Les maths pures sont proches de la philosophie
(Photo : La chercheuse a participé à un échange scolaire en France en 2006, alors qu’elle était au lycée. C’est ce qui l’a incitée à s’inscrire en classes prépas à Lyon.)
Elle travaille à l'Institut des hautes études scientifiques, à Bures-sur-Yvette (Essonne), au sud de Paris, depuis juin 2022. Née en Chine, elle rejoint la France à 15 ans – " un vrai choc culturel " – et intègre l'École normale supérieure de Paris, avant d'obtenir un doctorat de l'École polytechnique fédérale de Zurich (Suisse) sous la direction de Wendelin Werner, lauréat de la médaille Fields en 2006. Travaillant à l'interface des probabilités, de l'analyse complexe et de la géométrie, elle sera présente au Paris-Saclay Summit, qu'organise Le Point les 12 et 13 février.
Le Point : - Quel est votre champ de recherche ?
Yilin W : - Imaginez un donut sur lequel une petite bille se déplace au hasard. Ce mouvement chaotique, qu'on appelle mouvement brownien, peut en réalité révéler des secrets sur la géométrie du donut. Par exemple, en étudiant ces déplacements, on peut deviner la longueur des " élastiques " imaginaires qui s'enroulent autour du donut, représentant les chemins les plus courts pour revenir au point de départ. Cette découverte relie le hasard pur à la géométrie, avec des applications allant des mathématiques pures à la physique et à la compréhension de systèmes complexes. (...)
Les mathématiciens prennent le temps de trouver une façon élégante et unique de comprendre quelque chose, de prouver des résultats qui resteront vrais pour l'éternité, et de transmettre cette compréhension. Pendant ce temps, l'intelligence artificielle se renouvelle sans cesse, fournissant des réponses en compilant les données. Cette différence permet une collaboration. (...)
Étant donné que les connaissances mathématiques disponibles aujourd'hui dépassent ce qu'un individu peut assimiler, l'intelligence artificielle pourrait être un outil précieux pour organiser ces connaissances et fournir des indications préliminaires. Cependant, elle est encore très loin de remplacer les mathématiciennes et mathématiciens. En fait, je ne vois pas comment elle pourrait un jour remplacer entièrement la créativité humaine. (...)
La compréhension humaine est mystérieuse. Un énoncé, avec exactement les mêmes mots, peut évoluer dans notre esprit avec le temps. Je serais stupéfaite si une intelligence artificielle parvenait à inventer le nombre imaginaire " i ", qui, au carré, donne – 1. Aujourd'hui, nous savons que les nombres complexes sont fondamentaux dans l'ingénierie, la physique et les mathématiques. Si toutes les données qu'une IA a vues indiquent que les carrés des nombres sont positifs, quelle audace faudrait-il pour envisager un nombre dont le carré est négatif ? (...)
Les maths pures sont plus proches de la philosophie et de l'art, une lumière émanant de l'intellect humain, avec parfois une efficacité surprenante dans les applications. Des exemples notables sont la relativité générale et la cryptographie. D'un côté, ces applications ne peuvent pas être planifiées, et toute planification limite l'imagination et la créativité. D'un autre côté, il ne faut pas tracer une ligne trop nette entre mathématiques pures et mathématiques appliquées, car les premières inspirent les secondes, et vice versa.
Années: 1991 -
Epoque – Courant religieux: Récent et libéralisme économique
Sexe: F
Profession et précisions: mathématicienne, chercheuse
Continent – Pays: Chine - France