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univers

Une formule célèbre dit que " nous ne voyons pas le monde tel qu'il est mais plutôt tel que nous sommes ". C'est une vérité profonde que les travaux de science cognitives confirment aujourd'hui le monde nous renvoie en permanence une multitude de signaux, nous en réduisons l'ambiguïté en choisissant ce que nous voulons voir. Ainsi, petit à petit, notre interprétation du monde nous façonne psychologiquement, culturellement et socialement. Cela ne veut pas dire pour autant que nous pouvons voir tout le temps ce que nous voulons voir, en d'autres termes que rien n'existe vraiment et que nous sommes libres de façonner notre propre réalité simplement en l'imaginant dans notre tête (...). Le réel existe et il est intangible, quand bien même on ne saurait l'appréhender sans que notre cerveau ne l'interprète. 


Auteur: Moukheiber Albert

Info: Votre cerveau vous joue des tours

[ miroir ] [ solipsiste ]

 

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écriture

Être écrivain en Occident depuis deux siècles, ce serait donc à la fois être contemporain d'un état du monde qui écrase, et savoir transformer cet insupportable en une étincelante invective ou, grâce à l'affûtage de la langue, une douce, une amère mélancolie. Depuis les romantiques, ce serait faire œuvre à défaut de faire l'histoire.

Auteur: Loyer Emmanuelle

Info: L'impitoyable aujourd'hui

[ fuite ] [ refuge ]

 

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Gaule

Saint-Exupéry avait quitté la France, d'abord pour l'Afrique du Nord, puis pour les Etats-Unis où il arriva le 31 décembre 1940. Il était loin d'y être inconnu. Son livre Terre des hommes - Wrind, Sand and Stars - venait d'être traduit et vendu déjà à 150 000 exemplaires. Il avait reçu le National Book Award en 1939, ce qui lui donnait une position clé sur le marché littéraire américain, une reconnaissance et une aisance qu'il partageait avec Jules Romains et André Maurois, et qui les distinguait fortement de leurs confrères universitaires.

Dès le début, il fut hostile à de Gaulle, hostile à ce qu'il considérait comme une mystification : " Dites la vérité, Général, nous avons perdu la guerre. Nos Alliés la gagneront " ; hostile aussi à la prétention qu'avait de Gaulle " chef d'une légion étrangère " de représenter la France. Après son arrivée à New York, les cercles gaullistes, dont " l'incontinence tricolore " le hérissait, le poussèrent dans ses retranchements : " Leurs phrases m'emmerdent ; leur pompiérisme m'emmerde ; leur ignominie m'emmerde ; leurs polémiques m'emmerdent, et je ne comprends rien à leur vertu. La vertu, c'est de sauver le patrimoine français en demeurant conservateur de la bibliothèque de Carpentras. C'est d'apprendre à lire aux enfants. C'est d'accepter d'être tué en simple charpentier. Ils sont le pays. Pas moi, je suis du pays. "

Si Saint-Exupéry n'aimait pas le Général, le Maréchal, quant à lui, l'appréciait et le démontra en nommant l'écrivain au Conseil national, une assemblée de notabilités constituées à Vichy. N'ayant rien demandé, celui-ci fit passer deux communiqués pour expliquer qu'il n'avait ni sollicité ni accepté d'aucune manière cette nomination. Lorsque Pilote de guerre fut publié en français et en anglais aux Etats-Unis, Saint-Exupéry voulut également qu'il parût dans la France occupée.

Auteur: Loyer Emmanuelle

Info: Paris à New-York : Intellectuels et artistes français en exil (1940-1947)

[ ww2 ] [ patriotisme ] [ lucidité ] [ fuyards ]

 

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procréation incompatible

" Monsieur Marcel " aurait dit à Céleste : " Je suis marié avec mon œuvre. " C'est là souligner l'incompatibilité entre la vie conjugale et le travail d'écriture. Si celui-ci est le cœur battant des préoccupations de la Recherche, fiction de son propre processus de création, il faut bien remarquer que la famille en est éliminée, la reproduction aussi - aucun enfant ne naît durant le long cours du roman ; quant à l’amour, il n'est qu'une illusion douloureuse et, du reste, passagère : celui de Swann pour Odette, du narrateur pour Albertine, de Saint-Loup pour " Rachel, quand du Seigneur " en sont les meilleures preuves.

Seuls l'amour maternel et grand-maternel sont véritablement dignes de ce nom. L'interdit sur la reproduction, ajouté chez Proust à une forme de renoncement à la vie sentimentale et sexuelle, est d'ailleurs là aussi l'objet d'une tradition, et solidaire du modèle sacerdotal, ascétique de l'écrivain-voyant, de l'oracle laïque. Faire des enfants ou faire œuvre ? C'est cette alternative qui se pose telle quelle à Jane Austen, Emily Dickinson, Virginia Woolf et Simone de Beauvoir, choisissant et justifiant ainsi leur refus d'enfanter.

Auteur: Loyer Emmanuelle

Info: L'impitoyable aujourd'hui

[ filiation maternelle ] [ littérature ] [ femmes-hommes ]

 

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ethnocide

Une extraordinaire page d'archive, conservée dans les " Papiers Lemkin " de l'université de Columbia, enregistre la cogitation du juriste et l'instant eurêka : d'abord, des " gribouillis " comme ceux que l'on fait dans une réunion où l'esprit s'absente ; la main qui tient le crayon semble soudain inscrire, en deçà de la raison tourmentée par le savoir contenu dans les valises, le mot-mana* de l'inconscient graphique : " génocide " émerge d'une série de ratures, puis se répète comme une litanie, écrit plusieurs fois, de nouveau biffé, et réécrit pour voir et entendre s'il sonne juste...

Ce gribouillis deviendra la pierre de touche de l'imposant ouvrage publié par Lemkin l'année suivante, en novembre 1944, Axis Rule in Occupied Europe, qui décrit les meurtres de masse perpétrés dans l'Europe sous occupation nazie.


Auteur: Loyer Emmanuelle

Info: L'impitoyable aujourd'hui. **mana désigne une force ou puissance spirituelle surnaturelle qui peut être attribuée à : Des êtres (personnes, ancêtres, esprits), des objets, des lieux, des paroles ou formules rituelles. Cette force est considérée comme sacrée et confère une efficacité magique ou un pouvoir charismatique. Ce terme est central dans les croyances et religions animistes de Polynésie, son usage s'est étendu au-delà du contexte océanien pour désigner plus largement une force spirituelle abstraite.

[ terminologie ] [ origine ]

 

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femmes-par-femmes

De lettres ou pas, les femmes deviennent au XIXe siècle de grandes lectrices de littérature romanesque. Lire c'est bien alors s’immerger tout entière dans l'univers fictif de l'ouvrage choisi. Ce type de lecture, qui correspond à l'avènement du roman, n'est pas sans interroger les autorités morales du siècle.

La lectrice de l'âge romantique devient en soi un motif d'époque, et même un sujet d'inquiétude ; les débats concernant les effets délétères de la " mauvaise littérature " sont récurrents dans les journaux du temps ; la description des nerfs affaiblis de femmes qui seraient les victimes consentantes de ce " vice " pas si impuni côtoie la représentation picturale de la lectrice " affalée sur un sofa, un divan, ou lovée dans son lit, la bouche rieuse et la mine gourmande, [...] lieu commun de la peinture érotique.

Les femmes qui lisent sont dangereuses ", écrit Michelle Perrot.


Auteur: Loyer Emmanuelle

Info: L'impitoyable aujourd'hui

[ délassement ] [ ​​​​​​​intellectuelles ] [ libérées ]

 

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patriotisme

Il est des moments stendhaliens de l'histoire de France. Son âpre vérité, cette intelligence douloureuse du temps présent, est alors recherchée pour son humeur vigoureuse, sa crudité tonique, son énergie analytique - celle de ses héros à l'ardeur aussi ironique que clairvoyante.

Ainsi en fut-il pendant la Seconde Guerre mondiale. En décembre 1940, Jean Guéhenno s'administre une dose de Stendhal pour se redonner du courage, relisant le petit traité que Léon Blum avait consacré à Beyle quelques décennies plus tôt. Son Journal des années noires est clandestinement stendhalien, comme si Henri Beyle s'affichait comme la plus sûre des boussoles lorsque tout s'affole.

Si les hommes de la Révolution nationale prescrivent Stendhal, peu enclin à s'engourdir dans la resignation vichyste, l'écrivain et journaliste Jean Prévost soutient en 1942, à l'université de Lyon, une thèse remarquée sur La Création chez Stendhal. Sans doute se préparait-il ainsi à la Résistance majuscule puisque, deux ans plus tard, il mourait les armes à la main dans le Vercors. Le livre parut après la guerre de façon posthume. Stendhal, peintre de l'ennui et de l'impuissance postbonapartistes, est alors lu comme un éveilleur, un réveilleur face à la barbarie.

Auteur: Loyer Emmanuelle

Info: L'impitoyable aujourd'hui

[ littérature ] [ Gaule ] [ relativité ] [ langage balise ]

 

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héros slave

Quant au maréchal Koutouzov, commandant en chef des forces russes en 1805 et de nouveau en 1812, il est réhabilité par Tolstoï contre les historiens français comme russes qui critiquèrent nombre de ses décisions - en particulier son opposition à toute offensive avant Borodino et son choix d'abandonner Moscou aux mains françaises.

Sous-estimé face à la fausse grandeur napoléonienne, Koutouzov est chez Tolstoï un personnage inoubliable, un homme rare et précieux, le vrai sauveur de la Russie. Mais certes pas un héros au sens classique du terme ! Il a le goût de la débauche, boit et mange trop, a tendance à s'endormir dans les réunions d’état-major... Ses ensommeillements malencontreux opposent toute sa force d'inertie aux décisions souvent absurdes et coûteuses des " agîtés ". En lui, dans sa corpulence de moujik, c'est toute la Russie qui s'incarne, patiente, fataliste, indomptable.

Maître du temps, il est le seul à anticiper l'hiver qui arrive et la signification de chaque événement, à chaque étape. Il ne se presse pas. Juste avant Borodino, il lit un roman français, Les Chevaliers du cygne de Mme de Genlis. Ce représentant de la guerre nationale a le patriotisme discret et pitié des prisonniers. Il disparaît pourtant dans l'ingratitude et l'incompréhension une fois sa mission accomplie. " II ne restait rien d'autre à faire que mourir. Et il mourut. "


Auteur: Loyer Emmanuelle

Info: L'impitoyable aujourd'hui

[ littérature ]

 

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déprime

Il y a toutes sortes de manières de sombrer dans l'ennui.

L'ennui est en effet un objet labile et pourtant profond, une catégorie de la vie affective qui, comme le montrent les historiens des sensibilités, semble accompagner l'historicité des expériences humaines : l'acédie médiévale, le spleen romantique, l’" embêtement " fin XIXe ; l'ennui à l'école, l'ennui provincial, l’ennui conjugal, l'ennui à l'usine, l'ennui au bureau ; l'ennui massif de la dépression, l'ennui léger, nuageux de l'enfant en mal d'escapades, l'ennui métaphysique de l'être humain sachant qu'il n'est que poussière, l'ennui historique diagnostiqué par Stendhal dans la France de la monarchie de Juillet... Selon cette dernière perspective, l'ennui, c'est l'exil de l'action.

Auteur: Loyer Emmanuelle

Info: L'impitoyable aujourd'hui

[ monotonie ] [ désenchantement ]

 

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art d'écrire

Pourquoi cette " soudaine nécessité de la nuit ", selon la lumineuse expression d'Annie Le Brun ? Pourquoi ces châteaux décatis, emphatiquement médiévaux, avec leurs douves, leurs geôles et leurs revenants ?

Du Château d'Otrante d'Horace Walpole (1764) à Frankenstein de Mary Shelley (1818) en passant par Le Moine de Matthew Lewis (1796), le genre noir déferle, parti des frimas britanniques, pour envelopper de son mauvais goût, de son kitsch et de ses naïvetés aussi bien l'époque des Lumières que celle de la Révolution.

Il continue à phosphorer loin dans le XIXe siècle, contaminant une partie de la littérature anglaise et française, les sœurs Brontë, Young, Chateaubriand, Hugo, Lautréamont et d'autres, jusqu'à la sensibilité fantastique d'Edgar Poe.

Pour le surréalisme tout juste sorti de la grande boucherie de la Première Guerre mondiale et confronté à un monde endeuillé, le roman noir est encore une ressource éthique et poétique - comme le prouve son appropriation passionnée. Cet acquiescement à la nuit fait figure de manifeste politique : noir, c'est noir !

Il prélude à une extraordinaire et énigmatique reviviscence du genre au cinéma à la fin du XXe siècle : films de spectres, films d'horreur dans ses différentes déclinaisons, giallo, zombies, etc., font de nous les contemporains de ce lieu mental, éloigné mais toutefois familier, des châteaux gothiques.

Auteur: Loyer Emmanuelle

Info: L'impitoyable aujourd'hui

[ belles-lettres ] [ terreur ] [ question ]

 

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