dès lors que l’on a posé cela, il ne peut être anodin que la fleur, la rosace, le cercle et le cycle soit des figures omniprésentes du travail de l’artiste. Les oeuvres de Mai Tabakian sont des litotes complexes du monde. Elles disent le "tout", elles disent l’universel, par la singularité; c’est à dire l’unicité, l’étrangeté aussi, l’affirmation d’être en tout cas.

Auteur: Poizat Céline

Info: http://www.maitabakian.com/2016/03/singularite-texte-de-celine-poizat.html

[ beaux-arts ] [ exister ]

 

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parole

[...] ce n’est pas que le sujet soit absent de la chaîne des signifiants,

– ce n’est pas que nous ne soyons pas dans les mille et un événements qui vont succéder,

– c’est que le sujet est, mais comme effacé, que le sujet "s’aphanise", s’évanouit chez l’Autre.

Si maintenant, nous nous rapportons à la castration et à la distinction établie par Lacan, il y a déjà plusieurs années, entre avoir le phallus et l’être, nous verrons ce concept d’aphanisis* se dédoubler d’après la place que le sujet occupe en référence au signifiant ou bien à l’objet phallique.

Je ne puis entrer ici dans l’examen approfondi d’un point que nous avons traité ailleurs.

Demandons-nous simplement, en manière de rappel, ce que nous voulons dire quand nous utilisons l’expression bien connue d’"être châtré".

Nous y mettons trois significations.

Tout d’abord que l’être parlant ne s’affronte au sexe qu’avec deux moyens :

– le signifiant (symptôme ou pas),

– et le fantasme, moyens artisanaux car incapables de résoudre l’impasse de la jouissance, entendue ici comme inexistence du rapport sexuel.

Ensuite, que le recours au signifiant est une contrainte et une soumission :

– contrainte à une répétition inutile car la suppléance ne s’accomplit pas, elle rate,

– soumission au terme qui ordonne cette répétition : le signifiant phallique.

Avoir le phallus veut dire ceci, n’avoir rien du tout et rester cependant soumis à la fonction phallique.

Et, enfin, voici que ce travail inexorable de mettre des signifiants l’un après l’autre au cours d’une vie, le sujet s’éteint passivement, s’aphanise. C’est là une des formes de disparition.

L’autre forme relative à être le phallus dépend d’une dimension bien différente, celle du fantasme où nous voyons disparaître le sujet caché derrière l’objet fantasmatique.

Il faut donc très sommairement distinguer deux classes d’aphanisis, deux façons de ne plus être là (ce qui est tout autre chose que de ne pas être là) :

– une façon propre à la répétition,

– l’autre propre à l’occultation.

On voit donc que la castration n’est pas, comme on pourrait le croire, une opération négative d’élimination d’un organe.

Au contraire, châtrer est un travail de prolifération inexorable de signifiants successifs.

Et, si quelque chose est affecté de privation, ce n’est pas le pénis, c’est le sujet lui-même.

Châtrer c’est décapiter, car plus les signifiants insistent et se répètent, plus le sujet est en moins.

Si maintenant, pour résumer, nous changeons de vocabulaire et nous demandons à nouveau : qu’est-ce que la castration ? nous dirons qu’elle est une initiation, une entrée de l’enfant dans le monde de l’échec en vue d’aborder la jouissance (même pas la connaître, seulement la signifier), au prix de disparaître.

Une fois de plus, nous aboutissons à la même conclusion : l’enfant entre dans le monde et il pâlit.

Auteur: Nasio Juan David

Info: La topologie et le temps, intervention lors du séminaire de Jacques Lacan, 15 mai 1979 *terme désignant le défaut d'apparition ou la disparition du désir sexuel

[ division subjective ] [ sexuation ] [ définition ]

 
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lassitude

Dans l’ennui, je dirais, ce qui nous arrive, c’est que nous accédons à une perception douloureuse de la répétition, la répétition se donne à nous sous le biais du monotone et par cette dimension du monotone, ce qui se produit, si vous y pensez bien, vous verrez que ça coïncide avec quelque chose... je m’excuse d’aller un peu vite, mais je crois qu’on peut le dire quand même ...ça correspond avec quelque chose de l’ordre de l’usure de la métaphore paternelle.

Les métaphores s’usent : regardez un mot d’esprit, il fait de l’effet un temps, un mot d’esprit s’use, une fois usé, effectivement il est monotone. Je dirais que l’usure de la métaphore, l’effet de cette usure... et cette usure se produit justement sous l’effet de l’impact de ces signifiants qui persistent dans le Réel et qui sont corrodants sur la métaphore ...cette usure, je dirais qu’elle est liée à l’apparition du déchet dans notre univers. [...]

L’usure de la métaphore, vous pouvez repérer qu’elle est lié à l’apparition dans notre univers du déchet,

– que ce déchet soit de l’ordre subjectif avec ce qu’on appelle la culpabilité ou le péché,

– ou que ce déchet soit même l’apparition de ce déchet qu’est notre corps propre dans la mesure ou notre corps dans la perspective de cet ennui ou de cette monotonie, ce qui lui arrive, c’est qu’il peut se mettre parfois à être, je dirais, soumis à une loi qui serait la loi exclusive du réel, je veux dire la loi de la pesanteur, je veux dire par là que lorsque notre corps se mettrait à se manifester par le fait qu’il pèse parce qu’il ne serait soumis qu’à la loi de la pesanteur, eh bien, vous avez là, l’accentuation de la fonction de ce déchet qu’est notre corps tout à l’opposé, si vous voulez, quand le corps est soumis à cet autre Réel qui est celui du signifiant qui l’allège, ce qui fait que vous voyez certaines personnes marcher dans la rue qui semblent ne pas peser, qui semblent être comme une plume, quel que soit leur poids, c’est quelque chose de cette nature et on peut dire que ce déchet qu’est le corps quand il se met à peser, eh bien, nous pouvons l’opposer à ce qui arrive au corps quand brusquement il s’allège, il s’allège par exemple dans la fête ou dans le repas totémique, ou tout simplement dans l’amour, dans le coup de foudre, la foudre sidération, ce que représente pour un homme ce signifiant de haute intensité psychique qu’est la femme, ce signifiant sidérant, il faut reconnaître qu’il a le pouvoir, en suscitant l’amour - et puis le terme de ce terme de femme fatale nous fait peut-être sentir que par cette fatalité, ce que l’homme rencontre de fatal, c’est quelque chose de l’ordre du signifiant du Nom du Père - eh bien, qu’est-ce qui se passe quand on perd la tête dans l’amour, ou le corps c’est que vous devenez tellement légers ou allégés que comme à la limite, comme le maniaque vous perdez votre lest, vous devenez fous, ne pesez plus rien, vous perdez le corps, la tête.

Et alors ce que je voulais vous signaler, c’est que cette consomption ou cette consumation du reste qu’est cette consumation du corps quand il ne pèse plus, eh bien, repérez que justement dans le repas totémique ou dans les fêtes qui sont étudiées dans les sociétés magiques, les restes, corrélativement à l’incorporation du père, il y a cette cérémonie, ce qui a été peu retenu par Freud, qui consiste à brûler les restes.

Auteur: Didier-Weill Alain

Info: La topologie et le temps, intervention lors du séminaire de Jacques Lacan, 8 mai 1979

[ causes ] [ calcification ]

 
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stratégie du capitalisme

Le cul est devenu une silhouette. Et quelle silhouette ! Celle de l'archétype Hollywoodien. Les jeans à l'origine tenue de travail, permettent de camoufler cette promotion mondaine, du derrière. La tenue de vulgarisation Hollywoodienne pourra même être proposé comme mépris de toute sophistication mondaine (constante inversion des significations de la réalité par les signifiants mondains). Hollywood est descendu dans la rue, et les idéologies diront que la jeunesse tourne le dos au passé, qu'elle méprise les modes ! Promotion du derrière : il est devenu enfin une silhouette et celle-ci est celle de la mode. Une matière a pris forme. Ce qui était en puissance est devenu en acte. La sexualité a revêtu la mode. Quelle séduction ! Quel triomphe narcissique ! L'objet lourd, gros, obscène, la femme encombrée de son derrière, culpabilité secrète, pesante, pendante au dos (étalée sur la poitrine) s'efface et devient la silhouette longue, fine, souple, galbée, élégante "sans le vouloir", nonchalante, décontractée. Libre, l'unisexe. Pour revendiquer l'identité, (laquelle ?).

Le couturier vous faisait porter la toilette : toute une civilisation. Et celle-ci s'avérait non seulement incapable de résoudre le problème mais aussi de le poser. Que faire d'un derrière qui révèle, dans le moindre geste, à travers la sexualité, la maternité ? Cet élargissement du bassin, cette disposition de l'os iliaque, qui proclame la fonction de l'espèce en même temps que le désir de la créature ?

Le couturier ne savait comment s'y prendre : le cacher ou le révéler, le révéler en le cachant ? Ce qui s'avérait alors c'est l'ambiguïté du statut de la femme : objet de désir et moyen de reproduction, et à mesure que la bourgeoisie accède à la société civile - à la sphère des besoins - l'idéologie du désir se développe de telle manière que le derrière, moyen de reproduction est de trop (de Rubens, Fragonard, Delacroix, Renoir à Van Dongen et Modigliani)

Le nouveau bourgeois devenu le parfait consommateur ne veut que d'un derrière objet de désir. Le derrière de la pondeuse doit s'effacer pour ne plus être que la silhouette inventée par la libido capitaliste.

Cette opération est réalisée par les blue-jeans. L'eurêka de la mondanité : l'uniforme du désir, l'objectivation de la phallocratie. Voici le nouveau corps prêt à porter, le corps du désir. Les couturiers peuvent aller se rhabiller. Les modélistes doivent se soumettre au modèle. Certes, déjà la mode était descendue dans la rue. L'élégance des modélistes était devenue celle du prêt-à-porter. L'imitation de Chanel pour un dernier combat d'arrière-garde, une banalisation chère. Alors la femme pauvre élégante. La toilette de la femme qui ne peut la porter. Quel style : la prétention petite-bourgeoise de sa maman, affichée, proclamée. La copie de la copie comme bonne tenue respectueuse. Le blue-jeans permet de franchir d'un bond barrières et niveau de l'étiquette bourgeoise, pour revêtir le corps idéal, celui qu'Hollywood a mis si longtemps à forger dans son usine à rêver. Les jeans permettent de passer de la robe modèle au corps modèle. La toilette était valorisante du couturier de la mode. Elle revêtait le corps. Alors que les jeans donnent forme - parfaite - au corps. Le corps réinventé ! Une autre peau. La forme culturelle, d'abord prototype de l'usine à rêver, est reproduite en série. C'est le modèle parfait qui devient prêt-à-porter. Il suffit de l'endosser pour se l'approprier.

Blue-jeans, rêve de femme ! À la portée de toutes, corps parfait revêtu en masse. Enfin une féminité désencombrée de la maternité, le sexe sans la reproduction, le désir sans le mariage et le mariage avec le divorce. Le corps libre, naturel, spontané ! Le corps sans la toilette ! Le corps sans la mode !

C'est toute l'idéologie de la libéralisation qui est endossée avec les jeans. Idéologie sans laquelle ces jeans ne seraient qu'un banal instrument de mode.

Auteur: Clouscard Michel

Info: Le capitalisme de la séduction (1981, 340 p., éditions delga, 2006, p.49, 50, 51)

[ évolution vestimentaire ] [ féminisme ] [ masculinisation vestimentaire ]

 

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prospective FLP

Les listes furent parmi les premiers emplois, sinon le premier, quant à l'utilisation humaine de l'écriture comme outil communautaire. Elles avaient fonction d'inventaire, c'est à dire de faire un état des lieu des réserves dans un but de survie du groupe. C'est dire si ces signes alignés sur un mur de pierre avaient une réalité, une durabilité, en eux - signifiés avec signifiants en béton. Ces marques "pour mémoire" portaient donc une réelle valeur de conservation temporelle et ce qui était ainsi catégorisé, mis dans un rayonnage, l'était pour plusieurs jours au moins.

Il semble assez clair que les milliers d'années  de développement du langage, en partie "sur support externe", déployement dans le temps qu'on résumera par foisonnement-accélération, (c'est à dire la virtualisation d'un réel qui restera à tout jamais la roche-mère des signes et idiomes), ont accentué un décalage. Une déconnection pas assez soulignée à notre sens.

La réalité, priméité source (clin d'oeil à C.S. Peirce), déformée par cet emballement, se retrouve du coup "distancié", superficialisée. Avec pour défaut central une déformation du TEMPS sémantique dans sa valeur anthropique (il n'en a pas d'autre d'ailleurs, ah ah ah). C'est à dire que le fonctionnement biologique du primate humain reste beaucoup plus proche du réel sumérien, alors que son "réel projeté" actuellement par le langage (pour les images c'est pire) s'est accéléré/complexifié. 

L'idée sur laquelle nous voulons insister est celle d'une déconnexion entre mots/phrases consensuels acceptés et leurs valeurs réelles en terme de signification/classification - le temps des hommes s'écoulant. Nous considérons que les qualités sémantiques actuelles n'ont plus le poids et la durabilités qui étaient les leurs jadis, que ce soit il y a 200, 500, ou 5000 ans.

Faut-il tenter de l'expliquer mieux, pour que les gens acquiérent un certain recul ? Faut-il clarifier/consolider les dictionnaires, thésaurus et autres définitions sémantiques actuelles ? Nous n'en savons rien. 

Nous voulons juste pointer sur ceci : "il y a un déphasage, un manque de sagesse, à ne pas prendre en compte ce constat, à savoir que les significations des mots et des expressions, elles-mêmes issues d'habitudes de rangements avec base durable en arrière-plan, méritent qu'on se ré-attarde dessus". 

Il faut préciser et sans cesse repréciser leurs sens, dans leurs contextualisations bien sûr. Avec deux a priori : 

a) Une volonté de ralentir le plus possible la précipitation de la pensée, c'est à dire en réfrénant les pulsions "pousse-à-jouir" de nos organismes, que la clinquante pub capitaliste ne s'est pas gênée d'exploiter à mort, et les routines de langages inhérentes - qui pensent à notre place - et nous amènent à dégueuler des avis "sans réfléchir". 

b) Toute classification doit être considérée comme éphémère/transitoire, puisque toujours établie en fonction d'un objectif : se justifier, expliquer, définir, raconter, etc...

Poussant cette idée plus avant FLP s'imagine un développement permettant de présenter n'importe quel concept/extrait (ou une base de 2 ou plusieurs mots/termes ou autre) via une résentation planétoïde de ses tags/catégories. C'est à dire une sphère de corrélats (convexe ou concave, c'est à voir), qu'on pourra faire pivoter à loisir, à la surface de laquelle il sera également possible de déplacer et agencer chaque mot-corrélat en fonction des autres afin de modifier-orienter-préciser l'ordre des termes, ou les résultats, d'une recherche. Chacune de ces dispositions globulaire "catégorie-corrélats" pouvant aussi être mémorisée par l'utilisateur selon ses convenances, afin, par exemple, de la comparer avec d'autres extraits/écrits/concepts via leur présentations globulaires de corrélats... voire même avec certaines situations/contextualisations - imaginaires ou pas - pareillement bien fixées/précisées.

Ainsi sera-il peut-être possible de déceler certaines similitudes entre topologies sémantiques complexes (toujours via leurs dispositions planétoïdes) et ainsi débuter ce que nous nommerons "recueil atemporel comparé d'intrication sémantiques complexes." 

C'est ici que, peut-être, appaitrons des analogies entre langage et biologie... Ou autre.

Auteur: Mg

Info: début août 2021

[ statistiques linguistiques ] [ pré-mémétique ] [ réidentification ] [ tétravalence ]

 
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clinique du discours

Lacan [...] définit le sujet de l'inconscient comme étant assujetti aux signifiants qui le constituent et le représentent. Le "sujet" lacanien n'est pas identifiable à l'homme en tant qu'individu qui vient consulter le psychanalyste ou à celui qui serait susceptible de faire l'objet d'une étude anthropologique ou philosophique.

C'est le sujet qui vient se dire, et sous une forme méconnue par l'intéressé lui-même.

Il faut l'Autre ( place occupée par le psychanalyste ) pour entendre ce qui vient se signifier, plutôt que se dire. Il convient de rapprocher ce sujet de la linguistique dans la mesure où celui-ci est le support d'une division entre le sujet de l'énonciation et le sujet de l'énoncé - avec les impasses que cela comporte, comme en témoigne le célèbre paradoxe du menteur.

Cependant, là où la psychanalyse fait apparaître la division du sujet, c'est dans son double rapport, d'une part, au signifiant qui le représente auprès des autres signifiants, d'autre part, dans ce qui le supporte dans son rapport à l'objet, c'est-à-dire dans son fantasme.

L'objet, que Lacan désigne comme "objet a", l'objet même de la psychanalyse, a ainsi une définition structurale; comme étant dans un rapport fondamental, fantasmatique au sujet; sa place peut être occupée par l'un quelconque de ces objets ( sein, pénis, face, oeil, savoir...) dont la psychanalyse a montré l'importance prévalante qu'ils ont dans l'organisation fantasmatique.

Le psychanalyste se soutient de cette place, celle de l'objet a, puisque c'est à partir de là qu'il peut entendre ce qui vient se signifier dans le discours de son analysant, c'est-à-dire le sujet même qui parle par sa bouche à travers les détours et les méandres de son discours. Et cela constitue donc une éthique, qui est une éthique du sujet, celle-là même qui est énoncée dans la célèbre phrase de Freud : Wo es war, soll Ich werden, improprement traduite par : " Là où le ça était, le moi doit advenir" - ce qui renvoie à la deuxième topique et à la théorie impliquée par l'ego psychology. Lacan traduit différemment: " Là où c'était, le je - le sujet - doit advenir ", formule digne d'être soulignée, parce qu'elle exprime le seul sollen, le seul "devoir être" qui soit cohérent avec la doctrine psychanalytique.

La psychanalyse est une éthique du sujet, c'est-à-dire du rapport qu'entretient celui-ci avec le désir. On peut dire aussi que cela consiste dans la traversée du fantasme: non par la suppression du fantasme, qui supposerait la possibilité d'un accès direct au réel, et ainsi une organisation du désir comme étant portée exclusivement par un assujettissement du sujet aux signifiants du discours psychanalytique ( ce qui serait de l'ordre de la conversion religieuse), mais par la possibilité pour le sujet de prendre en compte ce qui, de son désir, ne cédera pas, parce qu'enraciné dans le fantasme.

Une lecture hâtive et tendancieuse du Séminaire de Lacan lui attribue ce sollen: " Ne pas céder sur son désir". Lacan disait exactement: " La seule chose dont on puisse être coupable, au moins dans la perspective analytique, c'est d'avoir cédé sur son désir". Il en parlait à propos du héros, et tout particulièrement d'Antigone, qui certes ne cédait pas sur son désir face à Créon, au pouvoir, à la société. Lacan propose une analyse assurément différente de celle de Hegel, par exemple, pour qui Antigone était coupable de ne pas se plier à la loi, celle de l'Etat, et d'obéir aux dieux lares, dieux intérieurs et inférieurs. C'est sans doute à cela qu'aboutirait une analyse sociologique ou psychiatrique de la tragédie antique en jugeant qu'Antigone n'a pas fait le deuil de son frère, ou qu'elle est paranoïaque! Mal adaptée sans doute à sa société, manquant de souplesse à l'égard des compromis qui lui sont offerts.

Antigone, grâce au regard de l'analyse lacanienne, se voit reconnaître le droit de ne pas céder sur son désir, c'est-à-dire sur le fantasme fondamental qui la lie à son père, à ses frères, aux Atrides, qui lui donne son identité subjective et lui font affronter la mort et l'opprobre.

C'est ainsi que le héros, au sens lacanien, n'a certes pas attendu la psychanalyse pour mettre en échec l'éthique du maître, ici incarné par Créon et par le choeur. Mais aussi - et c'est bien là que la psychanalyse fait apparaître la spécificité d'une éthique - une telle lecture de notre expérience d'analystes nous permet d'entendre quel est le lieu où le sujet ne cédera pas, dans son fantasme, sur son désir - à l'encontre de tout ce que tentent de lui imposer une famille bienveillante, une société répressive ou des psychiatres, hommes de bien, animés des intentions les meilleures et les plus humanitaires. C'est en dépit de toutes ces tentatives que le névrosé le plus modeste témoigne de ce qu'il y a des points sur lesquels on ne cède pas, même si cela se paie par les pires malheurs, jusqu'à la mort inclusivement.

L'éthique du psychanalyste ne consiste pas à proposer ou à imposer une nouvelle morale concernant le désir, mais à faire apparaitre le sujet là où n'existaient que des forces obscures et contradictoires qui ne pouvaient jusqu'alors se signifier, faute d'avoir été entendues. C'est là qu'elle diffère radicalement de ce qui, d'une manière ou d'une autre, découle du discours du maître, c'est-à-dire la production d'énoncés prescriptifs qui sont censés assurer à l'esclave plus de biens, plus de jouissance, et même, plus de désir, plus de liberté.

Il est finalement significatif que tant de disciples de Freud et de Lacan aient retourné les énoncés descriptifs qu'ils avaient produits pour en faire des énoncés prescriptifs. "Guéris!", dit Sandor Ferenzi; "Jouis!", dit Wilhelm Reich; "Sois un machine désirante!" dit Félix Guattari; "Ne cède pas sur ton désir!", dit Jacques-Alain Miller.

La position du psychanalyse est "antiprescriptive". Elle s'annonce dans la règle fondamentale, c'est-à-dire dans une incitation à continuer à parler, mais surtout sans que l'analysant s'impose à lui-même des règles: celle de dire ce qu'il croit devoir dire, celle de taire ce qu'il croit devoir taire.

Auteur: Clavreul Jean

Info:

[ fonctionnement ] [ exorcisme ] [ mise en abyme ]

 
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lacanisme

1. Dans Le Moi dans la théorie de Freud et la technique de la psychanalyse, Lacan nous dit : "Vous voyez les possibilités de démonstration et de théorèmatisation qui se dégagent du simple usage de ces séries symboliques. Dès l’origine, et indépendamment de tout attachement à un lien quelconque de causalité supposée réelle, déjà le symbole joue, et engendre par lui-même ses nécessités, ses structures, ses organisations. C’est bien de cela qu’il s’agit dans notre discipline, pour autant qu’elle consiste à sonder dans son fond quelle est, dans le monde du sujet humain, la portée de l’ordre symbolique".

Il semble bien qu’il ait fait ici une démonstration à visée théorèmatique… comme il dit. L’ordre symbolique, communément représenté par la structure du discours, s’impose à nous : il n’y a pas de je parle dans mon discours, il n’y a que du ça parle ! C’est la Loi symbolique du signifiant qui parle lorsque l’Homme se met à discourir. L’inconscient est structuré comme un langage, nous disait Lacan, et il est pris, comme prisonnier, dans l’autonomie syntaxique du réseau des signifiants.

2. La théorèmatique de Lacan nous renseigne sur la praxis analytique : "Cette position de l’autonomie du symbolique est la seule qui permette de dégager de ses équivoques la théorie et la pratique de l’association libre en psychanalyse". 

En effet, dans l’association libre, les signifiants s’enchaînent les uns après les autres, selon un hasard qui n’a rien à voir avec l’aléatoire, mais qui transpire la détermination symbolique liée à un réel qui se rate et qui ne peut se dire autrement que par l’insistance de son absence, jusqu’au signifiant premier lui-même. La répétition est le leurre symbolique car ce qui brille par son absence reste introuvable dans la série du hasard et se rate à chaque coup de dés.

De plus, Lacan nous indique que "seuls les exemples de conservation, indéfinie dans leur suspension, des exigences de la chaîne symbolique […] permettent de concevoir où se situe le désir inconscient dans sa persistance indestructible".

Le désir inconscient serait donc perceptible par l’insistance de certains signifiants dans la chaîne symbolique du discours libre, dont la persistance ne serait que le témoin de la dérobade perpétuelle d’un signifiant-clé, ou réel, qui échappe systématiquement au discours parce que soumis à la loi syntaxique du refoulement inconscient.

La rencontre avec le réel, tuchê, dans le réseau des signifiants, automaton, est une rencontre manquée, ratée, toujours ajournée, reportée à plus tard, au hasard d’une rencontre future, qui se ratera inexorablement.

"Ce qui est caché n’est jamais que ce qui manque à sa place" et c’est bien là le point crucial qui doit nous faire porter notre attention sur la certitude de ne pas voir ou de ne pas trouver ce qui est pourtant là, sous nos yeux et qui nous est invisible, à l’instar de la lettre volée. La place du signifiant dans le symbolique décide des coupures et des changements de syntaxe qui sont l’essence de la détermination symbolique. On ne peut forcer le hasard… ni contraindre le réel à se montrer, sauf peut-être si l’on admet que le réel se présente comme une trouvaille prête à se dérober à nouveau, introduisant ainsi la dimension de la perte. Le réel n’est finalement qu’un trou, perceptible uniquement par ses bords. Et ce qui est caché n’est que ce qui manque à sa place dans le symbolique, car dans le réel, il y est toujours, à sa place. Ce réel, lié au désir inconscient, persiste et signe tout au long de nos discours, alors même qu’il s’en trouve exclu.

3. La causalité de cette exclusion inéluctable s’amorce dans la parole. Stéphane Mallarmé écrivait en 1897 le poème qui commence par "Un coup de dés jamais n’abolira le hasard" et qui finit par "Toute pensée émet un coup de dés". À chaque fois que la parole se fait entendre, la répétition symbolique est à l’œuvre et modifie par rétroaction les places des signifiants antérieurs, comme des métamorphoses des réminiscences imaginaires ou symboliques. Ces métamorphoses rendent alors encore plus opaque la loi syntaxique et dissimulent sous des aspects objectivables et abordables par le conscient, la vérité de l’ineffable réel.

Or, les lois de la détermination symbolique sont antérieures à toute parole, en ce sens qu’un chiffre n’est jamais choisi au hasard : même s’il existe d’étranges coïncidences que l’on pourrait croire liées au destin ou même s’il existe des lois mathématiques réelles permettant de prédire la probabilité d’apparition d’une rencontre parmi toutes, seule la coupure engendre la loi et ce n’est qu’à l’exhiber dans le symbolique que cette coupure peut faire émerger le nouage d’avec le réel.

Dans l’association libre, que l’on aimerait imager comme une suite de signifiants choisis au hasard, la loi syntaxique inconsciente est considérée par l’analysant comme une vérité subjective, voire même éclairante. Or, la coupure qu’insuffle l’analyste au moment même où cette certitude s’ancre dans le symbolique, va chambouler la loi qui s’était inscrite et remettre les compteurs à zéro : à partir d’un signifiant dernier, une nouvelle association libre commence alors, accompagnée de la loi syntaxique inconsciente, qui, elle, se répète encore peut-être à l’identique. Quoi qu’il en soit, les coupures insufflées par l’analyste bouleversent et métamorphosent le réseau, en tant que système, des signifiants et accompagnent l’analysant dans sa quête asymptotique d’un réel indicible, dont seule la tuchê, en tant que rencontre manquée, reflète le stigmate.

La coupure a donc le pouvoir de réveiller la tuchê, en désarçonnant la loi de l’automaton.

Et c’est bien ce que l’analyste Jacques Lacan vient de faire devant nous en différé : une coupure. Son regard singulier sur la structure de l’Inconscient, régi par la loi des signifiants, insuffle cette coupure qui nous permet, à nous ici, d’éviter le malentendu en prenant conscience de la suprématie de la loi des signifiants dans nos discours, suprématie qui nous constitue en tant que "parlêtre".

Enfin, écoutons Lacan dans Les quatre concepts… : "Le côté formé de la relation entre l’accident qui se répète et ce sens qui est la véritable réalité et qui nous conduit vers le Trieb, la pulsion, voilà ce qui nous donne la certitude, qu’il y a autre chose pour nous, dans l’analyse, à nous donner comme visée de démystifier l’artefact du traitement que l’on appelle le transfert, pour le ramener à ce qu’on appelle la réalité prétendument toute simple de la situation."

Ceci pour clore sur ce que Lacan répètera souvent : le transfert, entre analyste et analysant, n’est pas la répétition d’une affection (amour ou haine) inscrite dans le passé affectif de l’analysant, bien que le transfert puisse être le lieu d’une répétition symbolique. L’analyste est le sujet supposé doté d’un certain savoir, sans doute celui de distinguer l’automaton de la tuchê, c’est-à-dire de reconnaître, dans la profusion automatique du réseau des signifiants du discours de l’analysant, ce qui peut être coupé ou saisi au vol et qui tient de la rencontre avec le réel.

En d’autres termes, ce qui est à découvrir n’est pas ce qui se répète, mais bien au contraire ce qui se dérobe systématiquement et le transfert psychanalytique est sans doute une voie (une voix ?) souscrivant à cette rencontre impossible.

Auteur: Sofiyana Agnes

Info: Tuchê et Automaton. Introduction à l'Introduction au séminaire sur La Lettre volée. In, La clinique lacanienne 2004/2 (no 8), pages 199 à 220. Epilogue

 
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question

La pensée est-elle contenue dans le langage?

Suite de notre série d’été: selon les scientifiques, les mots suggèrent toujours plus que la pensée qui les a fait naître.

" Me promenant en ville, l’autre jour, j’ai entendu tout à coup un miaulement plaintif au-dessus de moi. J’ai levé les yeux. Sur le bord du toit se trouvait un petit chat. "

Il suffit de lire (ou d’écouter) ce début d’histoire pour " voir " aussitôt la scène: le toit, le petit chat, le promeneur qui le regarde. A quoi ressemble ce chat? Peu importe qu’il soit blanc ou noir, le mot renvoie à ce que tout le monde connaît: un animal à quatre pattes, une queue, des oreilles pointues, des yeux ronds, qui miaule (et parfois ronronne).

Mais sans l’existence d’un mot ­général qui désigne tous les types de chats – roux, noirs, blancs, tigrés, assis ou debout, gros ou maigrelets… –, aurait-on une idée générale de l’espèce " chat "? Notre monde mental ne serait-il pas dispersé en une myriade d’impressions, de situations, d’objets tous différents? Deux conceptions s’opposent à ce propos.

La plupart des philosophes, psychologues et linguistes, au début du XXe siècle, partagent cette idée: le langage étant le propre de l’homme, c’est lui qui donne accès à la pensée. Sans langage, il n’y aurait pas de pensée construite: nous vivrions dans un monde chaotique et brouillé fait d’impressions, de sensations, d’images fugitives.

C’est ce que pensait Ferdinand de Saussure, le père de la linguis­tique contemporaine, qui affirmait dans son Cours de linguistique générale (1916): " Philosophes et linguistes se sont toujours accordés à reconnaître que sans le secours des signes nous serions incapables de distinguer deux idées d’une façon claire et constante. Prise en elle-même, la pensée est comme une nébuleuse où rien n’est nécessairement délimité. " Et il ajoutait: " Il n’y a pas d’idées préétablies, et rien n’est distinct avant l’apparition de la langue. " Vers la même époque, le philosophe du langage Ludwig Witt­genstein était parvenu à la même conclusion: " Les limites de mon langage signifient les limites de mon monde ", écrit-il dans le Tractacus (1921). Un peu plus tard, dans Pensée et Langage (1933), le psychologue russe Lev S. Vygotski le dira à sa manière: " La pensée n’est pas seulement exprimée par les mots: elle vient à l’existence à travers les mots. "

Si le langage produit la pensée, cette théorie a de nombreuses conséquences. D’abord que la linguis­tique tient une place centrale dans la connaissance du psychisme humain et que décrypter les lois du langage revient à décrypter les lois de la pensée. Sans le mot " chat ", on ne percevrait que des cas particuliers: des chats roux, blancs ou tigrés, sans jamais comprendre qu’ils appartiennent à une même catégorie générale. Le langage donne accès à cette abstraction, déverrouille la pensée.

Mais est-on vraiment sûr que, sans l’existence du mot " chat ", notre pensée serait à ce point diffuse et inconsistante, que, privé du mot, l’on ne pourrait pas distinguer un chat d’un chien? Les recherches en psychologie cognitive, menée depuis les années 1980, allaient démontrer que les nourrissons disposent, bien avant l’apparition du langage, d’une vision du monde plus ordonnée qu’on ne le croyait jusque-là.

Ces recherches ont donné du poids aux linguistiques cognitives, apparues dans les années 1970, qui ont introduit une véritable révolution copernicienne dans la façon d’envisager les relations entre langage et pensée. Les linguistiques cognitives soutiennent en effet que les éléments constitutifs du langage – la grammaire et le lexique – dépendent de schémas mentaux préexistants. Pour le dire vite: ce n’est pas le langage qui structure la pensée, c’est la pensée qui façonne le langage. L’idée du chat précède le mot, et même un aphasique, qui a perdu l’usage du langage, n’en reconnaît pas moins l’animal.

Les conséquences de cette approche allaient être fondamentales. Tout d’abord la linguistique perdait son rôle central pour comprendre le psychisme humain. Et la psy­chologie cognitive, qui se propose de comprendre les états mentaux, devait prendre sa place.

Ainsi, pour comprendre le sens du mot " chat ", il faut d’abord comprendre le contenu de la pensée auquel le mot réfère. Pour la psychologue Eleanor Rosch (une référence essentielle pour les linguistiques cognitives), l’idée de " chat " se présente sous la forme d’une image mentale typique appelée " prototype ", correspondant à un modèle mental courant: l’animal au poil soyeux, yeux ronds, moustache, qui miaule, etc. La représentation visuelle tient une place centrale dans ce modèle mental: ce sont d’ailleurs dans les livres d’images que les enfants découvrent aujourd’hui ce qu’est une vache, un cochon ou un dinosaure.

Georges Lakoff, élève dissident de Noam Chomsky et tenant de la sémantique cognitive, soutiendra que les mots prennent sens à partir des schémas mentaux sur lesquels ils sont greffés. Voilà d’ailleurs comment s’expliquent les métaphores. Si je dis d’un homme qu’il est un " gros matou ", personne ne va le prendre pour un chat, chacun comprend que je fais appel à des cara­ctéristiques sous-jacentes des gros chats domestiques: placides, indolents, doux. Ce sont ces traits sous-jacents qui forment la trame des mots et leur donnent sens.

Ronald W. Langacker  a appliqué les mêmes principes à la grammaire. Les structures de la grammaire ne reposent pas sur les lois internes au langage, mais dérivent de catégories mentales plus pro­fondes, notamment des représen­tations spatiales. Ainsi, dans beaucoup de langues, l’expression du temps (futur, passé) est décrite en termes d’espace: on dit " après"-demain ou "avant"-hier, comme on dit que le temps est " long " ou " court ".

Ces approches psychologiques du langage ont donc renversé le rapport entre langage et pensée.

Une des conséquences majeures est que le langage n’est pas le seul " propre de l’homme "; il n’est qu’un dérivé de la capacité à produire des représentations mentales, précisément des images mentales organisées en catégories. Au moment même où les linguistiques cogni­tives prenaient de l’importante, un autre courant de pensée, la prag­matique (à ne pas confondre avec le pragmatisme, un courant philosophique américain) allait proposer une autre version des relations entre langage et pensée.

Revenons à notre chat perdu. En utilisant le mot " chat ", nul ne sait exactement quelle image l’auteur de l’histoire a vraiment en tête: quelle est pour lui sa couleur, sa taille ou sa position exacte? Le mot a la capacité de déclencher des représentations, mais il ne peut les contenir intégralement. C’est sa force et ses limites.

Selon l’approche de la pragmat­ique, le langage n’est ni le créateur de la pensée (comme le pensait Saussure) ni son reflet (comme le soutiennent les linguistiques cognitives) : il est un médiateur qui déclenche des représentations. C’est un peu comme une étiquette sur une porte qui indique ce qui se trouve à l’intérieur (chambre 23, WC…) mais ne dit rien sur la couleur des murs, la forme du lit ou la position des toilettes.

Cela a d’importantes conséquences sur la façon d’envisager les relations entre langage et pensée. Le mot ne contient pas l’idée, il ne la reflète pas non plus, mais il l’induit. Quand on communique, on ne fait qu’induire une représentation. Le procédé est économique car il n’oblige pas à tout dire: le " toit " sur lequel est perché le chat renvoie ­implicitement au toit d’une maison et non à un toit de voiture, tout le monde le comprend sans qu’il soit besoin de le dire. Tous les mots comportent de l’implicite, qu’il s’agit de décoder.

En un sens, le langage, comme outil de communication, est réducteur par rapport à la pensée qu’il représente. Mais en même temps, les mots suggèrent toujours plus que la pensée qui les a fait naître, déclenchant chez ceux qui l’écoutent une infinité de représentations possibles. 

Auteur: Internet

Info: https://www.letemps.ch/ - Jean-François Fortier août 2013

[ signifiants symboles ] [ manifestations codées ] [ tiercités ] [ contextualisation générale ]

 

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