prescience
J’ai vu monter les pins
Vers le ciel. Impassibles.
À travers les feux des soleils.
Déjà j’ai vu l’incendie
Qui les consumera.
Sur un oreiller blanc
Les monts-ancêtres ont appuyé leurs têtes
Et se sont tus. —
Les pins bruissent.
(À qui parlent-ils ?)
Je les ai vus,
Colonnes ardentes
Qui cheminaient — vers le ciel…
Mon corps en cendres s’est effondré.
Auteur:
Kosovel Srecko
Années: 1904 - 1926
Epoque – Courant religieux: industriel
Sexe: H
Profession et précisions: poète
Continent – Pays: Europe - Slovénie
Info:
J'ai vu monter les pins
[
poème
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rancoeurs
Mes grands-pères se sont battus, ont écrit [dans leurs carnets intimes] et se sont tus. Ils ont été héroïques et sont revenus à des petites vies modestes [après la deuxième Guerre mondiale]. Sans la ramener. Eux qui ne disaient rien, nous qui parlons trop.
Nous parlons trop et on ne s'entend pas. Des enfants de colonisés, des petits-enfants de déportés, des arrière-arrière-petits enfants d'esclaves se livrent à une concurrence victimaire féroce qui crispe l'ensemble de la société. C'est une sale bataille où tout le monde perd. On préfère s'engueuler à propos d'hier plutôt que de construire demain. Si vous n'êtes pas d'accord, comparez les audiences des articles sur les polémiques mémorielles et de ceux traitant de l'environnement.
Auteur:
Blanc-Gras Julien
Années: 1976 - 20??
Epoque – Courant religieux: Récent et Libéralisme économique
Sexe: H
Profession et précisions: journaliste de profession et voyageur
Continent – Pays: Europe - France
Info:
Comme à la guerre
[
aveuglement passéiste
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justifications
]
[
communautarisme
]
gouille
Au-dessus de la flaque d'eau
Il s'est penché pour voir le ciel
Où glissent de grands vaisseaux blancs.
Un arbre y parle de merveilles,
Et tous les oiseaux se sont tus.
On dirait que le monde s'attarde
Dans une paix d'avant le monde
Et que le temps n'existe plus.
Puis il voit, à ses pieds, lui sourire
Un visage semblable au sien.
Alors, il se dit que tout est plus beau
De l'autre côté du miroir,
Que rien n'est plus vrai peut-être
Que cet arbre, ce ciel, ces oiseaux
Et cet enfant qui lui ressemble.
Il a pris tout son souffle, et soudain
A sauté dans la flaque à pieds joints.
Auteur:
Gabriel Pierre
Années: 1926 - 1994
Epoque – Courant religieux: Récent et libéralisme économique
Sexe: H
Profession et précisions: imprimeur typo artisanal, poète
Continent – Pays: Europe - France
Info:
" Chaque aube tient parole"
[
poème
]
[
enfance
]
femmes-par-hommes
Elle serait à la retraite dans quinze ans, si le gouvernement ne pondait pas une connerie d'ici là. C'était loin encore. Elle comptait les jours. Le week-end, elle voyait sa sœur. Elle rendait visite des copines. c'était fou le nombre de femmes seules qui voulaient profiter de la vie. Elles faisaient des balades, s'inscrivaient à des voyages organisés. C'est ainsi qu'on voyait des bus parcourir l'Alsace et la Forêt Noire, gorgés de célibataires, de veuves, de bonnes femmes abandonnées. Elles se marraient désormais entre elles, gueuletonnaient au forfait dans des auberges avec poutres apparentes, menu tout compris, fromage et café gourmand. Elles visitaient des châteaux et des villages typiques, organisaient des soirées Karaoké et des cagnottes pour aller aux Baléares. Dans leur vie, les enfants, les bonshommes n'auraient été qu'un épisode. Premières de leur sorte, elles s'offraient une escapade hors des servitudes millénaires. Et ces amazones en pantacourt, modestes, rieuses, avec leurs coquetteries restreintes, leurs cheveux teints, leur cul qu'elles trouvaient trop gros et leur désir de profiter, parce que la vie, au fond, était trop courte, ces filles de prolo, ces gamines grandies en écoutant les yéyés et qui avaient massivement accédé à l'emploi salarié, s'en payaient une bonne tranche après une vie de mouron et de bouts de chandelle. Toutes ou presque avaient connu des grossesses multiples, des époux licenciés, dépressifs, des violents, des machos, des chômeurs, des humiliés compulsifs. À table, au bistrot, au lit, avec leurs têtes d'enterrement, leurs grosses mains, leurs cœurs broyés, ces hommes avaient emmerdé le monde des années durant. Inconsolables depuis que leurs fameuses usines avaient fermé, que les hauts-fourneaux s'étaient tus. Même les gentils, les pères attentionnés, les bons gars, les silencieux, les soumis. Tous ces mecs, ou à peu près, étaient partis par le fond. Les fils aussi, en règle générale, avaient mal tourné, à faire n'importe quoi, et causé bien du souci, avant de trouver une raison de se ranger, une fille bien souvent. Tout ce temps, les femmes avaient tenu, endurantes et malmenées. Et les choses, finalement, avaient repris un cours admissible, après le grand creux de la crise. Encore que la crise, ce n'était plus un moment. C'était une position dans l'ordre des choses. Un destin. Le leur.
Auteur:
Nicolas Mathieu
Années: 1978 -
Epoque – Courant religieux: récent et libéralisme économique
Sexe: H
Profession et précisions: écrivain
Continent – Pays: Europe - France
Info:
Leurs enfants après eux, pp 418-419, Actes Sud, 2018
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ménopausées
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femmes-entre-elles
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sociologie
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